le boulevard Carnot - le front de mer - Alger
LE CASINO MUNICIPAL
Le nouveau Casino Municipal d'Alger


Le Casino Municipal

Le nouveau Casino Municipal élève ses imposantes masses architecturales, son corps central et ses deux pavillons latéraux sur l'ancien emplacement d'une construction vétusté, de style Louis-Philippard, qui se vengeait de sa monotonie extérieure de caserne ou de prison en groupant sous son toit des institutions multiples et disparates : un musée d'art, un tribunal de simple police, une geôle et un centre de prophylaxie contre les maladies spéciales.

Par sa ligne et son mouvement, le nouvel édifice est très bien, simple, rationnel comme l'exigeait le matériau employé à le construire et qui fut le ciment armé, d'un plan remarquable, de proportions agréables et fort belles. Pourtant les difficultés à surmonter pour le soustraire à la banalité du style palace furent fort grandes : exiguïté relative de la place disponible, nécessité de se conformer au plan de voirie sur deux côtés imposant les arcades et par là interdisant les mouvements accusés de la façade. De tout cela, les architectes triomphèrent avec honneur, nous dotant d'un monument que sa destination ne vouait du reste pas au grandiose, duquel on ne peut exiger qu'il soit une cathédrale, mais qui est à l'échelle et de justes proportions, sans ornement de surcharge ni luxe inutile, sobre sans insolence, élégant sans clinquant, noble sans austérité et heureusement rehaussé par ses terrasses d'une pointe d'originalité spécifiquement algérienne et locale.
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Afrique du nord illustrée du 26-4-1930 - Francis Rambert
ici, mars 2021

 
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Le Casino Municipal

Le nouveau Casino Municipal élève ses imposantes masses architecturales, son corps central et ses deux pavillons latéraux sur l'ancien emplacement d'une construction vétusté, de style Louis-Philippard, qui se vengeait de sa monotonie extérieure de caserne ou de prison en groupant sous son toit des institutions multiples et disparates : un musée d'art, un tribunal de simple police, une geôle et un centre de prophylaxie contre les maladies spéciales.

Par sa ligne et son mouvement, le nouvel édifice est très bien, simple, rationnel comme l'exigeait le matériau employé à le construire et qui fut le ciment armé, d'un plan remarquable, de proportions agréables et fort belles. Pourtant les difficultés à surmonter pour le soustraire à la banalité du style palace furent fort grandes : exiguïté relative de la place disponible, nécessité de se conformer au plan de voirie sur deux côtés imposant les arcades et par là interdisant les mouvements accusés de la façade. De tout cela, les architectes triomphèrent avec honneur, nous dotant d'un monument que sa destination ne vouait du reste pas au grandiose, duquel on ne peut exiger qu'il soit une cathédrale, mais qui est à l'échelle et de justes proportions, sans ornement de surcharge ni luxe inutile, sobre sans insolence, élégant sans clinquant, noble sans austérité et heureusement rehaussé par ses terrasses d'une pointe d'originalité spécifiquement algérienne et locale.

L'intérieur est d'une ordonnance tout aussi belle et judicieuse. Au sous-sol, les services, les communs, les cuisines et les caves ; au rez-de-chaussée, d'un côté, le théâtre, les portes simples, à l'échelle humaine, s'ouvrant sur la clairière du jardin-garage, qui permettent d'accéder à la salle de spectacles, élégante, bien comprise, d'une acoustique parfaite et d'un dessin charmant, avec ses tapis, ses fauteuils rouges, ses loges, sa rampe, son éclairage et son luxe sourd bien faits pour mettre le spectateur à l'aise sans l'écraser par trop de magnificence ; ailleurs, des locaux à usage d'exploitation hôtelière, puis sur le boulevard, l'entrée du restaurant, l'escalier qui mène au premier étage. Rien d'écrasant, rien qui ne soit en liaison avec l'ensemble : au-dessus des portes à tambour, les fresques aux couleurs, comme il sied, calcaires du peintre Carlos Raimon, d'un algérianisme plutôt relatif et surtout vu de Paris, des murs blancs crème à rehauts d'or discret et intaillés par places de panneaux décoratifs et l'accueil aimable des moelleux tapis d'une lie de vin effacée, sur chaque marche retenus par une large et scintillante bande de cuivre. On monte et c'est le premier étage. Pilastres, hauts plafonds, immense salle que des dénivellations fragmentent pour la nécessité des divers usages, mais que l'œil prend dans un seul regard sous la grande lumière tombée des hautes baies. Des sièges autour des tables rondes : le café, la salle de thé, mais discrète, sans nickel ni rutilance intempestive. Des murs crayeux, de couleur crème, des tentures de velours vert dont le ton rattrape le vert plus pâle des sièges, des plafonds mouvementés de gorges et de corniches d'où tombent, un peu en pyramides renversées, les lampadaires faits de plaques de cristal dépoli. A droite, le bar américain ; à gauche, sur toute la portée de la façade, les salles du restaurant par de hautes fenêtres tendues d'une glace et de rideaux de guipures en contrariant en X larges ouvertes sur le boulevard et les perspectives illimitées de l'horizon marin. Sol carrelé de marbre, feutré de tapis ou fait de bois lisse selon que l'on y passe, qu'on s'y arrête ou qu'on y danse. Un couloir et la salle de baccara, immense pièce tendue d'épaisse moquette d'un grenat sourd hachuré de motifs noirs, les trois tables de jeu, les fauteuils innombrables et profonds. Le double escalier qui mène au théâtre et, réplique de la salle centrale du restaurant, la salle de la boule. Cinq tables, murs vert d'eau filetés d'or, tapis, grandes baies vitrées ouvrant sur le jardin et la rue de Constantine. Il y a là, comme de l'autre côté et à une échelle forcément réduite, quelque chose qui rappelle la grande architecture française et l'élégance de la Galerie des Glaces. A côté, le salon de lecture dans une note colorée différente.

On monte encore et c'est l'hôtel, deux étages de palace. Ameublement sobre et net, hygiénique, sans la frigidité nue du style touring ; fauteuils, tables, lits, miroirs, tapis partout et tentures aux couleurs reposantes. Et partout, pour chaque chambre, une salle de bain, porcelaine blanche et nickel. Cloisons, on pourrait dire étanches, isolatrices, imperméables au bruit, où vous aurez la certitude de vous détendre et de dormir sans voir votre repos à tout moment cassé par les bruits de la vie qui continue, les discours ou les jeux de vos voisins de palier. Des terrasses, des jardins suspendus ou faire de la chaise-longue en contemplant le magnifique déroulement des perspectives : les coteaux et la baie, la ville et la mer.

Tel est le Casino Municipal en soi, dans sa structure et son plan. Il nous faut dire ce qu'il est et ce qu'il se propose d'être, par ailleurs, de par la grâce de ceux qui le dirigent : M. Aletti, qui a la haute main sur l'exploitation, et M. Laurent, délégué du Conseil d'administration, qui l'assiste.

Tous deux sont des hommes charmants, d'accueil ouvert, qui unissent à toutes les qualités de l'homme privé les hautes vertus de l'homme d'affaires. C'est M. Aletti, dont on a pu dire avec raison qu'il était le Napoléon de l'industrie hôtelière française, qui a lancé Vichy et fait de cette bourgade insignifiante en soi, quoique riche de ses eaux fameuses, la reine des stations thermales françaises, la ville des élégances, du luxe et des plaisirs. Un tel homme, aussi actif, possédant son tour de main, son chic et son art, pourra beaucoup pour Alger et c'est un vrai bonheur qu'il soit venu se fixer parmi nous et prendre à tâche d'apporter à notre ville ce qui lui a toujours manqué jusqu'ici : l'appoint du touriste étranger, le mouvement, le luxe, la vie et toutes les ressources qui sont consécutives et qui découlent.

Cela à force d'ingéniosité, de talent dépensé, de travail honnête et consciencieux.
Dancing et jeux n'y seront pas de destination plus immorale qu'ailleurs, bien au contraire; le théâtre nous offrira des spectacles nouveaux.

L'hôtel comme on l'a dit, présentera un confort à peu près inconnu jusqu'ici, sauf dans les très grands hôtels de luxe où les prix, eux aussi, sont de luxe.
La restauration s'affirme supérieure, inégalable quant au choix, à la qualité, à l'art de présenter et à la science des cuiseurs. Le chef Sommer, qui assume la lourde charge de diriger les cuisines, est un véritable artiste.

Construction, immeubles et meubles, matériel, on peut évaluer à une centaine de millions le capital investi dans cette entreprise. Elle se destine à aider à la prospérité d'Alger et de l'Algérie en y attirant les étrangers, en imprimant une vigoureuse impulsion à l'industrie du tourisme et des voyages. Sur notre terre inconnue ou méconnue, dont trop peu savent le charme et les splendeurs, elle provoquera l'afflux des visiteurs, la circulation de l'argent ; elle nous vaudra des ressources nouvelles, du travail, du mouvement, de l'activité, toutes choses dont l'Algérie et les Algériens tireront des profits. Mais à cela seulement ne se bornera pas son rôle et une contre-partie tout autant appréciable est qu'elle contribuera à la colonisation intellectuelle et éducative poursuivi depuis un siècle par la France sur la terre africaine. A notre peuple algérien si valeureux et riche en possibilités, elle apportera un peu de l'esprit de Paris et dans une certaine mesure elle apprendra l'élégance, la tenue, le bon goût, l'amour du beau.

Pour tous ce sera un affinement, un dressage, une ascension vers des modes supérieurs de vivre et de sentir et pour beaucoup, qui se sentiront pousser des dents, un appel à l'énergie, au développement de l'être en force et en puissance, une émulation honnête, l'éveil des désirs qui créent les gestes et les activités.
Et c'est pour toutes ces raisons là, réelles, pratiques, utilitaires ou bien idéales, distantes et même intellectuelles que les Algériens se doivent d'apporter le plus entier concours à la réussite d'une œuvre plutôt désintéressée et de gens délibérément venus vers eux beaucoup plus pour leur être utiles que pour se servir d'eux.