Le Blidéen René
METROT
par Pierre JARRIGE
premier homme volant en Afrique sur avion à moteur
Le 12 septembre 1865, dans les environs de Baba-Ali, Louis
Mouillard s'élance d'un talus et se maintient en l'air pendant
15 secondes en parcourant 42 m contre un vent de 5 m/s. Pour réaliser
ce premier vol humain en Afrique, Louis Mouillard a confectionné
un planeur portatif monoplan de 12 m2 de surface pour un poids de 13 kg.
La résistance du longeron, constitué par des hampes de fleur
de grand agave (souvent appelé, à tort, aloès), est
sans doute insuffisante car, au cours d'un essai le lendemain, l'aile
se replie, en luxant l'épaule du pilote. Louis Mouillard est un
ornithologue passionné, doté d'une vue exceptionnelle et
d'un très bon coup de crayon, qui étudie, depuis son enfance
lyonnaise, le vol des oiseaux sous toutes ses formes. A la suite de revers
de fortune, il se retrouve à Baba-Ali où il tente d'exploiter
une ferme léguée par son père qui vendait en Algérie
du tissus pour burnous, chéchias et haïks. Ses loisirs sont
occupés par l'observation des oiseaux, nombreux dans la Mitidja
encore sauvage, et ses économies et les maigres gains de sa propriété
sont consacrés à l'achat d'oiseaux marins capturés
par les pêcheurs. Il réalise de grands progrès dans
la connaissance du vol des oiseaux voiliers ou rameurs et, hanté
par le vol humain, il a construit et essayé en vain plusieurs dispositifs
avant d'arriver à l'appareil n° 3 qui lui a permis de quitter
le sol. Ruiné et malade, il quitte l'Algérie en 1866 pour
Le Caire où, grâce à l'appui de son ami Alphonse Daudet,
il est nommé professeur de dessin à l'Ecole Polytechnique.
L'Egypte sera pour lui un merveilleux champ d'observation et d'expérience.
En 1881, il publiera un abondant ouvrage très bien illustré,
L'Empire de l'air, qui sera suivi d'un ouvrage posthume, Le vol sans battement.
Louis Mouillard disparaîtra en 1897 dans la misère, l'importance
de ses découvertes et de ses expérimentations ne sera révélée
que plus tard, lorsqu'en 1912, le précurseur américain Wilbur
Wright déclarera : " L'Empire de l'air est bien l'un des morceaux
les plus remarquables que l'on ait jamais écrit. Ses observations
sur les habitudes des oiseaux ont amené Louis Mouillard à
conclure que le vol à voile était possible à l'homme
et, cette idée, il l'a présentée à ses lecteurs
avec un enthousiasme si exaltant et si persuasif que son livre a produit
les résultats les plus importants dans l'histoire de la conquête
de l'air. A l'exception peut-être de Lilienthal, aucun de ceux qui
écrivirent au 19ème siècle n'a possédé
un pouvoir pareil de faire des adeptes à la croyance à la
possibilité du vol humain ".
Après les essais d'aérostation entrepris de 1893 à
1896 par Fiévée et Rey à l'Arba, il faut attendre
1908 pour que l'Algérois s'intéresse de nouveau à
l'aviation. Des tentatives sont alors faites pour créer un aéro-club.
Une section de Ligue Nationale Aéronautique est installée
à Alger en mars 1909, présidée par André Maginot,
directeur de l'Intérieur au Gouvernement Général
et futur Ministre de la Guerre. Le Docteur René Quinton, Président
de la L.N.A., vient faire une conférence très appréciée,
salle Barthe, rue d'Isly. En mai 1909, le ballon Algérie de J.
Faure et Singer fait des exhibitions, alors que, durant l'été,
Louis Blériot traverse la Manche et que la Grande Semaine d'Aviation
de Champagne remporte un succès considérable. Braun entame
la construction d'un aéroplane aux Ets Billard et Cuzin, ainsi
que Léon Mouraret et Pictri. Le 5 novembre 1909, le vapeur Savoie
débarque le premier aéroplane manufacturé acheté
en Algérie : un Blériot type Traversée de la Manche
que Gérin laissera prudemment suspendu au plafond de son garage
de la rue de la Liberté, où plusieurs milliers de personnes
viendront le contempler. Le désir des Algérois d'admirer
un aéroplane en vol sera vite comblé. René Métrot
et Jean Marcé, voient, au cours d'un séjour en métropole,
les premières machines volantes à Mourmelon. C'est une révélation
et ils commandent immédiatement deux Voisin alors que René
Métrot reste au camp de Châlons pour apprendre à piloter.
Le biplan Voisin (moteur E.N.V.) de René Métrot arrive le
10 novembre suivi, le 17 novembre du monoplan Blériot (moteur Anzani)
d'André Taurin. Le matériel est rapidement remonté
en vue d'une grande manifestation aéronautique prévue le
21 novembre, sous le patronage du député Maurice Colin,
du gouverneur général Jonnart et de Hannedouche, président
du Comité d'hivernage. Un hangar est construit aux frais de René
Métrot et Jean Marcé sur l'hippodrome
du Caroubier, avec l'autorisation de la Société hippique
et de l'armée, propriétaires du terrain. René Métrot
achève de mettre son appareil au point et, le 18 novembre 1909
à 17 h. 30, il s'envole en 70 m et parcourt 1 km à 25 m
de hauteur, effectuant le premier vol motorisé en Afrique. L'appareil,
légèrement endommagé à l'atterrissage, pourra
être réparé à temps pour la manifestation qui
a été reportée au 28 novembre alors qu'un deuxième
Voisin est débarqué. Les organisateurs de la Grande Journée
Aéronautique sont inquiets. La foule, énervée par
le report de la manifestation, est impatiente de voir évoluer les
aéroplanes et supporterait mal d'être déçue.
Maintenant que le matériel est remonté et le hangar terminé,
tout est à la merci du vent. Le temps de cette fin novembre est
incertain et un système de signalisation est mis en place devant
les cafés Terminus et Tantonville afin de prévenir les spectateurs
(drapeaux rouges : vol, drapeaux noirs et rouges : peut-être, drapeaux
noirs : pas de vol). Les drapeaux rouges sont en place le matin du 28
novembre et c'est la ruée vers le Caroubier. La fanfare "
L'Africaine " accueille les spectateurs qui mettent plus de deux
heures pour franchir les embouteillages. " L'Hirondelle Algérienne
" organise un lâcher de pigeons et les aviateurs placent enfin
leurs machines sur la piste de 350 m aménagée devant les
tribunes. Le journaliste, Edouard Mamain commente l'événement
:
" Devant une affluence d'au moins 50.000 personnes, le premier homme
volant a fait une exhibition... avant tout nous devons reconnaître
la parfaite courtoisie des organisateurs et adresser à MM. Métrot
et Marcé, promoteurs et organisateurs de cette belle réunion,
toutes nos félicitations et nos compliments les plus chaleureux
pour leur heureuse initiative, grâce à eux, nous avons pu
connaître, presqu'en même temps que la métropole, la
nouvelle conquête de l'air. Les Compagnies de Chemins de Fer P.L.M.
et C.F.R.A. avaient organisé des trains spéciaux qui, depuis
le matin jusqu'à 3 heures de l'après-midi, ont déversé
sur l'aérodrome une foule considérable désireuse
de voir de près les aéroplanes.
Malheureusement, le terrain ne se prêtait pas beaucoup à
ce genre de sport, nos aviateurs n'avaient pas l'espace voulu pour prendre
une bonne envolée et la piste était détrempée
par la pluie de la nuit précédente. A 3 heures 30, sous
les présidences d'honneur de Monsieur le Gouverneur Général,
Monsieur le Préfet d'Alger et du Général Bailloud,
Taurin, sur Blériot, prend place dans le fuselage de son appareil
et donne l'ordre de mettre en marche, l'appareil s'élance, mais
pas pour longtemps, 50 mètres après, il s'arrête et
est ramené par les mécaniciens au point de départ.
A 3 heures 40, malgré un léger vent du nord-ouest qui oscille
entre 5 et 10 m/s, Taurin fait une nouvelle tentative, mais le vent le
fait dévier avant qu'il ne s'élève et, abandonnant
la piste, il file sur les tribunes, heureusement qu'il ne perd pas son
sang-froid et, à quelques mètres du public, il coupe l'allumage
et évite un accident. A 4 heures, Métrot,
sur biplan Voisin, part majestueusement et, à une cinquantaine
de mètres de son point de départ, décolle facilement,
il monte à une dizaine de mètres, passant devant les tribunes
aux applaudissements et cris enthousiasmés des spectateurs. La
musique joue la Marseillaise, il continue à s'élever jusqu'à
environ 30 mètres, mais en arrivant à l'extrémité
de l'aérodrome, il tourne à droite, côté de
la mer, et se trouve très gêné par le vent qui en
cet endroit soufflait par rafales, et, après avoir plané
quelques instants, il descend dans le polygone de l'artillerie et atterrit
dans des conditions parfaites. A 4 heures 45, Taurin fait un nouvel et
heureux essai, à 30 mètres de son point de départ,
il décolle et monte à 5 mètres, mais il est également
pris par le vent et obligé d'atterrir. Le public voyant venir la
nuit, de lui-même s'en va rejoindre voitures et autos et donne ainsi
le signal du départ. Le retour vers Alger-la-Blanche se fait au
milieu d'un encombrement considérable et heureusement sans accidents,
grâce aux mesures d'ordre prises par les organisateurs. Souhaitons
d'avoir bientôt un lendemain à cette belle et première
fête aéronautique".
René Métrot, le héros de cette journée, est
né le 4 janvier 1873 à Blida, avenue des Moulins. Il est
étudiant à Blida, Constantine et Alger, devient bachelier
ès-sciences et fait deux années de mathématiques
spéciales. Il arrête ses études après avoir
été admissible à l'écrit au concours de l'Ecole
Polytechnique et devient inspecteur-adjoint de la traction de la Compagnie
de Chemins de Fer de l'Est Algérien. Il a eu l'honneur de conduire
à cette occasion le train présidentiel, en 1903, et le Président
Loubet lui a remis les palmes académiques. Il démissionne
ensuite des Chemins de Fer pour fonder un garage, avec Jean Marcé,
au 39 de la rue d'Isly (voitures Delage et Panhard). Son associé
Jean Marcé, bien que ne sachant pas piloter, entreprend un beau
matin, de décoller avec la complicité du mécanicien
Jules Dany qui lance le moteur. Il survole Alger et son port pour la première
fois mais le périple s'achève sur la plage et l'appareil
est endommagé.
L'aviation commence aussi à passionner les Blidéens. Le
mécanicien Jean Cormier construit un petit monoplan de 5 m. d'envergure
et de 4 m. de longueur. Il compense le poids du moteur par du lest et
fait une tentative de décollage, remorqué par une voiture.
Il arrive à monter à une quinzaine de mètres mais
l'essai avorte et la machine volante est détruite, sans mal pour
son pilote-constructeur. Un autre Blidéen, Boy-Linvingston, construit,
également sans grand succès, un biplan genre Wright. Bérard,
Maire de Blida, n'attend pas de vols concluants des amateurs locaux pour
satisfaire le désir que ses administrés ont de voir évoluer
des aéroplanes et demande à René Métrot et
André Taurin de refaire à Blida une journée aéronautique.
En accord avec Fernand Ricci, Président de la Société
des courses, l'hippodrome de Joinville est aménagé en aérodrome
et, le matin du 19 décembre 1909, tout le monde se précipite
pour admirer les hommes volants. Des trains spéciaux amènent
de Médéa, Miliana et Orléansville une foule considérable
qui se joint aux Blidéens. René Métrot prend l'air
à 14 h. 55 et fait 5 tours complets d'environ 4 km en près
de 16 minutes. André Taurin décolle ensuite et se pose immédiatement,
moteur grippé. René Métrot redécolle à
16 h. 15 pour un vol de 10 minutes, accompagné de la Marseillaise
jouée par les " Amis Réunis ". Après l'atterrissage,
c'est la ruée enthousiaste vers le pilote pour le porter en triomphe.
Le 21 décembre, René Métrot survole la ville de Blida
et, le dimanche 26, nouvelle journée aéronautique sur le
terrain de Joinville. René Métrot profite de l'occasion
pour passer le brevet de pilote. Il fait un premier vol de 14 minutes
vers Oued-EI-Alleug et La Chiffa puis se rend ensuite à l'invitation
des turfistes de Boufarik. Un correspondant enthousiaste fait le commentaire
suivant sur ces deux vols :
" Un match entre un biplan et un train. Les vingt mille personnes
qui se pressaient à l'hippodrome de Joinville ont assisté
à un impressionnant spectacle. Métrot, sur son biplan cellulaire,
avait d'abord accompli 4 tours d'essai à une hauteur moyenne de
vingt mètres, passant et repassant devant les tribunes, aux applaudissements
frénétiques de la foule ; puis, s'élevant rapidement,
il avait atteint cent mètres et était redescendu à
cinq mètres du sol. Tout à coup, un panache de fumée
sortit de La Chiffa, c'était le train de voyageurs, remorqué
par deux puissantes locomotives, qui gravissait la rampe. Métrot
l'aperçut : élargissant alors son virage, pour donner ainsi
au train le temps de sortir de la tranchée, il piqua sur le dernier
wagon et dépassa successivement toutes les voitures, aux applaudissements
des voyageurs et des spectateurs. Ceci se passait il y a quelques jours
et, dans cette réunion, l'aviateur Taurin s'était également
distingué, effectuant un parcours d'environ 5 kilomètres
et revenant ensuite atterrir à son point de départ non sans
avoir également été très ovationné.
Mais voici qui est encore mieux et vient d'être exécuté
plus récemment. Métrot, après une superbe envolée
au-dessus de Blida, vient d'accomplir un nouvel exploit le classant parmi
les plus hardis aviateurs européens.
Répondant à l'invitation du Comité de la Société
Hippique de la Mitidja, il avait promis de se rendre de son hangar de
Blida, par voie aérienne, sur le champ de courses de Boufarik.
L'aviateur tint magnifiquement parole, à 3 heures 32 minutes 33
secondes, contrôlé par les délégués
de l'Aéro-Club d'Alger, avec un vent de 10 mètres, il quittait
son hangar, s'élevait rapidement à une quarantaine de mètres,
puis piquait droit sur la colonne commémorative du Sergent Blandan,
élevée au centre du village de Beni-Méred, Métrot
obliquait ensuite vers la gauche et, après un vol de 12 minutes
24 secondes, atterrissait par un vol plané au centre de l'hippodrome
de Boufarik. Une foule énorme, débordant le service d'ordre
assuré par les tirailleurs, faisait de frénétiques
ovations à Métrot. Après avoir bu une coupe de Champagne
offerte par le Comité de la Société Hippique et assisté
à une course, l'aviateur quittait terre à 4 heures 38, prenait
pour point de direction la colonne Blandan, puis le clocher de Blida,
et atterrissait par un calme plat, à 4 heures 50 devant son hangar.
Avant de partir pour Boufarik, Métrot avait, sur l'aérodrome
de Blida, accompli son troisième vol obligatoire pour obtenir son
brevet de pilote, que lui décerna à l'unanimité la
délégation de l'Aéro-Club d'Alger.
Le brevet de René Métrot sera homologué sous le n°
19 du 6 janvier 1910. Le 7 janvier 1910, toujours à Blida, il parcourt
5 km en ayant comme passager Beuscher, Directeur de la Dépêche
Algérienne, il volera ensuite 10 minutes avec Sneden et atteindra
250 m. de hauteur. Ayant entre-temps ouvert un commerce d'aéroplanes
sur l'aérodrome d'Hussein-Dey avec Jean Marcé, René
Métrot, pris par l'ambiance des meetings, va faire une grande tournée
qui le verra se classer à Héliopolis (Egypte), Nice, Tours,
Lyon et Reims. Il participera également au circuit de l'Est qu'il
ne terminera pas. Quant à André Taurin, né à
Rouen le 9 janvier 1874 et titulaire du brevet de pilote n° 84 du
10 juin 1910, il participera à plusieurs meetings en Angleterre
puis se consacrera à son métier d'armateur à Fécamp.
L'activité aéronautique ralentit considérablement
dans la région d'Alger après le départ de René
Métrot. Seuls, quelques amateurs tentent de construire et de faire
décoller des plus lourds que l'air. En mai 1910, à Rouïba,
Gérin et Vila se lancent dans la construction d'un aéroplane.
Le soldat Edouard Fouqueux essaye un aéroplane de 5 m. d'envergure
en juillet 1910 au Champ de manuvre de Mustapha, il avait auparavant
expérimenté des cerfs-volants au Fort-l'empereur. Quant
à Léon Mouraret, comptable des Ets Granwick, il persévère
dans la construction de son aéroplane et, après avoir fait
voler un modèle réduit au 1/10ème à Mustapha,
il achève son Hydro-aéroplane. C'est un engin ambitieux,
assez bizarre, original avec une surface canard orientable autour de deux
axes et son empennage arrière cruciforme aux lignes très
effilées. La voilure est biplane de 11 m. d'envergure et le tout
a 9,50 m. de longueur. L'atterrisseur est amphibie avec deux longs flotteurs
situés à la hauteur des moyeux des quatre roues de grand
diamètre. Léon Mouraret compte sur un moteur de canot Mutel
de 60 ch pour mouvoir l'ensemble et, éventuellement, décoller.
Il arrive, le 23 octobre 1910, à faire deux bonds de 200 m. à
environ 40 cm du sol sur l'hippodrome de Boufarik. Le deuxième
vol s'achève dans une touffe de jujubiers qui brise l'hélice
et ruine les espoirs du constructeur. Plus tard, en mars 1912, Gomila
construira, à Boufarik, un aéroplane à moteur Anzani
25 ch qui ne connaîtra pas non plus le succès. Afin de tromper
l'impatience des aérophiles algériens, un concours de modèles
réduits est organisé par le journal " L'Algérie
Sportive " en juillet 1910. Une vingtaine de modèles sont
exposés, du 27 novembre au 8 décembre 1910, au musée
municipal de la rue de Constantine et les épreuves en vol ont lieu,
sans résultats appréciables, le 23 avril.
René Métrot ne perd pas de vue l'Algérie pendant
sa tournée de meetings. Il envoie une dépêche, en
septembre 1910, au Général Bailloud, Commandant le XIXème
Corps : " J'organise, en octobre prochain, une école de pilotes-aviateurs
sur l'aérodrome de Blida. Je me tiens à la disposition de
l'armée pour l'apprentissage des officiers et pour effectuer, dès
maintenant, des reconnaissances militaires ou des raids dans le Sud-Algérien.
Je m'incorporerais, si nécessaire, dans le Service de l'Aviation
militaire ". Il ne rentre à Alger que le 25 novembre. Les
Algérois, tenus au courant de ses exploits en Europe et en Egypte,
lui font un accueil triomphal. L'installation de l'école est retardée
et l'inauguration officielle n'a lieu que le 16 janvier 1911. Par un temps
splendide, René Métrot et Jean Marcé présentent
leur première équipe d'élèves : Sneden, Giraud,
Vincent Grégori, Holden, Blanc, Jules Dany, Mlle Evis Moore et
Jean Marcé lui-même. Le Lieutenant du Peuty, du 5ème
Chasseurs d'Afrique, est le premier élève militaire parmi
une dizaine d'officiers désignés pour suivre les cours sur
les trois biplans de l'école. Après un vol d'une demi-heure,
René Métrot donne leurs premières leçons au
lieutenant du Peuty, à Vincent Grégori et à Jules
Dany, en présence de nombreux spectateurs. Le Colonel Edouard Hirschauer,
Commandant l'Aviation Militaire, et le Capitaine Hugoni, Commandant l'Ecole
de Pilotage de Châlons, visitent l'Ecole de Blida le 28 février,
avant de se rendre à Biskra où doit être implanté
le premier centre d'Aviation Militaire en Algérie. (Evis Moore,
première élève féminin originaire d'Alger,
veuve du Docteur Denis, née Jane Wright, sera la première
femme victime de l'aviation, le 21 juillet 1911 à Etampes).
La vogue de l'aéroplane à moteur n'a pas supplanté,
parmi le public et les amateurs, le goût pour l'aérostation
et Louis Odin, un métropolitain hiverne à Alger, arrive
avec son sphérique de 1.240 m3, baptisé, lui aussi, Algérie.
Un rallye auto-ballon est organisé le 29 janvier 1911. Louis Odin
décolle avec A. Wedell, en présence du mécène
de l'aviation Ernest Archdeacon, vice-président de la L.N.A., qui
fait une tournée de propagande en Algérie comme délégué
de l'Association générale aéronautique. Le rallye
est remporté par Coquillat qui s'empare du guide-rope au Hamiz.
Après ce vol, Louis Odin et A. Wedell fondent la Société
Algérienne d'Aéronautique Pratique (S.A.A.P.) 3, place de
la Bastille. Cette association, surtout consacrée à l'aérostation,
est présidée par de Barry - vice-présidents : Coquillat,
Beuscher, Chapellier et Docteur Rouquet - secrétaires : Léon
Mouraret, Massieu, Vidai, Edouard Fouqueux et Malac - trésoriers
: Sacerdot et Besson - administrateur technique : Louis Odin - chef de
matériel : Blache. La S.A.A.P. entreprend alors une série
d'ascensions au départ de l'usine à gaz du Boulevard Baudin
où des collectes sont organisées au profit des soldats du
Maroc pendant les opérations de gonflement. Le 9 avril 1911, Louis
Odin atterrit à Baba-Hassen. Le 11 mai, nouveau rallye auto-ballon,
A, Wedell décolle avec comme passagers Sneden et le baron et la
baronne de Viviers. Il atterrit à Mahelma après être
monté à 650 m. et Vidau est vainqueur. Le 21 mai, la nouvelle
de l'accident d'Issy-les-Moulineaux, au cours duquel le Ministre de la
Guerre Berteaux a trouvé la mort, arrive après les préparatifs
de gonflement qui ne peuvent être suspendus et le ballon décolle
avec un crêpe noir, monté par Louis Odin et Blache. Après
le décollage " l'Algérie " survole Birkadem puis
Saoula, le guide-rope passe ensuite à moins de 2 mètres
du clocher de Draria. Le ballon monte ensuite à 3.100 mètres
d'altitude avant de se poser à Douera, où il est accroché
par Paul Garguic. Le 23 mai, monté par M. et Mme Wedell, le baron
de Viviers et le capitaine Salomon Adam, le ballon traverse toute la baie
et va se poser à Fort-de-l'Eau, où les aéronautes
sont invités à déjeuner par l'abbé Bado. Le
24 juin, Louis Odin se marie et, à l'instar de Camille Flammarion,
entreprend de partir en voyage de noces en ballon et va se poser, avec
son épouse Antoinette originaire de Cap-Matifou, à Saoula,
près de l'oued Kerma.
Le 5 juillet 1911 est créé, dans le but d'encourager l'aviation
en Algérie, le Comité d'Aviation Nord-Africain avec pour
présidents Charles Legendre (industriel) et Brissonet (négociant)
- vice-présidents : Docteur Rouquet et Horace de Harven (industriel)
- membres : Emile Daragon (ingénieur), Louis Hoste (ingénieur),
Georges Vautrin (architecte), Letellier (avocat), Castelli, Paul Gazelles
(membre du Conseil supérieur de l'Algérie), Charles Cabaret,
Ferdinand Guillot (négociant) et Florent Spitz (dessinateur). L'Aéro-Club
d'Algérie a été constitué entre-temps comme
section de l'Automobile-Club d'Algérie (siège social 23,
boulevard Carnot). S. Divielle, premier président de l'Aéro-Club,
remet à René Métrot et Jean Marcé, dans les
locaux de l'Automobile-Club, un insigne " Aviation " à
l'occasion du passage du Ministre Thierry. Edouard Paillole, qui débarque
à Alger avec son biplan Farman en juin 1911, ne profitera malheureusement
que peu de temps de son brevet tout récent (n° 516 du 15 juin
1911). Il s'écrase dans la matinée du 14 juillet 1911, après
20 minutes de vol, alors qu'il venait de décoller d'Hussein-Dey
pour survoler la revue des troupes au Champ de Manuvre. Edouard
Paillole, première victime de l'aviation en Algérie, était
né à Mascara le 24 août 1880.
Malgré l'existence du Comité Nord-Africain d'aviation et
de l'Aéro-Club d'Algérie, c'est la S.A.A.P. qui est chargée
d'organiser la Grande semaine d'aviation prévue à Alger
du 12 au 19 mai 1912. Le Général Bailloud met le Champ de
Manuvre à la disposition des organisateurs, le maire, Charles
de Galland, donne une subvention et le comité d'organisation, composé
de Perrier (secrétaire général du Gouvernement Général)
et de l'Amiral Gros, profite du Préfet Laserre qui avait organisé
la course Saumur-Angers, alors qu'il était en poste en métropole.
Les hangars sont installés à côté de l'ancien
vélodrome, alors transformé en arène tauromachique,
et, le samedi 18 et le dimanche 19 mai, plus de 100.000 spectateurs se
rassemblent au son d'une musique venue d'Ibiza. Le plateau est composé
de deux aviateurs : Léonce Ehrmann et Pierre Daucourt et de deux
aéronautes : Paul Leprince et Louis Odin. Léonce Ehrmann
arrive, avec son monoplan Borel, de Boufarik où il a participé,
devant plus de 30.000 spectateurs, à la fête annuelle. Il
dispute, avec Pierre Daucourt (originaire de Troyes), sur Blériot,
une course de vitesse, une course poursuite et un lâcher de précision.
Les aéronautes, Paul Leprince et son ballon " l'Atlas "
et Louis Odin, toujours sur " l'Algérie ", donnent des
baptêmes de l'air en captif et font quelques voyages. Aussitôt
la fête finie, les participants embarquent sur le " Carthage
" à destination de Marseille où doit se tenir une autre
exhibition aéronautique.
Le lieutenant Edmond Gaubert vient faire une démonstration en septembre
1912, toujours au Champ de Manuvre. Edmond Gaubert est né
à Alger le 16 mars 1876. Ancien champion cycliste, il est bien
connu des Algérois et avait effectué, à 18 ans, Alger-Castiglione
et retour en 3 heures 12. Il s'engage dans l'infanterie de marine à
19 ans et participe, à Madagascar, aux combats de Majunga et à
la prise de Tananarive et à celle de Tamatave, où il est
gravement blessé. Aussitôt guéri, il part guerroyer
au Tonkin puis entre à Saint-Maixent. Lieutenant en 1908, il demande
à passer dans l'Aviation militaire et obtient le brevet de pilote
sur Morane. Il participe au circuit européen de 1911 sous le pseudonyme
de Daiger, se blesse et perd un il près de Villers-Cotteret.
Borgne, il commande l'aérodrome militaire de Reims et prend part
à la course Paris-Bordeaux et au circuit d'Anjou. Il gagnera les
deux premiers prix de l'Aérocible Michelin, fera une nouvelle chute
en juillet 1912 et remportera la course d'hydravions de la Marine à
Fréjus en août 1913.
Le 11 janvier 1914, Hanouille, sur Blériot, vient faire une démonstration
à Hussein-Dey devant les Algérois émerveillés
qui voient pour la première fois un avion " boucler la boucle
" et voler sur le dos. Le monoplan avait été exposé,
auparavant, au théâtre de la rue Michelet pendant les conférences
d'Hanouille. Après avoir participé aux meetings de Nice
et de Monte-Carlo, Hanouille se tuera en février à San-Sebastian
(Espagne), en tombant à la mer, après la rupture de son
gouvernail de profondeur. Edmond Gaubert revient à Alger en mars
1914, il fait une conférence le 28 mars à la salle du skating,
rue Weisse, et s'installe pour voler à Boufarik, où il donne
des baptêmes de l'air et " boucle la boucle " le 18 avril.
Le 3 mai, il exécute quatorze boucles consécutives à
Alger.
Entre-temps, l'école de pilotage, installée sur l'aérodrome
de Blida-Joinville par René Métrot et Jean Marcé,
essaie de survivre tant bien que mal. Les frais engagés sont trop
importants et le matériel volant est à bout de souffle.
L'activité doit cesser faute d'argent et d'élèves
et les associés se séparent après avoir englouti
toutes leurs disponibilités dans l'entreprise. Les deux biplans
Voisin, mis à la vente, ne trouvent pas d'acquéreurs et
sont démontés. Les moteurs sont alors utilisés, l'un
pour actionner le groupe électrogène qui alimente les lampes
à vapeur de mercure du garage de la rue d'Isly et l'autre pour
propulser un canot à coque Tellier de 12 mètres qui, monté
par Jean Marcé, gagnera une course organisée par le Sport
nautique d'Alger. René Métrot partira au Maroc reprendre
sa carrière d'ingénieur des Chemins de Fer.
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