BOU-SAADA dans le Titteri
CHEF-LIEU D'ARRONDISSEMENTS DE LA RN 8
mausolée du peintre Dinet

 

mise sur site : juin 2013
2.-Un Atelier de Dinet à Bou-Saâda
Afrique du nord illustrée du 22-8-1908 - Transmis par Francis Rambert
déc.2020

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bou_saada,mausolee du peintre dinet

Reprise de l'article sous l'image.


Un Atelier de Dinet à Bou-Saâda

Le sable ! Toujours le sable ! Des lits caillouteux de rivières à sec que la voiture franchit à toute vitesse et comme si les bêtes, se rendant compte de la difficulté qu'elles auront à escalader l'autre rive, prenaient leur élan d'avance. Au loin, de grandes montagnes, aux découpures étranges. Nous approchons de Bou-Saâda. Voici, presque vertical et géométriquement coupé, le Djebel Guelaâ (la Forteresse). C'est le " Billard du colonel Pin " des Français. Cependant, au loin, un peu de verdure se découvre : l'oasis ! Nous arrivons. Péniblement, la diligence traverse, deux heures durant, une plaine dont le sable est mélangé de cailloux roulés. Puis des fortifications se déploient devant nos yeux ; une verdure fraîche tranche sur l'aridité des environs, hauts plateaux désolés et steppes sablonneuses où croissent difficilement quelques touffes de " tesselra " et d'alfa " maboul ". Nous avons atteint la " Ville de l'Homme heureux ", Bou-Saâda.

Bah ! l'homme heureux, c'est la légende, c'est le nom créé par la reconnaissance du nomade qui trouve là les vivres et l'eau, ces uniques dieux du grand désert, c'est le cri de joie du chamelier fatigué des longues traites toujours semblables à travers ce pays où s'étend loin, loin, toujours plus loin, la mer morne des sables.
Pour qui est fait à la vie mouvementée des grandes villes, pour qui est plié aux habitudes européennes, quoi de moins récréatif que cette agglomération de maisons et de terrasses en terre jaunâtre dont tout le charme consiste peut-être en leur irrégularité, que cette fontaine de la grande place, que cet abreuvoir où se désaltèrent des bandes de chameaux, que ces ruelles tortueuses !

Arrêté devant la boutique d'un mozabite où s'entassent pêle-mêle la toile et la quincaillerie, les étriers et les foulards, les miroirs et les vipères cornues, qui pourra bien me faire croire que cette ville est un lieu de délices, que ses toits abritent un homme heureux ? Cet homme-là ne possède pas de chemise, affirment les contes arabes. Dans ces conditions, sans doute, ils seraient nombreux ici les élus du bonheur, mais si jamais un doute ne s'était élevé dans mon esprit sur la véracité de l'apologue oriental, il fût certainement né de ce voyage.

Et brusquement, en mon errance vagabonde qui m'a conduit de la Kouba de Sidi-ben-Attia à celle de Sidi-Brahim, je l'ai trouvé, mon oiseau rare. Blotti parmi les lauriers roses, en pleine rivière de Bou-Saâda, le voici l'homme heureux sortir d'une petite maisonnette blanche ; c'est Dinet fuyant l'agitation des cités, c'est Dinet à la recherche de l'idéal ciel bleu, de la sérénité des matins et de la splendeur des soirs qui s'en est venu planter son chevalet sous les palmiers de cette calme oasis. Son esprit se retrempe, dit-il, dans ce face à face avec l'immensité et de fait son pinceau semble une mine de mauves doux comme des velours, de roses triomphants, d'ors éclatants comme des cris de victoire. Son jardin est proche ; c'est l'oasis et la pépinière, sous-bois délicieux de figuiers, de pistachiers, de mûriers et de saules que coupent des sentiers bordés de ruisseaux.

Réfugié comme Daudet en une solitude délicieuse, il a son moulin, lui aussi, seulement les lapins n'y montrent point leur petit derrière blanc et l'histoire lui fait prendre des allures guerrières. Involontairement, l'imagination évoque à son aspect des temps déjà lointains et pas oubliés cependant des Algériens, cette désastreuse époque où, aux malheurs qui fondaient sur la mère patrie, venaient s'ajouter pour ses fils attachés au sol africain la tristesse de deuils et d'incendies désolant les exploitations fondées par eux à force de labeur et de courage.
Durant la grande insurrection de 1870, le moulin Ferrero, seul point de cette aride contrée où nos troupes aient pu trouver des approvisionnements de farine, était gardé militairement et fournissait toutes les colonnes du Sud algérien. Jour et nuit ses roues tournaient pour faire du pain à ceux qui se battaient si bravement, de Djelfa à Bou-Saâda. Maintenant, le visiteur trouve marquées ces deux étapes de notre civilisation, le moulin rappelant les dernières affres de la guerre et la petite kouba de Dinet souriant à l'avenir pacifique et au progrès des arts.