Alger,
ses alentours : Birkadem
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Novembre 2007 Leïla Sebbar. Journal de mes Algéries en France Je revois Samira au Sélect.
Avant son départ à Alger, elle m'envoie une lettre où elle fait le récit
cocasse de sa visite au cimetière chrétien de Birkadem où je lui ai
demandé de retrouver la tombe du fondateur de l'instruction des Indigènes
en Algérie, Eugène Scheer.
Novembre 2007 Chère Leïla, Tu m'as demandé de retrouver
Eugène Scheer, ce n'était pas une mince affaire mais je l'ai fait.
Je me demande parfois comment tu arrives à trouver des informations
aussi précises jusqu'au
détail de l'épitaphe écrite en français et en arabe. Je me suis d'abord rendue au village de Birkadem, c'est-à-dire là où restent encore debout l'église et la mairie de l'époque coloniale, cette ville s'est beaucoup construite sur des fermes qui sont encore réputées pour leurs produits agricoles exceptionnels, bientôt ce sera un mythe. Paris, le 25 novembre 2007-12-09 Au hasard d'une course, je me suis renseignée auprès d'un commerçant qui m'a envoyée sur l'autoroute en me disant que « là haut, tout est mélangé, les chrétiens, les juifs et tout », Quel était donc ce tout ? Et depuis quand un Algérien avec une tache noire sur le front (très long à expliquer : selon certains, cette tache serait le signe que la personne qui la porte fait beaucoup la prière, mais cette marque n'est apparue que depuis peu sur le front de quelques musulmans...) et donc ma question, depuis quand un musulman pratiquant ou même un Algérien X peut-il avoir oublié que sa culture est de tolérance et de respect pour les autres religions ? Se peut-il que cet homme ne sache pas qu'un cimetière chrétien et un cimetière juif, ce n'est pas la même chose. Le temps qui passe me fait peur, et si certains de ton côté de la mer fouillent dans les archives, de notre côté, on enterre soigneusement la mémoire et on retient ce qui sied aux uns et aux autres. A cette période, j'étais dans Camus à qui j'ai envie de demander pardon, que ce cycle de violence se soit ouvert sans jamais se refermer, pardon pour ceux qui ne savent pas qui sont les enfants de leur terre. C'est cette même violence que j'ai vécue en cherchant Eugène, à chaque étape, la religion ou les valeurs sont autant de faux prétextes qui n'expliquent en rien le déni et le mensonge par omission ou autre. Le cimetière était cadenassé, une barre arrachée qui m'aurait permis de m'insinuer sans difficultés, cependant, il était préférable de prévenir la gendarmerie qui était juste en face ; de plus, trois jeunes hommes nous surveillaient déjà depuis un moment, leurs regards n'étaient pas tendres. Les gendarmes m'ayant demandé de m'adresser à la mairie, je me suis imaginé que c'était mission impossible, d'autant plus que je prenais l'avion le lendemain matin pour Prague. Une amie m'accompagnait, heureusement elle ressemble à une Européenne bien qu'elle soit algérienne. N'ayant pas dit un mot à la réception de la mairie, me laissant expliquer notre « cas », l'agent de mairie a vraiment cru qu'elle était française et nous a fait recevoir en urgence par le maire à qui je me suis gardé de dire que c'était pour un livre que prépare Leïla Sebbar, tu sais comme ils se méfient des livres. Il fallait que je trouve une histoire, des Algériennes qui cherchent à rentrer dans un cimetière chrétien, ce n'est pas normal, elles n'ont pas le droit d'être autre chose que musulmanes. J'ai raconté que mon amie devait donner à une amie commune la photo de la tombe de son arrière-grand-père.
Ni le maire
ni ses agents ne savaient rien de cet Eugène Scheer fondateur des écoles
indigènes d'Algérie,
ils m'ont même juré qu'il n'existait aucune épitaphe
écrite en français et en arabe. Ils n'avaient pas d'archives,
encore moins le plan du cimetière.
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