-----La
colonisation française en Algérie ? Du point de vue
qui nous occupe, c'est une aventure qui commence avec des créances
non honorées par la France, puis avec le pillage des trésors
de la Casbah, et qui se clôt avec quelques pièces de
20 francs qu'une organisation anti-indépendantiste, l'O.A.S.,
fait contremarquer de son monogramme à la fin de la guerre
de décolonisation. De 1830 donc, à 1962.
------Entre ces deux dates, une période
durant laquelle le monnayage de l'Algérie fut une succursale
du monnayage français.
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-----Au départ,
la population algérienne disposait de monnaies turques frappées
dans trois villes du deylicat.
-----Ainsi,
dans la période d'activité commerciale intense qui avait
précédé l'implantation définitive, et qui
avait été marquée par la présence d'établissements
français sur la côte, c'est en monnaies turques que se fixaient
les redevances payées par les Européens aux Messieurs d'Alger
: pachas, officiers ; les rentes qu'ils versaient aux notables algériens
responsables de la sécurité des routes, les présents
donatifs destinés à payer les gages des janissaires, les
intérêts à change lunaire des emprunts contractés
au taux de 2 à 3 % par mois. Et la population algérienne
avait déjà résisté à l'utilisation
de jetons qu'une maison de commerce provençale projetait de faire
circuler au Maghreb.
-----Mais
la période la plus intéressante pour le numismate concerne
les douze années qui suivent la prise d'Alger : elle se caractérise
par la coexistence de plusieurs pouvoirs, et la prise en considération,
chez les autorités françaises comme chez l'Emir Abd-el-Kader
qui leur résistait, de l'existence à Alger d'un atelier
monétaire muni d'un équipement de frappe, ainsi que de la
bonne réception par la population des espèces traditionnelles.
Après un temps d'hésitation les monnayages vont se diversifier
de trois manières - -----Un
monnayage de persistance est frappé par le bey de Constantine jusqu'à
sa défaite par les Français, soit pendant sept ans : des
aspers de cuivre au nom du sultan de Constantinople Mahmoud II, des kharoubs,
des boudioud d'argent de 2 à 3 grammes. L'atelier d'Alger, lui,
a dû cesser ses émissions l'année même de la
conquête, soit 1246 de l'Hégire, avec des quarts de boudjous
encore accessibles aujourd'hui au collectionneur.
------ L'introduction
par les Français des francs de la métropole, que la population
accepte mal. Aussi la France songe-t-elle un moment à rouvrir l'ancien
atelier du dey et à utiliser ses flans*. Un arrêté
est pris qui impose le cours de la pièce de cinq francs. Comme
disent les Africains, c'est le temps de la force. Alors, dans la région
kabyle, un mouvement se dessine : des Algériens contremarquent
les monnaies de l'occupant de l'inscription "Sultan Mahmoud. Frappe
à Alger". Ils tentent ainsi de nier monétairement l'événement
colonial.
------ Un
monnayage de résistance, à l'initiative du jeune émir
Abd-el-Kader. Celui-ci se déclare l'adversaire résolu des
envahisseurs et sept ans après leur débarquement, il parvient
à exercer son pouvoir sur la plus grande partie de l'Algérie.
Dans un premier temps, il a fait demander les coins du dey afin de poursuivre
l'émission de monnaies traditionnelles. Le refus des Français
de les lui rendre l'amène à produire des pièces radicalement
nouvelles, les mohammedia. On peut y lire des formules religieuses : "Dieu
nous suffit. Il est le meilleur parti". Monnaies pauvres, de cuivre
ou de billon, elles serviront notamment à payer l'impôt nécessaire
au renforcement économique de cette nation algérienne, ainsi
qu'à la reconstitution et à l'équipement de l'armée,
dans les intervalles de paix.
-----Ainsi,
en ces premiers temps de la colonie, les monnaies ont-elles des utilisations
plus ou moins spécifiées. Les mohammedias d'Abd el-Kader,
péniblement recueillies dans les zones non encore occupées
par les Français, paient la dîme sur les récoltes
(l'achour), l'impôt sur les troupeaux et la contribution exceptionnelle
de guerre. Dans les régions conquises, un général
collecte des milliers de boudjous en faisant bastonner les populations.
-----Avec
l'argent de France, les vainqueurs achètent à vil prix les
villas de riches Turcs en fuite ; un hectare se loue avec deux pièces
d'un franc aux colons les plus pauvres, cependant que des "pionniers"
en gants jaunes font travailler leurs terres par des soldats, pour seulement
8 sous par jour.
---Quelques
années après l'indépendance, des ouvriers travaillant
à la pose d'une conduite trouvèrent une jarre contenant
457 de ces monnaies frappées dans les années 1254 et 1256
de l'Hégire, soit entre mars 1838 et février 1841, dans
l'atelier de l'émir, à Taqdemt, trésor qui témoigne
donc de dix années de résistance. B appartient au collectionneur
de dater les monnaies algériennes postérieures à
la prise d'Alger : à Constantine, rappelons-le, jusqu'en 1837 ;
à Tagdemt, jusqu'en 1842. La conquête de l'Algérie,
pour l'essentiel, est achevée en 1848, et la Banque d'Algérie
est fondée en 1851, c'est-à-dire dans les mêmes années
que les Banques de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Réunion
: les hasards de la chronologie coloniale, dans ses différentes
strates, ont fait coïncider des projets monétaires "assimilationnistes"
distincts, mais parallèles. Parmi la masse imposante des légendes
inscrites sur les coupures et les espèces métalliques de
l'Algérie coloniale, les mentions en écriture arabe sont
des plus rares, et des plus réduites. Les vignettes des billets
de banque vont de l'académique représentation de la Fortune
ou de Mercure, et même des anges dessinés par Cabasson au
XIX` siècle, jusqu'à un réalisme sobre : femme algérienne
souvent dévoilée, esquisse de mosquée ou de chameau.
Mais un exemple remarquable de fonctionnement idéologique est fourni
par un billet de 1940 qui chante l'effort agricole des colons européens
en Algérie. Le sucrier Lebaudy songe à un monnayage qui
le consacrerait "empereur du Sahara"...
-----L'assimilation
totale au système français se traduit par une masse de jetons
monétaires privés qui couvre tous les secteurs, agriculture,
industrie, commerce : pièces d'aluminium des Chambres de commerce
d'Alger, de Bône, d'Oran ; billets de Sétif, de Philippeville
jetons de 0,10 franc de la compagnie minière Mokta el Hadid ; 5
centimes de laiton de la fabrique de crin de Miliana ; jetons de l'Union
des commerçants d'Orléansville, ou de grandes exploitations
agricoles comme le Vignoble du Chapeau de Gendarme à Bône.
-----Prolifération
paramonétaire où le prétexte : l'Algérie est
une colonie de peuplement, sert à en évacuer toute légende
en arabe.
-----Au pôle
de la production, on remarquera des monnaies privées du vignoble
Vera, à Affreville, d'une ferme de plaine de la Mitidja, et de
la Mine de Mons-Djemila : il s'agit dans ce cas d'une pièce valant
une journée de mineur, et marquée comme telle. Au pôle
de la consommation, jeton d'un franc pour l'achat de viande ou de pain,
et jeton d'une célèbre maison de prostitution vers 1900,
le Chat Noir.
-----Officiellement
un billet de 1938 a rendu compte dans une certaine mesure de la personnalité
algérienne. En 1944, année troublée en métropole,
les intitulés de billets se font hésitants sur le statut
: Région Économique d'Algérie. Mais par la suite,
le monnayage colonial reste inchangé, jusque et y compris pendant
les années de la guerre d'Indépendance : les mêmes
mouettes s'envolent sur le même décor monétaire planté
en 1952,et reproduit en 55, 57, 58... Seule l'indépendance de 1962
révolutionne le système, en remplaçant l'unité
monétaire franc par celle du dinar.
* Morceau de métal sur lequel vient s'inscrire
l'empreinte d'une monnaie
Régis Antoine
L'Histoire Curieuse
des Monnaies Coloniales
Ed ACL
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