mise sur site le 18-08-2003
Gouvernement de l'Algérie : chapitre 4
Cahiers V du Centenaire de l'Algérie
par Louis Milliot , professeur à la Faculté de Droit d'Alger

Publications du Comité National Métropolitain du Centenaire de l'Algérie
Alger, 1930
collection personnelle.

n.b : tous ces textes ont été passés à l'OCR, je ne les pas vérifiés minutieusement. Veuillez pardonner les erreurs éventuelles, vous pouvez même me les signaler.Merci

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CHAPITRE IV

---------Pour dégager les caractères généraux de l'organisation politique et administrative actuelle de l'Algérie, il faut, tout d'abord, corriger ce que le schéma de son développement dans le plan historique a de trop rigide et, par conséquent, d'un peu inexact. Il convient, ensuite, d'en présenter l'exposé en une forme moins discursive et de le ramener à une notion juridique simple.

---------Le gouvernement et l'administration de l'Algérie sont un amalgame, plutôt qu'un composé sédimentaire de trois couches successives d'institutions, provenant du régime militaire et d'un régime civil qui a évolué de l'assimilation vers la décentralisation. Il n'y a pas, en effet, dans l'histoire du droit public algérien, trois périodes séparées, formant coupures à arêtes vives et correspondant à des systèmes absolus, s'excluant mutuellement. L'emploi déterminé d'une méthode n'a pas plus empêché le jeu et la création d'institutions inspirées d'autres méthodes, que l'avènement d'un régime nouveau n'a arrêté le fonctionnement des organismes provenant du régime précédent. Les milieux sociaux possèdent une force de conservatisme qui résiste aux bouleversements politiques. D'ailleurs, les vocables : " régime ", " méthode ", " politique ", traduisent les tendances d'une époque plus qu'ils ne la caractérisent ; ils ne sauraient, en tout cas, prétendre en embrasser tous les aspects. N'avons-nous pas remarqué, déjà, que le régime militaire avait constitué, sous l'Empire libéral, tous les cadres du régime civil et que celui-ci n'a rien trouvé de mieux, pour rétablir l'ordre troublé par l'insurrection de 1871, que de maintenir la commune mixte et d'imiter les Bureaux arabes ? On ne fait, certes, aucun tort à la IIIè République en constatant encore que la création des communes de plein exercice, préparée ou développée par la Royauté, la IIè République et l'Empire, est une mesure de décentralisation, édictée dans un esprit d'assimilation; qu'enfin la décentralisation réalisée de 18% à 1900 a été suivie de près, en 1902, par l'organisation de marches sahariennes dans lesquelles le régime militaire a trouvé un regain d'activité.

---------C'est qu'au fond le but poursuivi par la France en Algérie n'a jamais varié, malgré les apparences. La puissance d'assimilation qui est l'expression la plus forte, peut-être, du génie de notre race, s'est exercée, dès le début de la conquête et sous tous les régimes, dans tous les domaines à travers toutes les méthodes, dessinant lentement chacun des traits de cette ressemblance extérieure si frappante qui fait de l'Algérie une image de la France, sa claire image, reflétée dans le miroir des eaux de la Méditerranée.
Mais l'œuvre d'assimilation a toujours dû composer avec la résistance du milieu indigène. La pacification, constante préoccupation de la France pendant toute la fin du XIXè siècle et le début de XXè ; le maintien de la sécurité, dure nécessité que de douloureux événements viennent périodiquement nous rappeler, nous ont obligés à donner à l'administration une physionomie militaire et à lui conserver un caractère général d'autorité. Il a fallu encore assouplir notre organisation départementale et communale pour y faire entrer les cadres de la société indigène; créer, par exemple, le type de la commune mixte, dédoublée en section française et en douar-commune indigène; attribuer comme un caractère de dualité aux conseils généraux et municipaux. En somme, bien peu d'institutions métropolitaines ont été transportées telles quelles et simplement superposées ou juxtaposées aux institutions locales. Tout un corps de spécialistes - officiers et fonctionnaires - des affaires indigènes s'est, au contraire, efforcé d'adapter nos formations au milieu algérien et d'agir sur lui pour l'entraîner derrière nous dans une lente évolution.

---------Cependant le peuplement européen avait pris, lui-même, la forme consistante d'un milieu néo-français dont les besoins étaient étouffés par le cadre du département. Il a fallu tenir compte de ce particularisme économique, élargir le cadre administratif emprunté à la Métropole et interposer entre le département algérien et l'État français une formation intermédiaire.

---------L'organisation actuelle de l'Algérie est donc un équilibre dynamique dont les composantes sont l'idéal français d'assimilation, le conservatisme indigène et l'évolutionnisme du milieu néo-français. Chacune de ces trois forces est concrétisée dans un ou plusieurs éléments essentiels du gouvernement et de l'administration.

 

---------L'effort d'assimilation a réalisé des formations comme l'unité politique de l'Algérie et de la France, le contrôle du Parlement, la tutelle administrative de l'État, la participation des départements algériens aux élections législatives, la gestion des intérêts locaux par les assemblées départementales et communales. Le conservatisme indigène s'exprime dans la distinction du territoire civil et du territoire militaire, dans le caractère autoritaire de l'administration algérienne, dans l'aménagement du pouvoir de suffrage en deux collèges électoraux distincts : celui des citoyens français et celui des sujets français, ce dernier n'ayant qu'une représentation minoritaire au sein des assemblées algériennes et pas de représentation du tout au Parlement. A l'évolutionnisme du milieu néo-français correspondent, enfin, une Algérie érigée en unité administrative spéciale et la gestion de ses intérêts économiques par les assemblées financières.

---------Si l'on essaie de traduire en langage juridique cet équilibre complexe qu'est l'ordre des choses algériennes, on s'aperçoit que l'Algérie, groupe de trois départements, circonscription administrative intercalée entre l'État et le département, pour des raisons tenant à un particularisme économique et social, représente une région administrative de la France méditerranéenne. C'était une création vraiment originale en 1900; et ce caractère suffit à expliquer qu'on ait mis du temps à la concevoir et beaucoup hésité ensuite à la réaliser. Depuis, les projets de réforme administrative et le spectacle de l'Alsace nous ont familiarisés avec l'idée dont elle procède. Il y a une Algérie comme il pourrait y avoir un Nord minier, un Est industriel, un Ouest maritime, un Midi viticole; comme il y a, en ce moment, une Alsace incomplètement fondue dans l'unité française. La sincérité de l'idée et la fécondité de la création ne peuvent plus être mises en doute, en ce qui concerne, tout au moins, l'expérience algérienne.

---------Mais un ordre social quelconque, réalisé en un lieu et un temps donnés, n'est jamais qu'un équilibre instable; et cela est vrai, surtout, du milieu algérien, qui, bouleversé par la conquête et désagrégé par la colonisation, n'a pas dépassé la période organique et subit encore des transformations dont la rapidité est parfois déconcertante.

---------Les choses algériennes ont bien changé depuis 1900. II y a eu la guerre et l'épiphénomène d'un grand courant d'idées nouvelles, qui a amené comme une révision générale des valeurs. Par l'épreuve du sang la France a pu prendre la mesure des forces de conservatisme et d'évolutionnisme et se convaincre du loyalisme de l'Algérie. Elle a, dès 1919, récompensé la fidélité des indigènes en augmentant leurs droits civils et politiques. Elle aurait, certainement, accordé aux Délégations Financières l'extension qu'elles souhaitent de leurs pouvoirs si, d'abord, les points de vue réformistes, par trop divergents, s'étaient fondus dans une opinion cohérente et continue et, surtout, si la logique du système de la représentation des intérêts ne la retenait de reconnaître le pouvoir souverain de décision à une assemblée au sein de laquelle les intérêts européens sont assurés d'une majorité de deux tiers. Si elle renonçait à la tutelle administrative, qui représente à ses yeux un contrepoids nécessaire pour empêcher la formation d'un consortium capable d'écraser les intérêts des indigènes, ce ne pourrait être qu'en stipulant certaines garanties, notamment une modification de la répartition actuelle du pouvoir de suffrage entre les deux collèges électoraux et l'octroi aux indigènes de libertés nouvelles dont elle est d'autant plus disposée à rechercher la formule qu'il s'agirait de préparer des mesures conformes à son idéal de justice égalitaire.

---------L'équilibre actuel serait donc précaire et menacé d'une rupture prochaine si le milieu algérien ne recelait encore des forces de résistance qui s'opposent à une reprise éventuelle de la tendance assimilatrice, même limitée à un aménagement nouveau du pouvoir de suffrage qui rapprocherait davantage la condition de l'indigène de celle de l'Européen. L'analyse de ces éléments d'opposition va nous amener, non pas à critiquer les projets et propositions de réformes - c'est un examen qu'exclut le point de vue général, purement descriptif, de cette étude - mais à formuler quelques principes généraux qui sont l'application des postulats essentiels de gouvernement et d'administration