L'HISTOIRE AVANT
L'HISTOIRE : 1900/1945
-----Il y a bien
longtemps dans un pays riche et prospère, avait grandi un jardin
merveilleux dont les senteurs de roses et d'orangers remplissaient de
bonheur ses habitants.
-----Tous les hommes du village, laboureurs
de père en fils, venaient s'y retrouver aux heures fraîches
de la nuit et s'émerveillaient d'y voir s'épanouir de si
belles roses, de si douces oranges.
-----Ils les aimaient tant qu'ils se mirent
à planter des milliers et des milliers d'orangers, et la plaine
tout entière devint une vaste orangeraie.
-----La terre fut si prodigue que chaque
journée se passa à entretenir ces orangers qui faisaient
leur fierté. Mais bientôt les hommes se lamentèrent
de ne savoir que faire de leurs belles oranges
«Non seulement nous devons cultiver nos champs de vignes et de blé,
mais nos orangers nous demandent de plus en plus de soins. Nos entrepôts
regorgent de fruits ! Que pouvons-nous faire de cette nouvelle richesse
- I1 faut en faire du jus à boire en toutes saisons. Il faut faire
connaître nos oranges et leur jus au-delà des mers, par-delà
les montagnes !»
-----Et toute l'assemblée acquiesça.
L'un d'eux assura même que par le jus de leurs oranges, leur petite
ville acquerrait une grande renommée.
-----" Un jour,
nous connaîtrons la formule qui nous permettra de boire le jus de
nos oranges aux quatre coins du monde. N'hésitons pas à
aller de l'autre côté des mers, de l'autre côté
des montagnes, nous y découvrirons certainement la formule que
nous cherchons."
-----Tous furent de son avis et l'aidèrent
à préparer son voyage. Cet homme s'appelait Léon
Beton et c'est avec lui que commence notre histoire.
-----Est-ce l'intuition, le hasard, la chance,
qui conduisirent Léon Beton à traverser la Méditerranée
?
-----Peut-être les trois ensemble ou
simplement l'affection pour l'un de ses frères qui habitait Marseille.
-----Toujours est-il que ce voyage, sans
qu'il s'en doutât un seul instant, allait changer sa vie et la notoriété
de Boufarik,
petite ville de la plaine de la Mitidja, au sud d'Alger.
-----Une certitude cependant accompagnait
notre voyageur dans son périple : ce goût de la nouveauté
que l'on se transmettait de père en fils dans la famille Beton
allait à nouveau se révéler.
-----Effectivement, le retour de Léon
Beton de Marseille, en cet automne 1935, est resté un évènement
dans la tradition familiale et boufarikoise. A peine arrivé, sa
famille et ses amis l'entourent. La curiosité domine et tout le
monde s'empresse, impatient d'avoir des nouvelles. Qu'a-t-il pu découvrir
qui serve les oranges de Boufarik ? Quelle nouveauté a-t-il pu
rapporter de la célèbre foire de Marseille ? Dans son enthousiasme,
Léon Beton est tout aussi fébrile que les autres. Sa valise
à peine ouverte, il en sort avec précaution un petit flacon
tout ventru, avec en guise de bouchon une minuscule fiole.
-----Délicatement, sous les yeux de
toute la famille, il ouvre cette petite bouteille à la forme étonnante,
en verse une cuillerée dans un verre, y ajoute de l'eau sucrée,
prend entre ses doigts le bouchon et pour finir laisse glisser dans le
verre quelques gouttes odorantes...
On goûte... Et c'est l'émerveillement ! Les amis, sa femme,
son fils, se passent de main en main cet étrange flacon qui contient
du concentré d'orange et de l'huile essentielle. Imaginez un peu
l'enthousiasme de Boufarik, capitale des oranges !
-----Mais ce n'est pas tout ! Léon
Beton n'a pas seulement découvert une idée, il a rencontré
un homme extraordinaire, un inventeur. En Espagne, le
Dr Trigo oeuvre dans ses laboratoires de Valence au progrès
de ses trois passions : les arômes, les huiles essentielles et les
jus d'orange. Cet humaniste est un scientifique qui a longtemps mené
des travaux sur le pénicillium cette fameuse poudre blanche qui
recouvre les oranges pourries - sans savoir que Fleming allait découvrir
la pénicilline.
-----Dès lors, des lettres s'échangent,
des caisses contenant les flacons de concentré sont acheminées
de Valence à Boufarik, un projet de négoce voit le jour,
et pour couronner l'engouement général, la famille Beton
invite le Dr Trigo à séjourner à Boufarik.
-----La guerre d'Espagne n'interrompt pas
ces relations épistolaires très amicales même s'il
faut attendre le retour de la paix en 1945 pour que tous ces projets se
concrétisent.
-----Comme on le voit, Orangina vient à
peine de naître que déjà l'histoire d'une amitié
commence et, avec elle, l'épopée des oranges de Boufarik.
A LA CONQUÊTE
DE LA FORMULE : 1946/1951
-----La paix est
revenue et les oranges de Boufarik sont toujours colorées, juteuses,
pulpeuses... "Eh bien ! Profitons de cette abondance et cette simplicité
! confie Jean-Claude Beton à ses parents. Renouons avec le Dr Trigo
pour développer la nouvelle boisson à l'orange dont nous
parlions déjà avant la guerre. Nous avons tout pour réussir,
cueillons notre chance..."
-----De l'idée à l'action,
il n'y a qu'un pas que Jean-Claude Beton franchit en mai 1947, en quatre
jours de voyage, de Boufarik à Valence, en Espagne. Plus qu'un
voyage, c'est une véritable expédition que le fils de la
famille entreprend vers cette Europe encore marquée par la guerre.
-----Après une escale à Barcelone
où le jeune homme est conquis par le charme nonchalant de la vie
espagnole, il débarque au bout de quatre jours de voyage sur le
quai de la gare de Valence. M et Mme Trigo et leurs deux enfants sont
là. L'accueil est chaleureux, jovial comme pour un fils de la famille.
-----Les journées passent vite entre
les visites des orangeraies érigées en terrasses où
les labradores espagnols entretiennent le sol à la pioche et les
longues conversations dans le bureau du Dr Trigo Miralles sous les portraits
bienveillants de Marie Curie et de Fleming.
Ce qui s'échange entre le jeune homme et le grand humaniste espagnol
restera à jamais dans le secret de leur complicité. Tout
ce que l'on sait, c'est que très vite une décision fut prise...
-----De retour au pays, le fils Beton n'a
de cesse de mettre en auvre cette entreprise. Il a l'accord de principe
du Dr Trigo, il a des projets pour les oranges de Boufarik, il est porté
par l'enthousiasme de la jeunesse mais il ne sait ni extraire le jus ni
le conserver, et les barrières douanières interdisent d'importer
le concentré d'Espagne. Alors comment faire ? Une fois de plus,
la chance va sourire à ce jeune homme de vingt-trois ans en la
personne de Pierre Lacoste, directeur
du Crédit Agricole Mutuel de Boufarik.
-----C'est un homme écouté
à qui l'on vient parler. Il va devenir le conseiller de Jean-Claude
Beton, le temps de la création de l'entreprise. Pendant neuf mois,
tous les deux s'attèlent à la tâche et préparent
le montage de l'opération. Jusqu'au jour où le dossier est
au point.
-----"Tout est prêt. Maintenant,
il vous faut signer un contrat écrit avec le Dr Trigo. Quand vous
reviendrez de Valence, votre société pourra se créer".
-----Aussitôt dit, aussitôt fait,
à la stupeur des Boufarikois et du Dr Trigo lui-même, dans
la même journée un avion transporte notre jeune entrepreneur
d'Alger à Valence, de Valence à Alger !
Vous n'en doutez pas, le Dr Trigo entérine l'affaire.
-----Quant à Jean-Claude Beton, il
s'adresse à ses parents le soir même de son retour.
-----"Nous n'avons pas le capital suffisant
pour cette affaire et nous ne savons pas si notre entreprise sera rentable,
mais je suis convaincu que l'idée et le produit sont bons et que
nous parviendrons à faire de "Naranjina" une boisson
moderne, au goût français. Nous pourrons commercialiser toute
l'année une boisson à l'orange, aussi simple d'utilisation
que les colas, les limonades ou les jus de fruits en boîte des Américains.
Mais pour l'heure, il nous faut réunir les fonds..."
-----Sans hésiter, sa mère
intervient.
-----"Proposons à mes frères
de Blida de s'associer à notre entreprise et réunissons
en famille le capital social."
-----Ainsi se créa Naranjina Nord-Afrique,
société familiale de production du concentré Orangina,
S.A.R.L. au capital de cinq millions d'anciens francs.
-----Voyons un peu cette première
année : chacun y joue un rôle bien précis.
-----Par son expérience, Edmond Derai
apprend à son neveu les notions nécessaires à une
gestion saine des affaires ; Lucien Derai optimise les rendements ; Léon
Beton s'occupe des approvisionnements et Mme Beton mère veille
à la courtoisie des relations de tout ce monde et notamment avec
le Dr Trigo.
-----Notre jeune entrepreneur, pour sa part,
se démène pour rendre ses locaux performants. Au bout de
la première année, l'ancienne confiturerie où s'est
installée Naranjina NordAfrique s'avère trop petite. La
société connaît son premier déménagement.
Et le procédé du Dr Trigo, allez-vous dire ?
-----Eh bien, ce dernier a dépêché
à Boufarik l'un de ses contremaîtres, Fernando Peris, et
grâce à cet échangé d'expériences, Jean-Claude
Beton apprend le b.a.ba. du concentré Orangina, dont la formule,
aujourd'hui encore, est restée inchangée, et toujours secrète.
Nous ne sommes qu'en 1951 et la culture Orangina est déjà
là !
A LA CONQUÊTE
DU GUÉRIDON DE CAFÉ : 1952/1960
-----La Seconde
Guerre mondiale est terminée depuis plusieurs années. Les
terrasses des cafés et des brasseries s'animent à toute
heure. Un peu partout en France comme en Algérie, on cherche à
inventer une nouvelle façon de boire où ce que l'on partage
sans alcool nourrit une convivialité heureuse et une jeunesse retrouvée.
La limonade est devenue une boisson classique ; le jus de fruits, un raffinement
naturel. Tous cherchent à innover dans l'exploitation des "
Softdrinks" , à l'image de ces premiers jus en boîtes
métalliques que les soldats américains ont apportés
dans leur paquetage. Tout pousse à inventer, à rechercher,
à dynamiser le commerce entre l'Algérie et la métropole.
-----Mais prenons le temps de découvrir
l'Orangina comme ceux qui l'ont goûtée pour la première
fois en Algérie en 1951.
-----Orangina, c'est la marque qui chante
la saveur de l'orange, avec sa bouteille ronde et granuleuse qui se fait
orange pour accueillir l'orange, sa pulpe et son arôme et ce goût
à la fois naturel et raffiné...
Orangina réinvente l'été !
-----Le système est simple et nouveau
: la société Naranjina fabrique le concentré, ce
dernier est acheminé chez le limonadier embouteilleur dans des
fûts en châtaignier. Là, on procède au mélange
du concentré avec le sirop de sucre et l'eau légèrement
gazéifiée. Puis on affectue la mise en bouteilles et la
pasteurisation. II ne reste plus qu'à livrer aux cafetiers les
caisses d'Orangina : la bouteille consignée contient 24 cl. Et
pour mettre l'eau à la bouche des premiers consommateurs, des affichettes
ont été placardées aux vitres des cafés :
"Orangina, le fruit attendu ! ..."
-----Car telle est l'aspiration de cette
petite bouteille ronde : partir à la conquête des bistrots
et des guéridons de café en dépit de sa forme peu
conventionnelle.
-----Mais quand on est joufflu, que l'on
se renverse sur les chaînes d'embouteillage, que l'on prend toute
la place dans les réfrigérateurs, et que l'on ne passe pas
dans les caisses standards des boissons consignées, la conquête
des marchés demande beaucoup d'audace et d'astuce.
-----En 1951, le sans-alcool n'en est qu'à
ses débuts, d'autant que le vin et la bière occupent l'essentiel
du marché. Pendant ces années de création, l'énergie
de Jean-Claude Beton est donnée à la constitution d'un "réseau
Orangina" où le limonadier embouteilleur va tenir un rôle
essentiel.
-----Voyons la suite de l'histoire...
-----Quand André Marin, limonadier
à Blida, ouvre ses vantaux ce matin-là, sa journée
lui sourit : les affaires sont bonnes, ses ouvriers
sérieux et le travail ne lui fait pas peur. Justement Jean-Claude
Beton approche de son établissement à pas décidés.
Cordialement, ils se
serrent la main en s'inquiétant des nouvelles des uns et des autres,
mais le jeune homme est très impatient et en vient au fait : il
lui propose d'embouteiller un soda à l'orange tout à fait
naturel : l'Orangina.
-----André Marin ne peut qu'être
enchanté par cette proposition de diversification. II connaît
d'autant mieux le produit qu'avant la guerre, à la demande de Léon
Beton, il a procédé à des essais qui étaient
très encourageants : il accepte bien évidemment. Commence
alors l'embouteillage des premières bouteilles rondes.
-----Tout se fait, en ces premières
années, de façon très artisanale : l'exactitude des
niveaux est vérifiée avec un bâtonnet, les capsules
se posent manuellement. Et si parfois une bouteille saute du tapis roulant
et tombe par terre, il y a toujours une main complaisante pour la remettre
en circuit... Cette première tentative encourage Jean-Claude Beton
à poursuivre la diffusion de sa nouvelle boisson à Alger
et dans toute l'Algérie. En ces années-là y exerce
avec talent Antoine Monserrat, négociant en vins, réputé
pour son dynamisme et son sens des affaires. «Goûtez, monsieur
Monserrat ! Qu'en pensez-vous ? Venez donc faire de l'Orangina avec nous
!"
-----Antoine Monserrat déguste une
gorgée, allume un cigarillo, tourne et retourne le verre entre
ses mains, s'enquiert du procédé de fabrication, réfléchit
quelques instants puis s'appuie contre le
dossier de son fauteuil.
-----"Oui, ça me plaît
comme saveur, c'est une boisson nouvelle... Seulement, vous n'ignorez
pas que d'autres entreprises fabriquent des boissons à base d'agrumes.
Chez vous à Boufarik, par exemple, Vérigoud est en train
de démarrer, leur procédé est moins complexe, ils
ne pasteurisent pas... En fait, c'est surtout votre bouteille qui me plaît,
je la trouve très commerciale...
- Faites comme vous voulez, monsieur Monserrat. A l'occasion, passez discuter
avec M. Marin, notre concessionnaire de Blida. Vous visiterez ses ateliers.
Vous verrez qu'Orangina marche bien..."
-----Et c'est ainsi qu'Antoine Monserrat
devint un limonadier malgré lui par amour pour Orangina ! Il fut
par sa passion et son enthousiasme un excellent supporter de la petite
bouteille ronde.
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-----A
partir de ce moment-là, rien ne va arrêter la progression
de la petite bouteille ronde qui cherche dès 1953 à s'implanter
en métropole. C'est par l'intermédiaire du célèbre
afficheur Jean Giraudy que Jean-Paul Beton va rencontrer un nouveau partenaire,
Roger Destruol du Tronçay, propriétaire de la société
Fruidam, et donner ainsi une nouvelle ampleur au produit.
-----"C'est un produit nouveau et sain.
Tout est au point : la fabrication, l'embouteillage, la distribution.
Venez donc faire de l'Orangina avec nous !"
-----Jean-Claude Beton,toujours plus enthousiaste,
explique cette boisson qui fait les beaux jours des terrasses de café
en Algérie, le génial procédé du Dr Trigo,
cette idée nouvelle de créer un "soda mieux qu'un soda"
naturel, non chimique, pasteurisé...
-----Roger Destruol réfléchit.
C'est un homme rigoureux et soucieux de la bonne marche des affaires qui
a la réputation de ne pas revenir sur ses décisions quand
il a donné sa confiance.
-----"J'ai plusieurs propositions américaines
pour faire Nutricola, Nutricafé et d'autres boissons non alcoolisées.
Cependant, votre boisson m'intéresse et son procédé
est très ingénieux. Je m'associerais bien à son lancement
sur Paris, à condition toutefois de modifier la bouteille, lui
répond ce dernier.
-Changer ma bouteille ? C'est tout à fait impossible ! Si Orangina
vous plaît, vous en ferez dans cette bouteille ou vous n'en ferez
pas !"
-----Et c'est ainsi que M. Desruol du Tronçay
devint concessionnaire Orangina, malgré sa bouteille boule.
-----Jean Giraudy fut très fier de
parrainer cette nouvelle marque et d'être à l'origine d'un
compagnonnage exceptionnel entre Roger Desruel et Jean-Claude Beton.
-----Dans cette conquête de la métropole,
il paraissait inévitable que Gaston et André Denni, embouteilleurs
de bière et de limonade à Strasbourg, rencontrent un jour
Orangina. Eux-mêmes n'ont-ils pas entrepris de fabriquer une nouvelle
boisson à l'orange, "Denni Orange" ?
-----Quelle n'est pas la surprise de Gaston
Denni de découvrir dans le bulletin de liaison des entrepositaires
de bières et de boissons gazeuses, un petit encart "Orangina"
à la recherche d'embouteilleurs métropolitains !
-----Quelle n'est pas sa contrariété
quand il voit pour la première fois devant lui cette bouteille
ronde ! En vrai professionnel de la limonade, il le sait d'avance, elle
ne passera jamais sur ses lignes d'embouteillage...
-----Comme beaucoup avant lui, et comme beaucoup
après lui, il va goûter et il va aimer. Il dit d'abord non
et ensuite oui, sans se douter un instant qu'à Strasbourg il finira
par vendre plus d'Orangina que de bière...
-----Tout est en place ou presque, car il
manque encore une dernière touche pour distinguer la petite bouteille
ronde des autres bouteilles : il lui faut une image, des couleurs, une
affiche en somme ! La saison d'Orangina est courte, bien courte, trop
courte ! Elle dure à peine plus que la saison des roses. Orangina
c'est avant tout l'été, la douceur d'une soirée après
la chaleur d'une journée, c'est le temps d'une détente,
c'est comme un goût de vacances. Et un été c'est bien
court pour faire aimer une boisson...
-----Comment dire qu'Orangina c'est du concentré
d'orange, c'est parfumé à l'orange, ça contient du
jus et de la pulpe d'orange ?
-----Telle est la question qui est posée
à Bernard Villemot, l'affichiste renommé de Paris quand
ils se rencontrent dans les bureaux de Jean Giraudy en 1953.
-----Homme de dessin et de couleur, Bernard
Villemot voit dès leur première rencontre la forme d'une
orange prendre corps autour de la bouteille ronde.
-----Quelque chose vient de naître
dans ce goût sucré et pulpeux, comme une invitation à
boire qui renouvelle le plaisir de l'été : un verre, une
chaise, un petit guéridon, un parasol légèrement
incliné comme un clin d'aeil malicieux.
-----Quelque chose sans prétention,
avec des couleurs vives, du bleu, du jaune, du vert enroulé d'un
zeste d'orange, la petite bouteille ronde vient de trouver sa première
parure...
-----Il a fallu deux ans à Orangina
pour venir jusqu'à Paris dans l'espoir d'y être consommée,
deux années pleines et fructueuses pendant lesquelles Orangina
à la pulpe d'orange a complètement conquis les consommateurs
d'Algérie.
-----Les ventes progressent, Les concessionnaires
de la métropole s'amourachent d'Orangina. L'usine de Boufarik s'agrandit.
Tout va pour le mieux ! Sauf à Lyon, capitale gastronomique, où
personne ne connaît Orangina puisqu'on lui préfère
le célèbre beaujolais. Alors comment faire ? Une seule solution
: s'intégrer dans la région.
Ainsi, en 1956, Jean-Claude Beton décide-t-il de créer sur
le site de Caluire Rhône-Orangina, première filiale de Naranjina
Nord-Afrique en métropole. Mais cela n'est pas encore suffisant
! De nombreux établissements boudent la petite bouteille ronde
et lui préfèrent les boissons aux bouteilles normalisées.
C'est bien ce qui inquiète l'ensemble des concessionnaires d'Orangina
réunis au siège de la société à Boufarik
en ce mois d'avril 1954, venus faire part de leurs préoccupations
à JeanClaude Beton. La journée s'annonce amicale, longue
et studieuse, et Gaston Denni commence le premier à raconter ses
démêlés avec les brasseurs de Strasbourg et de la
région.
-----"Pour laver les verres d'Orangina,
il leur faut un troisième bac à vaisselle sinon la pulpe
vient se coller aux chopes de bière et la clientèle se plaint".
-----Roger Destruol enchaîne en expliquant
avec précision que les dimensions des réfrigérateurs
actuels ne peuvent en aucun cas convenir à la petite bouteille
ronde.
-----Quant à Edmond Derai, il s'inquiète
du mécontentement général. "Les cafetiers sont
nos seuls clients. Comment faire boire de l'Orangina à la jeunesse
s'ils refusent de s'approvisionner ? II faudrait peut-être modifier
la bouteille..."
-----Effectivement, ça ne peut plus
durer ! A son tour, Jean-Claude Beton prend la parole et rassure ses partenaires.
-----"Notre seule force, c'est la confiance
que nous avons dans cette petite bouteille ronde qui est, n'en doutons
pas, la meilleure trouvaille des boissons françaises depuis la
fin de la guerre. La seule chose que nous ayons à faire, c'est
d'en convaincre tous les consommateurs. Vous verrez, tout le monde se
mettra à boire de l'Orangina. Les cafetiers se plaignent peut-être,
mais le grand public aimera la bouteille pour son élégance".
-----Après les paroles, vinrent les
actes, et grâce à cette complicité proverbiale de
toute la "famille" Orangina fut montée une opération
commerciale bien particulière... Etranges commerciaux, ces comptables,
secrétaires, ouvriers, directeurs ou responsables d'usine, embouteilleurs
ou livreurs qui, par jeu et par esprit d'entreprise, firent la tournée
systématique des cafés de leur région aux heures
d'affluence pour commander de l'Orangina.
-----Tout le monde s'y est mis. Selon leurs
déplacements, M. Fisher, M. Beton, MM. Derai, Bouchet, Desruol
ou Denni et bien d'autres, choisissaient une brasserie et prenaient le
temps de discuter avec le patron de la pluie et du beau temps, de la famille,
du Tour de France ou du dernier match de football. Comme ça, tout
simplement, pour le plaisir de converser et de faire connaissance...
-----A la fin des années 50, tout
semble sourire à Orangina, si ce n'est l'histoire qui la rattrape
: nous sommes en pleine guerre d'Algérie...
A LA RECHERCHE DES AGRUMES
: 1961-1969
----En Algérie,
les événements s'accélèrent et Jean-Claude
Beton a très vite compris que dans un futur proche les oranges
de Boufarik viendront à manquer. En homme avisé, il s'est
déjà mis en quête de nouvelles terres qui lui permettront
progressivement de relayer ses approvisionnements.
-----Mais aura-t-il le temps nécessaire
pour transférer ses activités sur la métropole ?
-----Trouvera-t-il à temps et en quantités
suffisantes les agrumes qui font la qualité et la saveur de sa
boisson
-----Pour l'entreprise, ces temps de transition
ressemblent un peu à une course contre la montre : ne pas s'arrêter,
continuer à progresser, étendre sa distribution et surtout
préserver ce bel équilibre qui a fait d'un succès
commercial une réussite de l'amitié.
-----Tout est en place pour le succès
d'Orangina et pourtant tout semble dire la fragilité de ce projet
entrepris dans l'invention de l'après-guerre.
-----Que de choses à préserver
: une famille, des collaborateurs fidèles, des partenaires enthousiastes,
des installations modernes et cette petite bouteille ronde qui rêve
d'aller toujours plus loin, toujours plus haut...
-----Et comme pour signifier un peu plus
l'incertitude de ces nouvelles années, l'installation en France
en juillet 1962 est suivie par les disparitions successives de M. Lacoste
et du Dr Trigo en 1963. Avec le départ de ces deux initiateurs,
Orangina s'éloigne peu à peu de son origine espagnole et
algérienne.
-----Une seule chose alors peut détourner
la petite bouteille ronde de cette solitude où la place la rupture
avec sa terre natale : défendre les couleurs de la métropole
qui l'accueille en devenant la goût français de l'orange.
-----Ce goût de la vie, elle a su le
donner aux soldats du contingent qui, de retour d'Algérie, n'ont
eu de cesse que de faire découvrir Orangina à leurs parents
et à leurs fiancées.
-----Ce plaisir de boire naturel, les rapatriés
en seront les hérauts et les initiateurs comme pour retrouver dans
cette métropole inconnue l'évocation nostalgique d'un charme
disparu.
-----Alors, sous le parasol de Villemot,
toute ronde, toute orange, avec ses bulles légères qui libèrent
la fragrance du fruit, Orangina devient peu à peu " la reine
des bistrots" même si les grands noms des boissons françaises
la regardent sans bien comprendre la nouveauté du produit : à
l'inverse des eaux minérales, Orangina a sa source dans le fruit.
Tout est fait dans les usines d'embouteillage de Bordeaux, Paris, Strasbourg,
Rennes, Lyon ou Vitrolles, de Troyes, Chambéry, Perpignan ou Puyoô,
de Clermont-Ferrand, Nice ou Saint-Pierre-sur-Dive pour préserver
la naturalité du concentré d'orange. Et si personne n'y
croit, c'est tant mieux pour la petite bouteille qui prospère sans
affrontement, toujours avec un brin d'humour et beaucoup de malice !
-----Une seule chose compte alors pour Jean-Claude
Beton, vous vous en doutez déjà, c'est de faire aimer Orangina.
-----L'indépendance de l'Algérie
est proclamée le 5 juillet 1962. L'usine de Boufarik ne produit
plus et ses ouvriers, désemparés, téléphonent
régulièrement à Jean-Claude Beton, installé
à Marseille depuis un mois, et lui demandent de rouvrir la fabrique
de concentré. II a longtemps hésité avant de prendre
sa décision. Pendant toutes ces années, il a prôné
l'apaisement et le dialogue. Aujourd'hui revenir en Algérie lui
apparaît comme une épreuve bien difficile à surmonter,
et pourtant sa décision est prise.
-----Le 20 juillet 1962 à midi, tous
les ouvriers de Boufarik attendent leur patron dans l'aérogare
d'Alger pour le conduire dans ses anciens locaux. Ensemble, ils vont retrouver
l'odeur un peu acide des jus, réentendre le ronflement de la chaudière,
le roulement des tapis et la cadence régulière des lames
qui coupent les oranges, et jusqu'en 1967, date à laquelle l'usine
de Boufarik fermera définitivement, des cargos affrétés
en concentrés Orangina vont sillonner la Méditerranée
vers les entrepôts de la rue de Crimée, à Marseille.
Pendant cette décennie, les voyages vont devenir une habitude pour
Jean-Claude Beton qui, en bateleur infatigable, multiplie les contacts
avec les pays producteurs d'oranges afin de satisfaire ses besoins de
plus en plus importants en matière première. La course aux
approvisionnements trouvera une fin en 1974, où Jean-Claude Beton
signe un accord de coopération avec le gouvernement marocain.
-----Par caisses entières, par conteneurs,
en camions ou par bateaux, la petite bouteille ronde voyage.
-----Embouteillée, acheminée,
déchargée, stockée, elle sillonne routes et autoroutes
en France comme à l'étranger. Il ne lui suffit pas simplement
d'être l'enfant chérie des bistrots français, d'être
la préférée des entrepositaires de bières
et de boissons gazeuses, d'être plébiscitée par les
consommateurs, elle aime avant toute chose ce goût de l'invention
qui lui fait découvrir le monde.
-----Etre bue en même temps à
Nice, Paris ou Bordeaux, à Tunis ou à Alger, au Cameroun
ou à Casablanca, en Côte-d'Ivoire ou à la Réunion,
à Djibouti comme à Madagascar, est une enivrante conquête.
Partout où elle passe, elle séduit, enchante et porte haut
l'image des boissons françaises. Il lui faut nouer de nouveaux
partenariats, adapter les machines et les lignes d'embouteillage, développer
un réseau de distribution, se fondre dans les habitudes locales.
-----Grâce à l'unité
de culture que lui apporte la francophonie, chaque nouveau pays est une
aventure réussie. Et comme tout arrive par surprise, elle découvre
un beau jour, encore tout étourdie par ses voyages aux quatre,
coins de la terre, qu'elle est devenue le numéro un des boissons
gazéifiées en France : la conquête va bien à
son tempérament volontaire ; le plaisir de la séduction
pour les années futures ? Ce serait sans compter avec l'air du
temps !
-----Une nouvelle décennie arrive
avec son lot de bouleversements profonds car déjà se profile
à l'horizon la révolution de la grande consommation...
Extraits de "Orangina,
mieux qu'une Saga" de Jean-Claude Beton chez Denoë
http://www.orangina.fr/corporate/corpo/orig.htm
En janvier 1996, Jean-Claude Beton, fondateur
et aujourd'hui président d'honneur d'Orangina, a été
promu Commandeur de la Légion d'honneur. Dans son message, lors
de la remise de la "cravate", Jean-Claude Beton rappela avec
beaucoup d'émotion son origine Pieds-Noirs, non sans insister sur
les qualités de nos communautés qui sont le travail, l'esprit
d'entreprise et la plus grande fraternité.
-----Que Jean-Claude Beton trouve là,
l'expression de toutes nos félicitations.
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