mise sur site le 27-08-2003
Évolution de l'Algérie de 1830 à 1930 : chapitre 2
La colonisation
Cette masse anonyme, qui a été l'ouvrière essentielle, ce sont donc les colons. C'est sur eux que l'attention doit s'arrêter d'abord..............Les 100.000 morts d'Algérie sont peut-être tombés sans gloire, mais à coup sûr pas en vain. Ils ont réussi la création la plus difficile, une création physiologique; ils ont créé une nouvelle espèce humaine, la race européenne de l'Afrique du Nord.
Cahiers III du Centenaire de l'Algérie
par M.E.F. GAUTIER, professeur à la Faculté des Lettres d'Alger

collection personnelle.

n.b : tous ces textes ont été passés à l'OCR, je ne les pas vérifiés minutieusement. Veuillez pardonner les erreurs éventuelles, vous pouvez même me les signaler.Merci
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CHAPITRE II
LA COLONISATION

Le Scepticisme originel

------------Cette masse anonyme, qui a été l'ouvrière essentielle, ce sont donc les colons. C'est sur eux que l'attention doit s'arrêter d'abord.

------------Il faut montrer comment la colonisation est née; qu'on ne l'escomptait pas; qu'elle n'avait pas sa place du tout dans les plans gouvernementaux de la première heure.

------------Dans une publication de 1841, intitulée « Solution de la question Algérienne », Duvivier a écrit des lignes curieuses. A son sens, l'occupation devrait être limitée au Sahel, aux collines du Sahel, à la ligne qui va de Birkadem à Douéra.

------------« Au delà, dit Duvivier, est l'infecte Mitidja. Nous la laisserons aux chacals, aux courses des bandits arabes, et en domaine à la mort sans gloire. Nous y trouvons Boufarik, Blida, qui sont de grands inconvénients militaires ».
------------« Des plaines, telles que celle de Bône, de la Mitidja et tant d'autres, sont des foyers de maladies et de mort. »

------------« Les assainir?... On n'y parviendra jamais... » Le cas Duvivier est bien loin d'être isolé.

------------Berthezène, général et gouverneur, a écrit
« La Mitidja n'est qu'un immense cloaque; elle sera le tombeau de tous ceux qui oseront l'exploiter. Aucun établissement n'est possible en dehors du Sahel ».

------------Dans les premières années de la conquête, les militaires n'avaient pas le monopole du pessimisme.

------------Dans la séance de la Chambre du 7 mars 1834, le député Dupin disait : « La colonisation est une chose absurde, point de colons, point de terres à leur concéder, point de garanties surtout à leur promettre. Il faut réduire les dépenses à leur plus simple expression, et hâter le moment de libérer la France d'un fardeau qu'elle ne pourra et qu'elle ne voudra pas porter plus longtemps. » Marques nombreuses et prolongées d'adhésion, dit le Moniteur.

------------Dès le début il y eut à Alger, à côté des militaires, et naturellement en conflit avec eux, une administration civile, qui eut pour premier chef le baron Pichon.
------------Le désaccord entre les deux n'a jamais porté sur une différence d'attitude vis-à-vis de la colonisation.

------------La colonisation est un rêve, disait en 1835 l'administrateur Bresson, un successeur du baron Pichon, celui-là même dont Alger a donné le nom à un square.

------------Il semble bien qu'il y ait unanimité, au moins dans la bibliographie. Tous les gens pondérés, soucieux de leurs responsabilités, qui nous ont parlé de la colonisation vers les années 1830-1840, donnent la même note. Ils lui dénient toute possibilité de développement.
------------Il faut bien qu'il y ait eu dès ce temps-là des gens d'avis contraire. Ce sont ceux qui ont agi silencieusement, les colons de la première heure.

------------Mais qui étaient-ils ? Assurément il y avait quelques enthousiastes sans responsabilités officielles, qui faisaient un peu sourire, même lorsqu'on les respectait. Avant la réussite cela s'appelle des rêveurs. C'est un élément très important, il faut se garder d'oublier les hommes qui ont la foi : c'est le ferment qui soulève la masse. Mais bien entendu, les hommes qui ont vraiment la foi sont toujours très peu nombreux.

------------Et les autres ? Oh! les autres étaient un lot assez mélangé. Les grandes choses ne sont pas nécessairement édifiées par de grands cerveaux et par des mains pures. On serrerait la réalité de plus près probablement si on disait jamais. Comme au début de toutes les colonies il y avait les spéculateurs, les gens qui achetaient de la terre aux indigènes.

------------Derrière les spéculateurs, qui apportent au jeu leur argent, il y a la plèbe inculte des gens qui apportent simplement leurs bras et leur peau. Mais qu'est-ce donc qui les attirait ? Quels sentiments les ont jetés dans la fournaise ? Chez quelques-uns sans doute l'enthousiasme naïf, l'attirance de l'incertitude, de l'effort et du danger. Pourquoi donc pas? les sentiments nobles ne sont le monopole d'aucune classé sociale, peut-être même se trouvent-ils avec prédilection chez les simples. Il est clair pourtant que ce ne sont pas, à l'état pur, des sentiments courants. Ces gens là, évidemment, dans l'ensemble, étaient des aventuriers, des frères de la côte, des joueurs eux aussi, qui aventuraient leur propriété unique, leur propre personne. Parmi ces irréguliers, inévitablement, un certain nombre avait un lourd passé, peut-être un casier judiciaire.

------------Au berceau de la colonisation, nous trouvons donc, d'un côté, tous les gens cultivés et raisonnables, les hommes sérieux, qui disent : non. Et d'autre part, un lot de rêveurs, d'instinctifs, de joueurs, voire d'individus un peu louches, la plupart d'ailleurs plus ou moins illettrés : ces gens-là sont les seuls qui disent : oui.

------------Ces gens sérieux, qui, unanimement, niaient la possibilité de la colonisation, avaient naturellement d'excellentes raisons, des raisons très raisonnables.

L'Obstacle climatique
La Formation de la Race

------------L'Algérie était à peu près inculte. En particulier les plaines du littoral, qui font aujourd'hui la richesse du Tell, étaient des marais, défendus par des milliards d'anophèles, c'est-à-dire par la malaria.
La Mitidja, aux portes d'Alger, avec sa capitale Boufarik, est un exemple excellent.

------------Bien entendu les colons sont les premiers frappés. D'autant qu'il faut songer à ce que fut longtemps leur installation : « couchés sur une poignée de foin », dit Trumelet.
------------« Pendant longtemps on a dit d'un visage rendu livide par la fièvre : c'est une figure de Boufarik. Ce point avait une telle réputation d'insalubrité, que les militaires ou les voyageurs qui étaient obligés de le traverser, le faisaient le plus rapidement possible, en se voilant le visage, ou en se bouchant le nez, dans la crainte d'aspirer son air pestilentiel ».

------------Chez les marchands de goutte de Boufarik, quand un client demandait « une consommation », sans préciser davantage, tout le monde savait ce que signifiait, dans l'argot local, cette expression humoristique. Il ne s'agissait ni d'anisette, ni de cognac; le patron servait, sans hésitation, un cachet de quinine.

------------Malgré la quinine et l'hôpital, la mortalité, était énorme. Le seul mois d'octobre 1840 emporte 48 fiévreux sur 400 habitants; à peu près un quart en un mois.

------------L'administration a renoncé plusieurs fois à tenir le coup. A diverses reprises elle a voulu abandonner l'expérience de Boufarik.

------------À la fin de 1839 le projet est si avancé, que l'ordre est donné d'évaluer la valeur des constructions pour indemniser les colons évacués. C'est Duvivier qui commande.

------------En février 1842, la question revient sur le tapis. Trumelet nous a conservé la protestation collective des colons. Ce qui semble avoir exaspéré l'administration, c'est que les fonctionnaires qu'elle envoyait disparaissaient les uns après les autres. Un juge de paix vient d'être emporté par la fièvre après deux mois de séjour. Dans la protestation furieuse des colons il y a un passage admirable. Ce juge de paix est un imbécile : c'est de sa faute s'il est mort; il n'a jamais voulu prendre les précautions qu'on lui indiquait : « nous sommes persuadés que tout autre que lui se fût tenu sur son siège pendant plus de vingt ans ». Cette mauvaise foi passionnée, injurieuse, n'est-elle pas superbe?

------------Évidemment ce sont les colons qui se sont cramponnés à leur tâche meurtrière. On n'a pu les en arracher.
------------Naturellement on s'est préoccupé dès le premier moment d'assainir Boufarik et à partir de 1842 le génie militaire d'abord, les Ponts et Chaussées ensuite, travaillent systématiquement.

------------Assainir, cela signifiait drainer le marais, transformer les eaux stagnantes en eaux courantes. Besogne terrible.
Il faut songer aussi au progrès de l'installation. Les colons n'habiteront plus des gourbis en branchage. Ils se construisent des maisons en pierre, et ils couchent dans des lits.

------------En 1843 déjà, au dire de Toussenel, « le chiffre des décès n'atteignit que 42, c'est-à-dire 1/17ème. »
------------En 1843, pourtant, il était un peu tôt pour chanter victoire. Il faudra bien plus de temps que çà : il faudra une vingtaine d'années, pour arriver à l'époque que chante Trumelet, où l'on voit à Boufarik « des cultivateurs à muscles d'acier et à visages dorés de santé par le hâlé... une fourmilière de beaux enfants bâtis à chaux et à sable... de nombreux centenaires... le temps où la profession de médecin sera une sinécure, et où l'excellent Dr George se verra dans l'obligation de consommer lui-même sa quinine, s'il tient absolument à écouler ce fébrifuge ».

------------Cette bataille contre le climat, qui se livrait à Boufarik, n'avait pas un intérêt simplement local. Boufarik battait, il est vrai, en Algérie, tous les records d'insalubrité, mais il n'en avait pas le monopole. Jusque sous le second Empire des gens très sérieux ont établi scientifiquement, statistiques en mains, qu'une race « créole » n'avait aucun avenir en Algérie. Vous entendez bien que ce mot de créole, complètement mort aujourd'hui dans la littérature algérienne, comportait une assimilation entre le climat méditerranéen de l'Algérie, et celui de la zone tropicale, où toute colonisation blanche est impossible.

------------Vers le milieu du XIXè siècle il y a eu positivement, à Paris, un M. Desjobert qui fut un homme connu, un parlementaire notoire. Comme d'autres parlementaires de toutes les assemblées françaises, y compris les actuelles, Desjobert fut anticolonial, ce qui signifiait en ce temps-là anti-algérien.

------------Entr'autres discours de ce Desjobert, il y en a un du 19 décembre 1850, à l'assemblée nationale législative, qui est commode parce qu'il résume lés charges accumulées contre les créoles par les témoins oculaires, les médecins, les statisticiens.

------------« D'après le général Duvivier, l'expression qu'une masse d'hommes envoyée en Afrique s'y est acclimatée, est inexacte. Il n'y a pas eu acclimatement, il y a eu triage fait par la mort... Le Dr Worms dit : La vitalité est affaiblie; un besoin irrésistible de repos domine tous les autres, le corps et l'âme ont dégénéré.
------------« Chez les créoles la mortalité annuelle des enfants d'un jour à 15 ans est de 121 sur 1.000. En France elle est de 27.
------------« De 1831 à 1848, il y eut dans l'armée d'Afrique 74 décès sur 1.000 hommes; il y en a 19 en France.
------------« En 1848, il est mort par maladie 4.406 soldats, et par le feu de l'ennemi, 13. »

------------Lentement, d'année en année, par progrès successifs, à mesure que le marais s'assèche, les statistiques ont ruiné cette argumentation scientifique et rayé le mot de créole du vocabulaire. Voici la progression à Boufarik en particulier :

------------En 1843, la mortalité qui a été jusque là de 1/5è par an commence à diminuer, et la direction de l'intérieur s'écrie déjà : " L'état sanitaire a dépassé toutes les espérances ". En effet, la mortalité est tombée d'un coup à 1/17è
------------Mais une mort sur 17 habitants, c'est encore considérable et la proportion se maintient pendant longtemps autour de ce chiffre.

  ------------En 1844, 1/13. En 1846, 1/15. En 1847, 1/12.
------------En 1848 amélioration brusque, 1/28; en 1849, 1/35; en 1850, 1/34; en 1851, 1/31.
------------La mortalité infantile est encore considérable. En 1848, sur 74 décès il y a 25 enfants.
------------En 1854 les décès l'emportent encore sur les naissances 121 décès contré 113 naissances.
------------Pourtant les enfants pullulent. Sur 2.553 habitants il y a 1.479 enfants.
------------En 1855 les naissances et les décès s'équilibrent presque, 132 naissances contre 135 décès.
------------En 1856, l'équilibre est nettement rompu en faveur des naissances, 139 contre 77 décès. Mais sur ces 77 décès il y a encore 49 enfants.
------------Dix ans après, en 1866, la démographie a pris décidément une allure régulière, normale et même fort honorable, 1 naissance pour 33 habitants; 1 décès pour 51. Les chiffres français à la même date sont : 1 naissance pour 35 et 1 décès pour 41.

------------Cette fois le cap est franchi. Une race européenne nouvelle est née.

------------Il est intéressant de suivre le détail vivant de cette terrible lutte sur un dés points où elle fut le plus acharnée dans la Mitidja de Boufarik.

------------Il faut enregistrer maintenant le bulletin de victoire pour l'ensemble de l'Algérie.
------------La natalité des colons Européens oscille annuellement autour de 30 pour 1.000. Et malgré une proportion de décès qui tend à se réduire, l'excédent des naissances sur les décès oscille annuellement entre 7 et 9 (période 1905 à 1914).

------------L'analyse de ces chiffres par Peyerhimhoff pour une année déterminée (1903) donne des résultats curieux. Il considère à part la natalité des villes (large proportion de fonctionnaires métropolitains) et celle des campagnes (colons proprement dits). L'écart entre les naissances et les décès est dé 13,3 % dans les campagnes, contre 9 seulement dans les villes, malgré l'infériorité à la campagne des installations hygiéniques, qui se traduit par un accroissement de la mortalité. Dans ces campagnes, si on distingue les colons français et les colons étrangers, on ne constate aucune différence de natalité, et même en 1903 la natalité française est légèrement supérieure à l'étrangère (37,1 contre 35,5).

------------La conclusion est qu'il se forme un peuple nouveau.

------------Dans quelle mesure cette race nouvelle est-elle Française ?
------------Les premiers colons que Trumelet désigne toujours nommément, portent invariablement de bons gros noms de chez nous; ce sont des Girod, des Martin. Aujourd'hui, quand on parcourt de l'œil les enseignes d'une rue, ou une liste de candidats au baccalauréat, la bigarrure des noms français et étrangers fait une impression amusante, caractéristique à elle toute seule de l'Algérie.

------------Ces étrangers qui ont modifié l'onomastique sont venus généralement des îles méditerranéennes : Malte, la Sicile, la Sardaigne, les Baléares; de l'Italie napolitaine ou de l'Espagne andalouse. Gens acclimatés d'avance, entraînés ataviquement à des paysages, des cultures, des genres de vie quasi africains. Recrues précieuses, d'autant plus qu'ils se sont fondus sans difficultés dans l'ensemble. Leur venue a été une contribution importante, au point de vue physiologique et psychologique, à la constitution de la race nouvelle.

------------On estime que les éléments d'origine française et étrangère s'équivalent à peu près. Au recensement de 1886 les étrangers étaient au nombre de 203.169 contre 219.627 Français.

------------Depuis 1886 il devient assez difficile de faire le départ parce que la naturalisation des fils d'étrangers et le mariage de leurs filles a décidément faussé les lignés générales.

------------L'administration algérienne a suivi la courbe de l'immigration étrangère avec une inquiétude que trahissent les publications officielles jusque vers la fin du dernier siècle. Les faits ont tendu à calmer cette inquiétude. Au recensement de 1926, sur une population européenne totale de 833.000, il y a 175.000 étrangers et 657.000 Français.

------------Il s'avère que l'Algérie a une puissance propre d'assimilation. Aucun clivage n'est apparu dans le bloc des colons européens. 11 s'est développé un ciment de patriotisme local très fort. Les colons, quelle que soit leur origine, sentent en Algériens.
------------Pour régulariser ce mouvement, l'administration est bien armée par le service militaire obligatoire et par l'organisation de l'enseignement.

------------Une université régulièrement organisée à Alger, trois lycées, Alger, Oran et Constantine; pour ne rien dire de deux autres lycées, celui de Tunis et celui de Rabat (Maroc), qui sont indépendants de l'organisation algérienne, mais qui ont nécessairement en pratique dés liens avec elle, ne fût-ce que la communauté des programmes, et qui prolongent, son action.

------------Des collèges et un grand nombre d'écoles primaires.

------------Le tout lié en une académie qui a un Recteur à sa tête . C'est une reproduction de l'organisation métropolitaine. Fils d'étrangers et fils de Français passent leurs brevets ou leur baccalauréat et font leur service militaire soit en Algérie, soit en France. Il est temps de souligner le rôle général de l'administration dans la formation de la nouvelle race.

------------Évidemment dans ce phénomène énorme, ce phénomène biologique, qui est la naissance d'une nouvelle espèce humaine, les facteurs spontanés, incontrôlables, mystérieux, ont un rôle de premier plan.
------------Il a pourtant fallu aider l'éclosion.

Processus de la Colonisation

------------Le sol tout entier avait des propriétaires musulmans. Et la propriété à des degrés divers était plus ou moins collective . Cela exigeait l'intervention de l'État français, ne fût-ce que pour rendre le sol susceptible d'appropriation. En règle générale, le peuplement européen s'est fait sous le régime de la concession.

------------Le régime de la grande concession (la colonisation en « gants jaunes ») a été appliqué en Algérie au début, dans la première décade; il l'a été aussi sous le second Empire.

------------Mais l'Algérie française doit son existence au régime inverse, celui des villages de colonisation.

------------L'Administration détermine l'emplacement du village, elle en construit le cadre (routes, fontaines, etc... ), elle en allouait les terres et elle distribue les lots aux petits colons de son choix, généralement importés d'Europe ou de France. Bien entendu, elle se trompe généralement; la vie ne se laisse pas diriger dans le détail par l'administration; la plupart des colons vendent leur lot dès qu'ils le peuvent, et quittent 1e village; mais non pas l'Algérie. L'administration se trouvé avoir manqué le but qu'elle poursuivait, mais elle en a atteint un autre, ce qui est humain.

------------Voici la conclusion de Peyerhimhoff (Enquête sur les résultats de la Colonisation officielle, Alger, 1906) : « Il ne s'est créé à peu près aucun centre en dehors de l'effort administratif, et aucun des centres créés n'a disparu ».

------------En Tunisie, pays de protectorat, la méthode inversé a été appliquée, celle des grandes concessions, depuis une cinquantaine d'années déjà (1881). C'est la contre-épreuve; elle est décisive. La colonisation de la Tunisie a donné, au point de vue peuplement, des résultats inquiétants. L'administration tunisienne elle-même a dû s'en rendre compte.

------------Bien entendu, en dehors des efforts administratifs, on a senti la répercussion de grands faits politiques et économiques généraux, qui ont accéléré la venue des colons : en France les ateliers nationaux, les journées de juin, l'émigration d'Alsaciens-lorrains après l'annexion, le phylloxera, en Espagne la guerre de Cuba.

------------Mais dans l'ensemble, sur ce terrain très spécial du Maghreb, le rôle éminent dans le peuplement a été joué par l'administration algérienne avec sa méthode de villages de colonisation aussi maladroitement et aveuglément que l'on voudra, mais sans contestation possible.

------------Précisons maintenant en graphique et en chiffres l'importance de la race nouvelle.
Et d'abord la courbe de l'évolution est intéressante.

------------Les recensements algériens permettent d'établir la courbe de la colonisation européenne dé 1833 à 1927.
------------Cette courbe est perpétuellement et rapidement ascendante mais non régulièrement. Entre 1833 et 1872 elle est zigzagante. Il y a une ascension brusque à partir de 1841 (Bugeaud) ; ralentissement sensible sous le second Empire de 1861 à 1872. A partir de 1872 ascension verticale et continue, du moins jusqu'en 1911. Entre 1911 et 1921 la guerre, comme on pouvait s'y attendre, a ralenti la colonisation qui a repris après la guerre sa marche triomphale.
------------De 1872 à 1927 le nombre des Européens fixés en Algérie a passé de 245.000 à 833.000. Cela signifie que l'Algérie a été tout particulièrement l'œuvre de la IIIè République.

------------Voici le résultat obtenu en chiffres tous secs, abandonnés à leur propre éloquence.

------------En Algérie 833.000 Européens en face de 5.113.000 indigènes. N'oublions pas que le colon algérien a essaimé à l'est et à l'ouest.

------------En Tunisie, le dernier recensement accuse 173.000 Européens et 1.986.000 indigènes.

------------Au Maroc, si le chiffre de 4.411.000 indigènes est approximatif, celui de 95.000 Européens est certain (60.000 Français).

------------
Pour l'ensemble du Maghreb c'est un total de 1 million 101.000 Européens mêlés à une population indigène de 11.415.000.

------------Pour donner à ces chiffres leur signification, on peut rappeler que l'Afrique Australe anglaise a environ 1 million et demi d'Européens (Anglais et Boërs). Les Européens sont les maîtres en Afrique Australe depuis trois cents ans; en Algérie depuis un siècle.

------------« De 1831 à 1848, disait Duvivier, nous avons sacrifié à l'Algérie 100.000 hommes. » Le chiffre est certainement exact. Seulement aux derniers recensements l'Afrique du Nord nous a rendu en échange un peu plus de onze cent mille Européens.

------------« Mort sans gloire », disait Duvivier.

------------Les 100.000 morts d'Algérie sont peut-être tombés sans gloire, mais à coup sûr pas en vain. Ils ont réussi la création la plus difficile, une création physiologique; ils ont créé une nouvelle espèce humaine, la race européenne de l'Afrique du Nord. C'est là ce qui a été fondamental. C'est cette création là qui a conditionné tout le reste. La nouvelle race une fois implantée et enracinée, le problème tout entier était virtuellement résolu; l'Européen devait européaniser.