BOUFARIK
dans la plaine de la Mitidja
|
31
Ko / 13 s
|
.......Or, pendant que nos soldats
se battaient, pendant que, nos premiers colons luttaient, le parlement lui,
veillait. -------Il se départageait en colonistes et en anticolonistes. Comment ne pas comprendre les angoisses et les inquiétudes de ces derniers ? -------N'étaient-elles pas légitimes ? -------Après les glorieuses pages écrites par l'armée d'Afrique, de tristes nouvelles parvenaient. -------Une immense désillusion s'empara de tous les hommes de bonne foi effrayés de voir ce que la conquête coûtait en or et en hommes. - Où allons-nous ? s'écriaient les anticolonistes. - A la dilapidation du sang français ! -------On ne saurait trop s'incliner devant d'aussi nobles scrupules. La conquête? Elle s'évanouissait dans un grand fracas de fanfares pour étouffer dans les marécages perdus. On la peignait sur les assiettes. Elle rayonnait sur maints éventails. Elle fut à la mode. Et les images d'Épinal... Ah1 les images où souriaient les d'Orléans et les d'Aumale, les Yusuf et les Bugeaud, tant d'autres. -------Mais qui songeait aux mille petits soldats engloutis ? Devant tant de tombes furtives, le rapporteur de la Commission d ' Afrique déclare que " si la conquête était à refaire, il ne faudrait pas l'entreprendre. " -------Il avoue cependant que l'honneur, tout au moins l'amour-propre national étaient engagés et que, d'autre part, il paraissait difficile de ne pas prendre en considération le vu populaire. -------C'était ménager la chèvre et le chou. -------Alors éclate, à la Chambre, le fameux débat de 1834. M. Hippolyte-Philibert Passy, rapporteur général du budget, déclare : -------" A l'époque où Alger passa dans nos mains furent conçues de vastes et magnifiques espérances. C'était la suprématie de la Méditerranée qui venait de nous échoir, -------" Ces espérances, les faits accomplis ne les ont point justifiées... -------" Ainsi, messieurs, tout nous fait craindre qu'il ne faille attendre ni du succès des projets de civilisation intérieure, ni de la transplantation des colons tirés de l'Europe, aucun des avantages dont nous avons besoin pour compenser les charges de l' occupation d'Afrique. -------" Dans cette oeuvre, ne consultons que les intérêts, vrais, directs, permanents de la France; n'allons pas surtout nous croire engagés à réaliser l'impossible, à poursuivre à grands frais un système de conquête et de colonisation auquel manque toute garantie, toute certitude de succès... " -------Le 28 avril, nouvelle discussion. -------M. de Sade prononce un violent réquisitoire contre l'occupation. La Chambre écoute. Elle est ébranlée. " ------- - Nous laissons, conclut M. de Sade, nous laissons au gouvernement le soin de décider le moment de l'abandon définitif. " -------A son tour, M. Piscatory prend la parole : -------" Il me reste à déclarer que ma conviction sincère est qu'il serait heureux pour la France de n'avoir jamais conquis Alger. " -------Puis apparaît M. Dupin, économiste, jurisconsulte : " En résumé, je dis que l'état de choses est calamiteux. La colonisation est une chose absurde. Point de colons. Point de terres à leur concéder, pas de garanties surtout à leur promettre. " -------Et il termine son discours par ces mots: " Il faut hâter le moment de libérer la France d'un fardeau qu'elle ne pourra et qu'elle ne voudra pas porter longtemps. -------Des applaudissements crépitent. -------Cependant, là-bas, Abd-el-Kader gonfle ses voiles. Sa smala flotte de dune en dune, immense vaisseau fantôme inlassablement poursuivi. Et nos petits soldats, de s'engloutir dans le profond creuset de la guerre. La France souffre. Le 1er mai, à la Chambre, M. Escanyé rallume le débat. M. Escanyé est un anticoloniste enragé. Et, dans le silence de son cabinet, il a inventé onze raisons de repousser toute entreprise de coloniser l'Algérie. -------Je ne les énumérerai pas toutes. -------Voici les premiers arguments : -------" Je repousse toute entreprise de colonisation à Alger : -------" 1° Parce que les rapports d'une métropole et d'une colonie sont en général contraires à tout principe de saine économie politique et même à tout principe d'équité; -------" 2° Parce que jamais colonie ne fut présentée sous de plus fâcheux auspiceset avec moins de chances de succès. " -------Mais, à son banc, un homme médite. Bah ! un poète !A quoi rêve-t-il? Que griffonne-t-il d'une main nerveuse?.. Une poésie?.. Ah ! la poésie !... Cependant, quel grignotage sous ses yeux, quelle démolition !... Il faut abandonner Alger. Il faut abandonner l'Algérie. Timide, M. de la Pinsonnière, membre de la Commission d'enquête, essaie de défendre l'occupation : -------" Sans doute, énonce-t-il d'une voix perdue, l'occupation d'Alger est une mesure fâcheuse, mais elle est pour nous une nécessité absolue qu'il faut subir. " -------Il se retire, peu approuvé. -------MM. de Laborde et Mauguin essayent de défendre, à leur tour, l'Algérie. -------Mais quels murmures hostiles couvrent leurs voix ! Ils se retirent, découragés. -------M. Hippolyte Passy prend la parole : -------" Alger est une détestable possession, un boulet que la France traînera après elle et qui embarrassera longtemps sa marche en Europe... -------" J'affirme, conclut-il, que si l'un d'entre vous consentait à aventurer son avenir, sa fortune, ses ressources sur des chances de succès aussi incertaines, aussi fragiles que celles que présente la colonisation du terrain algérien, je ne balancerais pas à le taxer d'imprévoyance et de folie ! " -------Alors, le griffonneur se lève. Quelle gravité sur ce visage. Sanglé dans sa longue redingote, ce député gravit à son tour les marches de la tribune. Le voici, debout, revêtu d'une dignité et d'une sévérité immenses. Sur les bancs, court un long murmure. -------Les anticolonistes de s'agiter. Les colonistes de s'émouvoir. -------Quelques applaudissements éclatent, brefs, discrets, vite éteints. -------M. Alphonse de Lamartine va parler. Une étrange pâleur couvre ce maigre visage. Loué avec emphase, attaqué avec acharnement, on le juge. C'est un fantaisiste, disent les uns. C'est un virtuose, déclarent les autres. -------Ses pires ennemis comme ses meilleurs amis l'accablent d'une courte phrase : -------- C'est un poète ! murmurent ses amis. -------- Ce n'est qu'un poète ! clament ses ennemis. Ah ! que la plaisanterie est facile. La poésie ? mot commode qui justifie l'indulgence, autorise la sévérité. -------" Si vous cédez avec entraînement à une voix qui vous appelle, c'est que la voix est poétique, c'est qu'elle a des privilèges d'ivresse, c'est que la poésie est une sorte de sensualité contre laquelle notre pauvre humanité , se défend mal. " -------- Que voulez-vous, ont déclaré bien des gens pour expliquer leur adhésion rapide au mouvement de 1848, j'étais jeune encore. Je me rappelais les douces émotions des Méditations et de Jocelyn. J'adorais Lamartine. Il était poète jusque sur les marches de l'Hôtel de ville et je battais des mains à la poésie quand on croyait que j'acclamais la République. -------Ceux qui, en petit nombre, ont bouché leurs oreilles pour ne pas entendre, disent au contraire : -------- Je n'ai jamais donné dans l'utopie, parce que je savais que Lamartine était un poète, et que la poésie est le contraire de la politique, de l'art de gouverner les hommes. -------" Cette double explication repose sur une erreur. Ce qui fait le charme durable, la puissance de la poésie, c'est son union étroite avec la logique universelle. Les âmes ne se confient longtemps qu'à une voix qui résume leurs instincts, et s'il n'y a rien de plus général que les idées essentielles, il n 'y a rien qui soit plus personnel que les idées utopiques, que les paradoxes. -------1" Un grand poète national ne saurait être un excentrique, c'est l'idéalisateur d'un lieu commun . -------Non, la poésie qui est une détestable excuse, mais une merveilleuse explication, n'est jamais coupable quand elle est la vraie poésie. Elle ne se trompe pas : son privilège de gloire vient même de son infaillibilité. Cependant, M. Granier de Cassagnac écrira un jour ; " Tout ce qui constitue M. de Lamartine, son éclat, sa carrière, ses livres, sa politique, son pouvoir, sa popularité, sa chute sont autant d'énigmes ayant le même mot :chimère !... Isolé de tout, distinct de tous, ne s'appuyant sur rien, ne s'alliant à personne, M. de Lamartine constitue une telle personnalité ou s'est tracé un tel rôle, qu'il semble voué à la réunion des contraires : les penchants de la solitude et les goûts de la domination. -------"Et M. de Cormenin de plaisanter : -------" Lamartine? Il chante lorsqu'il parle, il chante lorsqu'il écrit, il chante lorsqu'il médite, il chante lorsque la nuit tombe, il chante lorsque le jour se lève, il chante lorsque le vent gémit, il chante lorsque l'oiseau gazouille, il chante lorsqu'il chante, il chante toujours. ") -------Mais M. de Cormenin - si M. de Lamartine chante - écrit bien mal !... |
-------Je
préfère le mot de la nièce de Pitt, lady Stanhope
disant à Lamartine, touriste sans mandat, sans mission officielle,
à Lamartine, simple voyageur : -------" Au
reste, cette délibération, si fâcheuse sous d'autres
rapports, aura eu au moins ce- résultat d'arracher au gouvernement
ce mot qui satisfait le sentiment national : Tiré de : Nobles Vies, Grandes uvres
|