CHAPITRE
II
LA COLONISATION
Le Scepticisme originel
------------Cette
masse anonyme, qui a été l'ouvrière essentielle,
ce sont donc les colons. C'est sur eux que l'attention doit s'arrêter
d'abord.
------------Il faut
montrer comment la colonisation est née; qu'on ne l'escomptait
pas; qu'elle n'avait pas sa place du tout dans les plans gouvernementaux
de la première heure.
------------Dans
une publication de 1841, intitulée «
Solution de la question Algérienne », Duvivier
a écrit des lignes curieuses. A son sens, l'occupation devrait
être limitée au Sahel, aux collines du Sahel, à la
ligne qui va de Birkadem à Douéra.
------------«
Au delà, dit Duvivier, est l'infecte Mitidja. Nous la laisserons
aux chacals, aux courses des bandits arabes, et en domaine à la
mort sans gloire. Nous y trouvons Boufarik, Blida, qui sont de grands
inconvénients militaires ».
------------«
Des plaines, telles que celle de Bône, de la Mitidja et tant d'autres,
sont des foyers de maladies et de mort. »
------------«
Les assainir?... On n'y parviendra jamais... » Le cas
Duvivier est bien loin d'être isolé.
------------Berthezène,
général et gouverneur, a écrit
« La Mitidja n'est qu'un immense cloaque;
elle sera le tombeau de tous ceux qui oseront l'exploiter. Aucun établissement
n'est possible en dehors du Sahel ».
------------Dans
les premières années de la conquête, les militaires
n'avaient pas le monopole du pessimisme.
------------Dans
la séance de la Chambre du 7 mars 1834, le député
Dupin disait : « La colonisation est une
chose absurde, point de colons, point de terres à leur concéder,
point de garanties surtout à leur promettre. Il faut réduire
les dépenses à leur plus simple expression, et hâter
le moment de libérer la France d'un fardeau qu'elle ne pourra et
qu'elle ne voudra pas porter plus longtemps. » Marques
nombreuses et prolongées d'adhésion, dit le Moniteur.
------------Dès
le début il y eut à Alger, à côté des
militaires, et naturellement en conflit avec eux, une administration civile,
qui eut pour premier chef le baron Pichon.
------------Le
désaccord entre les deux n'a jamais porté sur une différence
d'attitude vis-à-vis de la colonisation.
------------La colonisation
est un rêve, disait en 1835 l'administrateur Bresson, un successeur
du baron Pichon, celui-là même dont Alger a donné
le nom à un square.
------------Il semble
bien qu'il y ait unanimité, au moins dans la bibliographie. Tous
les gens pondérés, soucieux de leurs responsabilités,
qui nous ont parlé de la colonisation vers les années 1830-1840,
donnent la même note. Ils lui dénient toute possibilité
de développement.
------------Il
faut bien qu'il y ait eu dès ce temps-là des gens d'avis
contraire. Ce sont ceux qui ont agi silencieusement, les colons de la
première heure.
------------Mais
qui étaient-ils ? Assurément il y avait quelques enthousiastes
sans responsabilités officielles, qui faisaient un peu sourire,
même lorsqu'on les respectait. Avant la réussite cela s'appelle
des rêveurs. C'est un élément très important,
il faut se garder d'oublier les hommes qui ont la foi : c'est le ferment
qui soulève la masse. Mais bien entendu, les hommes qui ont vraiment
la foi sont toujours très peu nombreux.
------------Et les
autres ? Oh! les autres étaient un lot assez mélangé.
Les grandes choses ne sont pas nécessairement édifiées
par de grands cerveaux et par des mains pures. On serrerait la réalité
de plus près probablement si on disait jamais. Comme au début
de toutes les colonies il y avait les spéculateurs, les gens qui
achetaient de la terre aux indigènes.
------------Derrière
les spéculateurs, qui apportent au jeu leur argent, il y a la plèbe
inculte des gens qui apportent simplement leurs bras et leur peau. Mais
qu'est-ce donc qui les attirait ? Quels sentiments les ont jetés
dans la fournaise ? Chez quelques-uns sans doute l'enthousiasme naïf,
l'attirance de l'incertitude, de l'effort et du danger. Pourquoi donc
pas? les sentiments nobles ne sont le monopole d'aucune classé
sociale, peut-être même se trouvent-ils avec prédilection
chez les simples. Il est clair pourtant que ce ne sont pas, à l'état
pur, des sentiments courants. Ces gens là, évidemment, dans
l'ensemble, étaient des aventuriers, des frères de la côte,
des joueurs eux aussi, qui aventuraient leur propriété unique,
leur propre personne. Parmi ces irréguliers, inévitablement,
un certain nombre avait un lourd passé, peut-être un casier
judiciaire.
------------Au berceau
de la colonisation, nous trouvons donc, d'un côté, tous les
gens cultivés et raisonnables, les hommes sérieux, qui disent
: non. Et d'autre part, un lot de rêveurs, d'instinctifs, de joueurs,
voire d'individus un peu louches, la plupart d'ailleurs plus ou moins
illettrés : ces gens-là sont les seuls qui disent : oui.
------------Ces
gens sérieux, qui, unanimement, niaient la possibilité de
la colonisation, avaient naturellement d'excellentes raisons, des raisons
très raisonnables.
L'Obstacle
climatique
La Formation de la Race
------------L'Algérie
était à peu près inculte. En particulier les plaines
du littoral, qui font aujourd'hui la richesse du Tell, étaient
des marais, défendus par des milliards d'anophèles, c'est-à-dire
par la malaria.
La Mitidja, aux portes d'Alger, avec sa capitale Boufarik, est un exemple
excellent.
------------Bien
entendu les colons sont les premiers frappés. D'autant qu'il faut
songer à ce que fut longtemps leur installation : «
couchés sur une poignée de foin », dit
Trumelet.
------------«
Pendant longtemps on a dit d'un visage rendu livide par la fièvre
: c'est une figure de Boufarik. Ce point avait une telle réputation
d'insalubrité, que les militaires ou les voyageurs qui étaient
obligés de le traverser, le faisaient le plus rapidement possible,
en se voilant le visage, ou en se bouchant le nez, dans la crainte d'aspirer
son air pestilentiel ».
------------Chez
les marchands de goutte de Boufarik, quand un client demandait «
une consommation », sans préciser davantage, tout
le monde savait ce que signifiait, dans l'argot local, cette expression
humoristique. Il ne s'agissait ni d'anisette, ni
de cognac; le patron servait, sans hésitation, un cachet de quinine.
------------Malgré
la quinine et l'hôpital, la mortalité, était énorme.
Le seul mois d'octobre 1840 emporte 48 fiévreux sur 400 habitants;
à peu près un quart en un mois.
------------L'administration
a renoncé plusieurs fois à tenir le coup. A diverses reprises
elle a voulu abandonner l'expérience de Boufarik.
------------À
la fin de 1839 le projet est si avancé, que l'ordre est donné
d'évaluer la valeur des constructions pour indemniser les colons
évacués. C'est Duvivier qui commande.
------------En février
1842, la question revient sur le tapis. Trumelet nous a conservé
la protestation collective des colons. Ce qui semble avoir exaspéré
l'administration, c'est que les fonctionnaires qu'elle envoyait disparaissaient
les uns après les autres. Un juge de paix vient d'être emporté
par la fièvre après deux mois de séjour. Dans la
protestation furieuse des colons il y a un passage admirable. Ce juge
de paix est un imbécile : c'est de sa faute s'il est mort; il n'a
jamais voulu prendre les précautions qu'on lui indiquait : «
nous sommes persuadés que tout autre que lui se fût tenu
sur son siège pendant plus de vingt ans ». Cette
mauvaise foi passionnée, injurieuse, n'est-elle pas superbe?
------------Évidemment
ce sont les colons qui se sont cramponnés à leur tâche
meurtrière. On n'a pu les en arracher.
------------Naturellement
on s'est préoccupé dès le premier moment d'assainir
Boufarik et à partir de 1842 le génie militaire d'abord,
les Ponts et Chaussées ensuite, travaillent systématiquement.
------------Assainir,
cela signifiait drainer le marais, transformer les eaux stagnantes en
eaux courantes. Besogne terrible.
Il faut songer aussi au progrès de l'installation. Les colons n'habiteront
plus des gourbis en branchage. Ils se construisent des maisons en pierre,
et ils couchent dans des lits.
------------En 1843
déjà, au dire de Toussenel, «
le chiffre des décès n'atteignit que 42, c'est-à-dire
1/17ème. »
------------En
1843, pourtant, il était un peu tôt pour chanter victoire.
Il faudra bien plus de temps que çà : il faudra une vingtaine
d'années, pour arriver à l'époque que chante Trumelet,
où l'on voit à Boufarik «
des cultivateurs à muscles d'acier et à visages dorés
de santé par le hâlé... une fourmilière de
beaux enfants bâtis à chaux et à sable... de nombreux
centenaires... le temps où la profession de médecin sera
une sinécure, et où l'excellent Dr George se verra dans
l'obligation de consommer lui-même sa quinine, s'il tient absolument
à écouler ce fébrifuge ».
------------Cette
bataille contre le climat, qui se livrait à Boufarik, n'avait pas
un intérêt simplement local. Boufarik battait, il est vrai,
en Algérie, tous les records d'insalubrité, mais il n'en
avait pas le monopole. Jusque sous le second Empire des gens très
sérieux ont établi scientifiquement, statistiques en mains,
qu'une race « créole » n'avait aucun avenir en Algérie.
Vous entendez bien que ce mot de créole, complètement mort
aujourd'hui dans la littérature algérienne, comportait une
assimilation entre le climat méditerranéen de l'Algérie,
et celui de la zone tropicale, où toute colonisation blanche est
impossible.
------------Vers
le milieu du XIXè siècle il y a eu positivement, à
Paris, un M. Desjobert qui fut un homme connu, un parlementaire notoire.
Comme d'autres parlementaires de toutes les assemblées françaises,
y compris les actuelles, Desjobert fut anticolonial, ce qui signifiait
en ce temps-là anti-algérien.
------------Entr'autres
discours de ce Desjobert, il y en a un du 19 décembre 1850, à
l'assemblée nationale législative, qui est commode parce
qu'il résume lés charges accumulées contre les créoles
par les témoins oculaires, les médecins, les statisticiens.
------------«
D'après le général Duvivier, l'expression qu'une
masse d'hommes envoyée en Afrique s'y est acclimatée, est
inexacte. Il n'y a pas eu acclimatement, il y a eu triage fait par la
mort... Le Dr Worms dit : La vitalité est affaiblie; un besoin
irrésistible de repos domine tous les autres, le corps et l'âme
ont dégénéré.
------------«
Chez les créoles la mortalité annuelle des enfants d'un
jour à 15 ans est de 121 sur 1.000. En France elle est de 27.
------------«
De 1831 à 1848, il y eut dans l'armée d'Afrique 74 décès
sur 1.000 hommes; il y en a 19 en France.
------------«
En 1848, il est mort par maladie 4.406 soldats, et par le feu de l'ennemi,
13. »
------------Lentement,
d'année en année, par progrès successifs, à
mesure que le marais s'assèche, les statistiques ont ruiné
cette argumentation scientifique et rayé le mot de créole
du vocabulaire. Voici la progression à Boufarik en particulier
:
------------En
1843, la mortalité qui a été jusque là de
1/5è par an commence à diminuer, et la direction de l'intérieur
s'écrie déjà : " L'état
sanitaire a dépassé toutes les espérances ".
En effet, la mortalité est tombée d'un coup à 1/17è
------------Mais
une mort sur 17 habitants, c'est encore considérable et la proportion
se maintient pendant longtemps autour de ce chiffre.
|
|
------------En
1844, 1/13. En 1846, 1/15. En 1847, 1/12.
------------En
1848 amélioration brusque, 1/28; en 1849, 1/35; en 1850, 1/34; en
1851, 1/31.
------------La
mortalité infantile est encore considérable. En 1848, sur
74 décès il y a 25 enfants.
------------En
1854 les décès l'emportent encore sur les naissances 121 décès
contré 113 naissances.
------------Pourtant
les enfants pullulent. Sur 2.553 habitants il y a 1.479 enfants.
------------En
1855 les naissances et les décès s'équilibrent presque,
132 naissances contre 135 décès.
------------En
1856, l'équilibre est nettement rompu en faveur des naissances, 139
contre 77 décès. Mais sur ces 77 décès il y
a encore 49 enfants.
------------Dix
ans après, en 1866, la démographie a pris décidément
une allure régulière, normale et même fort honorable,
1 naissance pour 33 habitants; 1 décès pour 51. Les chiffres
français à la même date sont : 1 naissance pour 35 et
1 décès pour 41.
------------Cette
fois le cap est franchi. Une race européenne nouvelle est née.
------------Il est
intéressant de suivre le détail vivant de cette terrible
lutte sur un dés points où elle fut le plus acharnée
dans la Mitidja de Boufarik.
------------Il faut
enregistrer maintenant le bulletin de victoire pour l'ensemble de l'Algérie.
------------La
natalité des colons Européens oscille annuellement autour
de 30 pour 1.000. Et malgré une proportion de décès
qui tend à se réduire, l'excédent des naissances
sur les décès oscille annuellement entre 7 et 9 (période
1905 à 1914).
------------L'analyse
de ces chiffres par Peyerhimhoff pour une année déterminée
(1903) donne des résultats curieux. Il considère à
part la natalité des villes (large proportion de fonctionnaires
métropolitains) et celle des campagnes (colons proprement dits).
L'écart entre les naissances et les décès est dé
13,3 % dans les campagnes, contre 9 seulement dans les villes, malgré
l'infériorité à la campagne des installations hygiéniques,
qui se traduit par un accroissement de la mortalité. Dans ces campagnes,
si on distingue les colons français et les colons étrangers,
on ne constate aucune différence de natalité, et même
en 1903 la natalité française est légèrement
supérieure à l'étrangère (37,1 contre 35,5).
------------La conclusion
est qu'il se forme un peuple nouveau.
------------Dans
quelle mesure cette race nouvelle est-elle Française ?
------------Les
premiers colons que Trumelet désigne toujours nommément,
portent invariablement de bons gros noms de chez nous; ce sont des Girod,
des Martin. Aujourd'hui, quand on parcourt de l'il les enseignes
d'une rue, ou une liste de candidats au baccalauréat, la bigarrure
des noms français et étrangers fait une impression amusante,
caractéristique à elle toute seule de l'Algérie.
------------Ces
étrangers qui ont modifié l'onomastique sont venus généralement
des îles méditerranéennes : Malte, la Sicile, la
Sardaigne, les Baléares; de l'Italie napolitaine ou de l'Espagne
andalouse. Gens acclimatés d'avance, entraînés ataviquement
à des paysages, des cultures, des genres de vie quasi africains.
Recrues précieuses, d'autant plus qu'ils se sont fondus sans difficultés
dans l'ensemble. Leur venue a été une contribution importante,
au point de vue physiologique et psychologique, à la constitution
de la race nouvelle.
------------On estime
que les éléments d'origine française et étrangère
s'équivalent à peu près. Au recensement de 1886 les
étrangers étaient au nombre de 203.169 contre 219.627 Français.
------------Depuis
1886 il devient assez difficile de faire le départ parce que la
naturalisation des fils d'étrangers et le mariage de leurs filles
a décidément faussé les lignés générales.
------------L'administration
algérienne a suivi la courbe de l'immigration étrangère
avec une inquiétude que trahissent les publications officielles
jusque vers la fin du dernier siècle. Les faits ont tendu à
calmer cette inquiétude. Au recensement de 1926, sur une population
européenne totale de 833.000, il y a 175.000 étrangers et
657.000 Français.
------------Il s'avère
que l'Algérie a une puissance propre d'assimilation. Aucun clivage
n'est apparu dans le bloc des colons européens. 11 s'est développé
un ciment de patriotisme local très fort. Les colons, quelle que
soit leur origine, sentent en Algériens.
------------Pour
régulariser ce mouvement, l'administration est bien armée
par le service militaire obligatoire et par l'organisation de l'enseignement.
------------Une
université régulièrement organisée à
Alger, trois lycées, Alger, Oran et Constantine; pour ne rien dire
de deux autres lycées, celui de Tunis et celui de Rabat (Maroc),
qui sont indépendants de l'organisation algérienne, mais
qui ont nécessairement en pratique dés liens avec elle,
ne fût-ce que la communauté des programmes, et qui prolongent,
son action.
------------Des
collèges et un grand nombre d'écoles primaires.
------------Le tout
lié en une académie qui a un Recteur à sa tête
. C'est une reproduction de l'organisation métropolitaine. Fils
d'étrangers et fils de Français passent leurs brevets ou
leur baccalauréat et font leur service militaire soit en Algérie,
soit en France. Il est temps de souligner le rôle général
de l'administration dans la formation de la nouvelle race.
------------Évidemment
dans ce phénomène énorme, ce phénomène
biologique, qui est la naissance d'une nouvelle espèce humaine,
les facteurs spontanés, incontrôlables, mystérieux,
ont un rôle de premier plan.
------------Il
a pourtant fallu aider l'éclosion.
Processus
de la Colonisation
------------Le sol
tout entier avait des propriétaires musulmans. Et la propriété
à des degrés divers était plus ou moins collective
. Cela exigeait l'intervention de l'État français, ne fût-ce
que pour rendre le sol susceptible d'appropriation. En règle générale,
le peuplement européen s'est fait sous le régime de la concession.
------------Le régime
de la grande concession (la colonisation en «
gants jaunes ») a été appliqué en
Algérie au début, dans la première décade;
il l'a été aussi sous le second Empire.
------------Mais
l'Algérie française doit son existence au régime
inverse, celui des villages de colonisation.
------------L'Administration
détermine l'emplacement du village, elle en construit le cadre
(routes, fontaines, etc... ), elle en allouait les terres et elle distribue
les lots aux petits colons de son choix, généralement importés
d'Europe ou de France. Bien entendu, elle se trompe généralement;
la vie ne se laisse pas diriger dans le détail par l'administration;
la plupart des colons vendent leur lot dès qu'ils le peuvent, et
quittent 1e village; mais non pas l'Algérie. L'administration se
trouvé avoir manqué le but qu'elle poursuivait, mais elle
en a atteint un autre, ce qui est humain.
------------Voici
la conclusion de Peyerhimhoff (Enquête sur les résultats
de la Colonisation officielle, Alger, 1906) :
« Il ne s'est créé à peu près aucun
centre en dehors de l'effort administratif, et aucun des centres créés
n'a disparu ».
------------En Tunisie,
pays de protectorat, la méthode inversé a été
appliquée, celle des grandes concessions, depuis une cinquantaine
d'années déjà (1881). C'est la contre-épreuve;
elle est décisive. La colonisation de la Tunisie a donné,
au point de vue peuplement, des résultats inquiétants. L'administration
tunisienne elle-même a dû s'en rendre compte.
------------Bien
entendu, en dehors des efforts administratifs, on a senti la répercussion
de grands faits politiques et économiques généraux,
qui ont accéléré la venue des colons : en France
les ateliers nationaux, les journées de juin, l'émigration
d'Alsaciens-lorrains après l'annexion, le phylloxera, en Espagne
la guerre de Cuba.
------------Mais
dans l'ensemble, sur ce terrain très spécial du Maghreb,
le rôle éminent dans le peuplement a été joué
par l'administration algérienne avec sa méthode de villages
de colonisation aussi maladroitement et aveuglément que l'on voudra,
mais sans contestation possible.
------------Précisons
maintenant en graphique et en chiffres l'importance de la race nouvelle.
Et d'abord la courbe de l'évolution est intéressante.
------------Les
recensements algériens permettent d'établir la courbe de
la colonisation européenne dé 1833 à 1927.
------------Cette
courbe est perpétuellement et rapidement ascendante mais non régulièrement.
Entre 1833 et 1872 elle est zigzagante. Il y a une ascension brusque à
partir de 1841 (Bugeaud) ; ralentissement sensible sous le second Empire
de 1861 à 1872. A partir de 1872 ascension verticale et continue,
du moins jusqu'en 1911. Entre 1911 et 1921 la guerre, comme on pouvait
s'y attendre, a ralenti la colonisation qui a repris après la guerre
sa marche triomphale.
------------De
1872 à 1927 le nombre des Européens fixés en Algérie
a passé de 245.000 à 833.000. Cela signifie que l'Algérie
a été tout particulièrement l'uvre de la IIIè
République.
------------Voici
le résultat obtenu en chiffres tous secs, abandonnés à
leur propre éloquence.
------------En Algérie
833.000 Européens en face de 5.113.000 indigènes.
N'oublions pas que le colon algérien a essaimé à
l'est et à l'ouest.
------------En Tunisie,
le dernier recensement accuse 173.000 Européens et 1.986.000 indigènes.
------------Au Maroc,
si le chiffre de 4.411.000 indigènes est approximatif, celui de
95.000 Européens est certain (60.000 Français).
------------Pour l'ensemble du Maghreb c'est un
total de 1 million 101.000 Européens mêlés à
une population indigène de 11.415.000.
------------Pour
donner à ces chiffres leur signification, on peut rappeler que
l'Afrique Australe anglaise a environ 1 million et demi d'Européens
(Anglais et Boërs). Les Européens sont les maîtres en
Afrique Australe depuis trois cents ans; en Algérie depuis un siècle.
------------«
De 1831 à 1848, disait Duvivier, nous avons sacrifié à
l'Algérie 100.000 hommes. » Le chiffre est certainement
exact. Seulement aux derniers recensements l'Afrique du Nord nous a rendu
en échange un peu plus de onze cent mille Européens.
------------«
Mort sans gloire », disait Duvivier.
------------Les
100.000 morts d'Algérie sont peut-être tombés sans
gloire, mais à coup sûr pas en vain. Ils ont réussi
la création la plus difficile, une création physiologique;
ils ont créé une nouvelle espèce humaine, la race
européenne de l'Afrique du Nord. C'est là
ce qui a été fondamental. C'est cette création là
qui a conditionné tout le reste. La nouvelle race une fois implantée
et enracinée, le problème tout entier était virtuellement
résolu; l'Européen devait européaniser.
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