---------------Si
on parlait pas bien le français naturel à Bab-el-Oued, à
la Cautère, c'était pas la faute à Voltaire, au quartier
du Ruisseau, c'était pas la faute à Rousseau. Le vrai responsabe,
c'est Cagayous, que de son vrai nom y s'appelait Musette, que c'est lui
le premier qu'il a eu l'idée, en 1900 et quelques, d'écrire
le pataouète parlé, ça qui fait qu'officiellement,
mektoub, c'était écrit dans l'histoire de la littérature
française.
---------------En
Algérie, nous autes, on était tous bilingues.
---------------Le
français naturel de quand Malherbe y vint, on se l'apprenait à
l'école pour passer les examens, et le pataouète, y nous
était venu tout seul, comme ça, en tapant un bain en bas
la mer, en buvant l'anisette, en tombant la veste pour taper la sieste,
en jouant à la morra parlante (Tchinquouanta! Oto! Pigeon marqua!),
la purée, vous pouvez pas sa'oir ça que c'était,
la mort de leurs z'osses !
---------------Bref,
le pataouète, c'est notre langue natale, avec des lettres de noblesse
et tout!
---------------Sans
compter la syntaxe locale, les vocables télégraphiques,
tout c'qui fait un langage articulé et intelligent et compréhensibe
avec les règles qu' y faut
---------------Le
pataouète, c'est comme une déclaration d'amour où
des langues elles se mélangent. Une sorte de propos-pourri d'espagnol
d'italien, d'arabe et de français naturel; mais je l'explique très
bien dans le Roro, un dictionnaire comme le Littré, de pataouète,
de langue pied-noir, étymologique, analogique, didactique, sémantique
et tout, qu'il a paru chez Denoél, éditeur.
---------------Je
dis pas ça rien que pour la publicité que ça me fait
pas franchement, si je vous le dis pas, d'abord qui c'est qui vous dirait
et ensuite, c'est le seul dictionnaire, c'est de ma faute? Où j'en
étais, purée ?
---------------Ah!
ouais, donc c'est bien ça, dans le Roro, j'en parlais avec Emmanuel
Roblès et Edmond Brua, qu'y sont des écrivains et des lingouistes
terribes, le pataouète, non seulement c'est ce que je vous disais,
mais encore y va chercher ses racines dans le gallois, le bas breton et
même, ma parole si je mens, dans le Carthaginois de Plaute,
vous vous rendez compte? Mais laissons là la file au logis qu'elle
est quand même trop longue pour le cadre restreint de cette modeste
étude.
*****
---------------Donc
le pataouète, c'est pas une manière de parler, l'idiome
du village ou un patois comme y dit l'aute que si c'est patois c'est donc
ton frère ou va sa'oir!
---------------Le
pataouète, c'est une langue tellement vivante que vous avez pas
besoin de la tourner sept fois dans votre bouche pour bien vous faire
comprendre.
---------------Un
exemple : à un gosse qui joue, qu'est-ce vous lui dites, vous?
" Gérald, attention ! tu vas salir ta belle culotte ! "
Nous autes, non. Belle culotte ou pas, à Bab-el-Oued, on nous disait
toujours " Allez, c'est ça, pourris-toi bien ! " Le langage,
nous, on le prenait au mot et nos expressions, veuillez agréer
qu'y leur manquait ni la parole ni le geste! Bras d'honneur. Qué
bouffa qu'y se tient, çuilà ! Va fangoule ! Tâche
moyen de pas trop te fatiguer surtout ! Ré'ar-moi-le, il est bizoutche
! Crache-moi dessur si c'est pas vrai! Ha l'ami, ti'as vu ça? Tu
peux pas crier un peu doucement, non? N'en casse pas une ! Le cul y me
tombe si j'exagère que purée! et j'en passe, hein, marque
dommage que d'abord y en a trop et en pluss, qu'y faudrait vous expliquer,
ce qui ferait deux fatigues supplémentaires.
---------------Tout ce paragraphe, y faut que j
'vous dise, il est extrait tel que de Et alors? Et oilà!,
un autre livre de moi, l'histoire de l'Algérie à travers
la famille Bacri paru chez André Balland, éditeur.
---------------Je
sais, encore mon oeuvre! Mais qu'est-ce vous voulez (voir plus haut),
je vais vous réécrire d'une auto façon des choses
que je me suis tellement cassé à bien vous écrire
déjà? http://alger-roi.fr. C'est vrai quoi! on va pas m'engueuler
maintenant si les seuls ouvrages de base lexicographiques pataouètes
y sont de mon cru !
---------------Pour
en revenir, si vous voulez parler pataouète, c'est très
simple : vous ouvrez les o et les é, mais bien!
---------------Vous
parlez à mots qu'ouverts, mais franchement!
---------------Par
exemple, vous disez pas : " Le lait, il est frais, c'est vrai ",
vous dites, plus orthodoxe : "A de vré, le lé il est
fré. "
---------------La
lettre v, vous la prononcez rarement. Pour le v, y faut un effort, hein?
Alors oilà, ça sert à rien, vous le faites pas, vous
êtes pas contents ?
---------------Pour
le reste de la construction de phrases, le reste est littérature
comme dans Verlaine, à part que chez nous autes, la musique des
mots, avant toute chose, elle a les sanglots longs de la danse du ventre.
---------------Moins
poétiquement parlant et pluss analyse logique de notre proposition,
les phrases pataouètes, elles doivent avoir comme sujets que des
sujets de conversation et comme verbe, que le verbe haut.
---------------Comme
articles, que des articles de luxe.
---------------Sans
parler des compliments directs d'objet et des insultes. Ah! surtout, évitez
d'être snobs quand vous avez la tchatche! La tchatche, c'est
quand qui c'est qu'y vous arrête de parler, que si dans votre tirade,
par exemple, vous dites des choses comme : " Eh ouais! Bien faire
et laisser dire! ", ma parole, vous perdez la figure, tout de suite
on verrait que vous vous appelez beaucoup pluss Gontran de Montesquiou,
Dupont de Tancarville que Papalardo ou Sauveur Chicheportiche! Non, disez
plutôt : " Ça m'en a touché une sans remuer l'aute!
" C'est beaucoup plus simple et beaucoup plus viril.
---------------Et
comme on en est à vous donner l'exemple, eh ben en oilà
de très typiques du Roro.
---------------AOUAH!
Juron dubitatif pour quand on se récrie, stupéfait.
----------------
Ma parole! il est pas méchant pour deux sous!
----------------
Aouah ! Pour deux sous peut-ête, mais pour pluss?
--------------BRECHT,
l'Opéra de quat'sous.
---------------BALLON.
C'est quand la femme elle a bien fait oeuvre de chair, alors bien sûr
elle est enceinte. Enceinte réservée, enceinte fortifiée,
enceinte vierge, même (c'est arrivé, tout dépend du
tempérament).
----------------
Tu sais, mon chéri, je crois que je me tiens le ballon...
----------------
Mon Dieu, Marie, comment ti'as fait?
---------------Le
Mystère de la Passion.
---------------BÉZEF
C'est beaucoup, on leur a pris aux Arabes.
---------------Des
autoroutes, on en a peut-ête pas bézef en France, mais le
premier réseau des routes secondaires du monde, qui c'est qui l'a
hein?
---------------FRANÇOISE
SAGAN, Dans un mois, dans un an.
---------------CAPABE.
Ça vient de capable en français, mais y s'emploie dans le
sens plus fort de quelqu'un, y faut reconnaître, on doit s'incliner.
---------------On
lui disait : " Fais un sol ", y disait : " Quel sol fais-je?
" On lui disait : " Joue de la harpe ! ", y disait : "
Quelle harpe ai-je? " A son âge, c'était déjà
un grand capabe !
---------------BERNARD
GAVOTY, le Divin Mozart.
----------------FIGA
DE TA OUÈLA! La figa, c'est un fruit, la figue, qu'y
en a des fraîches et des sèches, et la ouela, c'est une femme
vieille, une grand-mère. http://alger-roi.fr.C'est pour ça
qu'en insulte la figa, c'est l'organe viril de la femme.
---------------Avec
une figure comme ti'as, va, va réclamer des dommages et enterrés
à la figa de ta ouèla !
---------------FRANÇOIS
MAURIAC, Thérèse Desqueyroux.
---------------HAMMAM.
Bain maure qu'on prend à toute vapeur mais sans qu'on soit pressé.
Le sauna, c'est pas l'hammam chose.
---------------Tout
corps qu'il est plongé dans le hammam reçoit de bas en haut
une poussée qu'elle est égale au poids de toute la crasse
déplacée.
---------------ARCHIMÈDE,
Principe d'hygiène.
---------------MÉCHOUI.
D'abord, c'est la broche des événements et après,
c'est cuit, laisse épicer le mouton !
---------------J'méchoui
tojor fi la certaine idie d'la France.
---------------<Muhammad
BOUMEDIENE
---------------OUED.
Petit ruisseau qu'y fait pas la grande rivière à cause la
sécheresse qu'y a en Algérie.
---------------A
l'oued, je te plumerai !
---------------Proverbe
kabyle.
---------------PURÉE!
Exclamation pour quand on constate que c'est malheureux quand même
ça qu'on est sur cette terre.
---------------Purée
! ça me revient maintenant...
---------------SARTRE,
la Nausée.
---------------TCHEKLALA.
Vous en faites si vous voulez vous donner beaucoup de l'importance, que
pourtant mieux c'est d'être simple.
---------------Le
tcheklala qu'y fait çuilà; total, qui c'est qu'y le voit?
---------------H.
G. WELLS, Homme invisible.
---------------YOU
YOU Cri qu'elles poussent les Mauresques quand c'est la fête
chez elles.
----------------
How do you you do?
---------------TRISTAN
BERNARD,l'Anglais tel qu'on le parle à la Casbah
---------------ZBOUBA.
Synonyme de bernique! et encore pluss de peau d'zébie, car
ça vient de zeb qu'en arabe c'est zbob.
---------------Scouza
qu'elle avait la migraine terrible; moi, zbouba toute la nuit !
---------------HERVÉ
BAZIN, Qui j'ose aimer.
---------------Bien
avant le Roro, bien après Cagayous, bien sûr, des
auteurs qu'y z'ont écrit en pataouète y en a eu des tapées'
Paul Achard, qu'il a écrit Salaouètches, Lecoq, qu'il
a écrit Pascualète l'Algérien, Lucienne Favre,
qu'elle a écrit Bab-el-Oued, Ferdinand Duchêne, qu'il
a écrit Mouna, Cachir et Couscous...
---------------Des
grands écrivains comme Emmanuel Roblès, Montherlant Albert
Camus y font fait leur oeuvre en français naturel, mais y se sont
fait honneur et gloire de mettre du pataouète dans la bonne bouche
de leurs personnages.
---------------Mais
bien à part de tous, pourquoi c'est le plus grand, chapeau! c'est,
et de loin, Edmond Brua, que sa Parodie du " Cid " non
seulement y a pas un seul boudjadi de la montagne en Algérie qu'y
la connaît pas, mais encore à Paris, à Bobino, y l'ont
jouée !
---------------C'est
bien simple, quand j'étais petit à l'école, on connaissait
tellement par coeur la Parodie du " Cid " que quand le
maître, M. Bénaïm, il a commencé à nous
parler du Cid de Corneille, fallait oir comme on était tous écoeurés
de oir l'importance qu'on lui donnait dans la littérature à
ce Corneille que, total, qu'est-ce qu 'il avait fait à part de
traduire sérieusement Edmond Brua ?
---------------Tenez,
regardez par exemple cette scène où Don Diègue -
pardon! Dodièze - y tape son monologue, la joue encore toute rouge
du coup de soufflet qu'il a reçu
DODIÈZE, l'espadrille à
la main
Qué rabbia ! Gué malheur! Pourquoi c'est qu'on vient
vieux?
Mieux qu'on m'aurait levé d'un coup la vue des yeux !
Travailler quarante ans négociant des brochettes .
Que chez moi l'amateur toujours y s'les achète,
Pour oir un falampo qu'y me frappe en-dessur
A'c mon soufflet tout neuf qu'il est mort, ça c'est sûr!
Ce bras qu'il a tant fait le salut militaire,
Ce bras qu'il a levé des sacs de poms de terre,
Ce bras qu'il a gagné des tas de baroufas,
Ce bras, ce bras d'honneur, oilà qu'y fait chouffa I
Moi, me manger des coups? Alors ça c'est terribe !
Çuilà qui me connaît y dit : " C'est pas
possibe !
Gongormatz à Dodièze il y'a mis un taquet?
Allez, va, va de là ! Ti'as lu ça dans Mickey? "
Eh ben ouais, Gongormatz il a drobzé Dodièze;
II y'a lévé l'HONNEUR que c'est pir' que le pèze.
Aouqu'il est le temps de quand j'étais costaud?
0 Fernand. je te rends ça qu'tu m'as fait cadeau !
(Il arrache sa décoration.)
Je suis décommandeur du Nitram Ifrikate.
(Il essaie de se rechausser.)
Et toi que ti'as rien fait, calamar de savate,
Au pluss je t'arrégare, au pluss je ois pas bien
Si ma main c'est mon pied ou mon pied c'est ma main... |
---------------En
marge de ce pataouète des Français à part en tiers,
les Arabes, eux aussi y s'étaient amalgamé le français
naturel à leur façon.
---------------Ça
avait donné un sabir pittoresque qu'un auteur comique, Kaddour,
(note du site : voir mes pages
Sabir) y s'en était fait des monologues très
drôles, en oilà un qu'il est imité d'une fable de
la Fontaine, si vous reconnaissez pas, alors qu'est-ce vous avez appris
à l'école ?
LA CIGALE Y LA FORMI
J'y conni one cigale qui tojor y
rigole
Y chante, y fir la noce, y rir comme one folle
Y s'amuse comme y faut
Tot l'temps qu'y fi chaud (Suite sur le site en cliquant
ici)
|
---------------Qu'est-ce
j'pourrais vous dire encore sur le phénomène lingouistique
en Algérie ?
---------------Le
sabir, bien sûr, c'est rien qu'un sabir, ça a pas pris, vous
comprenez? C'est pas comme le pataouète, qu'Albert Camus y disait
à Roblès : " Le pataouète est une langue qui
devrait servir à écrire une tragédie. "
---------------La
tragédie, purée! on vous en parle dans tous ces "Historia
Magazine " c'est que depuis les événements, allez sa'oir
si dans une génération, le pataouète, paf, ça
sera pas foutu!
---------------Et
pourtant, c'est beaucoup pluss qu'un patois auvergnat ou du Haut-Gard,
c'est vrai!
---------------Que
ça serait péché de le laisser perdre comme ça
pasqu'on est soi-disant intégrés!
---------------Mais
je crois pas, franchement; l'Algérie de papa elle est morte, d'accord,
mais le pataouète, c'est une vraie langue vivante, grâce
à Dieu!
---------------Allez,
tchao! et que le bon Dieu y vous l'allonge!
Roland BACRI
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