mise sur site le 25-10-2003
-La pacification du Sahara et la pénétration saharienne (1852-1930)
CHAPITRE 6 :Grandes figures du Sahara
Lyautey, Laperrine,
le Révérend Père de Foucauld

Cahier II du Centenaire de l'Algérie
par
le général O.MEYNIER
Directeur des Territoires du Sud
Publications du Comité National Métropolitain du Centenaire de l'Algérie
Alger, 1930
collection personnelle.

n.b : tous ces textes ont été passés à l'OCR, je ne les pas vérifiés minutieusement. Veuillez pardonner les erreurs éventuelles, vous pouvez même me les signaler.Merci
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CHAPITRE 6

-------Aussitôt nanti des pouvoirs étendus que lui donnait, dans le sud, la loi de 1902, le Gouverneur général de l'Algérie qui était à ce moment là M. Jonnart, donna une impulsion nouvelle à la pénétration saharienne. Aux intrigues plus ou moins avouées qui, au su de chacun, avaient occasionné précédemment la prise d'In-Salah et même l'occupation des oasis du Sud, se substitua une politique nette, franche, consciente des objets poursuivis, et disposant, pour les réaliser, de pouvoirs, de forces et d'un budget adéquats.
-------M. Jonnart eut la bonne fortune de mettre la main, dès le début, pour mener à bonne fin la tâche gigantesque, sur deux personnalités de premier plan, le général, aujourd'hui maréchal, Lyautey qui sut organiser et mettre sur pied toute la partie occidentale des confins, et le commandant devenu depuis le général Laperrine, qui eut à s'occuper de l'extrême Sud des provinces d'Alger et de Constantine.
-------Trop d'auteurs, et en particulier M. Augustin Bernard, dans son excellent livre sur la pénétration saharienne, ont parlé de l'action du général Lyautey dans le Sud oranais pour qu'il soit nécessaire d'y revenir longuement.
-------On sait que cet officier de haute valeur, déjà connu pour sa collaboration active avec le général Galliéni à Madagascar et au Tonkin, par ses brillantes qualités d'écrivain et, à l'occasion de diplomate, fut envoyé dans le Sud oranais, en 1903, après les très nombreux incidents, attaques et pillages qui marquèrent les débuts de notre pénétration dans ces régions. Parmi ces incidents, il faut surtout citer l'attentat de Zenagha, près de Figuig, dans lequel le Gouverneur général avait failli disparaître, les combat3 d'Hassi Resel et de Noukhila et le glorieux siège de Taghit.
-------Le général Lyautey investi, dans le territoire militaire d'Aïn-Sefra, de toute nouvelle création, de pouvoirs très étendus, se mit aussitôt au travail.
Action politique d'abord, dans laquelle il excellait.
En quelques mois, il avait mis la main sur les tribus Oulad Djerir et Doui Ménia qui avaient constitué jusque-là nos principaux ennei lis, malgré nos conventions précédentes de 1870.
-------Tâche d'organisation et d'équipement des arrières ensuite. Pour protéger les régions nouvellement occupées du Guir, de la Zousf ana et de la Saoura, contre les périls venus de l'Ouest, il créa une série de postes, dont Colomb-Béchar fut le plus important, qui formant façade extensible' visà-vis de la dissidence, au delà des objectifs à couvrir, constitua contre leurs alkressions une barrière et une base de départ intéressantes pour les contre-attaques.
-------Enfin, il sut obtenir, grâce au grand ascendant moral qui, dès ce moment, se dégageait de sa personne, les forces qui lui étaient nécessaires et créa des organismes appropriés à la nouvelle guerre qui lui était imposée : Compagnies de légion et d'infanterie montée, maghzens arabes très solides
-------
Bref, de ce côté, la situation fut rapidement rétablie, et si, faute de pouvoir prendre vis-à-vis du Tafilalet, d'où continueraient' longtemps encore de partir des harkas contre nos détachements et nos gens, les résolutions nécessaires, un résultat décisif ne put être obtenu, du moins furent supprimés les incesssants coups de main et même les meurtres individuels qui avaient marqué la précédente période.
-------Tandis que Lyautey commençait, dans le Sud algérien, la magnifique oeuvre que , désormais il allait poursuivre sans arrêt jusqu'à son couronnement, dans le Sahara méridional et oriental une oeuvre non moins magistrale, et peut-être plus originale en soi, était en voie de création.
-------Le commandant Laperrine fut le principal artisan de cette création. Mais à côté de lui, et de ses collaborateurs immédiats, il nous faudra montrer deux autres grandes figures qui presque jusqu'à leur mort seront inséparables de la sienne. Il s'agit du saint missonnaire le Père de Foucauld et du grand chef des Hoggar Moussa Ag Amastane. A eux trois, ils ont résumé l'oeuvre principale de la France de 1902 à 1913.
-------Lorsque, pour la première fois, je rencontrai le capitaine Laperrine à Tombouctou, en 1896, il s'était déjà fait un nom dans le Soudan par la part glorieuse qu'il avait prise aux précédentes colonnes, contre Samory, sultan négrier, et contre les Touareg. A la tête d'uné troupe incomparable, qu'il avait modelée à son image, l'escadron de spahis soudanais, il était venu prendre position en face des Touareg formant l'extrême pointe vers le Nord et l'Est de la pénétration française.
des indigènes, une science assez complète de l'âme et du caractère touaregs ; - il avait même pris contact au combat d'Akenken avec des guerriers venus du Hoggar et sa curiosité s'était sentie éveillée de ce côté.
Deux ans plus tard, le capitaine Laperrine était à la tête de l'escadron de spahis sahariens montés à méhari que le capitaine Germain venait de créer à El-Goléa.
A ce moment la poussée vers le Sahara s'accentuait; Foureau et Lamy avaient réussi leur mission. Le capitaine Pein et Flamand- avaient pris possession d'In Salah et la poussée circulaire qui, partie d'El-Goléa, s'était exercée
-------Déjà par des contacts journaliers il était entré en relations avec les tribus touareg du fleuve. Il comptait parmi eux de nombreux amis et avait su deviner à côté de leurs défauts d'hommes farouches et indomptables leurs qualités de bravoure et de générosité foncière qui formaient un si étrange contraste avec leurs brusques accès de sauvagerie et de brigandage. Aussi, lorsqu'aux derniers jours de 1896, on l'invita à rentrer en France, il fit tout son possible pour rester au Soudan Grâce à une mission de confiance qui l'envoya vers la ville maure de Bacikounou, pour y recueillir un officier de tirailleurs parti sans ordre à sa conquête, il put retarder de quelques semaines l'échéance redoutée. - Enfin il fallut partir.
-------Le capitaine Laperrine emportait du moins, avec tout un bagage de connaissances pratiques dans le maniement vers le Touat et le Gourara, avait abouti à la fondation des postes d'Adrar et de Timimoun. On sait que cette conquête avait entraîné des dépenses énormes et motivé la création de l'organisme des Territoires du Sud.
-------Le commandant Laperrine présenta à ce moment ses projets de formation de troupes méharistes indigènes très mobiles, recrutées parmi les grands nomades eux-mêmes et fortement encadrés par des éléments français de choix. Ces troupes se substitueraient très économiquement aux éléments réguliers entretenus jusqu'à ce moment à très grands frais. Du point de vue administratif, les officiers de ces nouvelles troupes rassembleraient entre leurs mains tous les pouvoirs et auraient à assurer l'administration immédiate des quelques tribus du Sahara. Ces mêmes officiers dans le nouveau système, fondé sur le principe de vivre sur 'le pays ou du moins moyennant des marchés réalisés sur place, prendraient également la direction de tous les services. Ils seraient intendants, ingénieurs, artilleurs, fantassins, cavaliers...
-------Le commandant du territoire, allégé de tout souci administratif, dirigerait en personne la partie la plus délicate, à savoir la politique indigène. Au prix d'incessants déplacements, il prendrait personnellement contact avec toutes les tribus et avec tous les chefs, s'enquérant de leur état matériel et moral, les apprivoisant peu à peu par des palabres amicales et confiantes.
-------Le commandant Laperrine, comme le général Lyautey, avait cette puissance d'attraction incomparable qu'exercent autour d'eux les hommes d'action prédestinés.
-------Une phalange de jeunes et ardents officiers dévoués à leur chef dont ils appréciaient le stoïcisme, l'abnégation, le dévouement à la chose publique, donnaient à l'oeuvre commune toutes leurs forces, toute leur intelligence.
-------Le chef lui-même prit à son compte les premières
explorations, les voyages difficiles ou de signification
politique. Dans la colonne de méharistes très légère qu'il emmenait, les bagages et le confort étaient réduits à l'extrême : vivres et eau étant étroitement mesurés... Et cependant, tandis que le capitaine chevauchait auprès de quelque chef ou guide touareg, lui faisait dire, sous couleur amicale, tout qu'il savait du pays, des hommes, etc... un officier, sextant et boussole en main, dressait les itinéraires nouveaux, un autre étudiait la géologie, etc...
-------Ces méthodes rendirent admirablement. En cinq ans, les Touareg Hoggar dont le nouveau chef Moussa Ag Amastane avait tout de suite apprécié la réalité des choses, nous étaient complètement ralliés - et le colonel Laperrine vantait leur intelligence et les résultats de leur apprivoisement. Les nobles Taitoq et Kelrela de l'Adrar étaient venus spontanément au devant du nouveau chef. Ses reconnaissances pénétraient dans l'Est où elles retrouvaient les. goumiers du capitaine Touchard lancés de l'annexe de Touggourt jusqu'aux portes de Djanet.
-------Enfin un contact définitif était pris avec les troupes soudanaises qui, sur l'autre rive du Sahara, commençaient à s'ébranler vers le Nord. A Timiaouin, la colonne Laperrine rencontrait le capitaine Theveniaux et ce premier contact, rendu un peu orageux par les circonstances, servait de base au premier accord de délimitation de 1904 que le colonel Laperrine vint lui-même en 1909 faire ratifier et modifier à Niamey d'accord avec le colonel Venel dont j'étais l'adjoint.

 

-------Vers l'extrême Ouest, la reconnaissance lancée vers Tacdenit, un moment compromise par les fatigues d'un été rigoureux et l'empoisonnement des eaux de Tnihaïa, complétait le réseau des missions sahariennes. Le capitaine Nieger, cartographe attitré du territoire des Oasis, put tirer de celles-ci les éléments de l'excellent croquis au 1/1.000.000 en couleurs, qui pendant plus de dix ans servira d'instrument de travail pour tous_ les sahariens.
-------Laperrine sentait cependant que sur l'âme touareg il fallait conserver un contact permanent et il le voulait ce contact, dans le massif du Hoggar même. Aussi lorsque son ancien 'ami, le vicomte de Foucauld, devenu le Père de Foucauld, après un long stage en Syrie et une exploration remarquable du Maroc, vint chercher asile et repos dans le Sahara, il fit appel à son dévouement pour occuper ce poste de confiance qui serait celui de directeur de l'âme des Touareg Hoggar et son représentant attitré du point de vue moral.
-------On a déjà souvent fait le portrait du Père de Foucauld, mais sa béatification prochaine, suivie peut-être, de sa sanctification, fait perdre de vue, me semble-t-il, les grands traits du caractère de ce missionnaire qui fut avant tout un grand Français, un soldat et dont la charité et l'humanité profondes furent les qualités dominantes.
-------Grand Français ! toute sa correspondance (et elle fut nombreuse) le démontre. Avant tout il veut que la France réalise à tout jamais son empire sur le bloc africain. occidental. Toute tentative de liaison fraternelle, tout projet de route nouvelle, de ligne télégraphique, de chemin de fer, trouve en lui un partisan résolu et il encourage les auteurs.
-------Moine soldat. Pour obtenir au désert la pax " gallica ", premier résultat à atteindre, il est plus que personne d'avis d'employer les méthodes pacifiques d'apprivoisement. Mais contre les bandits irréductibles, les dissidents auteurs de pillages et négriers sans scrupules, il veut la manière forte : " Prenez donc cinquante méharistes avec vous, me dit-il à notre première rencontre, en 1913 au Hoggar, allez dans le Djebel Sud marocain, enlever par surprise notre ennemi Abidin qui depuis 15 ans pille sans arrêt et rançonne les noirs et les blancs de toute la région entre Hoggar et Niger - et lorsque vous
l'aurez pris, pas de pitié - Fusillé ! ".
Et malgré cette fermeté virile, quel esprit de charité immense l'anime ! Il est à Tamanrasset en contact direct avec les principales tribus nobles des Hoggar et leur chef Moussa Ag Amastane. Il y a aussi des Dag Rali, vassaux à l'âme libre, intelligents et dévoués - et quelques centaines de Harratin qui cultivent l'arrem - Auprès de tous il se prodigue, donnant ses conseils aux chefs, des remèdes aux malades, demandant pour les malheureux et les plus méritants des récompenses qui les atteindront. Jamais plus heureux que s'il a pu convaincre son vieil ami Ouksem de mieux traiter ses cultivateurs, ou d'essayer dans ses champs quelque culture nouvelle qui amènera du mieux être.
-------Il est fier de ses amis et de ses élèves et chaque fois que passe un officier à Tamanrasset, il l'accueille à bras ouverts et organise pour lui des fêtes indigènes où les dames touaregs sont conviées et où l'on chante, joue de l'amzad, où l'on vit comme dans de véritables ahal (cours d'amour).
-------Et son esprit d'humilité ! La popularité, la publicité, le laissent indifférent. Il ne veut pas qu'on parle de lui. Il écrit des ouvrages remarquables. de sociologie et de linguistique touareg. Il les intitule : " Essai de dictionnaire n et les met sous la signature d'un ami. On voit cette âme ardente d'homme d'action se contenir et se combattre toujours elle-même, pour se contraindre à l'humilité, mais le mot humiliation le réveillerait !
-------Et il faut ajouter à la liste des grands Français qui ont fait cette époque, Moussa Ag Amastane, aménokal des Touareg Hoggar. Je le rencontrai pour la première fois en uillet 1914, à Tin Tarabin, centre de cultures du Hoggar, situé tout auprès de Bir El -Gharama, lieu du massacre de la colonne Flatters que je venais de visiter. Il vint au-devant de moi, à pied, vêtu de ses plus beaux atours, le sabre des nobles en bandoulière, ses grands yeux noirs cachés à demi par le nikab et le litham.
-------Par l'intelligence et la finesse, Moussa était très nettement le premier de sa tribu. Après avoir compris dès le début que la résistance à l'influence française marquerait la disparition des 'restes des Kel Ahaggar, il s'était, en 1904, rallié franchement à nous. Le colonel Laperrine, avec sa vivacité et sa grande bonté si loyale, avait immédiatement .fait sa conquête et si le chef touareg comprenait moins bien les dessous bien compliqués pour lui de l'âme religieuse du Père de Foucauld, du moins voyait-il en lui le représentant spirituel du grand chef et vénérait-il ses qualités de modestie et de charité qui entraînaient tous les coeurs.
-------Moussa nous était définitivement et profondément rallié On a pu supposer que sa fidélité subit quelques atteintes en 1917 lorsqu'après l'assassinat du Père de Foucauld il se retira quelque peu du Hoggar pour se rapprocher du Soudan et des bandes senoussistes.
-------Je suis le témoin que jusqu'au dernier moment Moussa ne cessa de se retourner vers le commandant militaire que j'étais, pour me demander une aide et m'assurer de son concours complet.
-------Et si Moussa, au début de 1917, quitta le Hoggar, c'est qu'on l'avait sans doute averti qu'à la suite de contre ordres regrettables, la colonne de secours que j'avais conduite vers lui, avait été disloquée et rendue sans objet.
-------Laperrine, de Foucauld, Moussa, tous trois sont morts ; je voudrais qu'un monument rassemblât ces trois figures d'amis dans un même groupe qui caractériserait l'oeuvre pacificatrice de la France au Sahara de 1902 à 1920.
-------Lorsqu'en 1911 Laperrine vit son œuvre bien assise, les vastes territoires sahariens qu'il avait reconnus et explorés devenus bien français - lorsqu'il constata que les populations des oasis aussi bien que les grands nomades du Sud nous étaient définitivement ralliés, il partit se reposer pour quelques années en France. Il savait que les traditions qu'il. avait créées- seraient respectées de ses successeurs dont il continuait par ses correspondances d'être le directeur moral. Il avait pu, de plus, améliorer le sort des populations misérables par la création et l'aménagement de points d'eau, la création d'écoles professionnelles et d'infirmeries indigènes. Au coeur politique du pays touareg, au Hoggar, il savait d'ailleurs que, son ami le Père de Foucauld monterait bonne garde autour de ses protégés.
-------En fait, aucune des innovations introduites par le colonel Laperrine aux oasis, tant en matière de direction politique que de méthodes d'administration et au besoin de répression ne fut perdue dès lors de vue et c'est précisément ce respect de la tradition et des enseignements donnés qui ont assuré à l'oeuvre saharienne de la France, dans la période qui s'étend `de 1910 à 1916, une tranquillité immuable et un développement progressif.
-------Son successeur, le commandant Payn et le capitaine Charlet qui avait dignement remplacé Nieger, à la tête de la compagnie saharienne des oasis, eurent même le mérite d'agrandir vers l'Est jusqu'à Djanet le rayon de nos possessions - tandis que !es excellents méharistes de la. Compagnie saharienne dans les admirables combats de Grizzim et de Zmeila infligeaient aux Beraber de l'Ouest une sanglante punition et qu'à l'Est, le combat d'Esseyen où le- lieutenant Gardel soutenait, pendant deux jours, l'assaut de plusieurs centaines de Senoussistes qu'il refoulait finalement à la baïonnette, imposait de ce côté à nos voisins, le respect de nos frontières