Bône
ANNEBA
CAPITALE DE L'EDOUGH
LA NUIT SUR HIPPO-REGIUS

par Claude-Maurice Robert
Echo du 19-2-1952- Transmis par Francis Rambert

ANNEBA
CAPITALE DE L'EDOUGH
LA NUIT SUR HIPPO-REGIUS

Byzance, évincée de l'Afrique, un linceul de ténèbres recouvre Hippo-Regius dont, pendant 40 ans, saint Augustin avait fait un pôle de spiritualité. 0n peut même dire qu'elle mourut avec l'Apôtre et le Champion de l'Unité catholique qui s'éteignit quand les Vandales assaillaient ses remparts. Puis les siècles passèrent et la nuit s'épaissit sur la Cité gisante, qui deviendra un champ de jujubiers sauvages...
.
Les mystères de l'onomastique
Mon ambition. faut-il le dire ? n'est pas d' ici l'histoire de la ville de Bône depuis la chute d'Hippone, dont le tombeau fut .le berceau, Je rappellerai seulement quelques faits peu connus et souvent ignorés de l'Algérien moyen.
Une question préalable s'impose à mon esprit. D'où vient le double nom de Bône et d'Annéba dont les musulmans désignent la capitale de l'Edough, et pourquoi cette appellation double ?
C'est seulement au XIV° siècle qu'Ibn Khaldoun et Léon l'Africain employèrent le vocable Bona et Belad el Hanneb, Le premier de ces noms serait, non pas, comme on le croit ordinairement, issu d'Hippone, mais d'une maraboute locale, Leila Bona.
Quant au second, Annéba, encore usité par les musulmans actuels, il proviendrait des fourrés de jujubiers sauvages qui envahirent Hippo Regius tombée en ruine, le fruit de cet arbuste, qui est le " Ziziphus lotus " se nommant, (comme le raisin) " annab " en langue arabe.
Au Xle siècle, le périégète El Békri, dans sa " Description de l'Afrique septentrionale ", indique sur l'emplacement de Bône, deux villes distinctes. Mais aucune ne porte ce nom ni celui d'Annéba.


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ANNEBABÔNE - ANNEBA
CAPITALE DE L'EDOUGH
LA NUIT SUR HIPPO-REGIUS

Byzance, évincée de l'Afrique, un linceul de ténèbres recouvre Hippo-Regius dont, pendant 40 ans, saint Augustin avait fait un pôle de spiritualité. 0n peut même dire qu'elle mourut avec l'Apôtre et le Champion de l'Unité catholique qui s'éteignit quand les Vandales assaillaient ses remparts. Puis les siècles passèrent et la nuit s'épaissit sur la Cité gisante, qui deviendra un champ de jujubiers sauvages...
.
Les mystères de l'onomastique
Mon ambition. faut-il le dire ? n'est pas d' ici l'histoire de la ville de Bône depuis la chute d'Hippone, dont le tombeau fut .le berceau, Je rappellerai seulement quelques faits peu connus et souvent ignorés de l'Algérien moyen.
Une question préalable s'impose à mon esprit. D'où vient le double nom de Bône et d'Annéba dont les musulmans désignent la capitale de l'Edough, et pourquoi cette appellation double ?
C'est seulement au XIV° siècle qu'Ibn Khaldoun et Léon l'Africain employèrent le vocable Bona et Belad el Hanneb, Le premier de ces noms serait, non pas, comme on le croit ordinairement, issu d'Hippone, mais d'une maraboute locale, Leila Bona.
Quant au second, Annéba, encore usité par les musulmans actuels, il proviendrait des fourrés de jujubiers sauvages qui envahirent Hippo Regius tombée en ruine, le fruit de cet arbuste, qui est le " Ziziphus lotus " se nommant, (comme le raisin) " annab " en langue arabe.
Au Xle siècle, le périégète El Békri, dans sa " Description de l'Afrique septentrionale ", indique sur l'emplacement de Bône, deux villes distinctes. Mais aucune ne porte ce nom ni celui d'Annéba.
L'une, qu'il nomme Médina-Seybouse (du nom de la rivière voisine) serait la ville actuelle ; l'autre, à trois milles de la première, près de la mer, sur une colline escarpée, était " la demeure d'Augochtin, grand docteur de la foi chrétienne " et s'appelait Médina-Zaoui. Au dire du même El Békri, cette Médina-Zaoui renfermait, à l'époque dont il parle, des bazars et un bain.
Notons que ces deux noms ne reparaîtront plus dans les relations de voyage : ils cèdent la place à Bône et Annéba. Comment ne pas rêver aux avatars et aux mystères de la toponymie et de l'onomastique ?

Dès l'an 1034 Bône était un repaire de corsaires
A cette époque déjà, le golfe de Bône et la rivière Seybouse, laquelle serait l'Ulbus antique et le pendant masculin du Sebou de Fez, étaient un repaire de pirates : " C'est de là, selon El Békri, que les galères partent pour faire la course sur les côtes du pays des Roumis, de l'île de Sardaigne, de l'île de Corse et d'autres lieux. "
Las de ces attentats, les chrétiens d'en face réagissent en se coalisant.
Et, en 1034, une armada composée de Pisans. de Gênois et de Provencaux. Enlève Bône aux corsaires. A la suite de ce succès, les relations se renouent avec la chrétienté, Non seulement commerciales, mais spirituelles. Ce qu'attestent deux lettres du pape Grégoire VII, datées de 1076.
L'une adressée à la communauté catholique de Bône. qui avait survécu envers et contre tout, pour l'exhorter à révérer l'évêque Servand qu'il leur envoie; l'autre, au sultan hammadide El Naceur, de Bougie. Pour le remercier de ses bons procédés à l'égard des chrétiens.

Bône change de tyrans
Mais les sultans hammadides n'eurent qu'un règne éphémère et toujours combattu. Traqué par Abd el Moumen, fondateur de la dynastie almohade, qui régnait au Maroc, le dernier hammadide, Yahia Ibn el Aziz, s'embarqua pour Bagdad.
Occupée alors par les chevaliers normands de Roger II, roi de Sicile, Bône est bientôt reprise par le même Abd el Moumen. en 1157.
Relativement libéral doué, d'une intelligence réaliste, dirait-on aujourd'hui. ce prince signa des traités de commerce avec les pêcheurs génois (1160), ouvrant ainsi tous les ports d'Ifrikia aux négociants italiens, moyennant une redevance de 8 %.
En 1165, les Pisans ; en 1186, les Siciliens ; obtenaient les mêmes privilèges des fils et successeurs d'Abd el Moumen.
Mais en Afrique plus qu'ailleurs, rien n'est stable. En 1209 les Bônois se donnèrent aux Almoravides rivaux des Almohades: puis aux Hafsides de Tunis.
Le temps passe...
Et, en 1357. Abou Inane, fils d`Abou Lhacène, sultan mérinide du Maroc, s'empare de Bône. Mais l'émir de Constantine la reprend et la restitue au sultan hafside, Abou Isak II, qui est remonté sur le trône.

Les comptoirs chrétiens à Bône
Quant aux commerçants chrétiens, qui vivent à Bône " en fondouk ", un peu comme les Juifs dans les " mellah "" marocains, on imagine que leur sort, parmi cette succession d'avatars toujours tragiques. n'est ni sûr ni joyeux.
Il importe, ici d'ai1leurs, de signaler que les négociants français furent très longtemps absents ou peu nombreux à Bône. C'est en 1400 seulement que semblent s'amorcer des transactions commerciales entre la France et les Bônols. En 1482, une lettre personnelle de Louis XI, comte de Provence et seigneur de Marseille, " à notre cher ami l'illustrissime roy de Bône ", Abd Allah Mohammed Messaoud, fils du sultan de Tunis, Abou Amar Othman, nous apprend que ces rapports étaient bien précaires encore.

L'Espagne à Bône
A l'époque où " Ludovicus Francorum rex " écrivait au roi de Tunis en termes amicalement diplomatiques, de nouvelles convulsions bouieversaient les États barbaresques, Faute d'un pouvoir central affermi et reconnu (qui n'exista jamais), c'était l'anarchie et le triomphe des condottieres.
A la faveur de ces imbroglios. l'Espagne de Charles Quint, qui, depuis 1512, occupait Bougie, Oran et La Goulette, apparut devant Bône.
Le débarquement eut lieu le 25 août 1535. Après plusieurs tentatives différées, dont une par André Doria, le marquis de Mondejar occupe la ville basse, et Don Alval el Gozal, la casba que les Janissaires de Barberousse avaient abandonnée. Mais les " Maures " ne voulaient pas la paix, et les Espagnols, harcelés par les tribus, mal logés, mai nourris, mal vêtus, étaient démoralisés. Leur misère devint telle qu'officiers et soldats voulaient se faire musulmans.
Cela est écrit en toutes lettres dans un rapport du gouverneur de la casba à Sa Majesté l'Empereur.
Quatre ans passèrent Les soldats n'étant jamais relevés et mariés en Espagne, le mal du pays, ajouté à tout le reste, rendait leur sort intolérable. Finalement, à bout de résistance désespérées, les enseignes, sergents, caporaux de la garnison écrivirent à l'empereur pour le supplier de leur permettre de rentrer en Espagne. Cette même année, Charles-Quint ordonna l'évacuation. L'occupation avait duré cinq ans.
Aussitôt, les Turcs reprirent possession de la place (Elie de la Primaudaire : " L'occupation espagnole en Afrique ").

Le Grand Diable Ferdinand de Toscane
En 1520. des Français avaient ouvert un comptoir au Cap Nègre. En 1524, deux Marseillais s'étaient établis à La Calle pour la pèche du corail. Mais, en 1604, des contestations s'élevèrent avec la Porte ottomane, dont l'Algérie était tributaire depuis les frères Barberousse.
Le Bastion de France fut pillé et détruit, et les équipages français capturés et torturés.
Pour venger le sang chrétien répandu par les Turcs, le Grand Duc Ferdinand de Toscane (surnommé le Grand Diable) organise une expédition répressive, composée d'un contingent français et dont le mot d'ordre était : " Saint Augustin ".
Le débarquement s'opéra sans encombre le 14 septembre 1607. Surprise et terrifiée par cette brusque irruption, la sentinelle de la casba " en perdit la parole et ne put crier à l'arme ". Tous les occupants (150) furent massacrés, à l'exception de deux que l'on gracia pour leur extraordinaire courage " Trente pièces de canon en fonte sur affût et quatre ou cinq pièces en fer ", n'avaient pas empêché le succès des chrétiens : le Grand Diable Ferdinand triomphait du Grand Turc ! Tout cela avait duré six heures.
La retraite suivit immédiatement, " tambours battants et bannières déployées ". Le butin était considérable. On emmenait 1.500 prisonniers, qui furent répartis sur les galères, Quant aux assaillants, ils laissaient 42 morts, que l'on jeta dans les citernes faute de temps pour les inhumer, et aussi pour empêcher que les Turcs ne les mutilent et pour empoisonner les eaux…

En 1609, la basilique de saint Augustin était encore debout
" LES ESTRAINES ROYALES ››, l'ouvrage anonyme publié à Paris en 1608, et dédié " au riomphant et Auguste Henri III, très chrestien roy de France et de Navarre ", d'où j'extrais les faits saillants de cette incursion éclair, et que j'ose dire inconnus de 95 % de nos contemporains sinon de 99, présentent encore un autre attrait : elles nous font connaître ce qu'était Bône à cette époque. car les caravelles, leur exploit accompli, restèrent trois jours dans le golfe avant de regagner Livourne. Ce récit nous apprend notamment que la basilique de saint Augustin était encore debout parmi les ruines d'Híppone en l'an 1607.
Affirmation qui me laisse, je l'avoue, dubitatif. Pour le croire, on voudrait un dessin.

...et sa statue en 1776
Mais voici plus troublant encore. Le capitaine de la Flotte russe Kokovtsov, qui visita les ruines d'Hippone en juillet 1776, rapporte qu'il vit " une grande église en ruine et la statue de saint Augustin, l'évêque de cette Ville ". Et il ajoute ce détail, qui donne à son affifmation un accent de crédibilité : " Tout l'endroit est envahi par des jujubiers qui produisent des fruits semblables la des gousses turques (les fameux " ennaba " dont la ville a tiré le deuxième de ses noms).
Cela 170 ans après l'incursion du Grand Diable toscan, et 54 seulement avant l'occupation française ! Peut-on le croire ? On n'a pas le droit d'en douter, a priori. Et pourtant… Une statue de saint Augustin restée debout tant de siècles après l'abandon d'Hippone par les puissances chrétiennes et le passage de tant d'iconoclistes? Si c'est vrai, c'est invraisemblable, Qu'en pense M, Leschi. directeur du Service des Antiquités algériennes, et M. Erwan Marec, directeur des Fouilles d'Hippone, qui recherchent depuis tant d'années des vestiges lapidaires relatifs à l'auteur de " La Cité de Dieu " ?

La vie des comptoirs .chrétiens
Les relations reprirent entre Français et Bônois. Un comptoir commercial avait été fondé, l'analogue de " l'emporium " phénicien qui fut le berceau d'Hippone.
Ce comptoir dépendait, comme celui de Collo, du gouverneur du Bastion de France établi à La Calle. Et qu'il ait dû subir de graves vicissitudes, maints documents l'attestent. Mais il connut aussi des périodes de bonne entente et de prospérité. Les denrées habituelles du trafic étaient le cuir (peaux de chèvres et de moutons), le corail, la cire d'abeille et de suif, le blé, les laines...
Dans un " règlement " de 1767, on lit ces instructions à l'adresse de l'agent de Bône : " Les laines seront pesées avec toute la justice possible, pour encourager les vendeurs et les engager à. Revenir ". Quant à la cire, " L'agent veillera à ce qu'elle ne soit pas falsifiée ". La fraude ne date pas d'aujourd'hui ! Notons, enfin, que les affaires se traitaient " en langue franque ", qui était le provençal.

La vie sur un volcan
Le temps passe. Les guérillas continuent et l'insécurité. L'homme tue l'homme, le sang coule, et la barbarie s'éternise.
En 1786, la peste fait à Bône de 60 à 80 victimes par jour. Le 16 juin, 103 personnes périssent. Il n'existe ni médecin ni hôpital, bien entendu. " Todo passa ", même le malheur, L'épidémie disparaît, et la vie continue, toujours instable et menacée : comme dans tout le Moghreb, on vit à Bône sur un volcan.
Ainsi jusqu'en 1830, ou Damrémont qui l'occupa sans coup férir, du 2 au 21 août, y trouva 134 pièces de canon et 1.500 habitants. Mais la révolution de Juillet fit évacuer le pays dont l'occuc›ation définitive n'eut lieu qu'en 1832,
Helas ! en deux ans, la situation avait changé et la reconquête fut sanglante. Enfin, incendiée par Ben Aissa, général d'Ahmed Bey, despote de Constantine, Bône n'était plus qu'une ruine, un chaos de décombres,

Pax Gallica
Mais la paix instaurée, la sécurité établie, le pays assaini, grâce à sa position géographique privilégiée, à un travail méthodique et têtu, à d'immenses sacrifices aussi, la bourgade suppliciée d'hier renaquit rapidement. Et, en 1952, 120 ans seulement après son rattachement à la France, en dépit des trois guerres, qui entravèrent son développement, Bône est devenue cette cité florissante de 103.000 habitants, vibrante et pétulante de santé et de joie, de juste orgueil et de foi dans l'avenir : le troisième port par ordre d'importance de l'Algérie française et sa quatrième ville.
Refrain : ici comme ailleurs, la France a bien travaillé.