sur site le 5/03 /2002
-
Mon compatriote Emile Dermenghem
pnha n°50 octobre 1994

11 Ko / 10 s
 
retour
 
-------Il y a des accointances qui marquent certains moments de la vie.
-------Voici ma rencontre avec un personnage hors du commun, doué d'un immense talent poétique, doté d'une sensibilité à fleur de peau qui lui donnait un regard plein de tendresse et qui vouait une véritable passion à la poésie kabyle.
-------Lors de mes activités auprès du Délégué Général du Gouvernement en Algérie, le hasard m'a amené à rechercher de la documentation dans les réserves non exploitées de cette Bibliothèque située juste au-dessus du Forum. Pour me guider dans mes investigations se rapportant, notamment, à des écrivains algériens, le Bibliothécaire, d'abord surpris par mon choix, fit preuve, ensuite, d'une grande érudition en ce domaine. Sa culture n'avait d'égale que l'exquise courtoisie avec laquelle il distillait ses connaissances en prenant soin de limiter l'essentiel de l'oeuvre concernée au cadre de ma prospection.
-------Ces travaux durèrent plusieurs jours au rythme de rencontres intermittentes. Ayant passé en revue les divers auteurs-dits -Européens, bien plus portés à relater ce que le monde extérieur à l'Afrique du Nord avait apporté aux Indigènes, je résolus, un jour, de contenir les travaux aux apports des Berbères au reste du monde.
C'était comme si j'avais soulevé le couvercle de la boîte de Pandore.
-------Faute de témoins d'ordre historique, il a fallu s'en tenir à l'Afrique de l'ère quaternaire. Pour une raison que personne ne peut encore justifier, le vestige le plus ancien auquel rattacher les peuples Berbères est l'Atlanthrope, daté de 450.000 ans de Carbone 14, par l'équipe de l'Abbé Breuil. Par comparaison, rappelons que les vestiges des peuples d'Europe, censés descendre de Cro-magnon ou de Néandertal, ne dépassent pas, en ancienneté, 200 à 250.000 ans. Puis, passèrent les millénaires et les siècles où, sur ce vieux coin de terre, les pratiques devenues des habitudes furent progressivement érigées en code de vie en société.
-------Dans ce défilé remontant aux temps préhistoriques, j'ai appris que les Berbères de l'Est avaient donné, au temps des Mashawashs, des Tjehenous et des Tjemehous, des Pharaons à l'Egypte ; avant d'en arriver à ceux de Libye, qui fournirent des Empereurs pour diriger le monde romain ; ceux de Byzacène,avaient établi aux confins de l'Europe et de l'Asie, sur le Bosphore, une plaque tournante et rayonnante qui prit le nom de Byzance ; ceux de l'Afrique proconsulaire, de Numidie et de la Maurétanie ont secrété des Empereurs, des Rois, des Évêques et des Papes ; et, enfin, des chefs de guerre ainsi que des Administrateurs qui dirigèrent l'Afrique et l' Ibérie pour le compte de puissances orientales. D'un commun accord, il a été convenu de ne pas aborder la période de colonisation française afin de ne pas évoquer le prix renié de la sueur et du sang des Nord-Africains pour la survie de la France.
 

-------Mais, la surprise la plus grande vint de la découverte du rôle joué par les Berbères dans le sauvetage de l'Eglise chrétienne à un moment où les persécutions du colonialisme romain étaient aussi implacables qu'impitoyables. C'est ainsi que, ne pouvant s'implanter à Rome, cette Eglise trouva refuge à Carthage en ne comptant dans ses adeptes et son corps ecclésiastique que des Berbères. Cette page est honorifique pour les Berbères mais déshonorante pour ceux qui la taisent.
-------Un jour, mon Mentor me remit 2 livres à lire avant nos futures retrouvailles : l'un était rédigé par un Kabyle, pionnier du francisme en Kabylie, avant de devenir Professeur à la Faculté des Lettres d'Alger ainsi qu'à l'Ecole Normale des Instituteurs, et auquel il conviendrait de faire rendre un hommage mérité. Cet auteur avait pour nom : Amar Boulifa. Le deuxième livre était un recueil de poésies kabyles rédigé par Emile Dermenghem.
-------J'ai accepté les deux livres en disant que j'avais très bien connu Amar Boulifa puisqu'il était mon oncle, lequel avait veillé personnellement sur mon orientation scolaire.
------- Quant à l'auteur du 2è livre, j'ai dit combien je regrettais de ne découvrir aucun renseignement sur lui et que j'ai toujours souhaité être parmi ceux, très nombreux, qui auraient aimé lui marquer reconnaissance et affection pour ses sentiments envers les Kabyles.
----------Malheureusement, en l'absence de tout indice sur sa vie, nous étions affligés à l'idée de le considérer comme décédé en espérant seulement que quelqu'un en aura témoigné auprès de lui avant sa disparition.
-------Ma main tendue pour un au revoir se retrouva soudain prisonnière de la sienne qu'il enserrait avec beaucoup de douceur, et je l'entends encore murmurer à mon oreille : "Un grand merci, mon frère Kabyle ; Cela valait la peine de ne pas être mort avant d'entendre les mots que vous venez de m'adresser, car je suis Emile Dermenghem".
-------Aujourd'hui, au souvenir de cette scène restée gravée dans ma mémoire, à travers le temps et l'espace, je souhaite transmettre à ce compatriote le message que l'intense émotion qui nous étreignait ce jour+là ne m'a pas permis de lui délivrer : "Où que vous soyez, sur la terre comme au ciel, cher ami des Kabyles, que Dieu vous bénisse, Monsieur Dermenghem".

Wynna Nat-Iraten