La micheline
de Blida
Auteur : Jean-Baptiste Salvano
Illustrations: C.D.H.A.
extraits
du numéro 71, 1er trimestre 2019, de "Mémoire vive",
magazine du Centre de Documentation Historique de l'Algérie, avec
l'autorisation de son président.
www.cdha.fr
ici, en mai 2019
Le terminus de la gare de Blida étant
éloigné du centre ville, dès 1920, les CFA avaient
présenté un projet de prolongement de la ligne jusqu'au
centre-ville. Cette idée resta au stade de projet jusqu'en 1947.
Le conseil municipal décide alors de réaliser ce projet.
Celui-ci est approuvé par le Gouvernement Général
et les travaux sont menés rondement pour une mise en service en
1948.
On se doute aisément que tout ne se fit pas sans grincements de
dents ; faire arriver une micheline en plein coeur de la ville ne laissa
pas indifférents les blidéens.
Dans sa première partie la voie avait été placée
au centre de l'avenue de la gare, ce qui laissait suffisamment de place
pour une cir-culation automobile de chaque côté. Par contre
le parcours se terminait rue Lamy, où des voitures, stationnant
le long des trottoirs, compliquaient la circulation. Ne parlons pas des
cyclistes qui se trouvaient obligés de circuler entre les rails
et le trottoir ou encore les calèches qui avaient des difficultés
car leurs roues pouvaient se coincer dans les rails.
Les horaires
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Les voies traversaient le carrefour le plus important
de la ville où un agent de police officiait au " parapluie
" dans le but de gérer le passage.
Quand on consulte la presse locale de l'époque on a une idée
de l'accueil réservé à ce projet par les blidéens.
Les remarques oscillent entre l'hostilité totale et l'ironie assez
sévère.
Voici quelques commentaires humoristiques, sur la Micheline, relevés
dans le journal local " Le Tell " :
" Quoi qu'il en soit les travaux ont commencé. On a creusé
la rue Lamy et l'avenue de la Gare de 50 cm, pour placer, dans la tranchée
ainsi faite, les traverses et les rails.
50 cm C'est dommage ! Quand on pense que si l'on creusait " trois
ou quatre mètres " de plus, on pourrait installer un métro
à Blida ".
" Pour l'instant les commerçants de la rue Lamy et de l'avenue
de la Gare sont mécontents. La circulation, devenue difficile devant
leur magasin leur a enlevé la moitié de leurs clients ".
" En fait, tout le monde parle de la Micheline ; à toute heure
en tout lieu, vous surprendrez des discussions sur ce sujet. Tant et si
bien que Mme X.. a donné à sa fille, qui vient de naître
le prénom de Micheline.
Depuis ce jour, son autre enfant ne fait que pleurer : il veut qu'on l'appelle
" Autorail ".
Cette micheline d'une capacité inférieure à 100 places
avait son utilité au quotidien et quelques-uns de nos professeurs
l'empruntaient pour venir d'Alger. Il y avait 5 allers-retours par jour
et il suffisait d'une petite heure pour relier Blida à Alger.
Une fois la Micheline arrivée au terminus, en haut du Boulevard
des Orangers, le chauffeur descendait de la machine pour reprendre les
commandes à l'autre extrémité. Un jour, le conducteur
ayant sûrement oublié de serrer le frein, la micheline se
mit à descendre lentement le boulevard qui était légèrement
en pente. Les blidéens présents racontent encore aujourd'hui
comment ce conducteur courait après sa Micheline. Finalement c'est
un voyageur qui réussit à casser la vitre d'accès
à la cabine et put serrer le frein avant le carrefour.
La Micheline anima la ville pendant quelques années, le 30 mai
1959, elle disparut de la circulation.
Jean-Baptiste Salvano
Extrait du Mémoire Vive n°71
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