Un de mes premiers souvenirs c'est mon arrivée
au lycée, tardive accompagné par mon père depuis
le sud à une journée de train. Je le revois me laissant
entre les mains du surgé et filant dans la grande allée
sans se retourner. Mon intégration s'est faite avec un mois de
retard , les résultats de l'examen de sixième avaient
mis du temps avant de m'atteindre dans mon bled.
Le Professeur d'histoire Montlahuc m'accueillit avec sa rudesse légendaire
et me baptisa"decem annos natus".
Ensuite ma vie de potache prit son cours. Le samedi à midi le
lycée se vidait et nous attendions le lundi matin pour que le
sang renouvelé des externes vienne nous sortir de notre solitude.
Je garde une mémoire tendre des dimanches. Avec mon ami Guy Brody(+)
nous prenions "le chemin romain" pour aller au cinéma
à
El Biar et nous remontions dare dare au lycée pour
pouvoir prendre le repas du soir dans les temps car un surgé
pointilleux était là pour interdire le chemin de la restauration
aux retardataires.
A ce propos j'ai tristement découvert aujourd'hui que pour certains
de nos amis nous sommes devenus les témoins de leurs destins.
Le mercredi soir était une soirée détente, c'était
la soirée réservée au cinéma , à
l'entracte on courait comme des altérés pour boire à
la fontaine se trouvant dans la cour, il faisait si chaud.
De ces longues années il me reste des souvenirs épars
, mais notre motivation était qu'il fallait réussir pour
compenser les sacrifices des parents.
Le milieu était très hétérogène mais
il nous faisait découvrir un pays que nous ne connaissions que
par le petit bout de la lorgnette de notre village.
Nous étions confrontés à des camarades d'origines
diverses et à ce moment là personne n'imaginait que cela
se terminerait comme l'on sait.
Les Professeurs dont je me souviens parceque je pense qu'ils m'ont transmis
quelque chose: Mouloud Mammeri, Hadj Saddok , Vital, Sautin, Bellot.
Les deux premiers, grâce à leur connaissance profonde de
notre langue , m'ont inculqué l'amour du français et de
ses subtilités, de son ambiguïté véhiculée
par la polysémie. Vital , jeune femme Professeur de Physique,
confrontée à des adolescents érectiles, mais compétente
en évitant soigneusement de procéder à un queconque
déconstructivisme.
Enfin Sautin et Belot si au dessus du niveau des classes qu'ils enseignaient,
et dont je mesure rétroactivement la profondeur à l'aune
de ma profession.
Il y avait aussi les amis, notre famille lycéenne, chacun avec
ses habitudes et ses préférences.
Nous n'étions pas conscients que nous étions en train
de forger notre avenir, et comme je l'écrivais il y a quelques
temps à Carbuccia, aujourdh'ui nous nous rendons compte que ce
passé si lent et déjà si loin finalement constituait
une base familière et si chaude à nos coeurs ,une photographie
de notre existence d'alors.
Dromigny m'a permis de renouer avec ce passé en sommeil.
Le premier bac nous fit quitter le bahut pour rejoindre Bugeaud, mais
là les lourds pas de l'Histoire avaient commencé à
ébranler nos vies.
Simon Joseph Agou.