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BABA HASSEN
Historiquement
Baba Hassen est un pur produit du plan du Comte Guyot qui, dans son rapport
du 12 mars 1842, écrit ceci que j'estime un peu étonnant
tout de même.
Baba Hassen est une ferme appartenant à
un particulier qui, comprenant ses véritables intérêts,
sollicita l'administration de l'exproprier d'une partie de
ses domaines pour établir une population. Les terres
y sont bonnes, et l'eau assez abondante.
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Guyot n'indique ni le nom du solliciteur, ni ses raisons,
ni le prix de vente. Il y aurait là un but de recherche pour un
lecteur motivé. Il s'agissait à coup sûr d'une terre
Melk, donc une propriété
privée reposant sur des titres anciens, ou à défaut,
sur une notoriété indiscutable qui a dû laisser une
trace dans les archives.
Le nom de ce village est d'origine douteuse. Ce pourrait être le
nom d'un célèbre marabout, Ben
Hassen, enterré dans un haouch turc qui devint la propriété
Caracalla. Mais Ben n'est pas Baba ! Le Baba
Hassan est également envisageable, et plus vraisemblable,
surtout si l'on se souvient que la voyelle E n'existe pas dans l'alphabet
arabe. Baba Hassan est le nom de deux deys turcs d'Alger ; le premier
régna de 1681 à 1683 et le second de 1698 à 1700.
Le mot dey est un mot turc qui signifie oncle. Les Algérois ont
donc appelé tonton toutes les têtes de Turcs qui leur servirent
de chef entre 1521 et 1830. Les deys étaient nommés à
vie, mais dans cette fonction à haut risque, ils n'y faisaient
généralement pas de vieux os. Ces deux Baba Hassan ont croisé
l'histoire de France.
Le premier, mécontent de la politique de Louis XIV en Afrique ou
en Méditerranée, nous déclara la guerre, saisit un
navire français qui avait le malheur d'être dans le port
d'Alger au mauvais moment, et vendit son commandant, Beaujeu, comme esclave
! L'année suivante l'Amiral Duquesne vint bombarder la ville d'Alger.
Le dey fut renversé et assassiné en 1683 par son successeur,
un renégat.
Le second, se méfiant de sa propre garde de Janissaires, appliqua
sagement le principe de précaution en se réfugiant sur un
navire français qui le transporta jusqu'à Tripoli en 1700.
En 1848 le guide Quétin décrit ainsi Baba Hassen "
joli village dans un district fertile couvert de broussailles parmi
lesquelles se plaisent les troupeaux. Les belles prairies qui l'avoisinent
produisent de riches récoltes de bons fourrages. Une fontaine excellente
fournit l'eau nécessaire au besoin des habitants dont le nombre
se monte aujourd'hui à 64 familles ".
Ce texte appelle les commentaires que voici :
Le succès de Baba Hassen fut rapide : 64 familles établies
en 5 ans, c'est une sorte de record pour un village créé
par les deux arrêtés gouvernementaux des
8 et 12 mai 1843.
Bien sûr
les défrichements étaient loin d'être terminés,
malgré le risque de perte des
concessions dû aux ordonnances d'octobre 1844
et de juillet 1846 qui auraient permis
d'infliger aux concessionnaires négligents un impôt spécial
de 10 francs par an et par hectare. Ils auraient même pu être
expropriés car " l'inculture est une cause suffisante d'expropriation
". Heureusement cette législation fut peu appliquée.
Néanmoins elle était inquiétante, et les colons protestèrent
si fort qu'après la chute de la Monarchie, Napoléon III
institua, en mars 1851 une "
Commission des Transactions et Partages
" pour régler les cas litigieux. En juin 1851 une loi annula
les dispositions contestées des ordonnances de 1844 et1846.
La commission travailla 16 ans, et lorsqu'elle fut dissoute en 1867, elle
avait rendu aux anciens propriétaires les 2/3 des terrains expropriés.
Avec le 1/3 restant le Service de la colonisation agrandit quelques villages
et " créa des fermes isolées dans les espaces vides
entre les villages " là où la sécurité
paraissait garantie. Ce fut le cas dans le Sahel où les fermes
intercalaires, souvent modestes, étaient nombreuses.
La vigne
n'est même pas mentionnée. C'est normal : on ne savait pas,
à cause de la chaleur des étés, produire des vins
qui se conservent et qui puissent être vendus. L'essor du vignoble
attendit les travaux de Pasteur sur les fermentations. S'il y avait quelques
pieds de vigne, c'était pour le raisin de table.
Trois dates seulement à
proposer
1843 - mai Fondation du centre de
colonisation de Baba Hassen, dans la commune de Douéra
1875 - Baba Hassen est promu CPE
1952 - Construction d'une nouvelle
église ( transformée en mosquée après 1962).
Le territoire communal
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Le territoire
communal
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Géographiquement
Baba Hassen est quasiment au centre du Sahel oriental. De ce village on
n'aperçoit ni la mer, ni la plaine de la Mitidja dont il est séparé
par ses voisins du sud. Au total six communes l'entourent, toutes plus
grandes sauf El Achour qui était la plus petite commune française
d'Algérie. Baba Hassen, avec ses 1048ha, était la deuxième
plus petite ; à peine 5km de long sur, au maximum, 2,5 de large.
C'est un plateau entaillé par quelques affluents de l'oued Kerma
(branche occidentale) qui limite la commune au sud. Les altitudes extrêmes
sont 193m au nord du village et 105m sur l'oued Kerma du côté
de Saoula.
Dans le paysage rural, c'est bien la vigne qui domine
à partir de la fin du XIX è siècle et jusqu'en 1962.
Mais elle na jamais été exclusive ; les colons ont gardé
l'habitude d'ajouter pommes de terre et jardins de légumes n'exigeant
pas d'irrigation.
Il y a de nombreuses petites fermes parfois entourées d'eucalyptus
; et deux grandes qui sont nommées sur la carte. Le toponyme Khodja
fait songer à un prénom d'origine turque ; probablement
un ancien haouch abandonné en 1830 de gré ou de force.
Le village centre
a la forme rectangulaire classique de la plupart des centres de peuplement
créés ex-nihilo par une volonté politique. C'est
presque un modèle du genre. Presque, malgré son damier de
rues perpendiculaires car la place centrale a été divisée
en quatre morceaux (3 boulodromes et un mini square) et aussi parce que
l'église est tout à fait périphérique. Cet
isolement en bordure du village européen (et plus tard de la mechta
arabe) a une explication simple. Guyot n'avait pas prévu d'église
: les premiers paroissiens de Baba Hassen dépendaient de l'église
prévue à Douéra. Quand on construisit l'église
de Baba Hassen on récupéra le terrain d'une ancienne tour
de guet devenue inutile. Comme tous les centres de peuplement des années
1840 Baba Hassen était protégé par quatre tours de
guet ; la première étant même antérieure à
la création du village, car, depuis 1834, elle abritait les soldats
qui surveillaient la toute nouvelle route de Douéra à Alger
par El Biar, terminée en 1832. Les rues étaient bordées
de trottoirs plantés d'arbres qui étaient surtout des troènes
et des mûriers ; quelques faux poivriers aussi, je crois. Les maisons
étaient jointives.
En 1930 il y avait déjà des cafés et un hôtel
restaurant, une épicerie et un boulanger, mais pas de boucherie,
et moins encore de charcuterie, car chaque famille tuait son porc vers
la Noël. Pas de médecin, ni de pharmacien avant les années
1950.
En dehors des fermes il n'y avait aucun autre lieu habité
dans cette commune ; et pas de monument autre que le modeste monument
aux morts de la grande guerre, élevé près de la Mairie.
Pour une fois la mémoire assez phénoménale
d'un cousin me permet de proposer un plan cadastral du village pas trop
incomplet et sans trop d'erreurs, valable pour le début des années
1930. Une version de ce plan adaptée pour 1950 existe sur le site
d'Andrée Covas.
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Le plan
cadastral du village
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La desserte du village
était assurée par les autobus Seygfried et Cie de la ligne
Alger-Douéra par Dély Ibrahim, qui faisaient un tout petit
détour pour pénétrer dans le village. Cette société
fut à la fin, rachetée par les Auto-Cars Blidéens.
Suppléments
Mes documents, et plus encore les souvenirs d'un cousin né en 1923,
me poussent à rédiger plusieurs suppléments.
Sur quelques aspects de la vie au village dans les années 1930
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Les marchands ambulants
Sauf au moment des vendanges, le village est très calme et très
silencieux. Il y a peu d'autos ; et ceux qui en ont une l'utilisent rarement.
On allait au vignoble à pied : on n'attelait pas pour si peu
alors l'auto ! Ce sont les marchands ambulants qui venaient secouer la
léthargie du village à intervalles réguliers.
Le boulanger était
le moins utile puisqu'il y en avait un à demeure, au village. Le
boulanger ambulant ne pouvait vendre que du pain. Il venait de Crescia,
7km par la route qui n'était pas directe, et ravitaillait sûrement
quelques fermes au passage. En 1930 c'est la boulangère qui conduisit
la voiture pour remplacer son frère parti au service militaire.
Il faut croire qu'il avait suffisamment de clients au village malgré
la boulangerie locale qui, en plus du pain, pouvait offrir d'autres services.
Deux marchands de légumes
venaient chaque semaine ; jamais le même jour et jamais en auto,
mais avec un char à bancs adapté. Le plus âgé
venait de Douéra. Il hurlait les noms des légumes du jour,
et les dames sortaient pour voir. Il prévoyait 2 ou 3 arrêts
par rue : 3 rues nord-sud et 5 plus courtes d'est en ouest. L'autre, plus
jeune, venait de Draria. Son chargement était plus important ;
lui aussi criait l'inventaire.
Les colons ne cultivaient pas leurs légumes, ou du moins pas tous.
Beaucoup n'en avaient pas le temps. Et le choix chez le marchand était
plus grand. De toute façon chacun pensait " il faut que tout
le monde vive " et marquait son passage par quelque achat. Et de
surcroît, demeuraient au village des artisans, des fonctionnaires
et des commerçants qui n'avaient pas de terre, pas de compétence
maraîchère et pas de temps.
Deux bouchers 2 fois
par semaine chacun. Les deux venaient de Douéra en voiture ; pas
les mêmes jours bien sûr. Chacun avait ses habitués.
Comme la plupart des familles élevaient des volailles et un ou
deux porcs, la viande de boucherie était un supplément alimentaire
un peu connoté de luxe, surtout le buf.
Le marchand de crèmes
glacées de Douéra ne venait que l'été,
en juillet et en août, quand les enfants étaient en vacances
; une fois par semaine. La crème glacée était un
dessert rare. Il y en avait de deux tailles : les petites rondes à
un 5 sous, et les grandes rectangulaires à 10 sous. A l'époque
un sou était un sou malgré la dévaluation de 1928.
J'ignore l'éventail des parfums disponibles.
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Les commerçants à demeure
Je n'en ai connu que deux : l'épicière
et le boulanger.
Le boulanger ne se
contentait pas de vendre du pain. Il cuisait aussi les plats qu'on lui
apportait : tomates farcies, tartes aux raisins ou à autre chose.
C'était une nécessité pour celles qui n'avaient pas
de four, et un plaisir pour toutes ces dames qui sortaient un peu de chez
elles, rencontraient du monde et prenaient le temps d'échanger
les nouvelles, quand au retour, il fallait attendre une fin de cuisson.
Le pain le plus vendu était le pain boulot acheté au kilo.
Pour faire bon poids, le boulanger ajoutait parfois un bout de pain. Ce
supplément était souvent mangé sur place en attendant
une fin de cuisson. Le pain long, genre baguette, était un luxe.
L'épicerie
n'avait pas de vitrine : juste une porte qui donnait accès à
un magasin qui avait des allures de fourre-tout. On y vendait des pâtes,
de la farine, de la semoule et des conserves, et toutes sortes d'objets
d'utilisation courante ou moins courante, cadenas, rasoirs, allumettes
etc. Il n'y avait ni congélateur, ni frigidaire : les fromages
étaient gardés dans une cage munie d'un grillage très
fin.
C'est le dimanche matin qu'il y avait le plus de clients quand les fermiers
ou leurs épouses venaient à la messe. L'épicerie
n'était fermée que le dimanche après-midi.
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Les caves et la vinification.
Il y avait plusieurs caves dans le village.Dès que la fermentation
des moûts commençait la température s'élevait.
Il fallait absolument éviter qu'elle atteigne 38° car alors
les ferments s'autodétruisent. Pour ce faire on " remontait
" le vin c'est-à-dire qu'on le pompait pour le refroidir avant
de le remettre dans la même cuve, quitte à rajouter un peu
d'eau fraîche en cas de canicule. La nuit les caves restaient grandes
ouvertes pour être bien aérées ; ce sont les voisins
qui supportaient l'odeur. Tout le village y avait droit, ainsi qu 'au
glouglou au son duquel on s'endormait recru de fatigue.
Quand la fermentation était terminée on soutirait le jus
pour le loger dans une cuve de stockage. La cuve vidée de son jus
contenait encore plein de grappes qu'il fallait récupérer
pour en retirer ce qu'il restait de jus. On ouvrait précautionneusement
la porte du bas ; on retirait les grappes pour les entasser dans le pressoir.
On ne commençait le vrai travail de presse que quand plus rien
ne coulait sans presser. On démontait ensuite la presse pour prendre
le marc.
Les capacités de stockage étaient de l'ordre de 1000hl.
Le vin était vendu à un courtier qui était le plus
souvent Monsieur Carabia.
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Le cochon et le pèle-porc
Cet événement hivernal avait lieu avant ou après
Noël, selon le froid. La bête était achetée sevrée
et castrée. On l'engraissait avec du remoulage tiède, des
morceaux de betteraves fourragères, et les derniers temps, du maïs.
Au moment du sacrifice la bête dépassait de peu le quintal.
Le cochon était saigné par un cousin (Joachim dit Tchimet)
qui offrait ce service à tout le village. Dans la cour on avait
dressé une table basse à 50cm du sol, prolongée par
des planches sur deux brancards aux deux bouts. On préparait une
terrine pour recueillir le sang et un gros tas d'oignons épluchés
et émincés ; et aussi un grand récipient plein d'eau
à faire bouillir. Quelqu'un entrait dans la soue, caressait l'échine
du sacrifié et plaçait une cordelette sur le groin plein
de maïs. Des renforts arrivaient pour tirer le porc dans la cour
et l'immobiliser sur la table basse. Tchimet coupait la carotide sans
s'y reprendre. Le sang jaillissait par saccades ; il fallait le remuer
à la main et ajouter du vinaigre pour éviter la coagulation.
Venait ensuite la toilette du supplicié avec de l'eau bouillante
et des racloirs. La bête était enfin pendue sur une échelle
double de jardinier, la tête en bas.
C'est Tchimet qui commençait l'autopsie, en entaillant
à partir de l'anus, en prenant garde à ne pas crever le
péritoine. Les intestins étaient aussitôt recueillis
pour être triés : jetés ou nettoyés selon leur
utilisation possible ou pas. Tchimet ouvrait la cage thoracique et fendait
la tête. On récupérait délicatement le foie
qui serait transformé en pâté conservé dans
des verres. Tchimet terminait son travail en partageant la bête,
du haut en bas ; en deux moitiés disjointes
C'est le lendemain que toute la famille se partageait les tâches
pour la fabrication de boudins, boutifars, soubressades, fromages de tête,
saucisses, saucissons, et jambons ; et la salaison des pièces de
viande à conserver dans de grandes jarres.
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Les conserves de tomates
Il y avait trois sortes de conserves : les vertes, le coulis et les concentrés
Pour les vertes, on ouvrait les tomates
et on les remplissait de gros sel. Au bout de 24 ou 48 heures on les plaçait
dans des bocaux avec une saumure dont on appréciait la densité
avec un uf. C'était une conservation courte. On les consommait
en accompagnement de certains plats.
Pour les coulis on coupait les tomates
en petits morceaux susceptibles d'être introduits dans des bouteilles
solides de limonade ou, mieux, de champagne. Pour aider la descente des
bouts de tomates, on frappait les culs de bouteille, sur des coussinets
afin d'éviter la casse. Les enfants participaient volontiers à
cet embouteillage.
Il fallait veiller à une bonne fermeture des bouteilles avec des
bouchons solidement maintenus par du fil de fer type " Moët
et Chandon ". Ensuite on allumait un feu et on plaçait les
bouteilles verticalement dans des lessiveuses en les séparant sommairement
avec de la paille. On y versait de l'eau et on faisait longuement bouillir,
jusqu'à la pasteurisation. C'était une conservation de longue
durée.
Les concentrés, étaient
aussi appelés, conserves à l'italienne. On installait sur
un toit ou une terrasse des plats remplis de tomates bien mûres
coupées en deux. Les plats restaient sur le toit aussi longtemps
que nécessaire pour que les tomates deviennent cramoisies. Puis
on les passait au presse-purée pour en tirer une sorte de pommade.
On ajoutait du sel. On remplissait de petits flacons avec, avant la fermeture,
un voile d'huile qui assurait une meilleure isolation. Et on avait du
concentré de tomates pour toute l'année.
Supplément en forme de réflexions
sur le destin de 5 générations de petits colons
Ce deuxième supplément est nourri par l'exemple de la famille
Cazayous qui a occupé, sans interruption, la même maison
de Baba Hassen de 1845 à septembre 1962. Cette maison, la voici.
Les 5 générations ont certes habité
la même maison, mais elles n'ont pas du tout vécu dans la
même Algérie française.
La
génération des pionniers est celle de Baptiste
et de sa femme. Ils sont arrivés déjà mariés,
sans doute en 1844 ou 1845. Ils venaient de Bigorre. Baptiste est charpentier
; c'est lui qui a bâti la maison de la photo qui a tenu plus d'un
siècle sans grosses réparations. Il dut respecter les alignements
imposés par Monsieur Guiauchain, architecte de la province, dès
1843. C'est lui aussi qui a commencé les défrichements,
tout en se pliant aux contraintes de la milice obligatoire : entraînements
militaires et tours de garde sur l'une des quatre tours de guet. Les techniques
de l'époque- ni téléphone, ni télégraphe-
ne lui ont pas permis de garder le contact avec la famille : pas de voyage
en France, même pour le décès des parents ou le mariage
des frères et surs. Le départ pour l'Algérie
était un départ pour un ailleurs qui supposait, si l'on
tenait le coup, la rupture des liens antérieurs.
On peut imaginer que Baptiste, veuf en 1872 et décédé
en 1879, a cru avoir participé à la fondation de quelque
chose d'impérissable. Il est mort rassuré : il avait fait
le bon choix pour lui et pour ses descendants qui connaîtraient
une vie meilleure dans cette Nouvelle France qui ne cessait de s'étendre.
La sécurité, dans le Sahel, est assurée pour toujours.
Il eut 4 enfants : les deux aînés moururent en bas âge
; le troisième, une fille, disparut de Baba Hassen et de la mémoire
familiale, en épousant un Dreyfus en 1868 ; seul le quatrième,
Ferdinand, eut une descendance. A la mort de son père, il avait
déjà 6 enfants. Par la suite il en eut encore 6 autres,
dont 5 devinrent adultes.
Ce Ferdinand est de la génération
des bâtisseurs de l'Empire qui me paraissent avoir eu
le destin le plus heureux. Il a vécu dans une Algérie française,
qui comme l'Empire en général, était en progression
constante. Et s'il y avait des insurrections, c'était bien loin
du Sahel qui n'a jamais été menacé.
De surcroît c'est de son temps que l'amélioration des techniques
de vinification et la crise du phylloxéra en France ont permis
aux colons du Sahel d'abandonner blé et fourrages de leurs parents,
pour la vigne qui fit la richesse de la région. Avec une ferme
de 14ha il put élever ses 11 enfants sans allocations familiales.
A l'évidence quand il meurt en 1917 la France est une grande puissance
définitivement installée en Algérie. Et quand le
guerre sera gagnée, la der des der, le XXè sera pour ses
descendants, calme et prospère. Ils sont tous autour de leur mère
sur cette photo de 1927 prise à l'occasion de la remise à
la maman de la médaille et de la rosette d'Officier de la famille
française.
Sur les 11 enfants de la photo 7 sont restés à Baba Hassen
; dont 3 célibataires.
1
s'est installé à Kaddous, tout proche
2
ont suivi leur mari à Alger ville
1
seule s'est vraiment éloignée en partant à Aïn
Bessem
Aucun n'a quitté l'Algérie, si ce n'est celui qui a été
mobilisé en 1914-1918 et est resté 5 ans sous l'uniforme,
avant de revenir. Il avait été gazé sur l'Yser, et
avait été fait prisonnier puis envoyé travailler
dans une ferme allemande. Il avait gardé de bons souvenirs de le
ferme et de sa patronne, et une faiblesse pulmonaire due à l'ypérite.
Comme il s'est coulé 25 ans entre les naissances
extrêmes, ces enfants n'ont pas eu le même destin par rapport
à l'Histoire. Les aînés furent les heureux continuateurs
des bâtisseurs d'Empire. Ils n'ont connu qu'une France triomphante
en Algérie ; et les fastes du Centenaire en 1930 n'ont pu que les
confirmer dans la conviction que la Deuxième France serait impérissable.
Les derniers nés qui sont morts après 1962
ont partagé le sort de la quatrième génération,
celle des accidentés de l'Histoire.
Cette génération n'est plus représentée à
Baba Hassen que par deux garçons, dont l'un, fils du gazé
de 1915 parcourut l'Europe sous l'uniforme jusqu'à la zone d'occupation
française à Berlin.
Cette génération a connu, et le triomphe de la France en
1930, et la débâcle de 1940, et la mobilisation générale
de 1942-1943, et 7 ans d'angoisse et de faux espoirs entre 1954 et 1962.
Au cours de ces années ponctuées de discours d'Etat volontairement
trompeurs, ils ont parfois perdu des êtres chers. Et à la
fin ils ont perdu leurs biens, leurs pays natal et l'accès aux
souvenirs des lieux de mémoire, cimetières compris.
Le soldat de Berlin, Pierre, n'a pas perdu son pays natal : il y a été
assassiné dans sa ferme en septembre 1962. Comme chacun sait les
accords d'Evian lui avaient offert toutes les garanties : il suffit de
lire les affiches officielles pour s'en convaincre. A moins que ces pseudo
accords n'aient servi qu'à rendre supportable pour les électeurs
métropolitains, une capitulation de fait.
La cinquième génération,
la mienne, a vécu un avant 1954 et un après 1962 séparés
par une épuration ethnique radicale, brutale et imméritée,
transmutée en " rapatriement " par un discours d'Etat
menteur. Elle n'a pas perdu les biens qu'elle n'avait pas encore achetés
ou hérités, elle n'a pas été obligée
de s'adapter au seuil de la retraite à un autre poste ou à
un autre emploi. Elle était assez jeune pour se construite ailleurs
une vie d'adulte à peine entamée en Algérie. Elle
était assez âgée pour avoir mal vécu 7 ans
d'insécurité débouchant sur un virage à 180°
de l'attitude des Français et de Métropole et de la politique
française. Elle était assez âgée aussi pour
avoir accumulé 20 ou 30 ans de souvenirs guère communicables.
Elle souffrira jusqu'à sa disparition d'une sorte d'amputation
de la mémoire, car l'essentiel est indicible, sauf à
prendre le risque de plomber les repas de famille ou de susciter d'inutiles
et insolubles conflits ente amis.
Supplément en forme d'épilogue
ou de bilan
Entre 1843 et 1962 dans la famille Cazayous à Baba Hassen, il y
eut 20 naissances, 10 mariages et 9 décès enregistrés
sur les registres de l'Etat Civil.
Les 4 membres de la famille encore présents en septembre 1962 son
partis à Villeneuve/Lot et à Strasbourg. A Baba Hassen ils
se voyaient tous les jours ; en France ils ne se sont plus rencontrés
qu'exceptionnellement. Si l'on ajoutait les points de chute des frères
et cousins partis d'ailleurs que de Baba Hassen, il faudrait ajouter aux
deux points de chute déjà cités, Nice, Toulouse,
Tarbes, Pau, Tonnerre et Paris. C'est la diaspora Cazayous.
Quant à ceux qui étaient enterrés
au cimetière de Baba Hassen, je suppose qu'ils y sont encore, sans
en être tout à fait assuré. S'ils y reposent, ça
n'a pas été toujours en paix. Les 3 photos ci-dessous, du
même caveau familial justifient ce doute. Elles ont été
prises en 1962, 1982, et 2004 ou 2005.
Il n'est pas nécessaire d'expliquer la différence
des caveaux de 1962, intact, et de 1982, profané. Il est sans doute
nécessaire de commenter l'aspect pris par
le même caveau en 2004 ou 2005. Je dis commenter car
je ne connais pas l'explication véritable. A coup sûr il
a été reconstruit ; mais par qui et quand ? Mystère.
Aucun membre de la famille n'a été informé.
On peut songer à trois hypothèses au moins.
Soit c'est une initiative locale de la commune, après
l'embellie des relations franco-algériennes qui a suivi le voyage
de Chirac en mars 2003 ; pas impossible, mais peu probable
Soit c'est une initiative de l'ASCA
: Association pour la Sauvegarde des Cimetières d'Algérie,
née dans les années 1980. Peu probable. Et pourquoi à
Baba Hassen ?
Soit c'est une retombée heureuse de l'opération
lancée en 2003 de Réhabilitation des Cimetières Français.
Etonnante rapidité de cette réalisation quand on connaît
l'ampleur de la tâche pour environ 400 000 sépultures. Il
est bon de savoir que sur les 523 (ou 549 ?) cimetières français,
62 seront abandonnés et leurs tombes regroupées ailleurs.
Sur place on devrait édifier une pyramide en béton, "
indestructible ", à base carrée de 3x3m, avec 3m de
fondation et 3m de hauteur au-dessus du sol. Affaire à suivre.
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