BARAKI
le dur chemin de la mémoire...

« Bonjour,
J'écris pour la revue " Paris -Côte d'Azur". Aujourd'hui ce texte est paru. Le voulez vous pour votre site ?.... »

Alors, je l'ai mis sur le site. Merci à Jocelyne

http://www.jocelynemas.com
http://pariscotedazur.fr/archives/2012/10/21/cannes_baraki

22 mars 2016.- Chers amis et compatriotes

Jocelyne Mas,: «Je tenais à vous informer personnellement du grand honneur qui m'est fait. Je viens d'être promue au titre de "Maître en Littérature" à la prestigieuse Institution de "La Renaissance Française" avec attribution de la Médaille d'Or des Valeurs Francophones, pour l'ensemble de mon oeuvre littéraire.Voir pièces jointes.

Vous dire que je suis émue ne serait pas assez fort. Je pense à mes grands-parents qui reposent là-bas sur cette terre d'Afrique qu'ils ont tant aimée, à mes parents, à la joie et à la fierté qu'ils auraient éprouvées.

Ma grand-mère maternelle, orpheline d'origine sicilienne, ne savait ni lire ni écrire ( à l'époque seuls les garçons allaient à l'école !) et quand son grand frère est devenu "Maître d'école" elle était aussi fière que s'il lui avait annoncé qu'il était Président de la République ! Je sais que de là-haut elle me guide et me protège.»


mise sur site : octobre 2012...+ mars 2016

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le dur chemin de la mémoire...

textes par Jocelyne Mas
Publié le dimanche 21 octobre 2012

Jocelyne Mas habite quartier de l'Europe à Cannes. En face de chez elle, il y a une vieille maison et un magnifique jardin, elle aperçoit de temps en temps un vieux monsieur aux cheveux blancs. Et, en une fraction de seconde, son cœur se remplit d'émotion, les larmes brouillent sa vue. Elle se revoit à Baraki chez son grand-père. Baraki , ce petit village à 20 kilomètres d'Alger, dans la plaine de la Mitidja. Cette plaine si fertile, couverte à perte de vue de vignes, d'oliviers, d'orangers et de citronniers : un enchantement ! L’air embaumait et les yeux ne se lassaient pas d'admirer ce paysage, se rappelle-t-elle.

- Souvenir de Baraki -

Le Grand-Père


« C’est la fin du printemps, il fait beau et doux. La journée a été magnifique. Le ciel est d’un bleu pur, sans un nuage. Le soleil descend doucement et bientôt va disparaître. La fraîcheur s’étale et l’air embaume. Les orangers sont en fleurs et le simple fait de respirer devient un délice de tous les instants.


Au fond du jardin, sous un figuier, un vieux monsieur est assis, sur un banc de bois. Ses cheveux sont blancs, ses yeux bleus semblent se perdre dans l’immensité du ciel. Son sourire un peu édenté, au-dessous d’une petite moustache blanche, est doux. Il est en bleu de travail et semble fatigué. Ses deux mains, posées sur ses genoux, sont larges et noueuses, de grosses veines bleues battent au rythme de son cœur. Il est pensif et triste. Bientôt, il faudra partir, quitter cette maison, qu’il a construite petit à petit, tout au long de sa vie. Et surtout quitter son jardin, cette terre qu’il aime d’un amour viscéral, ses arbres qui sont un peu ses enfants. Il les a plantés tout petits, les a vu grandir, les a soignés, leur a donné de l’engrais et tout son amour. Maintenant, ils ont plus de trente ans et produisent bien. Il en est fier. Il savoure chacun de leurs fruits comme un cadeau de Dieu. Sans qu’il s’en aperçoive, de grosses larmes roulent sur son visage. Au-dessus de lui, les abeilles se gavant de figues bien mûres, bourdonnent. Pourquoi ? Mais pourquoi doivent-ils partir ?

Une fillette s’approche silencieusement. Elle pose sa petite main fraîche sur celle de son grand-père, comme une caresse.

- Grand-père ? Pourquoi pleures-tu ?
- Mais non ! Mais non ! Je ne pleure pas, j’ai reçu une poussière dans l’œil.
- Viens ma pitchounette, viens sur mes genoux.

Ravie, l’enfant grimpe sur les genoux fatigués de son grand-père et se blottit contre lui.

- Dis Pépé, raconte-moi ta vie, demande-t-elle d’une voix pressante et câline.
- Mais je te l’ai déjà racontée, ma vie !
- Oui, mais j’aime tellement quand tu racontes, vas-y recommence, supplie-t-elle.

Et le grand-père avec un gros soupir (d’aise et de contentement) commence à raconter comment ses parents sont arrivés dans ce pays tout neuf. Comment ils ont vécu, dans ce nouveau pays qu’ils voyaient pour la première fois.

Ils venaient de Sicile, parce qu’ils n’avaient pas de travail, et ils n’avaient plus de quoi nourrir leurs cinq enfants. Ici, dans ce pays neuf, le gouvernement leur avait alloué une terre pour qu’ils puissent la faire fructifier, cultiver des légumes, du blé. Enfin pouvoir vivre correctement. Mais cette terre était si sèche, si pierreuse, que le travail de défrichement était très dur et ils étaient si pauvres. Ils n’avaient que leurs mains nues et des outils très rudimentaires, qu’ils avaient fabriqués eux-mêmes. Mais le courage ne leur manquait pas, et du matin jusqu’au soir, ils travaillaient dur. Les enfants aussi aidaient.

Ils dormaient sous une tente, en attendant que le papa, Edouardo, aidé de quelques autres colons comme on les appelait, mais ils ne savaient pas exactement ce que cela voulait dire, construise leur maison. Ils avaient défriché une partie bien plate de ce terrain. Avec toutes les pierres trouvées sur ce terrain, ils avaient coulé une solide fondation. L’eau serpentait tout en bas du terrain, un oued bordé de lauriers roses et jaunes. Il fallait remonter seau par seau, cette eau si précieuse. Et le soir après une journée épuisante, la sublime récompense : aller se laver et se rafraîchir dans ce petit cours d’eau.

Les enfants, après quelques jeux d’éclaboussures, remontaient vite, ils étaient trop épuisés pour jouer. La maman, Maria, en bonne italienne, avait préparé un énorme plat de pâtes, elle avait trouvé des herbes aromatiques dans les environs, un filet d’huile d’olive complétait ce repas bien gagné. Pendant que les enfants s’endormaient rapidement, les parents, leurs voisins et amis, préparaient le travail du lendemain et répartissaient les tâches. Le douar le plus proche était à dix kilomètres. Edouardo irait le lendemain essayer de trouver de l’aide.

La petite fille connaît cette histoire, mais elle la redécouvre à chaque fois et ne se lasse jamais de l’entendre.

Après quelques années assez dures, Edouardo et Maria ont enfin leur maison, une grande pièce, avec trois matelas de crin, un pour les parents derrière un joli rideau et deux pour les enfants qui dorment blottis les uns contre les autres, les plus grands surveillant les plus petits.

Dans un angle, ouvrant sur la vallée, une autre pièce plus petite sert de cuisine, et de laboratoire pour toutes les plantes médicinales. Il y a des petits pots de pommades, des onguents, des herbes séchées servant pour les tisanes. Des tresses d’ail et d’oignons pendent au plafond. Et toutes sortes de plantes et d’herbes.

Maria tous les matins va au village, avec son aînée, Angèle ; elles connaissent maintenant toutes les familles musulmanes ; elles vont apporter leurs soins, en échange de quelques nourritures. Maria connaît les secrets des plantes, elle en cueille en chemin, elle a toujours un grand sac de toile avec elle. Elle connaît les herbes qui soulagent les douleurs, celles qui calment les brûlures, celles qui guérissent les plaies. Elles lavent les yeux des petits et apprennent à leur mère l’hygiène. Tous les jours, elles doivent leur répéter qu’il faut se laver, que c’est nécessaire, qu’il faut faire bouillir l’eau pour les bébés. Elles soignent les plaies infectées des vieillards et commencent à se faire comprendre et à parler leur langage. Elles repartent avec une poule, ou un lapin, ou des œufs.

Maria, sur le chemin du retour, apprend à sa fille tout ce qu’elle sait, elle-même l’a appris de sa mère, qui l’a appris aussi de sa mère.
- Dis, Pépé, est ce que c’est moi qui habiterai dans ta maison, plus tard ? Tu me la donneras avec le jardin, que j’aime tant ?

Et là, la voix de Pépé, s’enroue, il tousse et ne sait comment cacher son émotion. Non, ma chérie, on va partir bientôt dans un autre pays.

- Mais qui habitera ici alors ? Je ne sais pas, répond le grand-père.
- Mais ce n’est pas possible. C’est TA maison, TON jardin. Tu ne vas pas abandonner tous tes grands arbres quand même ! Qui va les arroser, leur donner de l’engrais ? Et les animaux, les poules, les canards, les lapins ? Qui va s’en occuper si tu t’en vas ?
- Je ne sais pas, je ne sais pas.

Et les larmes coulent à nouveau sur les vieilles joues ridées du grand-père. Son cœur est trop lourd, il ne peut plus répondre à sa petite-fille. De toute façon, que lui répondre ? Des hommes ont décidé de son destin. Que peut-il faire ?

Après avoir participé à deux guerres, avoir été gazé à Verdun pour défendre son pays : la France, après avoir échappé à plusieurs attentats, avoir défendu son bien contre les partisans du FLN, s’être battu toute sa vie pour faire sortir de cette terre aride, ce petit coin de paradis, il doit partir. Où, il ne sait pas. Toute sa vie est ici. Son pays, la France, l’abandonne. Il ne comprend pas. Il n’y peut rien. Il ne peut que souffrir (encore). Il aurait pourtant bien mérité de se reposer un peu, maintenant qu’il va vers ses 80 ans. Il aurait aimé finir ses jours sur cette terre qu’il aime ; et qu’elle soit sa dernière demeure. Rester pour l’éternité là-bas sous les eucalyptus. Mais ….

La petite fille non plus, ne comprend pas. Son grand-père qui sait tant de choses, sur la vie, sur les animaux, sur les plantes, quand les planter, quand les récolter. Qui sait comment redémarrer la pompe du puits, qui sait réparer les moteurs, construire, fabriquer des meubles et des jouets, rire et chanter en cueillant ses oranges, prendre grand-mère dans ses bras et la faire tournoyer, en embrassant ses cheveux blancs. Il devrait savoir ! Savoir pourquoi on doit partir ?

les grands-parents de Jocelyne Mas dans leur modeste appartement à Golfe-Juan en 1962 -

les grands-parents de Jocelyne Mas dans leur modeste appartement à Golfe-Juan en 1962 -


Jocelyne Mas