


Répondant à l'aspiration
de tous les hommes de bonne volonté de ce pays
Le lycée franco-musulman
de Ben-Aknoun a été solennellement inauguré hier
par le gouverneur général Léonard, en présence
de nombreuses personnalités politiques de lAlgérie.
Cette cérémonie a revêtu un caractère de
symbole que tous les orateurs ont souligné. Il sagit là
dun événement riche de conséquences.
Dans cet établissement, depuis octobre, sont dispensés,
à près de 400 élèves, confondus, les « enseignements
traditionnels de lIslam et les prestigieuses disciplines de la
culture française ».
Cela découle de la réforme de 1950-51 qui transforme les
médersas en lycée franco-musulman. Les élèves
y suivent lenseignement secondaire que couronne le « bac
» et, parallèlement, un diplôme de fin détudes
islamiques qui leur ouvre, notamment, la carrière de mouderrês.
Sans compter que lInstitut supérieur détudes
islamiques, y puisera également un recrutement de valeur.
Cette rénovation a sauvé les médersas classiques
dont lenseignement nattirait presque plus de scolaires.
Par contre, en juillet dernier, 564 candidats se sont présentés
à lentrée du lycée franco-musulman ; 167
ont été reçus. Le recteur Gau, à ces chiffres,
a insisté sur la nécessité dagrandir les
deux autres medersas. Celle de Tlemcen va lêtre.
A Constantine, lannexe créée récemment ne
répond déjà plus aux besoins.
Le recteur a aussi souligné linnovation que constitue louverture
du nouveau lycée de jeunes filles franco-musulman. Installé
rue Ben-Cheneb, dans les locaux de lancienne médersa, il
a reçu en octobre dernier 27 élèves sur 40 candidates.
« Formule des plus heureuses, a insisté M. Hadj Saddok,
président de lAssociation des anciens élèves
de la medersa, qui résoudra le grave problème de la formation
de la femme musulmane ».
Dans linstauration de cet enseignement bilingue le proviseur Ibnou
Zekrl a voulu voir laffirmation dune uvre sagement
entreprise et suivie. Sadressant alors aux élèves,
il leur déclara : « Répondez à la sollicitude
que lon vous témoigne par la discipline et le travail qui
sont lhonneur de lhomme ».
Engagement quavait dailleurs pris au nom de ses camarades,
lélève de première, Madi Rachid : « Nous
travaillerons assidûment et resterons attachés à
tout ce que notre devoir nous demande dêtre ».
Discours du président
Farès
Mettant en relief les enseignements profitables des cultures arabo-islamique
et française « qui peuvent se combiner heureusement et
donner à ceux qui en recueillent les fruits, les éléments
nécessaires à une exceptionnelle largeur de vue »,
le président de lAssemblée algérienne en
a souligné lincomparable importance :
« Dans cette Algérie du Moghreb, consciente et orgueilleuse
de son originalité, véritable carrefour des civilisations,
les deux éléments ethniques principaux, chrétien
et musulman, sont encore, à mon sens, trop étrangers lun
à lautre. La cause en est dabord pour chacun, de
lignorance de la langue, de la religion, et des murs de
lautre ; la méconnaissance de ce quest, également
pour chacun, la conception des valeurs humaines essentielles dans le
cadre de sa civilisation propre et, cet état de chose, a malheureusement
maintenu une imperméabilité qui nest plus compatible
avec une vie en commun dans lestime et la confiance réciproques.
En donnant à notre jeunesse une double culture, nous détruirons
les causes de cette ignorance, et nous lui permettrons de senrichir
des mutuelles différences.
Dans ce pays, où, avec plus de rapidité quailleurs,
se précipite lévolution générale,
où des hommes de tous les milieux seront appelés demain,
et par leur propre valeur, à occuper des postes essentiels ou
importants à la tête de la marche vers le progrès,
il faut que ceux qui sont issus dorigines différentes se
rejoignent enfin, pour voyager ensemble vers lavenir ».
Le président Farès a également insisté sur
lintérêt quil y avait à développer
« un enseignement identique et largement ouvert pour les filles.
Car en Algérie, surtout en milieu musulman, la différence
entre le pourcentage dinstruction chez les garçons et chez
les filles, est déjà trop gravement ressenti.
Sans même parler du rôle de la femme dans la cité
moderne, a-t-il poursuivi, où elle est de plus en plus appelée,
par goût ou par nécessité, à effectuer les
mêmes tâches que lhomme, les jeunes musulmans, qui
ont été éclairés par la lumière de
linstruction, s'aperçoivent avec terreur que leurs épouses
sont restées trop loin derrière eux. Le remède
doit donc venir de la femme musulmane elle-même ».
Discours de M. R. Léonard
Le Gouverneur général a tout dabord affirmé
sa conviction- que les traditions spirituelles de la vieille Medersa,
« lentement élaborée depuis un siècle, ne
seront en rien oubliées, ni reniées du fait de ce changement
de cadre ».
M. Léonard estime par ailleurs quil ny a pas contradiction
entre le progrès et la tradition sil existe un harmonieux
équilibre entre deux principes opposés.
« Tout ce quil y a de bon dans le passé doit être
utilisé dans le présent pour préparer un avenir
meilleur ».
LAlgérie nest-elle pas, plus quaucun autre
pays, appelé à donner lexemple dune volonté
dharmonie, dans la synthèse ? Nest-elle pas appelée
à faire mentir le fameux aphorisme de Kipling selon lequel lOrient
et lOccident ne se rencontreront jamais
Le Gouverneur général cite alors de nombreux exemples
puisés sur cette terre, infirmant ce point de vue :
« Cest dans cet esprit. Jen suis persuadé,
que les maîtres appelés à enseigner dans ce lycée
participent à luvre d'enrichissement de deux mondes
lun par lautre, et cette uvre répond à
laspiration, consciente ou non, de tous les hommes de bonne volonté
de ce pays. Une amitié et une connaissance mutuelle sont à
préserver, à nourrir, à développer, fondées
sur un idéal commun de justice sociale, de paix et de progrès.
Cest Aristote, lune des sources communes à nos deux
civilisations, qui le disait : Une amitié nest valable,
durable, féconde, que si elle s'oriente vers le bien. Et je trouve
en cette pensée de notre cher Saint-Exupéry la maxime
que nous pourrions inscrire au front de luvre qui sédifie
sur cette terre dAlgérie : « Si tu veux unir les
hommes, conduis-les à bâtir ensemble, et tu les changeras
en frères ».
Puis M. Léonard a défini le rôle incombant aux élites
qui acquièrent dans nos écoles « un bagage culturel
qui leur crée non seulement des droits mais aussi, mais surtout,
des devoirs ».
Et, s'adressant aux jeunes lycéens, le Gouverneur général
leur a dit :
« Demain, vous serez des magistrats, des fonctionnaires, des éducateurs.
Chacune de ces fonctions exigera de vous de solides qualités
professionnelles que vous devez vous efforcer dacquérir,
à la fols pour réussir dans la carrière de votre
choix, et pour maintenir la haute réputation de ce lycée.
Mais vous serez avant tout les pionniers de deux civilisations surs,
les nécessaires intermédiaires, le trait dunion,
entre les différentes races qui vivent sur cette terre algérienne.
Vous porterez, en un mot, un message de fraternité par lequel
vous contribuerez à assurer à ce pays un avenir lumineux
au sein de la grande communauté française