-----Quand
parfois la Méditerranée est calme comme un lac, les hautes
falaises rocheuses âpres et dénudées, grises ou ocres
à reflets fauves se dressent entre le bleu de la mer et celui du
ciel.
-----C' est une impressionnante suite de
dents de scie, de caps ou de promontoires déchiquetés de
failles curieusement découpées que gardent des îlots
bizarrement dressés ou des rochers tortueux plus ou moins immergés.
Parfois le continent tombe en murailles continues et abruptes jusqu'à
cent mètres sous l'eau ; parfois il s'ouvre en prodigieux culs-de-sacs
où les Îlots s'engouffrent entre de hautes parois d'un aspect
saisissant ou bien il s'évase en petites criques que bordent des
plages souvent difficiles d'accès aux terriens, faute de route
et même de sentier, mais que les barques des marins peuvent atteindre
sans peine. Pour les géographes, cette côte est considérée
comme inhospitalière ; sans port naturel, elle est, comme ils disent,
une "façade sans fenêtre". Pourtant au point de
vue humain les multiples criques, aussi peu pratiques soient-elles, dangereuses
même pour la navigation moderne en raison des fonds et des vents,
ont connu une activité humaine continue et cela dès la Préhistoire.
Une longue histoire
-----Les côtes
oranaises avec l'île de Rachgoun, ont abrité, depuis les
périodes les plus éloignées, bien des peuples comme
les Acheuléens, les Ibéromaurusiens, les crétois,
les Mycéniens, les Phéniciens, les Numides, les Carthaginois,
les Masaesyles, les Massyles.
-----Les Romains créeront Siga, localité
très importante selon Pline avec acropole, temple dédié
à Saturne, aqueduc, thermes...
-----Comme ailleurs les Vandales ravagèrent
tout en 428.
-----Les Arabes, lors de leur conquête
foudroyante aux VIIè et VIIIè siècles se battirent
contre les Berbères qui professaient l'idolâtrie, le judaïsme
ou le christianisme. Ils s'y établiront donnant Honaïn comme
nom à ce lieu. Les Espagnols les en chasseront et détruiront
tout, laissant le lieu inhabité pendant trois siècles. LesTurcs
s'installeront en 1518. Le système d'administration des Turcs n'allait
pas audelà de la collecte d'impôts. On rapporte qu'une colonne
escortait chaque année un Qadhi juriste et juge à l'embouchure
de la Tafna.
-----Le 20 octobre 1835, les Français
installent une garnison dans l'île de Rachgoun pour empêcher
les Anglais d'amener leurs armes.-----
-----En 1835, l'Émir Abd-el-Kader
soulève 12 000 hommes dans la région contre les Français.
-----En 1837, le Traité de la Tafna
signé avec le Général Bugeaud consacre l'extension
du territoire acquis par l'Émir Abd-el-Kader à la région
du Titteri de Médéa. Il faudra la déclaration de
la guerre sainte de l'Émir en 1839, la prise de la smalah par le
Duc d'Aumale à la source de la Taguine et sa reddition en 1847,
pour que la France apporte sa paix dans cette région.
Un coin paradisiaque
-----La côte
où va s'implanter Beni-Saf sur 1200 mètres, s'étire
en ligne brisée depuis la plage Ouest du Puits jusqu'à la
plage Est de Sidi-Boucif.
-----En arrière, sans discontinuité
avec les falaises abruptes, c'est un enchevêtrement de collines
de 90 à 150 mètres d'altitude qui tombent dans de profonds
ravins creusés par des oueds torrentiels.
-----Sur les pentes des ravins dévalant
vers la mer s'accrochent les "Safs-Safs" à feuilles blanches
veloutées qu'un léger vent fait frémir et que les
français appellent des trembles ou des faux peupliers. Près
des oueds poussent les tamaris, les lauriers-roses et les sentiers sont
bordés de thuyas tordus par le vent. Les coupeurs d'alfa parcourent
ces collines désertiques recouvertes de chardons, de lentisques
où se dressent des caroubiers, des oliviers sauvages, des chênes
verts, des faux poivriers.
-----Les hommes ramassent des blettes sauvages,
de délicieuses petites asperges vertes, ils taillent les palmiers
nains pour en déguster le caeur, ils cueillent les délicieuses
figues noires ou vertes et les rugueuses figues de barbarie. Sur ces étendues
presque désertiques, les chasseurs débusquent les lapins,
les lièvres, les sangliers, font lever les perdrix, les pigeons
sauvages et les alouettes. Dans les fermes, en bordure des villages, il
faut défendre les poulaillers contre les renards et les chacals.
-----Parfois, les enfants trouvent des tortues
ou des caméléons et en soulevant les pierres découvrent
des scorpions blancs ou noirs qu'ils s'amusent à affoler en les
encerclant de brindilles enflammées.
Béni-Saf ! Béni-Saf
!
-----Marie-Louise
Véra-Ariza nous conte avec beaucoup d'émotion l'épopée
de ses aïeux qui ont tant fait sur ces côtes de l'Ouestalgérien.
-----"Nos arrière-grands-pères
sont arrivés à Béni-Saf vers 1870, avec leurs "capacicos",
leurs couffins de mineurs, leurs pioches d'agriculteurs et leurs espadrilles
de pêcheurs. Ils ont fait leur pays en même temps que leurs
gosses et c'est ainsi que, nous, Béni-Safiens ne faisons qu'un
avec la terre, avec la mer, avec la mine, avec le sable, avec les pins
et les platanes, les orangers et les figuiers.
-----Aussi loin que ma mémoire me
ramène, je n'arrive pas à me penser en dehors de ma famille,
de ma rue, la calle de la rue Bugeaud, de ma ville bien-aimée.
Je crois et tout ce que mes grands-parents m'ont raconté (que mes
parents me racontent encore), me le confirme, qu'à Béni-Saf
les gens ont toujours vécu ensemble.
----Chacun a toujours
su, non seulement tout sur la vie de son voisin, mais aussi tout ce qui
concernait les problèmes de la quasi totalité des habitants
de la ville et des environs, Sidi-Safi y compris, que l'on fût jeune,
d'âge mûr ou vieux. C'était sans doute un peu par esprit
de commérage. Mais je crois que, dans ce pays neuf, nous nous sentions
un peu en famille et nous nous portions un intérêt réel,
nous partagions tout.
-----Il faut dire que, même à
mon époque, l'intimité était difficile. Les cours
de tous ceux qui habitaient à la calle de la rue Bugeaud communiquaient
et n'étaient séparées que par un mur de briques.
C'était de vraies cages de résonance et comme on y passait
une bonne partie de la journée, on savait tout du voisin et celui-ci
n'ignorait rien vous concernant. Les murs n'avaient que 2,5 m de hauteur.
Nous nous aimions bien. Cela signifiait-il un accord parfait ! Certes
non. Le climat n'était pas éthéré
. -----Ça se traduisait du temps de
mon grand-père par des batailles rangées du Sourco contre
la Marine ou du Sourco contre le Filtre, et de mon temps à moi
par la rencontre de la calle de la rue Bugeaud et de la calle de la rue
Chanzy. Cela se passait souvent à la "Corria", vaste
clairière réservée d'habitude aux fantasias, en plein
milieu des pins de Sidi-Boucif où les "blocazos" servaient
de langage. Les blocazos sont ni plus ni moins que des coups de cailloux
gros comme le poing que les garçons échangeaient.
-----Vie de communauté, cela voulait
dire un tas de lieux où tout le monde se retrouvait pour le plaisir,
ou le travail : le marché, le souk, la plage de Sidi-Boucif ou
celle du Puits, la place du Vilaje Carton, le boulevard, le cimetière,
l'école, l'église, la marine, l'infirmerie, la compagnie,
le port... Quelle vie pleine ! Mineurs et pêcheurs, commerçants
ou fonctionnaires, tout le monde se retrouvait le soir pour faire de la
musique, du sport ou de la politique, pour monter et descendre le boulevard
ou boire un coup chez Luiso, Marinette Pastor, Aneta, Bienvenue, Nizzoli
ou Robert, pour manger un délicieux "gastofré"
chez Chimili... On adorait le cinéma et Labouze et Ranéa
ont donné bien des joies à nos Béni-Safiens. On aimait
danser et tout était prétexte à bal, de la salle
des fêtes à la plage du Puits chez Millon ou Mario.
-----J'ai gardé de ma vie l'impression
d'une succession de fêtes ; j'ai la mémoire chargée
de mille souvenirs de défilés, de comparsas, de réunions
politiques, de concerts, de bals. de combats épiques ... Tous,
ces événements vécus ensemble. Je me suis souvent
interrogée sur la source d'un tel dynamos me.
-----Ce pourrait être d'abord une rencontre
privilégiée d'hommes forts, d'intelligences lucides, d'esprits
riches et aventureux, de gens venant de partout avec les spécialités
de leur terroir. Tous ces hommes arrivaient jeunes ou mûrs, portant
chacun son expérience, son ingéniosité, son coeur.Ils
avaient eu le courage de quitter leur patrie, de s'embarquer vers des
terres vierges à défricher, de mines inconnues à
exploiter. Parmi eux des aventuriers certes, mais aussi des hommes de
cran, audacieux, imaginatifs.
-----Ayant tout à créer, il
n'est pas étonnant qu'aient pu surgir en même temps que des
maisons ou des jardins, des poètes et des musiciens, des artistes
en tout genre. Avec un pays neuf, pas de tricherie possible. C'est à
la vérité qu'on se heurte chaque jour, à la souffrance.
Celui qui voulait une maison, au début, devait se la faire...
-----L'homme vrai a besoin de beauté
pour survivre, de beauté et d'amitié. Je pense que de là
ont pu surgir et la fraternité et la richesse artistique. Il y
avait chez nous de vrais trouvères, tel le Tio Pancho, qu'on appelait
Trobadores, qui ont été capables de s'exprimer en musique
et en vers. Mes grands-parents et mes parents m'en ont dit des centaines,
tous en espagnol, chantant la vie quotidienne.
-----La création et l'art peuvent
mal se passer de la souffrance. A Béni-Saf les hommes travaillaient
dur : la mine, la pêche, la terre et la subsistance à assurer.
Plus un peuple est pauvre et plus il a besoin de fêtes pour s'équilibrer.
-----A cause de tout cela, notre coin de
terre retient, nous garde. Nous sommes rivés, attachés à
tout jamais par la colle forte de la sueur, de la joie, de la peine, de
l'amitié, du travail de tous ceux qui nous ont précédés.
Le temps a tissé des liens d'éternité entre la terre
et les hommes et nous resterons, quoi que nous fassions, plus BeniSafiens
que Pieds-Noirs et plus Pieds-Noirs que Français. Oui ! Nous sommes
les prisonniers du passé !"
-----Un magnifique album-souvenir est en
vente à l'association présidée par Madame Marie Yvanès-Gonzalez
toujours disponible et heureuse de vous parler de Béni-Saf.
-----Cette association admirable a comme
objectif l'entretien du cimetière européen de Béni-Saf
et malgré les aléas politiques du moment a réussi
à maintenir en l'état ses sépultures.
-----Pour
tous renseignements
Madame Marie Yvanès-Gonzalez
BP 12
28702 Auneau
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