AVEC
LES ORPHELINS DE BÉNI-MESSOUS
Tout près d'Alger,
en un lieu ignoré bien que proche des grandes routes, se dresse,
en haut d'une colline, le bâtiment à la fois imposant et
harmonieux de l'Orphelinat de Beni-Messous. La grande bâtisse
blanche nous apparaît dans un éclaboussement de lumière,
reposant sur le tapis velouté des champs de céréales
et de fourrages que moire la fraîche brise des hauteurs. De cet
endroit, on découvre la mer, infinie et bleue.
L'accueil qui nous est fait, à l'entrée de l'orphelinat,
est des plus charmants, d'abord parce que l'esthétique et l'harmonie
intérieures de l'Établissement correspondent en tous points
à l'impression favorable donnée par la vue d'ensemble
et surtout, parce que l'affabilité des dirigeants et du personnel
est vraiment exquise.
Un tintement de cloche, semblable à celui qui, au cours de nombreuses
années marqua avec régularité nos heures d'écolier,
ébranle l'air de ses notes précipitées et claires.
Puis, lorsque il se tait, il est remplacé par le brouhaha caractéristique
d'une sortie de classe. Effectivement, dans les vastes couloirs se forment
des rangées d'enfants, garçons et filles, vêtus
de tabliers noirs. Leurs maîtres et maîtresses les accompagnent
jusqu'aux cours de récréations où vont se dérouler
les jeux quotidiens, coupant agréablement les heures studieuses.
Sous la conduite des instituteurs détachés à l'orphelinat,
nous visitons le groupe scolaire. Quatre classes aérées
et éclairées par de vastes baies vitrées sont réparties
par groupes de deux dans les ailes latérales du bâtiment.
Les pupitres des enfants sont à leur taille, faits de bois clair
d'une netteté et d'une propreté irréprochables.
Aux murs, une décoration sobre et instructive agrémente
l'ensemble. La chaire des maîtres, les tableaux noirs, complètent
l'ameublement. Comme nous sommes loin des sombres et tristes salles
de classe de notre jeunesse ! Ici, il n'existe plus de sombres pupitres
de bois noir et point n'est besoin de l'antique quinquet clignotant
où brûlait un gaz jaunâtre. La clarté du jour
suffit ; elle apporte joie et santé.
Dans les cours de récréation, nanties de préaux
couverts, presque aussi vertes que la partie découverte, les
élèves s'adonnent, par groupes, à leurs jeux favoris.
Les maîtres surveillent leurs ébats et l'on ne pense point,
en cet instant, aux pénibles circonstances qui ont conduit ici
ces enfants.
L'un des préaux a été transformé en salle
de spectacle. C'est là que, chaque semaine, sont réunis
petits et grands. Un cinéma portatif y est installé pour
la plus grande joie des pensionnaires qui voient défiler sur
la toile blanche de l'écran des films instructifs et récréatifs.
Il faut voir avec quelle joie tous ces bambins prennent place et avec
quel intérêt ils suivent les mouvements de l'opérateur.
Là encore nous découvrons chez tous ces jeunes êtres
le bonheur non dissimulé de vivre dans d'agréables conditions.
Sur les visages, où ont disparu les marques de privations physiques,
brille l'éclat de la santé morale. Toute cette enfonce
est heureuse, la vie ayant pris pour elle, peut-être à
son insu, un sens réel et bon.
Les dortoirs alignent leurs rangées régulières
de petits lits blancs à la tète desquels sont pendus,
en un ordre parfait, quelques vêtements. Comme il doit faire bon
reposer ici ! et comme cela doit changer avec les pièces encombrées
des habitations normales.
Les réfectoires, avec leurs tables aux plateaux de marbre blanc,
donnent encore l'impression de clarté, de netteté, de
propreté, qui domine partout ici. Aux murs, des casiers abritent,
dans leurs alvéoles régulières, les serviettes
des pensionnaires.
Une agréable odeur nous attire vers les cuisines, vastes et aérées
où s'affairent, autour d'un matériel moderne et imposant,
un sympathique chef et ses aides. L'heure du déjeuner approche
et les senteurs s'échappant des grandes marmites luisantes aiguisent
l'appétit.
" Pour vous éviter de revenir, car la visite n'est point
terminée ", nous dit le Principal de l'Établissement,
M. Glas, qui est un charmant cicérone, " je vous invite
à partager, à la fortune du pot, le repas de nos pensionnaires
". Une invitation aussi aimable ne peut être refusée.
Nous voici donc assis à une table dans le réfectoire même
des fillettes. Le menu est excellent ; les plats sont copieux : Potage
de légumes frais avec pâtes, buf en sauce tomate
délicieux et tendre, salade exquise, biscuits.
C'est avec grand appétit d'ailleurs que nous partageons le repas
des orphelines. La vaisselle se passe de luxe et rappelle celle qui
fut la nôtre, des années durant, dans les réfectoires
des écoles. Le quart militaire, dans lequel nous versons notre
vin, nous fait souvenir des heures plus pénibles où nous
portions l'uniforme.
Les tout petits ont aussi leur salle de classe. Le mobilier est à
leur taille et l'on pense, en le voyant, aux contes merveilleux de Swift
promenant Gulliver chez Lilliput. Les enfants y sont sagement assis
sur de minuscules fauteuils entourant des tables rondes ou ovales. Tout
ce petit monde est attentif et suit avec intérêt, les conseils
que leur donne leur dévouée monitrice.
Le réfectoire des petits est encore marqué d'un cachet
spécial. Ce sont deux vastes pièces ouvertes sur un immense
vestibule par où entrent à profusion air et lumière.
Le mobilier est le même que dans la salle de classe et c'est par
" petites tables " que sont servis les enfants. Cela fait
plus intime et cette impression est renforcée du fait que les
murs sont ornés de fresques instructives, peintes de couleurs
vives. Les animaux, les plantes, les fleurs et les fruits y sont représentés
de façon originale et à côté de chacun d'eux,
leur nom est inscrit en gros caractères.
La santé des pensionnaires est florissante. Quelques-uns portent,
à leur entrée dans l'Établissement, les stigmates
de la misère. Quelques jours passés à l'orphelinat
les effacent.
C'est donc une uvre éminemment saine et bienfaitrice que
celle entreprise et réalisée par le Bureau de Bienfaisance
européen de la Ville d'Alger. Grâce à cet organisme,
184 enfants vivent actuellement à l'Orphelinat de Beni-Messous
dans les meilleures conditions d'hygiène physique et morale.
Le résultat obtenu est donc merveilleux et nous savons qu'il
n'est pas encore celui que les promoteurs s'acharnent à conquérir.
Il faut, pour que toutes les misères soient soulagées,
beaucoup de dévouements. C'est là chose acquise, nous
le savons. Mais ce n'est pas tout : il faut aussi énormément
d'argent. Le Bureau de Bienfaisance européen de la Ville d'Alger
a déjà beaucoup fait et ses projets d'avenir méritent
tous les encouragements. Mais il se pose une question. Ces enfants,
arrachés à la misère, vivent là dans les
meilleures conditions jusqu'à l'âge de quatorze ans. Pendant
leur séjour à l'orphelinat, leur sensibilité est
éveillée, leur intelligence cultivée par des maîtres
dévoués. Les conditions matérielles de leur vie
sont excellentes et ils s'y habituent avec d'autant plus de facilité
que leur existence précédente était précaire.
Mais que deviendront ces adolescents le jour où ils quitteront
le refuge heureux, où ils trouvent aujourd'hui tous les secours
moraux et matériels ? Nous savons qu'il est prévu, à
l'Orphelinat, des ateliers. Cette réalisation devrait être
rapidement sur pied, car elle permettrait de donner un métier
aux pensionnaires. Ils sauraient, dès lors, orienter leur vie.
Le Bureau de Bienfaisance européen de la Ville d'Alger mérite
qu'on s'intéresse beaucoup à son uvre surtout pour
l'aider à compléter, dans ce sens, l'éducation
de ses pupilles.
Cette réflexion n'est point une critique, mais notre rôle
d'informateur nous oblige à nous y appesantir. Ce qui est fait
aujourd'hui est une étape. Nous demandons à tous les curs
généreux d'accélérer la réalisation
d'une seconde étape, de façon à ce que le fruit
de tant de sacrifices, de tant de dévouements ne soit point perdu.
Et, connaissant la belle âme des dirigeants du Bureau de Bienfaisance
et du personnel de l'Orphelinat, nous avons la certitude que d'ici peu
sera réalisée cette uvre de prévoyance qui
permettra aux orphelins de Beni-Messous de se tracer un chemin de labeur
honnête et fécond.