Bône
HIPPONE LA ROYALE
Cité épiscopale de saint Augustin
" Le monde est comme l'homme, il naît, il grandit, il vieillit. " saint Augustin
De Bône la pétulante à Hippone la gisante

Echo du 4-3-1952- Transmis par Francis Rambert


Après les dévastations vandales, la reconquête byzantine bien que toujours précaire car toujours menacée, eut pourtant le mérite de relever les ruines dont l'Afrique était jonchée. Hippo Regius, aïeule de Bône, fut elle-même réparée, mais comme Timgad, Thévesle-Tébessa et Cuicul-Djemila, dans une hâte inquiète voisine de la panique.

Puis surgirent les invasions comme une trombe .de simoun... Et tout, une autre fois, fut réduit en décombres, et les cadavres des cités qui avaient été prospères et des foyers de culture furent ensevelis sous les cendres, les sables et les ronces. Il fallut, treize siècles plus tard, l'entrée en scène de la France pour que les villes assassinées reparussent au soleil, au moins dans leur squelette.

Saluons au passage cette exhumation des villes mortes quand tant de tâches vitales veulent être satisfaites. Se pencher sur des ruines, les relever, quand les vivants ont tant de peine à découvrir un toit. Je crois qu'il est permis de trouver cela beau.

Léon l'Africain avait menti

Dès 1837. une Commission archéologique avait été chargée de reconnaître les champs de ruines algériens, Mais nos savants se
fièrent, à Léon l'Africain qui avait écrit; qu'a Hippone tout avait disparu, et les pouvoirs publics se désintéressèrent d'un site qui était recouvert par des fourrés d'épines.

Cette méprise eut, pour premier résultat de laisser morceler le terrain ou gisait la cité ensevelie. Et, malgré la découverte de très belles mosaïques et d'importantes citernes, qui servent, aujourd'hui encore, à l'alimentation de Bône, on continua officiellement à se désintéresser de la ville d'Augustin.

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HIPPONE LA ROYALEHIPPONE LA ROYALE
Cité épiscopale de saint Augustin
" Le monde est comme l'homme, il naît, il grandit, il vieillit. " saint Augustin
De Bône la pétulante à Hippone la gisante

Après les dévastations vandales, la reconquête byzantine bien que toujours précaire car toujours menacée, eut pourtant le mérite de relever les ruines dont l'Afrique était jonchée. Hippo Regius, aïeule de Bône, fut elle-même réparée, mais comme Timgad, Thévesle-Tébessa et Cuicul-Djemila, dans une hâte inquiète voisine de la panique.
Puis surgirent les invasions comme une trombe .de simoun... Et tout, une autre fois, fut réduit en décombres, et les cadavres des cités qui avaient été prospères et des foyers de culture furent ensevelis sous les cendres, les sables et les ronces. Il fallut, treize siècles plus tard, l'entrée en scène de la France pour que les villes assassinées reparussent au soleil, au moins dans leur squelette.
Saluons au passage cette exhumation des villes mortes quand tant de tâches vitales veulent être satisfaites. Se pencher sur des ruines, les relever, quand les vivants ont tant de peine à découvrir un toit. Je crois qu'il est permis de trouver cela beau.

Léon l'Africain avait menti
Dès 1837. une Commission archéologique avait été chargée de reconnaître les champs de ruines algériens, Mais nos savants se fièrent, à Léon l'Africain qui avait écrit; qu'a Hippone tout avait disparu, et les pouvoirs publics se désintéressèrent d'un site qui était recouvert par des fourrés d'épines.
Cette méprise eut, pour premier résultat de laisser morceler le terrain ou gisait la cité ensevelie. Et, malgré la découverte de très belles mosaïques et d'importantes citernes, qui servent, aujourd'hui encore, à l'alimentation de Bône, on continua officiellement à se désintéresser de la ville d'Augustin.

Honneur à l'Academ|e d'Hippone !
Mais, dès 1863, avait été fondée l'Académie d'Hippone, grâce à laquelle les ruines ne furent jamais délaissées. C'est elle, notamment, qui, en 1924, par la voix de M. Erwan Marec, aujourd'hui directeur des Fouilles, lança le cri d'alarme qui, renforcé par les interventions de Stéphane Gsell et d'Albertinl, sans oublier la campagne retentissante de Louis Bertrand en faveur des " villes d'or ". décida l'Administration à approuver un programme d'expropriation du périmètre le plus important des ruines. Que l'exécution de celui-ci ait été difficultueuse, qui oserait en douter ?
N'importe, après un quart de siècle de tractations, sa réalisation est aujourd'hui acquise. D'ores5 et déjà, sur les 60 hectares que recouvrait approximativement la ville antique, 2 ont pu être sauvés et sont devenus propriété de l'État.
Enfin, on va pouvoir travailler!
Que dis-je? On est en pleine action ; on travaille à.cœur joie. Et les résultats obtenus exaltent l'espérance.

Privilège d'Hippone
Je le dis sans ambages : Hippone est privilégiée. Je veux dire que le directeur de ses fouilles, M. Erwan Marec, marin doublé d'un poète, lequel a trouvé là sa troisième vocation, lui consacre une ardeur qui tient de la passion.
La dernière fois que je vis Bône il pleuvait et la tristesse de l'amiral Marec de ne pouvoir me faire visiter ses découvertes était si contagieuse que je suis parti navré d'avoir dù ne pas les voir. Et dans le train glacé et rempli de gouttières qui m'emportait vers Souk-Ahras, la Thagaste où naquit saint Augustin, j'allais soliloquant : " Ah ! si tous les hommes s'acquittaient de leur tache avec cet enthousiasme, que la vie serait belle. ! que vivre serait doux ! Et ce wagon lui-même n'offrirait pas ce spectacle de délabrement sordide " Hélas ! tout le monde ne peut pas être poète ! Regrettons-le.
Et passons.

Amphion ressuscité
M. Erwan Marec n'est pas un poète latent. Cette strophe que j'extrais d'un long poème " Hippone ", publié naguère dans la fastueuse revue " Algeria ", de l'Ofalac en est 1a preuve péremptoire.
Oyez et applaudissez :
Un paganisme aussi vieux que le monde
Retrouve ici son assise profonde
Et tout l'espace en est comme imprégné,
Pan fait chanter le moindre bouquet d'arbres,
Et chaque sac, en exhumant des marbres
Relève un temple où les dieux ont régné.
Je le dis comme je le pense : ces flexibles décasyllabes, dont le rythme et l'intonation sont ceux du " Cimetière marin " de Valéry, expriment l'âme essentielle de l'Hippone initiale que personnifient ces Minerve, ces Esculape et ces Vénus que les fouilles font surgir de la terre et de l'ombre.
En sorte que ce poète qui exhume des dieux enfouis depuis deux mille ans, ce qui légitime le " terra dives " de Virgile appliqué à l'Afrique, qui relève les portiques et les temples abattus, nous fait penser à l'Amphion édifiant Thèbes aux cent portes aux accords de sa lyre.
Sous la conduite de ce résurecteur, dont la courtoisie égale l'érudition et l'éloquence, effectuons hâtivement la visite de son royaume.

Hippone, premiere escale (avant Carthage) des marchands de Sidon
Ava Byrsa elle-même, qui fut la première Carthage, le golfe d'Hippone fut hanté par les marchands phéniciens qui lui auraient donné son nom. lequel n'est pas latin. Cela nous reporte au Xll° siècle avant J.-C.
De cette première installation humaine historiquement attestée, hum.ble escale de " neggociatores " venus de Tyr et de Sidon, il ne reste faut-il le dire ? que de rares documents. On n'ose guère lui attribuer que quelques statuettes de faïence, avec un admirable tronçon de mur à bossage, dont les blocs calcaire, agencés sans mortier, représenteraient le soubassement de " l'emporium " primitif.
D'autres, arguant que la mer a sensiblement reculé, par suite de colmatage, inclinent à voir en cette muraille les restes d'un quai du port du comptoir phénicien. Là seraient venues s'abriter les embarcations transportant la pacotille orientale que l'on écoulait par le troc, le seul moyen d'échange possible à cette époque où la monnaie n'existait pas.
Enfin. de nombreuses stèles funéraires sur lesquelles figure le sigle de Tanit, ont été exhumées sur le versant de la colline où culmine la basilique dédiée à saint Augustin, là même où, aux temps puniques, s'érigeaient les terrasses du sanctuaire de Baâl-Hammom, dieu d'origine syrienne dont Rome fera Saturne.
Quant à l'épithète " royale ", Hippone la devrait au privilège d'avoir été choisie, après Zama, croit-on (201 avant J.-C.) comme résidence par les rois de Numldie, et aussi par besoin de la différencier d'Hippo Diarrhytus, la Bizerte moderne.

Un drame eschylien dans le golfe de Bône
Sautons les siècles, et arrivons à la victoire de César à.Thapsus (46 avant J.-C.) qui consomma la défaite de Pompée et la ruine de l'indépendance du royaume de Juba son allié. Ici, je laisse la parole à l'amiral Marec :
- C'est dans le port d'Hippone que se joue le dernier acte de cette lutte gigantesque, puisque c'est là que le chef du parti pompéien, l'Imperator Metellus Scipion, ayant tenté de gagner l'Espagne, après Thapsus, avec douze vaisseaux non armés et le reste de ses partisans, mais contraint par le mauvais temps à relâcher dans le golfe, y fut surpris par la flotte de Sittius (allié de César) infiniment plus forte et qui eut tôt fait de les encercler. Scipion, se voyant sur le point de tomber au pouvoir de ses ennemis, qui réclamaient à grands cris l'Imperator, répondit d'une voix tonnante du haut de son vaisseau près de couler : " Bene se habet Imperator ! " (l'Imperator se porte bien !) et se perçant de son glaive (ce que fera Juba lui-même), il se précipita dans les flots, n'ayant pas voulu survivre à ce désastre.
Cette mort dramatique de Pompée, drame vraiment éschylien, qui rappelle à un siècle de distance la fin héroïque de la femme d'Asdrubal se jetant dans les flammes lors du sac de Carthage par Sclpion l'Afriain, quel sujet de concours, pour un prix de Rome de peinture et quel thème d'exercice de style pour les apprentis bacheliers des lycées et collèges bônois !

La paix romaine
César vainqueur, il organise sa conquête en juxtaposant " l'Afrlca nova " à " l'Africa vetus " et Bône, maintenant romaine, reçoit Salluste pour premier gouverneur, lequel, s'il n'a pas déjà. écrit " Le Bellum Jugurthinum ", est déjà concussionnaire ou le sera demain.
En dépit de tout, la " Pax romana " s'instaure, et, dès l'ère des Antonlns, le municipe d'Hippone est érigé en " colonie ".
La paix, fille de l'ordre, est mère de l'abondance. La plaine de Bône, naturellement féconde, se couvre de moissons, de vignes et d'oliviers. C'est dire qu'elle participe du fameux " grenier de Rome " que fut l'Afrique pour l'Urbs et ses sportulaires professionnels, dont l'idéal se bornait aux jeux du cirque et au pain. Et nul doute qu'il y avait sur le forum d'Hlppone une personnification de 1'Annona Sancta, déesse du Ravitalllement aux bras nus chargés d'épis avec, pour attribut, une corne d'abondance.
Dès cette époque sont datées les ruines de villas et de " fundi " dont les mosaïques rescapées, aux sujets de chasses et de pêches, nous émerveillent encore par l'art de leur " mise en page " et leur polychromie.

Merveilles archéologiques
La prospérité d'Hippone, de cette époque au Bas-Empire, se révèle dans ses monuments et l'abondance de ses statues, et aussi par les huit routes qui la relient
à l'extérieur.
Au nombre des monuments en partie déblayés, je dois citer les thermes qui s'ornaient d'effigies, dont quatre sont relevées : celle de Minerve, d'Hercule, d'Aphrodite et d'Esculape.
Ces thermes étaient-ce ceux de Sossius où, le 28 août 392, saint Augustin, contempteur de l'Hérésie et champion de l'Unité, rencontra, pour une discussion publique - nous dirions un meeting - le manichéen Fortunat, lequel, confondu par l'apologiste chrétien, s'enfuit sans se convertir ? Et à cet Hercule, aujourd'hui énasé, lui avait-on doré la barbe comme à celui de Carthage dont parle le même Augustin dans l'un de ses sermons ?
Et voici le théâtre. Supérieur par ses dimensions à la majorité de ceux que l'on connaît, d'un décor raffiné, il pouvait contenir 5.000 à 6.000 spectateurs. Quel dommage que les spectacles qui s'y sont déroulés n'aient été que bouffonneries parodies, hilarodies !
Quant au forum, presque entièrement dégagé, lui aussi est remarquable par son ampleur exceptionnelle, puisqu'il mesure 76 mètres sur 43, alors que celui de Timgad ne dépasse pas 50 mètres en son plus long côté.
Ici encore s'érigeait un peuple de statues car les lapicides ne chômaient pas à cette époque, mais celles-ci se distinguent par l'art de leur modèle. Une tête de Vespasien en marbre blanc est frappante entre toutes. D'un réalisme si accrocheur, d'une vie si rayonnante, avec sa bouche onduleuse et la fascination de ses yeux sans regard, qu'on ne peut pas s'en détacher.
Une statue qu'on est sur de ne pas retrouver, c'est; celle de l'empereur Hadrien, laquelle, indique la dédicace, était en argent massif avec une couronne d'or et coûta 120.000 sesterces aux hadrianolâtres !
J'en passe et m'en désole, mais faire le faut, hélas ! Cependant je dirai ce mirifique trophée de bronze, haut de 2 m. 50, découvert sur ce même forum en 1948. Au jugement des archéologues les plus dignes de confiance, cette relique, qui proviendrait d'un mémorial de la victoire de César sur Pompée, est une piéce d'une valeur absolument unique.

Un musée en voie d'achèvement
Ajoute aux merveilles déjà énumérées et à celles que je tais faute de place pour les dire, ce trophée légitime l'érection du musée qui s'achève aujourd'hui sur le Charft-el-Artran, lequel sauvera ces trésors échappés aux sévices des barbares et des siècles, trésors qui semblent prouver qu'Hippone n'était pas indigne de son épithète royale, de
même qu'ils justifient l'appréciation de M. Louis Leschi ; " Hippone doit être un de ces lieux privilégiés où l'humaniste trouve sa dilection. "

Hippone chrétienne
Je voudrais, maintenant, évoquer l'Hippone chrétienne. Plus de place ! Car déjà cette chronique s'étire plus qu'il ne sied. Je dirai simplement que six églises ou chapelles ont été identifiées et que le christianisme dut y être introduit au début du III° siècle. Mais rien jusqu'à aujourd'hui, ne permet d'affirmer que l'on a retrouvé la Basilique de la Paix où, pendant 34 ans offlcia saint Augustin, dont la grande voix retentissait aux quatre échos de la Chrétienté.
Pour finir, je fais mien ie sentiment de M, Marec : " la ville moderne de Bône ne sera véritablement digne de son origine et de son nom que le jour où elle aura su être l'instigatrice et l'ouvrière de la résurrection de son auguste aïeule, le jour où l'ombre d'Augustin l'Africain, revenant hanter les lieux où dort sa chère cité épiscopale, retrouvera devant ses pas, rendu à la lumière et symboliquement ouvert à toutes les foules étroitement unies, le chemin restauré de sa Basilique de la Paix. › (" Hippone,
Antique Hippo Regius ".)
Que ce vœu s'accompllsse ! Que saint Augustin veille sur " l'Africa nova " ! Et qu'il comble de ses grâces ceux qui recherchent sa trace dans la cendre des siècles !
P. S, - Si le musée d'Hippone ne doit pas s'appeler " Musée Albertini ", m'excusera-t-on de suggérer qu'on lui donne le nom de l'auteur des " Villes d'or ", lequel fit du si bon travail en faveur des ruines romaines ? On accapare volontiers le titre de son livre, que l'on pille à tire-larigot. Mais Louis Bertrand mérite mieux que cet hommage sournois et, j'ose le dire, occulte. L'occasion est donc excellente de prouver officiellement qu'on n'est pas des ingrats, ni des pleutres.