CHAPITRE
2
-------C'est
en 1864 qu'éclate l'insurrection des Oulad Sidi Cheikh, après
la mort du bachagha Si Hamza Ben-Eddin. Elle débuta par l'anéantissement
de la petite colonne de police du colonel Beauprêtre et dura près
de vingt années. Comme notre alliance avec Si Hamza avait permis
à celui-ci, en même temps qu'elle aidait notre pénétration,
de consolider matériellement une autorité et un prestige
jusque-là demeurés plutôt spirituels sur 1 e s régions
situées au sud de Constantine, l'insurrection des Oulad Sidi Cheick
se répandit comme une traînée de poudre jusque dans
l'extrême Sud algérien et même vers Touggourt où
elle allait demeurer endémique jusqu'à l'occupation militaire
de ces oasis.
-------La
guerre de 1870-1871 vint encore paralyser notre action et si elle n'empêcha
pas les belles expéditions du général de Colomb et
du général de Wimpffen (1870). poussées, pour l'un,
jusqu'à
Figuig et pour l'autre, jusque dans l'Oued Cuir aux environs d'Abadla,
et si, d'autre part, elle ne put arrêter la marche étonnante
de Gallifet qui put atteindre sans trop de difficultés El-Goléa
et rentrer par Ouargla (1873) - tout au moins empêcha-t-elle notre
occupation militaire et notre mainmise économique de progresser
au sud des limites déjà atteintes dans la précédente
période
-------À
l'intérieur de ces limites, continua toutefois notre uvre
d'organisation et d'équipement technique, notamment dans l'Oued
Rhir qui prend, avec l'entrée en ligne des premiers planteurs européens,
un développement inattendu. L'idée de la mer intérieure
de Roudaire est lancée à ce moment et si elle se démontre,
à l'étude, dépourvue de bases pratiques, du moins,
témoigne-t-elle de l'intérêt que l'on commence à
porter en France aux contrées sahariennes.
-------Parmi
les initiatives individuelles qui s'attachèrent dans cette période
à encourager la reconnaissance du Sahara et son attraction vers
la France, on ne saurait sous-estimer celle du cardinal Lavigerie, qui
domine les autres de toute l'ampleur de sa vaste intelligence et de son
idéalisme chrétien.
-------Le
cardinal Lavigerie a été, pendant le XIXè siècle,
la personnalité la plus forte et la plus marquante du monde catholique
français. À une âme d'apôtre, imprégnée
d'un esprit de prosélytisme qui pouvait n'être pas toujours
sans danger, il joignait le caractère d'un soldat conquérant.
Avec son esprit clairvoyant de grand Français, il avait deviné
l'importance de premier ordre qu'aurait pour la France la possession de
l'Afrique noire de l'ouest et, par delà le Sahara, il entrevoyait
les riches plaines soudanaises comme devant former le complément
de l'Algérie. Il croyait, par sa formation de prêtre, que
le principal obstacle à sa pénétration, la France
le trouverait dans l'islamisme; il voulait lancer des missions parmi les
populations musulmanes et dans les tribus païennes, missions qui,
en même temps, conquerraient pour la France de vastes territoires;
et il se flattait d'amener au culte catholique des hommes acquis à
l'islamisme. On sait que sur ce point le gouvernement dut nettement limiter
son activité spirituelle.
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-------L'idée
première des Pères Blancs du Sahara résulte de ces
conceptions - et puisqu'aussi bien l'initiative gouvernementale, à
ce moment assoupie, paraissait se désintéresser des régions
méridionales de l'Algérie, il pensa pouvoir, avec le corps
ardent des missionnaires qu'il avait formés à son image,
faire précéder les armées du gouvernement de la France
par les soldats du Christ.
-------Il
pensait peut-être, d'après certains récits de Barth,
de Vogel, de Duveyrier, que ses missionnaires rencontreraient partout
un accueil favorable ou tout au moins qu'ils ne se heurteraient pas à
des hostilités déclarées. Or, aussitôt que
les premières de ces missions, quittant les régions occupées,
s'enfoncèrent dans le Sahara, leurs projets
furent dénoncés par les marabouts musulmans; il n'était
guère nécessaire d'exciter l'ardeur guerrière des
pillards sahariens qui accueillirent avec joie cette manière de
gagner le ciel en réalisant de fructueux pillages. Les premiers,
les pères Paulmier, Minoret et Bouchard, furent assassinés
tout près d'Hassi Inifel. Quelques autres meurtres, survenus après
le succès du voyage à Ghadamès et aux régions
Ajjers des Pères Richard et Kermabon, vinrent sinon éteindre,
du moins rendre plus circonspect le zèle de ces néophytes.
Mais les travaux qu'ils rapportèrent, et le bruit même fait
autour de leur mort, servirent la cause de la pénétration
française à laquelle d'autres explorateurs comme Soleillet,
Dournaux-Duperré, les capitaines Mircher et de Polignac, l'explorateur
Largeau, apportèrent aussi leur contribution.
-------L'esprit
primitif de propagande religieuse et de conquête morale qui avait
soulevé la grande âme du cardinal Lavigerie n'a pas été
perdu. Les vocations pour la congrégation qu'il a fondée
se manifestent chaque jour plus nombreuses et les Pères Blancs
ont repris avec méthode et circonspection uvre de pénétration
morale entreprise par le fondateur de leur ordre.
-------Il
me souvient d'avoir connu vers 1896, à Tombouctou, un Père
Blanc, à l'esprit fougueux et à l'âme généreuse,
qu'on fut obligé d'arrêter au moment où, un fusil
à la main, il poursuivait un notable musulman qu'il accusait d'avoir
vendu une de ses esclaves noires. Dans un autre ordre d'idées,
il suffit d'entendre les paroles du grand chef actuel de l'ordre, le R.
P. Voillard ou bien du Métropolite de Carthage, Mgr Lemaître,
pour se rendre compte que la bonne semence n'a pas été perdue.
Toutefois il faut rendre cette justice aux Pères Blancs qu'ils
ont désormais et depuis longtemps renoncé à tout
esprit de propagande confessionnelle pour se réfugier dans des
uvres de charité et d'enseignement professionnel et agricole,
et que, admirablement secondés par les Soeurs Blanches de Notre
Dame d'Afrique, ils ont repris sur d'autres bases les projets du grand
Cardinal. Par leurs uvres d'éducation surtout professionnelle,
de développement économique, de pure charité ils
ont conquis des droits à l'estime de l'administration et à
la reconnaissance des populations même musulmanes. Ces résultats
sont bien de l'inspiration du grand prélat français
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