mise sur site le 27-08-2003
Évolution de l'Algérie de 1830 à 1930 : chapitre 3
Évolution des indigènes
Les colons ont été l'élément actif de transformation dans le bouleversement profond de l'Afrique du Nord de 1830 à 1930. Les toxines redoutables de la civilisation occidentale ont été sécrétées dans une société préexistante, la société indigène. Dans quelle mesure a-t-elle réagi, c'est-à-dire collaboré ?
Cahiers III du Centenaire de l'Algérie
par M.E.F. GAUTIER, professeur à la Faculté des Lettres d'Alger

collection personnelle.

n.b : tous ces textes ont été passés à l'OCR, je ne les pas vérifiés minutieusement. Veuillez pardonner les erreurs éventuelles, vous pouvez même me les signaler.Merci
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CHAPITRE III


ÉVOLUTION DES INDIGÈNES

--------Les colons ont été l'élément actif de transformation dans le bouleversement profond de l'Afrique du Nord de 1830 à 1930. Les toxines redoutables de la civilisation occidentale ont été sécrétées dans une société préexistante, la société indigène. Dans quelle mesure a-t-elle réagi, c'est-à-dire collaboré ?

Démographie

--------Ici quelques chiffres sont inévitables et il est commode de les grouper en une courbe graphique.

--------Cette courbe serait passionnante, s'il était possible au public de se passionner pour une courbe démographique.

--------Elle est sérieusement établie, basée sur des dénombrements quinquennaux qui ont été faits régulièrement, sauf en 1917, à cause de la guerre.

evolution demographie

--------Ce qui est passionnant, c'est l'allure de la courbe entre 1856 et 1872. En 1861 le recensement a donné 2.750.000. En 1866, 2.700.000 âmes.

--------Immédiatement après se place une énorme oscillation négative. Le recensement de 1872 a donné un chiffre d'indigènes inférieur d'un demi-million à celui de 1861, soit 2.125.062. Ce fléchissement a causé à l'époque une grosse émotion et a entraîné des généralisations hâtives. Des gens sérieux se sont imaginé que cette dure population Maugrebine, au contact de notre civilisation, allait fondre progressivement, comme la population des îles Polynésiennes.

--------Ils étaient loin de compte. Depuis 1872 la population indigène algérienne a doublé en un demi-siècle. L'ascension de la courbe est régulière. Elle s'est à peine ralentie entre 1911 et 1921, pendant les terribles années de la grande guerre, 5.113.096 au recensement de 1926.

--------Entre 1856 et 1872, il y a eu en succession plusieurs années de disettes, accompagnées comme d'habitude d'épidémies meurtrières. C'est une explication, mais elle n'est pas satisfaisante à elle toute seule. Sous le climat capricieux du Maghreb, les mauvaises années sont une éventualité avec laquelle il faut toujours compter. Il y a eu d'autres disettes depuis 1872.

--------Ce que la période 1856 à 1872 a de particulier, c'est que c'est la période du second Empire. La politique algérienne du second Empire a été celle du « Royaume Arabe », un peu ce que nous appelons aujourd'hui le protectorat. On s'est efforcé d'isoler, comme sous cloche, la société indigène, de la laisser évoluer toute seule et on y a tenu la main avec la rigueur d'un gouvernement autoritaire. Le résultat de cette mise sous cloche a été un effondrement démographique. La colonisation européenne n'a pris son essor qu'à partir de 1872 et la courbe de la population indigène aussi. Cette courbe à elle toute seule fait l'éloge de la colonisation avec plus d'éloquence qu'une longue dissertation. Elle devrait être plus connue qu'elle n'est. Elle est péremptoire.

--------De 1872 à 1930 la population indigène a plus que doublé, c'est un fait brutal, parfaitement indéniable.

L'Influence des Colons

--------Pourtant, quand il s'agit d'un groupe humain, compter les têtes n'est pas tout. Il faudrait pouvoir peser l'accroissement ou la diminution de valeur individuelle. Une tâche délicate, en cette matière il n'y a guère de dynamomètre sûr.
--------Une chose est certaine, c'est que les conditions générales seraient tout à fait favorables à l'influence profonde du colon sur l'indigène ; à tout le moins les conditions générales matérielles; celles qui se laissent mesurer aisément.
--------Et d'abord la proportion numérique des colons et des indigènes. Rappelons ces chiffres.
--------En Algérie 833.000 Européens en face de 5.1 13.000 indigènes : c'est une proportion très forte, presque 1 sur 6.
--------En Tunisie, le dernier recensement accuse 173.000 Européens et 1.966.000 indigènes (environ 1/12.)
--------Au Maroc, si le chiffre de 4.411.000 indigènes est approximatif, celui de 95.000 Européens est certain (60.000 Français) (environ 1745).

--------Pour l'ensemble du Maghreb c'est un total de 1 million 101.000 Européens mêlés à une population indigène de 11.415.000. La proportion totale est à peu près d'un sur dix. L'avance particulière de l'Algérie est considérable.

--------Qu'il y ait en Algérie un Européen pour six indigènes, c'est déjà une proportion énorme, suffisante pour faire présumer une action profonde. Par surcroît ce sixième de la population totale n'est pas seulement prépondérant au point de vue politique, il est prépondérant aussi au point de vue social.

--------Quand l'armée française a débarqué en Algérie en 1830, elle y a trouvé les Turcs installés depuis trois siècles. Ils avaient refoulé dans les métiers manuels, et dans l'humble existence de paysans arabes, à peu près toute la masse des indigènes berbères et arabes; ils avaient la fortune; ils occupaient les postes importants ; ils étaient la bourgeoisie.

--------Ce qui pouvait subsister de cette bourgeoisie n'a pas survécu longtemps à la suppression de la piraterie, source principale des fortunes privées.

--------L'Algérie indigène est presque toute entière rurale; elle n'a rien, même à Tlemcen, qui se laisse comparer à la culture musulmane urbaine de Tunis ou de Fez, pour ne rien dire du Caire. Il y a naturellement des bourgeois musulmans; ils ne sont pas une classe distincte.

--------Il y a là une situation très particulière qu'on ne retrouverait ni en Tunisie ni au Maroc. Cette situation n'a pas été créée par la conquête française; ni même à la rigueur par la conquête turque. Elle est l'aboutissement d'une très longue histoire au cours de laquelle il n'a jamais poussé en Algérie un équivalent de Tunis ou de Fez, une cité-monstre musulmane, condition indispensable d'une bourgeoisie.

--------Les conséquences sont considérables. Il y a en Algérie une plèbe rurale et pastorale, et, pour encadrer cette plèbe, rien d'autre que les 833.000 colons, seule classe bourgeoise constituée.

--------Un délégué financier, M. Motard, affirmait l'autre jour, dans une revue locale, que les colons, sixième partie de l'Algérie, payaient à eux tout seuls les cinq sixièmes des impôts. Mais M. Motard se gardait bien de déplorer cette inégalité dés charges fiscales. Tout au contraire; il s'en enorgueillissait. Sous sa plume, le colon affirme la conscience de sa prédominance sociale, il en revendique les responsabilités, et en accepte les charges.

--------Une situation extraordinairement forte.

--------En face de cette aristocratie colon, si solidement constituée, les indigènes sont fractionnés en compartiments.

--------Ils n'ont même pas réalisé l'unité de langue. Un tiers de l'Algérie indigène parle berbère, la langue de Massinissa, et ignore l'arabe, que les deux autres tiers ont adopté. Ce n'est pas une simple différence de langue, ce qui serait déjà grave à soi tout seul, puisque la langue modèle le cerveau. Mais il y a là-dessous des différences totales de genres de vie. D'une part des villageois montagnards, fixés au sol, d'instincts démocratiques, avec un sens aigu de la propriété privée. D'autre part des nomades de grande tente, avec des instincts communistes, avec une organisation aristocratique et princière.

--------À travers toute l'histoire, les millénaires, ces deux groupes, constitués par les nécessités du climat et du sol, se sont éternellement pillés, massacrés, sans merci et sans trêve. Chaque groupe a eu ses victoires sans lendemain, ses grands hommes à lui, ses gloires propres.

--------Ce sont bien en effet deux espèces de groupes nationaux. Mais ce ne sont pas deux nations constituées. Il s'en faut de tout. Chacun des deux blocs est hétérogène.
--------Le Kabyle, dans ses montagnes humides, boisées, est un paysan, tout près des nôtres, un jardinier, propriétaire de sa chaumière et de son jardin, enraciné en un point déterminé du sol.

--------Le Chaouïa de l'Aurès, dans ses montagnes sèches, est pâtre de moutons, un transhumant dans un tout petit rayon de transhumance. Le village Chaouïa n'a ni la disposition, ni l'architecture du village kabyle.
--------Le Chaouïa et le Kabyle ont beau parler tous les deux des dialectes berbères, d'ailleurs assez aberrants, il n'y a aucun rapport entre les deux psychologies. Deux petites planètes distinctes.

--------Le bloc arabe est peut-être encore plus profondément émietté. Dans les premières décades de la conquête, nos pères ont très naturellement groupé à part, dans les statistiques, ceux qu'ils appelaient les Maures, c'est-à-dire les citadins, les bourgeois. Le costume extériorisait en ce temps-là leur originalité : c'était en somme le costume turc, celui que nos zouaves ont porté jusqu'en 1914, un costume ajusté.

--------Le grand nomade du Sud, homme ou femme, a une silhouette toute différente; même lorsqu'il est en loques, ce qui est habituel, il est magnifiquement vêtu de draperies flottantes, joie de l'œil. Le corps qui se devine sous ces draperies ajoute à leur effet : un corps alerte, musculeux, un corps de grand air et de vie dure.

--------Ce sont deux humanités que toute l'histoire a violemment opposées. Le nomade de grande tente est le grand fauve humain. A travers les millénaires, il a toujours fait le rêve, souvent réalisé, de mettre à sac les « villes puantes ». Et le citadin a toujours eu la même préoccupation: se créer une organisation qui le mette à l'abri de l'éternel, du seul ennemi, le grand nomade.

--------Depuis trois ou quatre siècles, pas davantage, ces deux humanités parlent la même langue, l'arabe. Mais la communauté du langage n'a pas entraîné la fraternité des sentiments communs.

--------Notez d'ailleurs qu'il y a une infinité dé tribus nomades. Et chacune d'elles, toutes les fois qu'elle l'a pu, s'est toujours fait les griffes sur la tribu voisine.

--------Ce sont là de grandes divisions, imposées par la nature, par l'interpénétration des montagnes et des plaines, de la steppe et du pays arable. A ces divisions géographiques, d'autres sont venues s'ajouter, religieuses.

--------Il y a en Algérie des Mzabites et des Juifs, et ce sont des groupes humains très particuliers et très importants. Ce ne sont pas des groupes territoriaux attachés à un point déterminé du sol. Ils vivent un peu partout, disséminés en noyaux mobiles. Malgré l'éparpillement chaque groupe reste profondément conscient de son individualité, ardemment patriote, cimenté par des conceptions communes de la société et de la vie, à base religieuse.

--------Parce que ces nations éparpillées vont au rebours de nos habitudes occidentales, nous ne comprenons rien au « miracle juif », comme disait Bossuet. Mais en Orient, ce type de nations est banal; le Levant a ses Arméniens, l'Inde a ses Parsis.

--------Les Mzabites sont le dernier résidu en Algérie d'une grande secte musulmane bien connue, les Kharedjites, qui a fondé l'Empire Maugrebin de Tiaret au Xè siècle.

--------Les Kharedjites, qu'on appelle quelquefois les protestants de l'Islam, ont le plus profond mépris pour les autres musulmans. Ils ont développé surtout, comme les autres sectes persécutées, Arméniens, Parsis, Juifs, un sens aigu du commerce et de l'argent. Dans toutes les villes d'Algérie on voit le boutiquier Mzabite.

--------Numériquement les Mzabites seraient insignifiants, mais une tribu de manieurs d'argent a un rôle qui ne se mesure pas à son importance numérique.

--------Les juifs algériens ont une importance du même ordre, mais plus grande. Ils sont là à peu près ce qu'ils sont plus ou moins dans l'univers entier, un corps étranger enkysté. Nulle part ailleurs pourtant les juifs n'ont tourné le dos aussi complètement, immédiatement, aux indigènes du pays où ils sont pourtant fixés eux-mêmes depuis quinze cents ans, depuis toujours.

 

--------Voilà donc en présence d'une part le colon, fort de son importance numérique, de sa prépondérance politique et sociale, et d'autre part une société indigène extraordinairement émiettée en groupes hétérogènes, que séparent des haines millénaires. C'est une situation admirable. Les conditions matérielles semblent devoir rendre aisée et profonde l'influence du colon.

--------Elle a été décisive en ce qui concerne l'élément israélite. Les juifs algériens ont adopté la langue, les mœurs et la nationalité françaises. Dans les statistiques depuis le décret Crémieux (1871), ils figurent comme Français. Dans le cours ordinaire de la vie quotidienne, à des nuances près, bien entendu, ils font figure de Français. L'assimilation est aussi complète que possible.

--------Malheureusement les autres indigènes, à l'exception de quelques bourgeois musulmans, n'ont pas suivi du tout l'exemple juif.

--------En face du bloc colon, le bloc indigène musulman reste à part, clos et imperméable en gros. Il y a là deux blocs juxtaposés qui, après un siècle écoulé, ne fusionnent toujours pas.

--------Ce n'est pas simplement parce qu'un des deux blocs est conquérant et l'autre conquis. C'est que l'un est musulman et l'autre chrétien.

Une différence de foi religieuse est toujours grave, on
s'est massacré entre catholiques et protestants. Mais ce qui est en cause ici, entre la chrétienté et l'Islam, ce n'est pas tant une divergence de dogme, de catéchisme. C'est quelque chose de bien plus profond. Une opposition totale dans 1 organisation de la famille, de la justice, de l'État. Deux sociétés entrent en contact immédiat après des millénaires d'évolution indépendante : l'Orient et l'Occident.
C'est toute la question de l'Islam, on ne peut pas la traiter en passant, dans un alinéa.

Les Efforts officiels :
Assistance, Instruction

--------Cette étanchéité du bloc musulman est particulièrement pénible à la métropole; elle cause à Paris des explosions périodiques d'irritation, parce que Paris est trop loin pour discerner la nature de l'obstacle ; il s'imagine volontiers que la Société Européenne, représentée par des pouvoirs publics locaux, ne fait pas le nécessaire pour combler l'abîme.

--------Le gouvernement général d'Algérie n'aurait pas eu besoin des incitations métropolitaines pour essayer d'agir. Qui n'est conscient des devoirs que la conquête nous impose vis-à-vis de nos sujets musulmans ? Qui n'est ardemment désireux d'amener entre les deux blocs une fusion dont les énormes avantages sont évidents ?

--------L'administration s'est servie des armes dont elle peut disposer.

--------Elle s'est occupée du bien-être physique, de l'hygiène, de l'assistance publique.
--------Dispensaires, infirmeries et hôpitaux indigènes; cités, asiles, orphelinats et œuvres multiples d'assistance. L'Algérie déclare consacrer à l'hygiène 70 millions de son budget d'un milliard.

--------On a confié aux administrateurs l'organisation de sociétés indigènes de prévoyance et de prêts mutuels. Il s'agit, dans la mesure du possible, de faire la guerre aux usuriers, aux terribles usuriers, héritage du passé oriental.
--------Fidèle à sa doctrine, la 3è République a donné ses soins particuliers à l'instruction publique.

--------Naturellement les lycées, les collèges, les écoles primaires européennes sont ouverts aux indigènes. Mais cela ne suffisait pas. On a ouvert des écoles primaires indigènes.
--------Ces efforts administratifs, si suivis qu'ils soient, ne sont que des efforts administratifs. L'énormité du problème à résoudre dépasse trop évidemment les pouvoirs de réalisation d'une administration.
--------Ces efforts sont étayés pourtant par les instincts du colon. Même lorsqu'il n'est pas d'origine, il est d'éducation française. Vis-à-vis de l'indigène, il n'a pas la morgue anglo-saxonne. Vis-à-vis du musulman, il n'a pas les préjugés de l'Espagnol.

--------Dans l'élan économique d'ailleurs le colon vis-à-vis de l'indigène fait office d'entraîneur. Même sans le vouloir, par la concurrence même et le choc des intérêts, il a modifié dans le sens du mieux-être la situation des Indigènes.

--------L'Algérie s'est attachée à la tâche terrible d'occidentaliser un morceau d'Orient. S'est-elle efforcée tout à fait en pure perte ?

Le Métarmorphisme

--------À vrai dire certains résultats très partiels ont été obtenus. M. Milliot vient de nous faire connaître en 1926 un phénomène curieux qui atteste les progrès du Français parmi les Kabyles.

--------Les Kabyles du Djurdjura ont toujours eu, à travers les siècles, un droit coutumier qui leur est propre. Ils lui donnent le nom de « Kanoun », oui est à lui seul un brevet d'antiquité, puisqu'il remonte évidemment à l'époque chrétienne : les canons de l'Église. Ces « kanouns » sont doublement illégaux : en droit musulman, parce que la loi musulmane tient tout entière dans le Coran; en droit français, parce que toute la loi française est enfermée dans le code. Cette double illégalité n'a d'ailleurs aucune importance pratique : elle n'a jamais gêné sérieusement personne en Kabylie.

--------Le gouvernement algérien, sous la pression des assemblées parlementaires parisiennes, a diminué les pouvoirs de police des administrateurs; cela s'est appelé suppression du code de l'indigénat. Pour contrebalancer l'affaiblissement de l'autorité administrative, les communautés kabyles ont voulu renforcer l'autorité, en quelque sorte syndicale, de leurs kanouns. Et pour y parvenir elles se sont mises à les écrire, à les codifier, si on peut dire.

--------Le droit coutumier des kanouns s'est transmis à travers les siècles par voie orale. L'idée de les écrire serait déjà, à soi toute seule, une trace d'évolution métamorphique. Mais en quelle langue rédiger les kanouns ? En kabyle ? mais le kabyle est un dialecte berbère qui ne s'est jamais écrit. En arabe ? mais personne en Kabylie ne parle l'arabe, et a fortiori ne l'écrit. Il ne reste que le français.
--------Les Kabyles ont donc écrit leurs kanouns en français. Non pas dans un français officiel de traducteur assermenté. Les Kabyles ont écrit eux-mêmes, avec leurs propres ressources philologiques, dans leur français quotidien, en jargon.
L'instruction et règles portant dans ce livret sont acceptées jusqu'aux petits aux grands du village de Tassaft, » etc...
Dans le même ordre d'idées, la poste métropolitaine .Voici un échantillon, un début de kanoun rédigé par la djemmaâ (communauté, municipalité) de Tassaft : « Livret de réunion de Tassait contenant les règles générales et instructions nécessaires du village
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L'instruction et règles portant dans ce livret sont acceptées jusqu'aux petits aux grands du village de Tassaft, » etc...
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Dans le même ordre d'idées, la poste métropolitaine a parfois à déchiffrer des énigmes du genre de celle-ci « Monsieur Mohammed ben Mohammed, la zizine-des-5-Chameaux (Loire).» C'est l'usine de Saint-Chamond qui emploie des ouvriers kabyles.

-------- Nos instituteurs ont le droit de s'enorgueillir. Ils auraient tort cependant d'oublier que la vie a
puissamment aidé l'école.
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Depuis la guerre, l'émigration temporaire a répandu sur la France, bon an mal an, un très grand nombre d'indigènes algériens, que l'argot parisien appelle les Sidis ; une centaine de mille peut - être.

-------- La majorité sont des Kabyles. Ils reviennent coiffés d'une casquette qu'ils échangent dès le débarquement contre la chéchia; avec un vocabulaire extrêmement enrichi ; et sans doute aussi avec un lot d'idées nouvelles, confuses et contradictoires, dont il est trop tôt pour prévoir les répercussions variées.

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Il ne faut pas oublier d'ailleurs que le service militaire obligatoire est désormais appliqué aux indigènes. Quand une roche en fusion, venue des profondeurs, monte à travers l'écorce terrestre, les géologues constatent qu'il se produit, sur les parois de la cheminée, ce qu'ils appellent des «phénomènes de métamorphisme ». L'expression est commode pour désigner ce qu'on observe en Algérie. On peut y noter déjà, dans les deux sociétés, un « métamorphisme de contact ».
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Les indigènes marocains y sont très sensibles : à leurs coreligionnaires d'Algérie, ils font couramment le reproche d'être « nouss-mselmin », des demi-musulmans. Certainement en Algérie, depuis 1830, l'Islam, le granitique Islam, a joué plus ou moins.
-------- L'Autrichien Oscar Lenz, voyageant au Maroc, déclare y avoir embauché, quand il l'a pu, des domestiques ou des auxiliaires algériens, de préférence aux marocains, parce que ceux-là sont plus près de l'Européen. Et Lenz faisait cette expérience curieuse, il y a déjà une quarantaine d'années.

-------- Évidemment des taches de corrosion apparaissent sur la cloison étanche. Il ne faudrait pas s'en exagérer l'importance. Ce serait horriblement dangereux. Il n'y a rien de plus dangereux que de prendre ses désirs pour des réalités.

L'Attitude des indigènes vis-à-vis de Nous.

-------- Il est certain pourtant qu'un résultat considérable, encore que négatif, a été obtenu. La domination française en Algérie est admirablement supportée.

-------- Pour comprendre ce fait il est bon de ne pas perdre de vue le passé tout entier de l'Afrique du Nord, du Maghreb.
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L'histoire du Maghreb, considérée dans son ensemble, offre une particularité curieuse. Le Maghreb a été depuis deux mille ans dominé successivement par Carthage, Rome, Les Vandales, les Byzantins, les Arabes, les Turcs, les Français. Non seulement il ne s'est jamais appartenu, mais le conquérant étranger n'a jamais été chassé par une révolte des indigènes : il l'a toujours été par un autre étranger, son successeur.
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Tout cela témoigne d'une difficulté à exister, à se tenir sur ses propres pieds. Les Maugrebins n'ont jamais été ni une nation, ni un empire autonome.
Et dès lors, dans la vie pratique, qu'importe que l'étranger maître de l'Algérie s'appelle aujourd'hui le Français ? Il a remplacé un autre étranger, le Turc. C'est si vrai que l'indigène continue à désigner l'administration par un mot turc, il l'appelle le beylick. Et avant le Turc, un autre étranger, l'Arabe.

Et plus loin dans le passé, le Byzantin, le Vandale, le Romain, le Carthaginois.

-------- Non seulement la conquête française n'a pas déplacé une classe dirigeante autochtone qui resterait là, dans la coulisse, aigrie de rancunes et de regrets amers. Mais encore, il n'y a jamais eu de classe dirigeante autochtone, jamais au grand jamais à travers les millénaires. Un fait énorme, qui a laissé indéveloppés toute une catégorie de sentiments.

-------- Assurément il ne faut pas perdre de vue cette situation primordiale qui a singulièrement facilité notre tâche. A elle toute seule je ne sais pas si elle est une explication suffisante du phénomène observé, qui est tout de même, à la réflexion, extraordinaire.
Sur les questions algériennes on pourrait s'amuser à recueillir un florilège de Parisiana. On y trouverait par exemple ceci : « Dès qu'une menace de guerre se manifestera en Europe, il nous faudra distraire 2 ou 300.000 hommes pour aller en Algérie prévenir les insurrections ». Ces lignes ont été écrites en 1913. On les trouvera à la page 602 de la Revue Indigène.

-------- La menace de guerre s'est réalisée en 1914, et on eût difficilement pu rêver pour l'Afrique Française une épreuve plus sérieuse de solidité. Le bloc n'a pas bougé; entre ces deux éléments, européen et indigène, aucune fissure n'est apparue. Ils ont combattu côte à côte sur le front avec une égale bravoure.

-------- L'après-guerre a confirmé les conclusions que la guerre a fait ressortir. Ailleurs, en Égypte, en Syrie, en Turquie, en Perse, l'après-guerre a déchaîné un ouragan de nationalisme. En Algérie, rien.

-------- La comparaison avec l'Égypte est suggestive. Il ne faut pas se le dissimuler : l'œuvre des Anglais en Égypte, après un demi-siècle d'occupation, est simplement admirable. Ils ont rendu aux Égyptiens des services immenses; et ils les ont rendus sans effusion de sang. Ils en sont payés par une haine inexpiable, injurieuse, étalée au grand jour, prête à l'insurrection.

-------- En Algérie le parti indigène est un parti politique dans le cadre français, parfaitement loyaliste.

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On ne veut pas épiloguer sur ce contraste curieux. Il suffit de le constater.