Le futur Casino Municipal d'Alger
Nos lecteurs trouveront
ci-dessous et ci-contre les projets, de façade définitivement
arrêtés de notre prochain Casino. Municipal qui doit être
terminé pour 1930 et qui s'élèvera à l'angle
du boulevard Carnot, de la rue Waïsse et de la rue de Constantine,
sur l'emplacement actuellement occupé par les baraques, également
municipales, du Conservatoire, du Commissariat Central et du Musée
des Beaux-arts.
Malgré que le futur bâtiment soit d'importance considérable,
bien compris, établi pour le mieux, d'une somptuosité
interne et d'une beauté architecturale dont il convient de féliciter
MM. A. Bluysen et Joachim Richard; les très réputés
et notoires architectes qui le conçurent, on peut amèrement
regretter, pour Alger, les Algérois et les Algériens le
rejet du premier projet autrement splendide, grandiose et décoratif.
Tout le monde sait que le premier emplacement dévolu au Casino
Municipal fut le terrain vague des Casemates, au-dessus du boulevard
Laferrière. Une société se trouvait là qui
venait nous faire l'offre plus qu'aimable et gentille de doter notre
ville d'un véritable palais et d'entreprendre, sans nous demander
un sou, mais au contraire en subventionnant la ville des travaux gigantesques,
qui ne nous auraient rien coûté et qui auraient puissamment
contribué à la parure, à la beauté et au
développement dans tous les ordres, économique, touristique,
intellectuel et artistique de la capitale de l'Afrique du Nord.
L'établissement de grand luxe, en tous points comparable aux
casinos de Deauville, Biarritz, Ostende et autres lieux célèbres
dans le monde entier, comportait théâtre, palace, pavillons
divers pour toutes nos sociétés, salle de concert, bibliothèque,
café, restaurant, jardins, parcs, terrasses monumentales, escaliers,
perrons, péristyles grandioses comme il en est peu au monde et
comme on en trouve peints sur la toile chez Véronèse et
le Lorrain.
Combien cela nous eût enrichis de richesses réelles et
des biens de l'esprit, pour s'en apercevoir il suffira de dire que la
société demanderesse se proposait de dépenser là
une cinquantaine de millions !
Or, cette affaire magnifique, pour des causes que nous n'avons pas à
rechercher, l'administration n'en voulut pas. Le Champ-de-Manuvres
où l'on avait décidé d'édifier certaine
cité administrative fut subitement déclaré insalubre
et le terrain des Casemates fut réaffecté à sa
destination primitive (ruineuse pour nous à cause de l'énormité
des travaux d'utilisation du terrain cette fois effectué à
nos frais - voyez budget ! -) de servir à des bureaux et à
des casernes pour bureaucrates.
Tant pis, tant pis pour nous.
Péniblement, la société ainsi évincée,
après plusieurs années de pourparlers et de frais préparatoires,
put tout de même obtenir le terrain du boulevard Carnot : quatre
mille deux cents mètres. L'impartialité exige que soient
loués très hautement les ingénieux artistes qui,
avec des moyens un peu limités, surent nous constituer un ensemble
d'un si beau style et d'une utilisation, aussi adroite. Les documents
photographiques que nous publions ont certainement plus d'éloquence
que tous les mots qu'on peut dire ; on en jugera.
La bâtisse couvrira les quatre mille deux cents mètres
dont on dispose, mais avant d'entrer dans le détail, peut-être
ne sera-t-il pas mauvais pour permettre au lecteur d'apprécier
la solidité de la société, dont M. Manesse est
le concessionnaire et l'administrateur délégué,
d'en dire quelques mots.
Cette société constituée entre quelques amis, ne
fait appel à aucun concours financier extérieur. Elle
groupe de très hautes personnalités, entre autres MM.
Duhamel, président, propriétaire-fondateur des Grands
Hôtels Parisiens " Ambassador ", "Commodore",
"Savoy" ; etc.; Alletti, administrateur général
des Grands Hôtels de Vichy ; Carrus, ingénieur en chef
de la Ville de Paris, propriétaire du Trianon-Lyrique et commanditaire
de l'Opéra-Comique ; Tassard, directeur Commercial de la Compagnie
Générale d'Électricité de Paris ; Lebrun,
président de la Chambre Syndicale des Hôteliers de France,
et, enfin M. Manesse, créateur, administrateur délégué.
C'est indiquer en peu de phrases tout le sérieux et toute la
respectabilité qui s'attachent à l'entreprise.
Quelques précisions s'imposent également sur les buts
et moyens. En principe, la création à Alger d'un théâtre,
qui sera un vrai théâtre, avec des programmes de véritable
musique, d'incontestable opéra et d'art indéniable, autant
que l'attrait du jeu, le bénéfice du confort et la grâce
du cadre est faite pour attirer de ce côté-ci de l'eau
la grande clientèle internationale et de luxe qui recherche,
sans toujours le trouver, dans les sites les plus réputés
de la Métropole et même de l'Europe, l'oubli de soi-même,
la fièvre du plaisir et l'abrègement sinon la réduction
totale de la douleur que nous éprouvons tous d'être seulement
des hommes dans un univers où l'on s'ennuie. Programmes, vedettes,
grand luxe
Les moyens ne sont pas moins considérables. Le coût du
casino, sauf imprévu - et l'on sait aussi ce que cela veut dire
- s'élèvera à 35 millions de francs, non compris
l'ameublement et la décoration. Le style sera moderne, méditerranéen
et de grandes pages sauront s'écrire sur les murs, dues à
nos artistes les meilleurs et qui rediront, avec une éloquence
intense et colorée, le prestige et les charmes de l'Afrique Mineure,
ce morceau de l'Europe jeté à l'avant-garde du continent
mystérieux. Les oliviers du Tell, la douceur des jardins virgiliens
où le cyprès se mêle à la rose et le jasmin
d'Islam au laurier de la Grèce, la mer, la colline, la montagne
farouche, le sable illimité du Sud et l'intense mélancolie
des terres désertiques s'y exprimeront en des raccourcis brefs
et des synthèses significatives. L'art n'y perdra rien, pas plus
que le commerce, que la circulation des richesses et la circulation
des idées.
Ceci dit, venons-en aux précisions d'exécution. L'énorme
cube de quatre mille deux cents mètres de base se départagera
dans la hauteur en six étages.
C'est d'abord le Théâtre municipal dont la salle contiendra
deux mille places, six cents de plus que notre actuel Opéra.
La visibilité sera parfaite, l'acoustique impeccable, la scène
plus spacieuse que celle de l'Opéra-Comique. On y accédera
par deux entrées, une rue de Constantine, l'autre boulevard Carnot.
Le confort, - sièges, décoration, commodités diverses,
fumoirs, buvette, température toujours égale obtenue par
des moyens spéciaux de chauffage et de réfrigération
- y sera tel qu'aucun théâtre du inonde n'en pourra présenter
d'équivalent ou de pareil.
C'est ensuite, ouvrant au rez-de-chaussée sur la rue de Constantine,
une salle de cinéma luxueuse, d'une contenance de 1.000 places.
C'est encore au 1er étage, le Casino municipal, dont la superficie
sera au moins aussi grande que celle du plus grand Casino de France.
Dès le troisième étage, séparé du
théâtre par une cour extérieure, commencera le palace,
chambres, salles de bains, couloirs, dégagements, cela sur les
quatre façades et cela éclairé et aéré
au centre par une cour-jardin plantée d'arbres, de massifs et
de fleurs qui s'ouvrira au niveau du troisième étage.
Tout en haut enfin et sur toute la portée de la bâtisse
s'étalera une immense terrasse avec pergolas, loggias, jardins
suspendus.
De plus, la place nécessaire sera réservée pour
l'installation d'un Conservatoire municipal de musique et de chant vraiment
digne de l'essor artistique d'Alger et des aspirations de sa jeunesse
: 12 vastes classes et une salle d'auditions.
Et nous devons citer encore le grill-room, le restaurant-dancing du
premier étage, le large hall séparant le Casino du théâtre,
les salles de boule et de baccara, le privé....
Tel est dans ses grandes lignes, et comme on le voit par les photos
reproduites des dessins et maquettes, le futur Casino-Théâtre
municipal d'Alger.
Nous pensons traduire l'opinion générale de nos concitoyens
en déclarant qu'il nous donne entière satisfaction, en
félicitant les promoteurs et en faisant les vux les plus
ardents pour qu'il passe le plus vite possible du règne théorique
du papier et des dessins à l'ère pratique et que nous
apprécions plus, de la réalisation.