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Le peintre Dinet

Le peintre Dinet

Le peintre Étienne Dinet vient de mourir, à Paris, d'un accident cardiaque consécutif à une congestion pulmonaire, dont il paraissait guéri. Né à Paris, en 1861, d'un père notaire et dans une famille dont la religiosité, par bien des points, joignait le mysticisme, il avait fait sa première éducation à l'École des Beaux-Arts. Après avoir envoyé au Salon son premier tableau, la " Légende de Saint-Julien l'Hospitalier ", il se détachait tout de suite de la peinture d'histoire et de la peinture réaliste de la vie contemporaine, aussi éloigné de l'imagination littéraire et de la peinture d'idées que de la peinture des mœurs. Il était officier de la Légion d'honneur et il avait connu, dans les dernières années du dernier siècle, une célébrité qui, par suite de l'évolution de l'art et de la modification des points de vue, s'était atténuée presque jusqu'à l'indifférence. Ses obsèques ont été célébrées vendredi à la mosquée de Paris, où son corps a tout de suite été transporté par les soins de son ami Ben Ghabrit, directeur du protocole de Sa Majesté Chérifienne.

Etienne Dinet s'était, en effet depuis longtemps, converti à l'Islam. Fait très curieux, il avait une soeur religieuse, avec laquelle il paraît être resté en très bons termes, malgré sa conversion à ce qu'elle pouvait considérer comme une apostasie.

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Afrique du nord illustrée du 4-1-1930- Transmis par Francis Rambert
nov.2021

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Le peintre Dinet

Le peintre Étienne Dinet vient de mourir, à Paris, d'un accident cardiaque consécutif à une congestion pulmonaire, dont il paraissait guéri. Né à Paris, en 1861, d'un père notaire et dans une famille dont la religiosité, par bien des points, joignait le mysticisme, il avait fait sa première éducation à l'École des Beaux-Arts. Après avoir envoyé au Salon son premier tableau, la " Légende de Saint-Julien l'Hospitalier ", il se détachait tout de suite de la peinture d'histoire et de la peinture réaliste de la vie contemporaine, aussi éloigné de l'imagination littéraire et de la peinture d'idées que de la peinture des mœurs. Il était officier de la Légion d'honneur et il avait connu, dans les dernières années du dernier siècle, une célébrité qui, par suite de l'évolution de l'art et de la modification des points de vue, s'était atténuée presque jusqu'à l'indifférence. Ses obsèques ont été célébrées vendredi à la mosquée de Paris, où son corps a tout de suite été transporté par les soins de son ami Ben Ghabrit, directeur du protocole de Sa Majesté Chérifienne.

Etienne Dinet s'était, en effet depuis longtemps, converti à l'Islam. Fait très curieux, il avait une soeur religieuse, avec laquelle il paraît être resté en très bons termes, malgré sa conversion à ce qu'elle pouvait considérer comme une apostasie.

A la cérémonie funèbre assistaient M. Pierre Bordes. Gouverneur Général de l'Algérie; Allazard, directeur du Musée d'Alger; Guyon-Vernier, Richard, les directeurs et fonctionnaires de l'Office de l'Algérie à Paris et les amis personnels du défunt. Selon ses dernières volontés, le corps sera transporté à Bou-Saâda, pour être inhumé dans la patrie adoptive du peintre et dans le cénotaphe préparé d'avance, où doit le rejoindre plus tard son fidèle ami Si Sliman.

Maintenant que l'on a fourni les renseignements biographiques indispensables, il reste à apprécier le peintre et son œuvre.

Etienne Dinet se range parmi les peintres orientalistes. Le premier voyage qu'il fit en Algérie et qui le mena à Bou-Saâda avec son ami Michelin, qui faisait lui aussi de la peinture avant de devenir le grand industriel bien connu et on pourrait dire le roi du pneu, exerça sur lui une telle séduction qu'il décidait de s'y fixer à jamais et qu'il devint le plus enthousiaste des orientalistes. Ceci se passait en 1883, et Bou-Saâda, non encore reliée à Alger par les rapides services de cars et d'autos, était prototypique de la véritable oasis, de la ville saharienne où venaient, aux confins du Tell, se ravitailler les grands nomades chameliers du Sud. Dans son désert en réduction et qui a tous les attraits du grand désert, Bou-Saâda avec ses palmes, ses jardins, son oued et les pétales blancs de ses abricotiers dont Isabelle Eberhardt a laissé une description inoubliable, lui devint un Éden, un coin béni du monde, auquel il resta fidèle, où il revint chaque année dès le mois do mars jusqu'au mois d'octobre. Il s'était fait bâtir une maisonnette tout pareille aux autres et un marabout dominant le lit de l'oued et qui lui servait d'atelier. C'est là qu'il travailla sans arrêt, prenant prétexte du motif humain, étudiant l'être et ne faisant intervenir le paysage et le décor qu'à titre de cadre.

A cette époque, comprise entre 1884 et 1900, le Sud même à Bou-Saâda, à peine distante d'Alger de 260 kilomètres, conservait tout sont charme mystérieux et gardait encore intacts et purs ses types aujourd'hui adultérés du bédouin nomade et de l'Oued-Naïl. Dinet consacra sa vie entière à l'étude de la vie arabe et à la reproduction de ses types principaux et à la glorification de ses vieilles légendes. Converti à l'Islam tellement l'avait séduit ce décor biblique et ces scènes du Moyen-Age perpétué sous ses yeux, Dinet fit le pèlerinage de la Mecque. Les premiers travaux, dans lesquels il traduisit la vie arabe et le Sud algérien firent sensation et furent très goûtés. En même temps que lui, vers 1892, débutèrent deux peintres qui furent eux aussi fameux et qui pour les mêmes motifs du déplacement de l'esthétique et des nouveaux goûts de la mode, sont aujourd'hui bien oubliés : Lucien Simon et Charles Cottet, peintre de la Bretagne.
Dès ce moment, Dinet pénètre au Luxembourg avec " Lumière des yeux " et " Esclave d'amour ". Et depuis, ce travailleur acharné ajoute à son œuvre ; les musées de province et les collections particulières se disputent ses toiles et il se prend à illustrer des livres, ces " Tableaux de la vie arabe ", dont Sliman ben Ibrahim est donné pour avoir écrit le texte, la légende d'Antar qui contient de très belles pages.

Dès cette époque. Dinet est célèbre et connaît une vogue considérable. C'est à la fois un coloriste et un observateur. Il sait analyser les gestes et les faire concourir à une signification d'intelligence, il dessine avec un art infini, un scrupule intense et une précision absolue; des gestes, des visages, des attitudes, il dégage le caractère, la psychologie et la sentimentalité des êtres. Il sait donc la popularité, la gloire, la fortune.

Et nous arrivons aux jours d'avant la guerre, quand tout cela change brusquement. L'art est bouleversé, l'esthétique change. Ce dessinateur si précis, qui ne laisse rien à finir, qui cisèle avec tant de minutie et qui dit tout, au point que toute cette perfection, partout présente, nuit un peu et dépouille ses toiles d'un intérêt central; sa technique fidèle, son métier formidable, voilà tout d'un coup que cela ne pèse plus que d'un poids très léger et excite autant la raillerie et les haussements d'épaule qu'autrefois les cris d'enthousiasme et les exclamations laudatives. Les représentants de la jeune école, les revues d'avant-garde passent Dinet sous silence, le considèrent comme un débris résiduel de l'ancienne faune picturale. On convient qu'il sait dessiner, qu'il sait peindre, mais cela n'est pas suffisant pour qu'on puisse le dire un peintre. On l'appelle pompier et photographe, parce que l'objectif lui aussi voit juste, reste fidèle et reproduit bien. Or, pour les goûts du jour, peindre n'est pas copier ni reproduire, mais traduire et apporter, à défaut des idées dont la peinture veut se garder comme de la peste, la preuve d'une sensibilité différente et particulière. Or, Dinet sent comme tout le monde, Dinet n'a ni ingénuité ni naïveté, c'est au contraire un homme habile, trop habile dont on ne veut plus rien savoir. Comme il eut le tort aussi de travailler trop et trop tard, victime un peu de cet appât du gain qui conduit tant de beaux peintres à devenir des illustrateurs ou même des affichiers, tout net et sans ambages, on dit de lui que c'est un artisan, on le tare de l'épithète, terrible dans ce métier, d'anecdotier, de raconteur de petites histoires sans importance, passe-partout et dont le contraire pourrait être vrai et dont il n'y aurait qu'à changer le titre pour lui faire aussitôt signifier n'importe quoi d'autre et même le contraire.

En somme, l'œuvre de Dinet avait vieilli autant et plus que lui-même, elle faisait époque et date, elle était un moment périmé de l'ancien orientalisme. A part ses admirateurs d'Algérie qui lui restaient fidèles, continuaient d'acheter ses tableaux et s'extasiaient devant les envois qui s'arrêtaient dans nos salons locaux avant de s'en aller, pour n'y être remarqués par personne, se perdre dans l'immense anonymat des " navets " parisiens, Dinet ne retenait plus personne, maintenant vieux jeu, plus à la page et dépassé. Ça vaut trois cents francs à cause des cadres qui sont toujours très beaux, disait-on de ses envois dans le milieu, chez les jeunes peintres et même chez les marchands qui ont organisé le " boom " de la peinture, traitée maintenant en affaire à grand renfort de publicité tout à fait comme on lance un savon, une auto ou une marque nouvelle de macaroni.

Les Algériens, sans trop pénétrer à fond dans ces querelles de chapelle et ces difficiles questions d'esthétique, garderont à Étienne Dinet leur estime et leur reconnaissance. Il aura illustré l'Algérie dans ses êtres et ses races; il aura apporté, sur des éléments, en perpétuelle transformation depuis notre venue et qui vont se modifier jusqu'à disparaître, des œuvres qui resteront des témoignages. Des œuvres charmantes, sincères, fouillées, bijoux et joyaux de petit maître. Et même à ceux d'ici qui pourraient préférer à son art si précis, mais un peu sec et quelque peu à base d'anecdote uniquement inspiré du motif humain, non pas l'unique recherche de la matière à quoi se complaisent les écoles modernes et à quoi, bon peintre, excellait Dinet. mais la peinture plus vaste, signifiante, mémo littéraire ou philosophique d'un Rochegrosse, d'un Desvalières ou d'un Maurice Denis pour ne pas parler de Gustave Moroau ou de Puvis, il n'en faudra |'as plus pour qu'ils le tiennent très haut dans leur respectueux estime et se refusent à l'oublier tout à fait en attendant cette heure où la triple roulette du goût, de la mode et du commerce le remettront en vedette et restitueront à son ombre ces fumées de la gloire auxquelles il fut si sensible et dont il souffrit tant, dans sa vieillesse, d'être privé.