CHAPITRE
III
ÉVOLUTION DES INDIGÈNES
--------Les
colons ont été l'élément actif de transformation
dans le bouleversement profond de l'Afrique du Nord de 1830 à 1930.
Les toxines redoutables de la civilisation occidentale ont été
sécrétées dans une société préexistante,
la société indigène. Dans quelle mesure a-t-elle
réagi, c'est-à-dire collaboré ?
Démographie
--------Ici
quelques chiffres sont inévitables et il est commode de les grouper
en une courbe graphique.
--------Cette courbe
serait passionnante, s'il était possible au public de se passionner
pour une courbe démographique.
--------Elle est
sérieusement établie, basée sur des dénombrements
quinquennaux qui ont été faits régulièrement,
sauf en 1917, à cause de la guerre.
--------Ce qui est
passionnant, c'est l'allure de la courbe entre 1856 et 1872. En 1861 le
recensement a donné 2.750.000. En 1866, 2.700.000 âmes.
--------Immédiatement
après se place une énorme oscillation négative. Le
recensement de 1872 a donné un chiffre d'indigènes inférieur
d'un demi-million à celui de 1861, soit 2.125.062. Ce fléchissement
a causé à l'époque une grosse émotion et a
entraîné des généralisations hâtives.
Des gens sérieux se sont imaginé que cette dure population
Maugrebine, au contact de notre civilisation, allait fondre progressivement,
comme la population des îles Polynésiennes.
--------Ils étaient
loin de compte. Depuis 1872 la population indigène algérienne
a doublé en un demi-siècle. L'ascension de la courbe est
régulière. Elle s'est à peine ralentie entre 1911
et 1921, pendant les terribles années de la grande guerre, 5.113.096
au recensement de 1926.
--------Entre
1856 et 1872, il y a eu en succession plusieurs
années de disettes, accompagnées comme d'habitude d'épidémies
meurtrières. C'est une explication, mais elle n'est pas satisfaisante
à elle toute seule. Sous le climat capricieux du Maghreb, les mauvaises
années sont une éventualité avec laquelle il faut
toujours compter. Il y a eu d'autres disettes depuis 1872.
--------Ce que la
période 1856 à 1872 a de particulier, c'est que c'est la
période du second Empire. La politique algérienne du second
Empire a été celle du « Royaume Arabe », un
peu ce que nous appelons aujourd'hui le protectorat. On s'est efforcé
d'isoler, comme sous cloche, la société indigène,
de la laisser évoluer toute seule et on y a tenu la main avec la
rigueur d'un gouvernement autoritaire. Le résultat de cette mise
sous cloche a été un effondrement démographique.
La colonisation européenne n'a pris son essor qu'à partir
de 1872 et la courbe de la population indigène aussi. Cette courbe
à elle toute seule fait l'éloge de la colonisation avec
plus d'éloquence qu'une longue dissertation. Elle devrait être
plus connue qu'elle n'est. Elle est péremptoire.
--------De
1872 à 1930 la population indigène
a plus que doublé, c'est un fait brutal, parfaitement indéniable.
L'Influence
des Colons
--------Pourtant,
quand il s'agit d'un groupe humain, compter les têtes n'est pas
tout. Il faudrait pouvoir peser l'accroissement ou la diminution de valeur
individuelle. Une tâche délicate, en cette matière
il n'y a guère de dynamomètre sûr.
--------Une
chose est certaine, c'est que les conditions générales seraient
tout à fait favorables à l'influence profonde du colon sur
l'indigène ; à tout le moins les conditions générales
matérielles; celles qui se laissent mesurer aisément.
--------Et
d'abord la proportion numérique des colons et des indigènes.
Rappelons ces chiffres.
--------En
Algérie 833.000 Européens en face de 5.1 13.000 indigènes
: c'est une proportion très forte, presque 1 sur 6.
--------En
Tunisie, le dernier recensement accuse 173.000 Européens et 1.966.000
indigènes (environ 1/12.)
--------Au
Maroc, si le chiffre de 4.411.000 indigènes est approximatif, celui
de 95.000 Européens est certain (60.000 Français) (environ
1745).
--------Pour l'ensemble
du Maghreb c'est un total de 1 million 101.000 Européens
mêlés à une population indigène de 11.415.000.
La proportion totale est à peu près d'un sur dix. L'avance
particulière de l'Algérie est considérable.
--------Qu'il y
ait en Algérie un Européen pour six
indigènes, c'est déjà une proportion énorme,
suffisante pour faire présumer une action profonde. Par surcroît
ce sixième de la population totale n'est pas seulement prépondérant
au point de vue politique, il est prépondérant aussi au
point de vue social.
--------Quand l'armée
française a débarqué en Algérie en 1830, elle
y a trouvé les Turcs installés depuis trois siècles.
Ils avaient refoulé dans les métiers manuels, et dans l'humble
existence de paysans arabes, à peu près toute la masse des
indigènes berbères et arabes; ils avaient la fortune; ils
occupaient les postes importants ; ils étaient la bourgeoisie.
--------Ce qui pouvait
subsister de cette bourgeoisie n'a pas survécu longtemps à
la suppression de la piraterie, source principale des fortunes privées.
--------L'Algérie
indigène est presque toute entière rurale; elle n'a rien,
même à Tlemcen, qui se laisse comparer à la culture
musulmane urbaine de Tunis ou de Fez, pour ne rien dire du Caire. Il y
a naturellement des bourgeois musulmans; ils ne sont pas une classe distincte.
--------Il y a là
une situation très particulière qu'on ne retrouverait ni
en Tunisie ni au Maroc. Cette situation n'a pas été créée
par la conquête française; ni même à la rigueur
par la conquête turque. Elle est l'aboutissement d'une très
longue histoire au cours de laquelle il n'a jamais poussé en Algérie
un équivalent de Tunis ou de Fez, une cité-monstre musulmane,
condition indispensable d'une bourgeoisie.
--------Les conséquences
sont considérables. Il y a en Algérie une plèbe rurale
et pastorale, et, pour encadrer cette plèbe, rien d'autre que les
833.000 colons, seule classe bourgeoise constituée.
--------Un délégué
financier, M. Motard, affirmait l'autre jour, dans une revue locale, que
les colons, sixième partie de l'Algérie, payaient à
eux tout seuls les cinq sixièmes des impôts. Mais M. Motard
se gardait bien de déplorer cette inégalité dés
charges fiscales. Tout au contraire; il s'en enorgueillissait. Sous sa
plume, le colon affirme la conscience de sa prédominance sociale,
il en revendique les responsabilités, et en accepte les charges.
--------Une
situation extraordinairement forte.
--------En face
de cette aristocratie colon, si solidement constituée, les indigènes
sont fractionnés en compartiments.
--------Ils n'ont
même pas réalisé l'unité de langue. Un tiers
de l'Algérie indigène parle berbère, la langue de
Massinissa, et ignore l'arabe, que les deux autres tiers ont adopté.
Ce n'est pas une simple différence de langue, ce qui serait déjà
grave à soi tout seul, puisque la langue modèle le cerveau.
Mais il y a là-dessous des différences totales de genres
de vie. D'une part des villageois montagnards, fixés au sol, d'instincts
démocratiques, avec un sens aigu de la propriété
privée. D'autre part des nomades de grande tente, avec des instincts
communistes, avec une organisation aristocratique et princière.
--------À
travers toute l'histoire, les millénaires, ces deux groupes, constitués
par les nécessités du climat et du sol, se sont éternellement
pillés, massacrés, sans merci et sans trêve. Chaque
groupe a eu ses victoires sans lendemain, ses grands hommes à lui,
ses gloires propres.
--------Ce sont
bien en effet deux espèces de groupes nationaux. Mais ce ne sont
pas deux nations constituées. Il s'en faut de tout. Chacun des
deux blocs est hétérogène.
--------Le
Kabyle, dans ses montagnes humides, boisées,
est un paysan, tout près des nôtres, un jardinier, propriétaire
de sa chaumière et de son jardin, enraciné en un point déterminé
du sol.
--------Le
Chaouïa de l'Aurès, dans ses montagnes
sèches, est pâtre de moutons, un transhumant dans un tout
petit rayon de transhumance. Le village Chaouïa n'a ni la disposition,
ni l'architecture du village kabyle.
--------Le
Chaouïa et le Kabyle ont beau parler tous les deux des dialectes
berbères, d'ailleurs assez aberrants, il n'y a aucun rapport entre
les deux psychologies. Deux petites planètes distinctes.
--------Le bloc
arabe est peut-être encore plus profondément émietté.
Dans les premières décades de la conquête, nos pères
ont très naturellement groupé à part, dans les statistiques,
ceux qu'ils appelaient les Maures, c'est-à-dire
les citadins, les bourgeois. Le costume extériorisait en ce temps-là
leur originalité : c'était en somme le costume turc, celui
que nos zouaves ont porté jusqu'en 1914, un costume ajusté.
--------Le grand
nomade du Sud, homme ou femme, a une silhouette toute différente;
même lorsqu'il est en loques, ce qui est habituel, il est magnifiquement
vêtu de draperies flottantes, joie de l'il. Le corps qui se
devine sous ces draperies ajoute à leur effet : un corps alerte,
musculeux, un corps de grand air et de vie dure.
--------Ce sont
deux humanités que toute l'histoire a violemment opposées.
Le nomade de grande tente est le grand fauve humain. A travers les millénaires,
il a toujours fait le rêve, souvent réalisé, de mettre
à sac les « villes puantes ». Et le citadin a toujours
eu la même préoccupation: se créer une organisation
qui le mette à l'abri de l'éternel, du seul ennemi, le grand
nomade.
--------Depuis trois
ou quatre siècles, pas davantage, ces deux humanités parlent
la même langue, l'arabe. Mais la communauté du langage n'a
pas entraîné la fraternité des sentiments communs.
--------Notez d'ailleurs
qu'il y a une infinité dé tribus nomades. Et chacune d'elles,
toutes les fois qu'elle l'a pu, s'est toujours fait les griffes sur la
tribu voisine.
--------Ce sont
là de grandes divisions, imposées par la nature, par l'interpénétration
des montagnes et des plaines, de la steppe et du pays arable. A ces divisions
géographiques, d'autres sont venues s'ajouter, religieuses.
--------Il y a en
Algérie des Mzabites et des Juifs, et ce sont des groupes humains
très particuliers et très importants. Ce ne sont pas des
groupes territoriaux attachés à un point déterminé
du sol. Ils vivent un peu partout, disséminés en noyaux
mobiles. Malgré l'éparpillement chaque groupe reste profondément
conscient de son individualité, ardemment patriote, cimenté
par des conceptions communes de la société et de la vie,
à base religieuse.
--------Parce que
ces nations éparpillées vont au rebours de nos habitudes
occidentales, nous ne comprenons rien au « miracle juif »,
comme disait Bossuet. Mais en Orient, ce type de nations est banal; le
Levant a ses Arméniens, l'Inde a ses Parsis.
--------Les Mzabites
sont le dernier résidu en Algérie d'une grande secte musulmane
bien connue, les Kharedjites, qui a fondé l'Empire Maugrebin de
Tiaret au Xè siècle.
--------Les Kharedjites,
qu'on appelle quelquefois les protestants de l'Islam, ont le plus profond
mépris pour les autres musulmans. Ils ont développé
surtout, comme les autres sectes persécutées, Arméniens,
Parsis, Juifs, un sens aigu du commerce et de l'argent. Dans toutes les
villes d'Algérie on voit le boutiquier Mzabite.
--------Numériquement
les Mzabites seraient insignifiants, mais une tribu de manieurs d'argent
a un rôle qui ne se mesure pas à son importance numérique.
--------Les juifs
algériens ont une importance du même ordre, mais plus grande.
Ils sont là à peu près ce qu'ils sont plus ou moins
dans l'univers entier, un corps étranger enkysté. Nulle
part ailleurs pourtant les juifs n'ont tourné le dos aussi complètement,
immédiatement, aux indigènes du pays où ils sont
pourtant fixés eux-mêmes depuis quinze cents ans, depuis
toujours.
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--------Voilà
donc en présence d'une part le colon, fort de son importance numérique,
de sa prépondérance politique et sociale, et d'autre part
une société indigène extraordinairement émiettée
en groupes hétérogènes, que séparent des haines
millénaires. C'est une situation admirable. Les conditions matérielles
semblent devoir rendre aisée et profonde l'influence du colon.
--------Elle a été
décisive en ce qui concerne l'élément israélite.
Les juifs algériens ont adopté la langue, les murs
et la nationalité françaises. Dans les statistiques depuis
le décret Crémieux (1871), ils figurent comme Français.
Dans le cours ordinaire de la vie quotidienne, à des nuances près,
bien entendu, ils font figure de Français. L'assimilation est aussi
complète que possible.
--------Malheureusement
les autres indigènes, à l'exception de quelques bourgeois
musulmans, n'ont pas suivi du tout l'exemple juif.
--------En face
du bloc colon, le bloc indigène musulman reste à part, clos
et imperméable en gros. Il y a là deux blocs juxtaposés
qui, après un siècle écoulé, ne fusionnent
toujours pas.
--------Ce n'est
pas simplement parce qu'un des deux blocs est conquérant et l'autre
conquis. C'est que l'un est musulman et l'autre chrétien.
Une différence de foi religieuse est toujours grave,
on
s'est massacré entre catholiques et protestants.
Mais ce qui est en cause ici, entre la chrétienté et l'Islam,
ce n'est pas tant une divergence de dogme, de catéchisme. C'est
quelque chose de bien plus profond. Une opposition totale dans 1 organisation
de la famille, de la justice, de l'État. Deux sociétés
entrent en contact immédiat après des millénaires
d'évolution indépendante : l'Orient et l'Occident.
C'est toute la question de l'Islam, on ne peut pas la traiter en passant,
dans un alinéa.
Les
Efforts officiels :
Assistance, Instruction
--------Cette étanchéité
du bloc musulman est particulièrement pénible à la
métropole; elle cause à Paris des explosions périodiques
d'irritation, parce que Paris est trop loin pour discerner la nature de
l'obstacle ; il s'imagine volontiers que la Société Européenne,
représentée par des pouvoirs publics locaux, ne fait pas
le nécessaire pour combler l'abîme.
--------Le gouvernement
général d'Algérie n'aurait pas eu besoin des incitations
métropolitaines pour essayer d'agir. Qui n'est conscient des devoirs
que la conquête nous impose vis-à-vis de nos sujets musulmans
? Qui n'est ardemment désireux d'amener entre les deux blocs une
fusion dont les énormes avantages sont évidents ?
--------L'administration
s'est servie des armes dont elle peut disposer.
--------Elle s'est
occupée du bien-être physique, de l'hygiène, de l'assistance
publique.
--------Dispensaires,
infirmeries et hôpitaux indigènes; cités, asiles,
orphelinats et uvres multiples d'assistance. L'Algérie déclare
consacrer à l'hygiène 70 millions de son budget d'un milliard.
--------On a confié
aux administrateurs l'organisation de sociétés indigènes
de prévoyance et de prêts mutuels. Il s'agit, dans la mesure
du possible, de faire la guerre aux usuriers, aux terribles usuriers,
héritage du passé oriental.
--------Fidèle
à sa doctrine, la 3è République a donné ses
soins particuliers à l'instruction publique.
--------Naturellement
les lycées, les collèges, les écoles primaires européennes
sont ouverts aux indigènes. Mais cela ne suffisait pas. On a ouvert
des écoles primaires indigènes.
--------Ces
efforts administratifs, si suivis qu'ils soient, ne sont que des efforts
administratifs. L'énormité du problème à résoudre
dépasse trop évidemment les pouvoirs de réalisation
d'une administration.
--------Ces
efforts sont étayés pourtant par les instincts du colon.
Même lorsqu'il n'est pas d'origine, il est d'éducation française.
Vis-à-vis de l'indigène, il n'a pas la morgue anglo-saxonne.
Vis-à-vis du musulman, il n'a pas les préjugés de
l'Espagnol.
--------Dans l'élan
économique d'ailleurs le colon vis-à-vis de l'indigène
fait office d'entraîneur. Même sans le vouloir, par la concurrence
même et le choc des intérêts, il a modifié dans
le sens du mieux-être la situation des Indigènes.
--------L'Algérie
s'est attachée à la tâche terrible d'occidentaliser
un morceau d'Orient. S'est-elle efforcée tout à fait en
pure perte ?
Le
Métarmorphisme
--------À
vrai dire certains résultats très partiels ont été
obtenus. M. Milliot vient de nous faire connaître en 1926 un phénomène
curieux qui atteste les progrès du Français parmi les Kabyles.
--------Les Kabyles
du Djurdjura ont toujours eu, à travers les siècles, un
droit coutumier qui leur est propre. Ils lui donnent le nom de «
Kanoun », oui est à lui seul un brevet d'antiquité,
puisqu'il remonte évidemment à l'époque chrétienne
: les canons de l'Église. Ces « kanouns » sont doublement
illégaux : en droit musulman, parce que la loi musulmane tient
tout entière dans le Coran; en droit français, parce que
toute la loi française est enfermée dans le code. Cette
double illégalité n'a d'ailleurs aucune importance pratique
: elle n'a jamais gêné sérieusement personne en Kabylie.
--------Le gouvernement
algérien, sous la pression des assemblées parlementaires
parisiennes, a diminué les pouvoirs de police des administrateurs;
cela s'est appelé suppression du code de l'indigénat. Pour
contrebalancer l'affaiblissement de l'autorité administrative,
les communautés kabyles ont voulu renforcer l'autorité,
en quelque sorte syndicale, de leurs kanouns. Et pour y parvenir elles
se sont mises à les écrire, à les codifier, si on
peut dire.
--------Le droit
coutumier des kanouns s'est transmis à travers les
siècles par voie orale. L'idée de les écrire serait
déjà, à soi toute seule, une trace d'évolution
métamorphique. Mais en quelle langue rédiger les kanouns
? En kabyle ? mais le kabyle est un dialecte berbère qui ne s'est
jamais écrit. En arabe ? mais personne en Kabylie ne parle l'arabe,
et a fortiori ne l'écrit. Il ne reste que le français.
--------Les Kabyles ont donc écrit
leurs kanouns en français. Non pas dans un français officiel
de traducteur assermenté. Les Kabyles ont écrit eux-mêmes,
avec leurs propres ressources philologiques, dans leur français
quotidien, en jargon.
L'instruction et règles portant dans ce livret sont acceptées
jusqu'aux petits aux grands du village de Tassaft, » etc...
Dans le même ordre d'idées, la poste métropolitaine
.Voici un échantillon, un début de kanoun rédigé
par la djemmaâ (communauté, municipalité) de Tassaft
: « Livret de réunion de Tassait contenant les règles
générales et instructions nécessaires du village
-------- L'instruction
et règles portant dans ce livret sont acceptées jusqu'aux
petits aux grands du village de Tassaft, » etc...
-------- Dans le même
ordre d'idées, la poste métropolitaine a parfois à
déchiffrer des énigmes du genre de celle-ci « Monsieur
Mohammed ben Mohammed, la zizine-des-5-Chameaux (Loire).»
C'est l'usine de Saint-Chamond qui emploie des ouvriers
kabyles.
-------- Nos instituteurs
ont le droit de s'enorgueillir. Ils auraient tort cependant d'oublier
que la vie a
puissamment aidé l'école.
-------- Depuis la
guerre, l'émigration temporaire a répandu sur la France,
bon an mal an, un très grand nombre d'indigènes algériens,
que l'argot parisien appelle les Sidis ; une centaine de mille peut -
être.
-------- La majorité
sont des Kabyles. Ils reviennent coiffés d'une casquette qu'ils
échangent dès le débarquement contre la chéchia;
avec un vocabulaire extrêmement enrichi ; et sans doute aussi avec
un lot d'idées nouvelles, confuses et contradictoires, dont il
est trop tôt pour prévoir les répercussions variées.
-------- Il ne faut
pas oublier d'ailleurs que le service militaire obligatoire est désormais
appliqué aux indigènes. Quand une roche en fusion, venue
des profondeurs, monte à travers l'écorce
terrestre, les géologues constatent qu'il se produit, sur les parois
de la cheminée, ce qu'ils appellent des «phénomènes
de métamorphisme ». L'expression est commode pour
désigner ce qu'on observe en Algérie. On peut y noter déjà,
dans les deux sociétés, un «
métamorphisme de contact ».
-------- Les indigènes
marocains y sont très sensibles : à leurs coreligionnaires
d'Algérie, ils font couramment le reproche d'être «
nouss-mselmin », des demi-musulmans. Certainement en
Algérie, depuis 1830, l'Islam, le granitique Islam, a joué
plus ou moins.
-------- L'Autrichien
Oscar Lenz, voyageant au Maroc, déclare y avoir embauché,
quand il l'a pu, des domestiques ou des auxiliaires algériens,
de préférence aux marocains, parce que ceux-là sont
plus près de l'Européen. Et Lenz faisait cette expérience
curieuse, il y a déjà une quarantaine d'années.
-------- Évidemment
des taches de corrosion apparaissent sur la cloison étanche. Il
ne faudrait pas s'en exagérer l'importance. Ce serait horriblement
dangereux. Il n'y a rien de plus dangereux que de prendre ses désirs
pour des réalités.
L'Attitude
des indigènes vis-à-vis de Nous.
-------- Il est
certain pourtant qu'un résultat considérable, encore que
négatif, a été obtenu. La domination française
en Algérie est admirablement supportée.
-------- Pour comprendre
ce fait il est bon de ne pas perdre de vue le passé tout entier
de l'Afrique du Nord, du Maghreb.
-------- L'histoire
du Maghreb, considérée dans son ensemble, offre une particularité
curieuse. Le Maghreb a été depuis deux mille ans dominé
successivement par Carthage, Rome, Les Vandales, les Byzantins, les Arabes,
les Turcs, les Français. Non seulement il ne s'est jamais appartenu,
mais le conquérant étranger n'a jamais été
chassé par une révolte des indigènes : il l'a toujours
été par un autre étranger, son successeur.
-------- Tout cela
témoigne d'une difficulté à exister, à se
tenir sur ses propres pieds. Les Maugrebins n'ont jamais été
ni une nation, ni un empire autonome.
Et dès lors, dans la vie pratique, qu'importe que l'étranger
maître de l'Algérie s'appelle aujourd'hui le Français
? Il a remplacé un autre étranger, le Turc. C'est si vrai
que l'indigène continue à désigner l'administration
par un mot turc, il l'appelle le beylick. Et avant le Turc, un autre étranger,
l'Arabe.
Et plus loin dans le passé, le Byzantin, le Vandale,
le Romain, le Carthaginois.
-------- Non seulement
la conquête française n'a pas déplacé une classe
dirigeante autochtone qui resterait là, dans la coulisse, aigrie
de rancunes et de regrets amers. Mais encore, il n'y a jamais eu de classe
dirigeante autochtone, jamais au grand jamais à travers les millénaires.
Un fait énorme, qui a laissé indéveloppés
toute une catégorie de sentiments.
-------- Assurément
il ne faut pas perdre de vue cette situation primordiale qui a singulièrement
facilité notre tâche. A elle toute seule je ne sais pas si
elle est une explication suffisante du phénomène observé,
qui est tout de même, à la réflexion, extraordinaire.
Sur les questions algériennes on pourrait s'amuser à recueillir
un florilège de Parisiana. On y trouverait par exemple ceci :
« Dès qu'une menace de guerre se manifestera
en Europe, il nous faudra distraire 2 ou 300.000 hommes pour aller en
Algérie prévenir les insurrections ». Ces
lignes ont été écrites en 1913. On les trouvera à
la page 602 de la Revue Indigène.
-------- La menace
de guerre s'est réalisée en 1914, et on eût difficilement
pu rêver pour l'Afrique Française une épreuve plus
sérieuse de solidité. Le bloc n'a pas bougé; entre
ces deux éléments, européen et indigène, aucune
fissure n'est apparue. Ils ont combattu côte à côte
sur le front avec une égale bravoure.
-------- L'après-guerre
a confirmé les conclusions que la guerre a fait ressortir. Ailleurs,
en Égypte, en Syrie, en Turquie, en Perse, l'après-guerre
a déchaîné un ouragan de nationalisme. En Algérie,
rien.
-------- La comparaison
avec l'Égypte est suggestive. Il ne faut pas se le dissimuler :
l'uvre des Anglais en Égypte, après un demi-siècle
d'occupation, est simplement admirable. Ils ont rendu aux Égyptiens
des services immenses; et ils les ont rendus sans effusion de sang. Ils
en sont payés par une haine inexpiable, injurieuse, étalée
au grand jour, prête à l'insurrection.
-------- En Algérie
le parti indigène est un parti politique dans le cadre français,
parfaitement loyaliste.
-------- On ne veut pas épiloguer
sur ce contraste curieux. Il suffit de le constater.
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