BOU-SAADA dans le Titteri
CHEF-LIEU D'ARRONDISSEMENTS DE LA RN 8
BOU-SAADA PITTORESQUE !

BOU-SAADA PITTORESQUE !

Chaque année, pour s'attirer un plus grand nombre d'hiverneurs, le Syndicat des Hôteliers de Nice, usant de moyens fallacieux, lance au bon moment à travers le monde des touristes la nouvelle d'un épouvantable cataclysme tombé, toujours comme par hasard, sur l'Algérie. Tous les fléaux y passent...
Cependant, en dépit de ses détracteurs intéressés, l'Algérie demeure, à mon avis, un centre de tourisme des plus plaisants, non seulement par son climat exceptionnel et son ciel ravissant, mais surtout par le confort, de ses hôtels, l'excellence de ses routes, la beauté de ses panoramas, enfin par la majesté grandiose de ses " Villes d'Or ", aux ruines millénaires, et le charme prodigieux de ses oasis qui dessinent sur le désert brûlant d'admirables taches vertes et qui s'ouvrent à nos yeux comme autant de champs d'étude et d'exploration, tout en aiguisant, par leur caractère intimement saharien, la curiosité de l'artiste et de l'observateur.

Éloigné de toute voie terrée, défendu par ses parois rocheuses, finement teintées de rose et par son cirque de montagnes brunies, le ksar de Bou-Saâda, mieux qu'aucune autre agglomération indigène du Sud, a pu ainsi, à l'abri de la civilisation occidentale, conserver à peu près intacte son âme islamique,

A peine en huit heures de temps, les 200 kilomètres séparant Alger de Bou-Saâda ont été franchis sans encombres, à travers une route en lacets des plus accidentées, grâce à l'excellente voiture Delahave que la Maison Catelan, pour faciliter et agrémenter notre excursion, a eu l'amabilité de mettre à notre disposition.

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Afrique du nord illustrée du 10-4-1926- Transmis par Francis Rambert
nov.2021

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BOU-SAADA PITTORESQUE !

BOU-SAADA PITTORESQUE !
BOU-SAADA PITTORESQUE !

Chaque année, pour s'attirer un plus grand nombre d'hiverneurs, le Syndicat des Hôteliers de Nice, usant de moyens fallacieux, lance au bon moment à travers le monde des touristes la nouvelle d'un épouvantable cataclysme tombé, toujours comme par hasard, sur l'Algérie. Tous les fléaux y passent...
Cependant, en dépit de ses détracteurs intéressés, l'Algérie demeure, à mon avis, un centre de tourisme des plus plaisants, non seulement par son climat exceptionnel et son ciel ravissant, mais surtout par le confort, de ses hôtels, l'excellence de ses routes, la beauté de ses panoramas, enfin par la majesté grandiose de ses " Villes d'Or ", aux ruines millénaires, et le charme prodigieux de ses oasis qui dessinent sur le désert brûlant d'admirables taches vertes et qui s'ouvrent à nos yeux comme autant de champs d'étude et d'exploration, tout en aiguisant, par leur caractère intimement saharien, la curiosité de l'artiste et de l'observateur.

Éloigné de toute voie terrée, défendu par ses parois rocheuses, finement teintées de rose et par son cirque de montagnes brunies, le ksar de Bou-Saâda, mieux qu'aucune autre agglomération indigène du Sud, a pu ainsi, à l'abri de la civilisation occidentale, conserver à peu près intacte son âme islamique,

A peine en huit heures de temps, les 200 kilomètres séparant Alger de Bou-Saâda ont été franchis sans encombres, à travers une route en lacets des plus accidentées, grâce à l'excellente voiture Delahave que la Maison Catelan, pour faciliter et agrémenter notre excursion, a eu l'amabilité de mettre à notre disposition.

Aussi bien à l'aller qu'au retour, le trajet choisi par les automobiles Catelan - qui font régulièrement le service Alger-Bou-Saàda deux fois par semaine - offre au regard émerveillé du voyageur d'indescriptibles paysages surtout lorsque l'auto, s'emballant soudain dans une descente rapide, franchit les admirables gorges de Palestro, aux rochers gigantesques que le soleil d'Afrique semble avoir roussi de ses feux ardents.
La petite place sur laquelle nous venons d'arriver est l'endroit le plus animé de Bou-Saâda.

Elle nous séduit de suite par ses maisons basses à arcades, son jardin public, aux allées ombreuses et fraîches, qui évoque au crépuscule quelque vieux coin de province française, son café européen dont la salle étroite et sombre laisse exhaler une odeur de grains et de moisi et à la porte duquel stationnent les autobus célestes - gratte ciel Ambrosi - venant de Bouïra et d'Aumale.

Un peu plus loin, c'est la halte des caravanes de chameaux chargés de leurs lourdes cargaisons de laine, de céréales et de dattes et qu'on verra s'éloigner en file indienne le lendemain, une fois le marché terminé " pour les lointaines oasis des Zibans et les plaines du Hodna ".
Dans une des principales rues qui débouchent sur la place, on distingue de sordides échoppes Israélites au fond desquelles des marchands, à la barbe en collier, piquent attentivement à la machine de grossières toiles écrites ou brodent finement d'éclatants " filalis ".

En flânant, dès notre arrivée, dans le quartier arabe, nous nous attardons devant les boutiques emplies de " turqueries ". C'est là qu'on trouve les lézards empaillés, les éventails de raphia brodé, les poignards minuscules gainés de rouge et les absurdes orfèvreries - bibelots rutilants - qui font la joie des femmes mauresques.

Mais peu à peu, une tendre lueur crépusculaire donne aux choses des formes irréelles et Bou-Saâda s'offre à nous, dans son poignant isolement, comme une rose des sables perdue à l'entrée du désert.

Accompagnés de notre guide, nous gravissons l'aride colline du fort Faidherbe dont la silhouette moyen nageuse se découpe nettement dans le soir violet. Le long du sentier, à travers les éboulis de pierres et parmi des genêts gris comme de légères fumées à ras du sol, des bergères kabyles, habillées d'andrinople rouge, mènent paître aux alentours leurs paisibles troupeaux de chèvres noires.

Au loin, se dressent les monts bronzés du Kerdara, puis les montagnes de Sidi-Asdine et de Baten, dont les sommets irisés se reflètent, au coucher du soleil, en un merveilleux mirage sur le sable roux des dunes désertes.

O Bou-Saâda, ton histoire, grandiose dans sa simplicité, m'émeut ce soir à la vue de tes blancs minarets, rehaussés des pourpres du couchant, et dont les noms mélodieux d'" Ouled-Attik ", d' "El-Nakhla " et de " Mouamincs " me ramènent en pensée à ta lointaine et poétique origine.
Nous voici maintenant en plein oued BouSaâda, au lit clair et sinueux, un peu argenté, bordé d'inaccessibles rochers sombres et de vieux murs tapissés de mousse. Le paysage a quelque chose de sacré et de mélancolique.

Entre les cactus, une kouba blanche repose dans une suprême extase sous le ciel infini illuminé par des myriades d'étoiles. Dans les jardins environnants, hermétiquement clos comme des sanctuaires, s'entrecroisent les vignes grimpantes, les lianes vigoureuses, les grenadiers écarlates et les mandariniers aux pénétrantes senteurs d'Orient.

Du fond de l'eau, bleuie par la nuit, s'élève en une éternelle prière, le croassement triste des crapauds. Et les vagues silhouettes des petits ânes trottinant sur les rives de l'oued, passent et disparaissent lentement dans des sentiers perdus. A présent, à pas feutrés on chemine dans les ruelles tortueuses du vieux quartier indigène. Les maisons rapprochées forment d'étroits couloirs obscurs le long desquels s'ouvrent, à de rares endroits, de noirs moucharabiehs jalousement grillagés suspendus dans l'angle d'une venelle, éclairant une lourde porte en bois de palunier contre laquelle se cache, ne voulant ni voir ni être vue, quelque femme empaquetée dans son haïck de laine. Un peu plus loin, ô vision poignante des monstrueuses sorcières de Goya, une vieille mauresque horriblement noirâtre et décharnée chauffe au-dessus d'un ardent feu de braise ses pauvres mains noueuses déjà à demi-mortes.

En suivant la rue des Ouled-Naïls on s'arrête à chaque pas pour regarder l'intérieur des cafés maures et des maisons de danses, qui sont à Bou-Saâda, comme dans d'autres villes du Sud, des lieux de joie, d'amour et de mort. On y pénètre toujours avec une sorte de crainte puis, à la vue des danseuses - étranges fleurs du désert - revêtues d'or et de brocart comme des déesses, on est gagné peu à peu, malgré soi, par un suprême enivrement. Quant arrive le tour des danses nues les musiciens arabes voilent pudiquement, leurs yeux et de stridents " you you " tour à tour joyeux et épouvantés éclatent aux quatre coins de la salle enfumée et basse. Derboukas, flûtes et tambourins reprennent leurs rengaines avec furie...
Et voici Fatoum au torse fauve couleur des dunes qui évolue, toute nue, dans la lumière voilée de la pièce devant ses admirateurs dévorés de désir, rythmant ses danses - souple et gracieuse comme une jeune gazelle - du tintement clair de ses bracelets d'argent.

D'autres Ouled-Naïls nous séduisent, elles aussi, par leur indicible beauté et le charme dolent de leurs grands yeux rêveurs où se reflète leur âme vagabonde et passionnément triste. Ces ardentes amoureuses, drapées de soie et d'indiennes à fleurs, parées de vives pierreries, se tiennent sur le pas des portes, en des poses hiératiques de bouddha, offrant à tous, derrière leurs cigarettes allumées - étincelants rubis sous le ciel de saphir - " le même regard énigmatique, le même sourire figé de leurs visages polychromes ". De temps à autre on voit surgir à l'entrée d'une grande cour ouverte à tous les passants, une ombre blanche et silencieuse qui se glisse mystérieusement comme un fantôme éperdu dans l'étrange et lugubre maison à la suite d'une de ces singulières courtisanes. Et bientôt de vagues murmures, des voix étouffées de douleur et d'amour, parviennent jusqu'à nous comme une sinistre complainte à travers la grande nuit du Sud, éternellement bleue...

Le lendemain, avant de reprendre le chemin du retour, nous avons l'honneur et le plaisir d'aller voir le grand Maître orientaliste Etienne Dinet qui nous accueille dans sa discrète demeure mauresque avec une bonne grâce toute française et une savante politesse orientale.

Nos dernières heures passées à Bou-Saâda, s'envolent bêlas ! trop vite.

A la porte de l'Hôtel Transatlantique - somptueux palace bâti au pied du Kerdada - notre auto nous attend déjà.

Pourtant, que de choses nous voudrions voir encore ! Que d'impressions voudrions-nous recueillir et conserver surtout dans nos yeux émerveillés, afin de nous en souvenir longtemps, lorsque nous n'aurons plus, pour apaiser la soif de notre âme nostalgique, la grandiose et miroitante steppe saharienne...