Les monnaies
Monétairement aussi, l'Algérie c'était la France
sur site le 19-3-2003...+ sept. 2016

16 Ko
retour
 
-----La colonisation française en Algérie ? Du point de vue qui nous occupe, c'est une aventure qui commence avec des créances non honorées par la France, puis avec le pillage des trésors de la Casbah, et qui se clôt avec quelques pièces de 20 francs qu'une organisation anti-indépendantiste, l'O.A.S., fait contremarquer de son monogramme à la fin de la guerre de décolonisation. De 1830 donc, à 1962.
------Entre ces deux dates, une période durant laquelle le monnayage de l'Algérie fut une succursale du monnayage français.

-----Au départ, la population algérienne disposait de monnaies turques frappées dans trois villes du deylicat.
-----Ainsi, dans la période d'activité commerciale intense qui avait précédé l'implantation définitive, et qui avait été marquée par la présence d'établissements français sur la côte, c'est en monnaies turques que se fixaient les redevances payées par les Européens aux Messieurs d'Alger : pachas, officiers ; les rentes qu'ils versaient aux notables algériens responsables de la sécurité des routes, les présents donatifs destinés à payer les gages des janissaires, les intérêts à change lunaire des emprunts contractés au taux de 2 à 3 % par mois. Et la population algérienne avait déjà résisté à l'utilisation de jetons qu'une maison de commerce provençale projetait de faire circuler au Maghreb.
-----Mais la période la plus intéressante pour le numismate concerne les douze années qui suivent la prise d'Alger : elle se caractérise par la coexistence de plusieurs pouvoirs, et la prise en considération, chez les autorités françaises comme chez l'Emir Abd-el-Kader qui leur résistait, de l'existence à Alger d'un atelier monétaire muni d'un équipement de frappe, ainsi que de la bonne réception par la population des espèces traditionnelles. Après un temps d'hésitation les monnayages vont se diversifier de trois manières - -----Un monnayage de persistance est frappé par le bey de Constantine jusqu'à sa défaite par les Français, soit pendant sept ans : des aspers de cuivre au nom du sultan de Constantinople Mahmoud II, des kharoubs, des boudioud d'argent de 2 à 3 grammes. L'atelier d'Alger, lui, a dû cesser ses émissions l'année même de la conquête, soit 1246 de l'Hégire, avec des quarts de boudjous encore accessibles aujourd'hui au collectionneur.
------ L'introduction par les Français des francs de la métropole, que la population accepte mal. Aussi la France songe-t-elle un moment à rouvrir l'ancien atelier du dey et à utiliser ses flans*. Un arrêté est pris qui impose le cours de la pièce de cinq francs. Comme disent les Africains, c'est le temps de la force. Alors, dans la région kabyle, un mouvement se dessine : des Algériens contremarquent les monnaies de l'occupant de l'inscription "Sultan Mahmoud. Frappe à Alger". Ils tentent ainsi de nier monétairement l'événement colonial.
------ Un monnayage de résistance, à l'initiative du jeune émir Abd-el-Kader. Celui-ci se déclare l'adversaire résolu des envahisseurs et sept ans après leur débarquement, il parvient à exercer son pouvoir sur la plus grande partie de l'Algérie. Dans un premier temps, il a fait demander les coins du dey afin de poursuivre l'émission de monnaies traditionnelles. Le refus des Français de les lui rendre l'amène à produire des pièces radicalement nouvelles, les mohammedia. On peut y lire des formules religieuses : "Dieu nous suffit. Il est le meilleur parti". Monnaies pauvres, de cuivre ou de billon, elles serviront notamment à payer l'impôt nécessaire au renforcement économique de cette nation algérienne, ainsi qu'à la reconstitution et à l'équipement de l'armée, dans les intervalles de paix.
-----Ainsi, en ces premiers temps de la colonie, les monnaies ont-elles des utilisations plus ou moins spécifiées. Les mohammedias d'Abd el-Kader, péniblement recueillies dans les zones non encore occupées par les Français, paient la dîme sur les récoltes (l'achour), l'impôt sur les troupeaux et la contribution exceptionnelle de guerre. Dans les régions conquises, un général collecte des milliers de boudjous en faisant bastonner les populations.
-----Avec l'argent de France, les vainqueurs achètent à vil prix les villas de riches Turcs en fuite ; un hectare se loue avec deux pièces d'un franc aux colons les plus pauvres, cependant que des "pionniers" en gants jaunes font travailler leurs terres par des soldats, pour seulement 8 sous par jour.

---Quelques années après l'indépendance, des ouvriers travaillant à la pose d'une conduite trouvèrent une jarre contenant 457 de ces monnaies frappées dans les années 1254 et 1256 de l'Hégire, soit entre mars 1838 et février 1841, dans l'atelier de l'émir, à Taqdemt, trésor qui témoigne donc de dix années de résistance. B appartient au collectionneur de dater les monnaies algériennes postérieures à la prise d'Alger : à Constantine, rappelons-le, jusqu'en 1837 ; à Tagdemt, jusqu'en 1842. La conquête de l'Algérie, pour l'essentiel, est achevée en 1848, et la Banque d'Algérie est fondée en 1851, c'est-à-dire dans les mêmes années que les Banques de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Réunion : les hasards de la chronologie coloniale, dans ses différentes strates, ont fait coïncider des projets monétaires "assimilationnistes" distincts, mais parallèles. Parmi la masse imposante des légendes inscrites sur les coupures et les espèces métalliques de l'Algérie coloniale, les mentions en écriture arabe sont des plus rares, et des plus réduites. Les vignettes des billets de banque vont de l'académique représentation de la Fortune ou de Mercure, et même des anges dessinés par Cabasson au XIX` siècle, jusqu'à un réalisme sobre : femme algérienne souvent dévoilée, esquisse de mosquée ou de chameau. Mais un exemple remarquable de fonctionnement idéologique est fourni par un billet de 1940 qui chante l'effort agricole des colons européens en Algérie. Le sucrier Lebaudy songe à un monnayage qui le consacrerait "empereur du Sahara"...
-----L'assimilation totale au système français se traduit par une masse de jetons monétaires privés qui couvre tous les secteurs, agriculture, industrie, commerce : pièces d'aluminium des Chambres de commerce d'Alger, de Bône, d'Oran ; billets de Sétif, de Philippeville jetons de 0,10 franc de la compagnie minière Mokta el Hadid ; 5 centimes de laiton de la fabrique de crin de Miliana ; jetons de l'Union des commerçants d'Orléansville, ou de grandes exploitations agricoles comme le Vignoble du Chapeau de Gendarme à Bône.
-----Prolifération paramonétaire où le prétexte : l'Algérie est une colonie de peuplement, sert à en évacuer toute légende en arabe.
-----Au pôle de la production, on remarquera des monnaies privées du vignoble Vera, à Affreville, d'une ferme de plaine de la Mitidja, et de la Mine de Mons-Djemila : il s'agit dans ce cas d'une pièce valant une journée de mineur, et marquée comme telle. Au pôle de la consommation, jeton d'un franc pour l'achat de viande ou de pain, et jeton d'une célèbre maison de prostitution vers 1900, le Chat Noir.
-----Officiellement un billet de 1938 a rendu compte dans une certaine mesure de la personnalité algérienne. En 1944, année troublée en métropole, les intitulés de billets se font hésitants sur le statut : Région Économique d'Algérie. Mais par la suite, le monnayage colonial reste inchangé, jusque et y compris pendant les années de la guerre d'Indépendance : les mêmes mouettes s'envolent sur le même décor monétaire planté en 1952,et reproduit en 55, 57, 58... Seule l'indépendance de 1962 révolutionne le système, en remplaçant l'unité monétaire franc par celle du dinar.

* Morceau de métal sur lequel vient s'inscrire l'empreinte d'une monnaie

Régis Antoine
L'Histoire Curieuse
des Monnaies Coloniales
Ed ACL