Frejus
en noir et en couleurs
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------Si
l'on vous déclarait comme ça, tout de go, que Fréjus
est, par excellence, un des foyers de la révolution africaine noire,
vous seriez probablement surpris, étonné, peut-être
même sceptique, mais très certainement ébahi. Et pourtant... ------Le 25 novembre 1927, est mort à l'hôpital militaire de Fréjus, dans la plus grande misère et dans l'état physique le plus délabré qui soit, un noir dénommé Lamine Senghor. ------Qui était-il au juste ? ------Il s'agit là d'une figure inconnue du public, d'un individu inconnu de la grande masse de ses contemporains, d'un malheureux-pauvre-nègre quasi anonyme et presque inconnu des services officiels. ------Comment et pourquoi parler de lui aujourd'hui ? ------Voyons d'abord le décor. ------Qu'est-ce que Fréjus et son hôpital viennent faire dans cette aventure hors du commun ? ------A ce stade des évocations, rappelons que Fréjus fut, pendant de longues années et de nombreuses générations, une garnison de troupes coloniales. De nos jours, cette tradition se perpétue encore à travers la nouvelle dénomination des troupes coloniales devenues des troupes de marine, dont certaines restent toujours basées à Fréjus. Ainsi donc, cette ville, lorsqu'elle n'abritait pas de troupes à l'état statique de garnison pour la formation militaire de base des jeunes recrues, servait-elle de camp de transit pour les troupes noires, aussi bien en temps de paix qu'en temps de guerre. Et quand on parle de transit en temps de guerre, il s'agit aussi bien des gros renforts de bataille pour la métropole que des détachements destinés aux colonies, notamment à l'Asie. La différence entre le sens du flux et celui du reflux se dégageait des attitudes et des comportements de ces braves et malheureux soldats. Dans le sens descendant, le spectacle presque lugubre donné par les éclopés rescapés des champs de bataille sur le chemin du retour vers le pays des ancêtres, était celui du désenchantement. Quant à celui des morts et des moribonds qui imposaient un surcroît de travail aux services sanitaires et hospitaliers de Fréjus, il ne manquait pas de gravité. C'est le contact avec cet établissement de traitement qui a fait que la plupart des démobilisés coloniaux continuaient d'y revenir pour s'y faire soigner, ou même... pour y mourir. ------C'est ce qui est arrivé à notre fameux Lamine Senghor. ------Il s'agit d'un sergent Sénégalais, ancien combattant blessé de la grande guerre 14/18, gazé au cours des combats auxquels il a participé, et miné par une implacable tuberculose. ------Rapatrié et démobilisé au Sénégal, en 1919, avec une maigre pension d'invalidité à 30 %, il décida de réagir, mais de réagir à sa façon. Il imagina de miner le système qui l'avait miné dans son corps pour, ensuite, l'abandonner à une vie misérable. Se voyant trop faible pour combattre l'ingratitude dont il avait été l'objet, et se voyant condamné à court terme, il comprit qu'il lui fallait agir avec méthode. ------Revenu en France en 1921, il fonda tout bonnement, et en premier lieu, c'est-à-dire en 1926, ce qui d'ailleurs prêtait à sourire, un "Comité de Défense de la Race Nègre". Pour le compte de ce "Comité" dont il n'était encore que le seul membre, il entreprit de se rendre dans tous les ports situés entre Fréjus et Marseille, où le trafic maritime drainait une certaine masse d'ouvriers noirs. Au nom de ses blessures et de ses décorations, il s'adressait à ses frères de couleur pour fustiger les reniements de la France. Son argument principal n'était pas son dramatique cas personnel, qu'il évoquait seulement à titre d'exemple, mais il stigmatisait surtout la promesse de francisation faite aux combattants noirs pour les inciter à venir se battre et, s'il le fallait, à mourir pour la France. Or, il s'est avéré qu'une fois la victoire acquise, acquise durement et chèrement payée par ces naïfs Noirs des colonies, la promesse de francisation était traîteusement enterrée. Inlassablement, il erra de ville en ville, de bas-fonds en bas-fonds, de quai en quai, pour adresser ses propos aux dockers et marins, nègres d'Afrique, d'Amérique et des Antilles. Il cherchait désespérément, mais sans relâche, à faire naître et vibrer un sentiment de "solidarité raciale". Il s'attachait, en plus et surtout, à prêcher un retour aux sources africaines. C'est alors qu'il lança l'idée d'un panafricanisme des faibles, des opprimés et des exploités. De cette façon, il arriva, en un an, à recruter un bon nombre d'adhérents pour le compte de son Comité. ------Pour prolonger ses plaidoyers, il imagina de fabriquer et de laisser après son passage, un témoin vigilant auprès de ceux qu'il essayait de convaincre. ------C'est ainsi qu'il leur distribuait, plus qu'il ne leur vendait, une sorte d'imprimé qu'il rédigeait lui-même en français, et qu'il faisait tirer à bas prix, avec de modestes moyens de fortune. Les dépenses, pour la réalisation matérielle de ce cri de coeur d'un écorché vif, étaient prélevées sur sa maigre pension. ----Quant au "journal",
il était pompeusement baptisé: "LA VOIX DES NEGRES". Wynna Nat-Iraten |