Halles centrales
( plan Vrillon, collection personnelle)
Les Nouvelles Halles Centrales d'Alger.
Une réforme qui s'imposait. - Du provisoire qui peut durer.
- Aspect des bâtiments et économie du système :
Carnet de vente, suppression des séances d'après-midi.
- Réflexions en manière de conclusion provisoire.
Ainsi donc les nouvelles
Halles Centrales d'Alger auront, dans quelques jours, semble-t-il, vaincu
toutes les oppositions, mis en déroute toutes les controverses
suscitées par les projets dont elles sont enfin nées.
C'est en effet chose virtuellement réalisée : le marché
de gros des fruits et primeurs, traditionnellement abrité sous
l'unique hangar et épandu, en plein air, aux abords de la place
de la Lyre, est transféré sur une partie des terrains
qu'occupaient les abattoirs il y a un an : dans la partie Est du quartier
de Belcourt, entre la rue Sadi-Carnot et le boulevard Villaret-Joyeuse.
La première objection qui se présente à l'esprit
est que cet emplacement, dans un quartier excentrique, répond
assez mal à l'idée que l'on se fait habituellement de
Halles dites centrales. A quoi le fonctionnaire des Services municipaux
auprès de qui nous nous sommes documentes à ce sujet réplique
avec bon sens que le développement d'Alger est. concrétisé
par une extension continue de l'agglomération vers l'Est et ne
tardera pas à rapprocher du centre de la ville un point assurément
un peu éloigné do son axe actuel. Et puis, il faut bien
le dire, on n'avait guère le choix : il n'y a pas ailleurs, dans
cette ville " linéaire " qui a poussé d'une
façon un peu désordonnée jusqu'à présent,
deux hectares de terrain vacant. De plus, quand nous avons en toute
franchise exprimé une certaine crainte de voir des frais de transport
grever les denrées entre les Halles centrales et les marchés
de détail, on nous a fait observer aussitôt :
- Le marché de détail de Belcourt, rue de l'Union, est
le plus éloigné actuellement du marché de gros
de la
Place de la Lyre. C'est précisément celui sur
lequel les cours sont peut-être les moins élevés
d'Alger, en dépit des frais de transport intra-muros.
L'argument a sa valeur. Il en est un autre qui a de quoi apaiser plus
sûrement l'Algérois moyen : c'est, que la Municipalité
a la certitude de pouvoir, grâce à l'installation du marché
de gros à Belcourt. faire baisser sensiblement le coût
des denrées, le " prix de la vie "... Nous allons voir
de quelle façon. En l'occurrence, il n'y a pas seulement transfert,
mais bel et bien création. Il faut reconnaître, en effet,
que le carreau de la Lyre ne pouvait décemment plus, depuis longtemps
répondre à la définition que l'on a accoutumé
de donner du " marché central ". Il fallait toutes
les forces coalisées de la routine, de l'empirisme et aussi paraît-il,
de quelques intérêts particuliers, pour laisser supposer
qu'une ville de trois cent mille habitants, - et qui sait, de cinq cent
mille peut-être demain, - pourrait éternellement s'accommoder
d'une Halle à ce point exiguë que les commissionnaires s'y
trouvent dans l'impossibilité de présenter leurs marchandises
autrement qu'entassées, accumulées dans un désordre
inextricable, et rendues parfois même invisibles pour les acheteurs.
Ce défaut de présentation, nous fait-on remarquer dans
les bureaux de la Mairie, a des conséquences graves : il élimine
du marché un important facteur, le plus noble élément
de concurrence, et à coup sûr celui que notre époque
désire le plus vivement de voir jouer librement : la qualité.
Il s'en suit que les transactions se font le plus souvent au jugé,
de confiance, et ce qui est plus déplorable, sans contrôle
possible des cotations annoncées par les commissionnaires, seuls
maîtres du marché.
Nos édiles et les fonctionnaires les plus avertis de ces questions
ont la conviction qu'à la faveur de cette absence de contrôle,
les prix sont couramment doublés dans le seul intervalle de deux
transactions. Situation qui avait de quoi émouvoir des élus
soucieux de défendre les deniers de leurs mandants. C'est de
là que naquit l'idée de " normalisation " des
cours, si fréquemment évoquée depuis deux ans au
sein du Conseil municipal.
Normalisation. Un bien vilain mot pour exprimer un effort très
louable : celui qui consiste à garantir le consommateur contre
les risques continuels qu'engendre le bénéfice illicite,
en imposant une juste limite aux différences de prix entra transactions
de " gros " et transactions de " détail ".
Évidemment, le contrôle qui est la base même d'une
telle réglementation aurait été irréalisable
au marché de la Lyre, où un grand nombre d'opérations
s'effectue, faute de place, en dehors de l'enceinte théorique
de la Halle...
Dix minutes après avoir quitté l'Hôtel-de-Ville
et avoir entendu exposer clairement par M. Dejoux, l'un des chefs de
service des Perceptions communales, l'esprit dans lequel la réforme
était réalisée, nous arrivions, accompagné
en auto par un jeune inspecteur fort actif, rue Sadi-Carnot devant les
anciens abattoirs. Il n'est pas désagréable de constater
que les lieux ont changé sensiblement d'aspect.
Toutefois, Halles Centrales, telles qu'elles se présentent au
regard du visiteur non averti, encore qu'elles soient cinq ou six fois
plus vastes et plus confortables que le Marché de la Lyre, ne
sont pas précisément monumentales. On a même l'impression
que si elles apportent une solution immédiate au problème
que posait la nécessité d'un transfert urgent du "
carreau ", et si cette solution donnera, pour un temps, entière
satisfaction aux mandataires, il n'en est pas moins certain qu'avant
peu d'années, en raison de l'accroissement de la population d'Alger,
elles s'avéreront encore insuffisantes. Aussi bien nous en a-t-on
averti : " Dans leur forme actuelle les nouvelles Halles, que vous
allez visiter, ne constituent qu'un aménagement provisoire :
le projet définitif est encore à l'étude. "
Ce projet définitif, digne d'une capitale comme il est permis
de rêver l'Alger de demain, est d'une conception grandiose, mais,
paraît-il, nullement disproportionnée. Il prévoit
des édifices modernes, spécialement adaptés aux
diverses fonctions de ceux qui les utiliseront, et un matériel
d'exploitation rationnelle et complète, depuis un embranchement
sur la voie ferrée toute proche, jusqu'aux outillages de détail
tels qu'ils existent déjà dans la plupart des grandes
villes d'Europe. Mais ce projet là représente une dépense
de l'ordre de quarante millions, tandis que l'adaptation ingénieuse
des anciens abattoirs à leur nouvelle utilisation n'aura coûté
qu'un million et demi au budget de la commune.
Telle qu'est prévue, pour l'instant, l'organisation du marché
en gros, l'entrée des véhicules, amenant les denrées
vers les Halles, s'effectuera par les portails de la rue
Sadi-Carnot dont nous avons franchi le seuil. L'évacuation
se fera par la porte du boulevard Villaret-Joyeuse. Il semble, en effet,
que ce soit la formule la plus logique : il faut songer à encombrer
le moins possible l'artère très fréquentée
de la rue Sadi-Carnot. Or, les arrivages ont lieu essentiellement la
nuit et le matin de bonne heure. C'est à ce moment que les encombrements
risquent le moins de troubler la circulation sur la rue Sadi-Carnot.
Par contre, les sorties de véhicules se continuent parfois durant
toute la matinée : le large boulevard Villaret-Joyeuse leur donnera
accès non seulement sur la rue de Lyon, mais aussi sur le boulevard
Thiers, spacieux et moins parcouru.
De chaque côté des portails d'entrée ont été
édifiés des pavillons qui sont destinés à
abriter les bureaux des services communaux de contrôle et de perception
du marché et à loger le personnel de ces services.
La modification essentielle apportée dans la structure des anciens
bâtiments des abattoirs, indépendamment d'une complète
remise à neuf des locaux existants, réside dans la construction
de larges auvents latéraux doublant presque la superficie utilisable
de chacun des deux anciens halls d'abatage. De plus, une grande toiture
à double pente, montée comme les auvents, sur charpentes
métalliques, réunit les deux halls en question et réalise,
d'un seul tenant, un vaste pavillon central.
L'espace couvert directement par la toiture métallique, qui réunit
l'un à l'autre les deux anciens halls d'abatage, sera probablement
réservé aux maraîchers qui désireront écouler
directement leurs produits de culture, sans l'intermédiaire de
commissionnaires. Ce projet donnera satisfaction aux producteurs primeuristes.
On se souvient qu'il y a quelques mois leur syndicat envisageait la
création d'un vaste marché coopératif. Ce projet,
évidemment, avait ému vivement tout le commerce de répartition.
Là encore, les nouvelles Halles centrales réaliseront,
semble-t-il, un adroit compromis entre la formule exclusive du "
marché coopératif " et l'ancien marché livré
sans contrôle aux intermédiaires...
Au delà de ce pavillon central, au Sud, a été édifié
un vaste hangar, également métallique, couvrant une superficie
de près de quinze cents mètres carrés et qui servira
également à la présentation des fruits et légumes.
L'espace ne manquera donc pas : c'est une amélioration sensible
dans ce que nous pourrions appeler la physiologie du marché,
cette l'acuité qu'aura désormais chaque commissionnaire
ou producteur d'exposer confortablement sa marchandise, d'en mettre
en valeur éventuellement les avantages de fraîcheur, de
format, de finesse, et de participer ainsi, dans le cadre de la localité
communale, à cette politique de la qualité que préconisent
les économistes modernes.
Mais ce ne sont là que réformes accessoires aux yeux de
l'Administration municipale. Les innovations fondamentales, celles qui,
dans son esprit, doivent réellement permettre de faire "
la vie moins chère " , résident essentiellement dans
la nouvelle réglementation intérieure du marché
de gros, notamment dans l'institution du " Carnet de vente "
obligatoire, tenu par chaque commissionnaire. Ce dernier devra, pour
chaque transaction, inscrire sur ce carnet, avec la désignation
précise des quantités qui en font l'objet, le prix auquel
elle a été effectuée. Cette inscription, par l'emploi
du papier copiant, sera faite simultanément en trois exemplaires
: l'un sera adressé à l'expéditeur et lui permettra
ainsi d'être tenu exactement au courant des résultats du
marché conclu; le second sera remis, à la sortie des Halles,
au bureau du receveur et servira de base à la perception des
droits de marché ; le troisième, enfin, sera fourni à
l'acheteur et les contrôleurs pourront en demander communication
en vue de le confronter avec celui qui aura été remis
à la sortie par le commissionnaire.
Ces fiches permettront du même coup d'établir officiellement
et avec exactitude, chaque jour, les cours moyens réels des divers
produits, de localiser, le cas échéant, les augmentations
excessives enregistrées sur un produit donné et constitueront,
pour le consommateur, un élément de sécurité
en lui permettant de confronter les prix de la veille aux Halles Centrales
avec ceux qui lui seront imposés par ses fournisseurs le jour
même et pour la même marchandise.
L'application de ce système soulèvera, évidemment,
quelques difficultés dans la pratique. Une objection est surtout
opposée fréquemment à rencontre du " carnet
de vente ", nous dit l'aimable fonctionnaire qui nous conduit à
travers les arcades en quinconces des Halles, C'est que de nombreux
indigènes, qui exercent le métier de commissionnaires,
sont, paraît-il, tout à fait illettrés. Mais, ajoute
notre guide, j'ai la conviction que l'on arrivera à aplanir cette
difficulté, pour cette raison bien simple que le Maire d'Alger
a la volonté très ferme de faire aboutir la réforme
en ce sens...
- Vous voyez ces autres bâtiments. Nous voyons en effet. De chaque
côté des esplanades de circulation qui entourent le pavillon
central, des constructions plus modestes d'allure sont divisées
en un grand nombre de pièces.
Voilà qui servira, nous dit-on, de resserre aux commissionnaires
pour leur matériel : corbeilles, instruments de pesage, récipients
divers. Mais, notez-le bien, - c'est la seconde réforme capitale
apportée au règlement du marché de gros - les marchandises
ne pourront, en aucun cas, être entreposées là d'une
séance de vente à l'autre. Les denrées invendues
resteront sur le " carreau " et seront frappées, le
lendemain, de nouveaux droits. Si bien, nous explique-t-on, que les
commissionnaires seront incités à " lâcher
" leurs marchandises à des prix raisonnables et ne pourront
plus fausser les cours en retenant les produits, par devers eux, pendant
vingt-quatre heures...
D'autre part, mesure tout aussi importante, puisqu'elle est le complément
de la précédente, les séances de vente n'auront
plus lieu que le matin. Ainsi sera abolie toute autre série d'influences
néfastes pour les cotations : l'après-midi, en effet,
sur le marché de la Lyre, les détaillants européens
et mozabites des quartiers luxueux de la ville viennent s'approvisionner
et provoquent, par leurs achats à des cours élevés,
une hausse momentanée, qui a sa répercussion, dans la
séance de vente du lendemain matin, sur des produits de qualité
souvent inférieure...
Mais nous voici parvenus à l'autre bout des nouvelles Halles
Centrales. L'ancien marché de Tafoura, le marché arabe
des volailles, des ufs, des peaux, a été installé
en cet endroit. On nous montre des terrains voisins des anciens abattoirs
et qui sont l'objet de procédures d'expropriation pour cause
d'utilité publique... On prépare la réalisation
du grand projet de Halles modernes...
Nous voici rentrés a Alger. On a envie, lorsqu'on revient du
nouveau marché, d'aller faire un tour, le lendemain au petit,
jour, vers le vieux marche grouillant de la place de la Lyre, qui va
bientôt être avalé au rang de marché de détail.
C'est tout un peu de la vie d'Alger qui va disparaître de ce coin
: que vont devenir toutes ces échoppes de commissionnaires des
alentours. " On payait là des loyers infimes. Il va falloir,
me dit un négociant du quartier, s'installer à neuf aux
abords des nouvelles Halles. Tout ça reviendra cher. "
Puisse la normalisation des cours éviter à la ménagère
de payer cette différence de loyer sou par sou, chaque matin,
en faisant son marché. Nous avons bon espoir que la réforme,
réalisée par la Municipalité aux Halles Centrales,
aura dans un avenir prochain toute sa portée.
Nous applaudissons néanmoins au gros effort qui vient d'être
accompli et qui tend à doter la capitale algérienne des
commodités et des contrôles absolument indispensables pour
arriver à un abaissement sensible du " prix de la vie ".
Nous souhaitons en outre que les aménagements définitifs
des halles centrales ne tardent point trop à être exécutés,
malgré les sommes importantes réclamées pour leur
réalisation.