Les Assemblées
algériennes, à droite.
Les Assemblées
algériennes, plan de 1887
Le Palais des Assemblées
Algériennes,
La session des Délégations
financières vient de s'ouvrir. C'est pourquoi les Algérois
ont vu défiler, par leurs rues, un cortège rutilant de
spahis aux manteaux rouges, encadrant l'automobile dans laquelle avait
pris place M. Carde, Gouverneur Général.
Combien, parmi ceux dont la surprise d'assister à ce défilé
a été heureuse, sont-ils allés jusqu'où
se rendait le cortège ? Bien peu, sans doute et, quand bien même
ils auraient suivi la colonne piaffante, ils auraient dû s'arrêter
aux portes du Palais des Assemblées Algériennes.
C'est donc pour eux que nous avons pénétré dans
ce sanctuaire où sont discutées, pesées, les destinées
de la Colonie.
Ce n'est pas, malgré l'importance de la porte d'entrée,
une sensation de grandiose que l'on ressent dès les premiers
pas. L'huissier préposé à la garde de cette première
issue est fort correct, très même, mais on ne passe devant
lui qu'en montrant patte blanche.
- " Monsieur ?... "
- " La Presse. "
- " Votre carte s'il vous plaît ? "
- " Voici. "
- " Merci Monsieur. "
La formalité est simple, mais il la faut accomplir.
Ainsi donc, voici l'antre mystérieux dans lequel se réunissent
les délégués financiers de l'Algérie, chaque
fois qu'il est utile de délibérer sur des questions dont
la gravité est toujours grande.
Quant à nous, nous ne nous occuperons nullement de ces discussions,
nos confrères de la Presse quotidienne emplissant, avec force
détails, de nombreuses colonnes sur les diverses manifestations
de cette assemblée.
C'est plutôt en touriste ou en curieux que nous allons parcourir
les divers couloirs.
Voici le grand vestibule d'entrée formant une cour encadrée
de colonnades. Très haut, les voûtes découpent leur
cadre incurvé sur un décor très beau. Au centre
de l'espace ensoleillé, une immense vasque aux flancs de laquelle
se dessinent de pures formes antiques est entourée de plantes
vertes.
Suivant l'harmonieuse courbe des cintres voici, tout en face de nous,
le plus beau panneau de céramiques dont puisse s'enorgueillir
notre Colonie.
Triptyque évocateur de la vie rurale en Algérie, Cette
composition met immédiatement le visiteur face à face
avec les réalités du moment. Quelques colonnes, aux chapiteaux
ioniques soutiennent une légère corniche au centre de
laquelle s'éclaire une belle verrière de couleur. Et le
beau soleil de l'Algérie se trouve coloré par ces glaces
qui le transforment en jade et en or pur.
Rien n'évoque, avons-nous dit le grandiose. Pour qui a vu les
splendeurs marocaines par exemple, le Palais des Assemblées Algériennes
n'est rien. Si l'on s'en rapporte, entre autre, au palais de justice
de Rabat, tout de marbre, d'onyx et de cèdre, il est évident
que cet édifice n'est qu'un tout petit parent pauvre.
Et cependant, dans ses lignes sobres, grâce à sa simplicité,
le grand escalier qui nous conduit au premier étage, en impose
à chacun.
Voici maintenant les " pas-perdus " où un brouhaha
intense nous montre que cette enceinte n'est point abandonnée
et que, malgré son air sévère, elle n'engendre
point la mélancolie.
En effet, par groupes, les délégués s'amusent semble-t-il,
très bien. Certains rient et parlent haut ; d'autres se contentent
de parler à mi-voix, mais ce qu'ils se disent doit être
très drôle à en juger par la moue joyeuse de chacun.
Enfin, tout le monde est heureux de se retrouver et, pour l'instant,
les affaires sérieuses n'ont point encore acquis le droit de
cité.
De ce côté-ci se sont les vestiaires. Ce lieu est à
peu près vide et ne sert généralement qu'à
quelques vieux messieurs désireux de remettre d'aplomb un nud
de cravate défaillant ou un revers de veston parti à la
dérive
Quelques salles de réunion sont encore là pour occuper
le couloir de face. Il y a sur les portes des indications telles que
celles-ci : " Salle des colons " - " salle des Kabyles
" et enfin... " Buvette ".
A l'instar de la Métropole, l'Algérie a, en effet, doté
ses élus, lorsque ceux-ci se trouvent réunis au Palais
des délibérations, d'une buvette... Une gentille serveuse
est là pour verser à chacun le liquide coloré et
désaltérant.
Mais ce ne sont pas surtout les délégués qui usent
de cet endroit. Les journalistes y font des stations souvent prolongées
et discutent à qui mieux-mieux sur les faits saillants de la
journée, tâchant de " brûler ", si possible,
le confrère trop confiant.
Voici maintenant la salle des délibérations : vaste hémicycle
où s'incurvent plusieurs rangées de pupitres qui ne servent
point de claquoirs comme ceux de la Chambre des Députés.
Nos élus algériens sont plus calmes, plus corrects. Il
en est bien, évidemment qui font de ces pupitres un usage qui
ne leur est point rigoureusement prescrit. Pendant les séances
ce sont, en effet, de nombreuses lettres écrites à des
personnes dont les fonctions n'ont rien les rattachant à nos
assemblées.
Les discours prononcés par les orateurs peuvent ne pas toujours
intéresser, j'en conviens, mais cependant les " écrivains
" assis à leur banc feraient sans doute mieux de faire tout
au moins semblant d'écouter. Enfin, les juges somnolent bien
sous leur toque
Face à l'hémicycle, la tribune officielle semblable à
toutes les tribunes, mais qui diffère cependant par un détail
: au lieu du buste de Marianne, c'est un haut-relief du Gouverneur général
Laferrière qui la domine.
Les loges réservées au public et aux journalistes s'inscrivent
à mi-hauteur des murs et donnent à la salle l'aspect d'un
coin de théâtre avec ses loges d'avant-scène. Cette
impression est encore accentuée, les jours où siègent
les assemblées, par de riantes et claires toilettes féminines
tachant la pénombre de couleurs vives. Dans la loge des journalistes,
les képis galonnés des gendarmes de service et même
du commissaire central, scintillent de tous les feux du plafonnier.
Par les escaliers menant aux divers étages du bâtiment,
les gendarmes de service se promènent du haut en bas de l'édifice
et. dans les couloirs, le silence est seulement troublé par le
bruit de leurs talons sonnant clair et ferme sur le carrelage brillant.
Parfois, un huissier, affairé, débouche tout à
coup d'une porte et s'élance à la poursuite d'on ne sait
quelle personnalité.
Là-bas. le cabinet du Gouverneur Général est défendu
par un homme à la stature imposante, aux moustaches en bataille
et que l'on pourrait croire très méchant si ses bons yeux
rieurs ne démentaient absolument cette impression première.
Tout de noir vêtu, le revers de l'habit couvert d'une imposante
" brochette " de décorations multicolores, le ventre
orné d'un médaillon de forte taille retenu par une chaîne
brillante, l'huissier est l'homme qui entend tout, voit tout mais ne
dit jamais rien. C'est un gentil cerbère, affable et courtois,
grâce à l'obligeance de qui on peut jeter un coup d'il
rapide sur le bureau du chef de la Colonie.
Dans le vestibule, une belle statue antique, dont le relief est merveilleusement
accusé par un éclairage doux et net à la fois,
fait le pendant à d'autres, disséminées un peu
partout, au long des couloirs et dans l'escalier.
Tout près de là, le grand salon avec ses fresques dues
au pinceau de grands artistes est, à lui seul, l'évocation
de toute la beauté de l'Algérie. Scènes de la vie
rurale, évocation des cités mortes ou aujourd'hui prospères
se suivent en un ensemble fort beau.
De confortables fauteuils de cuir, des bureaux, des plantes vertes ornent
cette immense pièce au plafond très haut, ouverte sur
la mer par des baies larges et pleines de soleil.
Des balcons, la vue sur le port est unique. Tout le golfe même
s'étale sous les yeux. Du bleu partout, du soleil à profusion
et là-bas, sur la pointe extrême du cap Matifou se piquent
quelques cubes blancs : les cabanons.
Au vent, juste au milieu de la façade, un grand drapeau tricolore
claque, joyeux lui aussi de saluer cette splendide échappée
sur la mer.
En bas, sous les pieds, des agents et des gendarmes font les cent pas,
parlent tranquillement et quelques promeneurs, intrigués par
ce déploiement inusité de forces, s'arrêtent un
instant, questionnent les représentants de la force publique,
hochent la tête et poursuivent leur chemin.
Dans cette immense salle, dont la décoration est une véritable
page de l'histoire de l'art en Algérie, se trouve encore une
cheminée monumentale en marbre blanc, ornée d'une grille
en fer forgé du goût le plus sûr et d'un caractère
indigène parfait, s'alliant très bien avec l'ensemble
de l'architecture.
C'est, là que viennent se détendre les délégués
financiers, entre les séances. C'est en somme le " Foyer
des artistes " où l'on fume, parle et rit. Les personnes
qui désirent s'entretenir avec les membres des assemblées
y sont reçues et il est assez intéressant de suivre, sur
leur physionomie la marche ascendante de leur surprise heureuse.
Tout, en effet, contribue à donner à ces lieux l'aspect
que l'on attendait ailleurs de grand, de magnifique, de somptueux. L'impression
première, lorsque l'on pénètre dans le Palais des
Assemblées Algériennes, est, non pas quelconque, mais
il semble cependant qu'il manque un cachet de grandeur, de majesté
auquel on s'attend forcément, parce que c'est ici le sanctuaire
où se précisent les destinées de la Colonie.
Et bien, cette impression, on la trouve enfin dans, cette salle. De
la beauté certes, voilà ce qui nous est offert, mais aussi
une profonde sensation de grandeur sereine provoquant, avec le respect,
l'admiration.
Notre visite aux Délégations. Financières est terminée.
Nous laissons à d'autres le soin de critiquer (ou d'applaudir)
les résultats obtenus par ceux qui y siègent.