CHAPITRE
1
-------La
prise d'assaut de Laghouat, en 1852, suivie peu après de la convention
de 1853 qui plaçait, en fait, le M'Zab et Ghardaïa sous notre
protectorat, ouvrit cette nouvelle période dans l'histoire active
de l'Algérie.
-------Dans
le même temps, les magnifiques résultats rapportés
par le grand explorateur allemand Barth de son voyage au centre de l'Afrique,
venaient attirer l'attention des nations européennes sur l'intérieur
du continent noir. Si ces récits dissipaient quelques-unes des
illusions que jusque-là on s'était faites sur la valeur
intrinsèque de ces régions lointaines, du moins démontraient-ils
la présence dans le centre africain de vastes contrées fertiles
et de populations d'intelligence relative et de culture élémentaire
où la pénétration européenne aurait intérêt
à se fixer. Pour la première fois d'ailleurs, était
ébauchée une histoire de ces peuples africains, histoire
qui démontrait qu'à la poussière des tribus plus
ou moins anthropophages qu'on pensait s'être succédé
sans suite et sans transition, il fallait substituer la notion de véritables
états centralisés, ayant une histoire et avec une puissance
économique relative, une culture intellectuelle assez développée,
promesse et présage de ce qu'on pourrait obtenir plus tard en les
faisant renaître.
-------Désormais,
en tous cas, l'on est fixé sur les objectifs à atteindre
en partant de l'Afrique du Nord : Sénégal, boucle du Niger,
lac Tchad, et des projets s'ébauchent qui, par delà le désert,
visent déjà ces lointains pays. Dans le même temps
où la France avec le Gouverneur Faidherbe achève sa mainmise
sur le Sénégal, elle fait débarquer ses premiers
matelots sur les côtes du Gabon.
-------Le
livre d'Augustin Bernard et du commandant Lacroix, sur la pénétration
saharienne, montre en excellents termes, et avec une méthode pleine
de clarté, l'exposé des tentatives qui eurent successivement
lieu dans la période de 1850 à 1898.
-------Tandis
que les administrateurs militaires du Sud, officiers des bureaux arabes
des débuts, se voient dans l'obligation inévitable de pousser
leurs colonnes au contact des populations pillardes du désert et
contre les tribus plus ou moins insurgées, toute une phalange d'explorateurs
se dévouent pour pénétrer encore plus avant et aller
rechercher vers le Sud les routes du Soudan lointain et les chemins commerciaux
des pays voisins : Tripolitaine et Sud marocain.
-------Dans
une première période qui va des années 1853 à
1864, l'action politique française s'insinue ainsi peu à
peu vers le Sud. Après Laghouat, Ghardaïa, Ouargla et Touggourt
ont été atteints. Dans le Sud de la province oranaise, le
gouvernement français a trouvé dans la personne du Bachagha
Si Hadza Ben Eddin, des Oulad Sidi Cheikh, un auxiliaire dévoué
de notre politique de pénétration pacifique. Peu à
peu, les populations des oasis s'habituent à recevoir nos envoyés,
nos missionnaires et la seule chose qui les surprend, c'est la prudence
et l'esprit de temporisation que nous mettons dans nos relations avec
eux.
--D'autre part, les régions que nous occupons
en fait ou que nous protégeons ressentent déjà les
bons effets de notre présence, de notre technique : l'oued Rhir
en voie de disparaître est revivifié grâce aux études
des Jus, des Ville ; une prospérité naît qui n'a cessé
de s'accroître.
-------Plus
loin, des missions économiques vont à El-Oued et jusqu'au
Touat, à Ghadamès et Ghat poser les jalons de notre action
commerciale future.
-------D'autres
voyageurs s'enfoncent plus loin dans le Sahara inviolé. Parmi eux,
deux appartiennent vraiment à la classe des grands explorateurs
et leurs ouvrages se peuvent presque comparer à ceux du grand maître
incontesté qu'est Barth. Il s'agit de Rohlfs et surtout de Duveyrier.
-------Le
premier, Allemand d'origine, ancien soldat de notre Légion étrangère,
a réussi à effectuer une exploration transversale du Tafilalet
à la Tripolitaine, en passant par le Touat, le Gourara et le Tidikelt.
Le premier, il a montré que ces régions formaient des dépendances
naturelles de l'Algérie et il a indiqué le chemin à
d'autres expéditions qui peu à peu et avec plus ou moins
de succès se sont orientées vers ces contrées,
Duveyrier, de son côté, a été le premier voyageur
à entrer en relations suivies, cordiales, presque amicales avec
les Touareg du Nord et les études qu'il a rapportées de
ses voyages sont restées, documents de base pour tous ceux qui
ont eu à faire de la politique touareg. Il était encore
tout jeune lorsqu'il se rendit à El-Goléa, puis à
Ouargla pour entreprendre son voyage. Il eut la bonne fortune grâce
à sa vaillance, à la belle générosité
de son caractère, de gagner l'amitié du cheikh Otman, chef
des Iforhas et d'Ikhenoukhen, ammenokhal des Touareg Ajjers, qui couvrirent
le jeune voyageur de leur haute protection, ce qui lui permit de voyager
librement parmi eux, de recueillir des informations précieuses
et, entre autres, les éléments d'une carte dressée
en grande partie pour renseignements, et qui est aujourd'hui encore demeurée
actuelle.
-------Duveyrier,
à la suite d'une grande maladie contractée au cours de ses
voyages, dut alors suspendre ses explorations et cela est profondément
regrettable. Tout au moins continuera-t-il de diriger et de patronner
les efforts des hommes de bonne volonté qui après lui entreprirent
de conquérir le désert.
-------Ainsi,
tandis que Barth avait dépeint exactement les riches contrées
soudanaises, Duveyrier venait de révéler que le Sahara ne
constituait pas, en partant de l'Afrique du Nord française, une
barrière infranchissable. Pendant longtemps le type du guerrier
touareg qu'il avait campé brave, généreux, fidèle
à sa parole, chevaleresque, resta fixé. Et à vrai
dire cette représentation du caractère touareg qu'avait
donnée à Duveyrier une noble reconnaissance, doit être
mise à l'origine de plusieurs échecs et même de drames
affreux qui marqueront notre pénétration ultérieure.
|