Le
phare d'Alger.
C'en est fait. Le phare,
le phare du Penon, à l'éclat duquel, au long d'un siècle,
s'étaient accoutumées des générations d'Algérois,
n'est plus, à présent, qu'un souvenir. Depuis le le'r
décembre, en effet, de l'année du Centenaire, son feu
a été supprimé. C'est là, une mesure définitive.
Un autre signal - sans élévation, toutefois _ lui a été
substitué à l'extrémité de la jetée.
Sans rien exagérer, on peut exprimer que sa jolie flamme pourpre
va manquer, sensiblement, au décor nocturne de ce port et ce
ne sera certes pas, sans un certain regret que se constatera sa disparition,
surtout quand la belle saison ramènera sur le boulevard les promeneurs
du soir.
Avec surprise maintenant, l'il ne voit plus planer, au-dessus
de la darse, qu'une zone d'obscurité. En vain, attend-il un instant.
Elle ne renaît pas, elle ne doit plus renaître, cette fleur
prépondérante qui, si agréablement, dominait la
floraison de tons divers, éclose au flanc, aux mâts des
navires, aux tourelles des passes, aux lignes des quais, et parmi lesquelles,
soudain, venait glisser l'appareil radieux d'une vedette du pilotage.
Du fait de la suppression de ce phare, il semble que le classique quartier
de l'Amirauté soit en partie déchu de sa noblesse d'antan.
Ce joyau - car on peut aussi lui donner cette désignation - ce
joyau aérien qui, ainsi qu'une gemme d'aigrette, surmontait le
front de lai légendaire forteresse du lieu, n'exerce plus là
son prestige.
Déclassé à présent, le phare du Penon n'est
plus, au vrai , qu'une tour de commémoration où. en mélancolie,
s'évoque cette séculaire luminosité qui, en des
milliers de nuits, précieusement, seconda l'activité maritime
d'El-Djezaïr. Avec cette flamme familière c'est, peut-on
dire, un peu de l'âme de l'ancienne cité qui vient de s'évanouir.
Durant que, dans le calme, sommeillait la ville, il veillait lui, parfois
trépidant du fracas d'une tempête en fureur à ses
pieds. De la première étoile jusqu'à la venue de
l'aurore, face aux ténèbres du large, il tenait sa lampe
haute, paraissant dire à ceux en quête du rivage : "
Oui, c'est ici Alger ". Et le jour, sous l'irradiation du soleil,
avec la parure qu'il conserve encore, de cette couronne d'émail
polychrome dont s'agrémenta son clair sommet, il jouait le rôle
aimable de signaler par avance, aux arrivants, l'une des plus gracieuses
originalités de cette cité africaine.
Mais, en vérité, c'est plus qu'une existence séculaire
que poursuivit ce phare. Aux temps barbaresques, au cours de maints
règnes de deys, il brilla déjà sur ces flots méditerranéens.
Il eut, d'ailleurs, des devanciers et, dès le 15° siècle,
son rocher - l'ancien îlot Stofla - avait été, par
les Algériens, pourvu d'une tour-vigie éclairante et à
la fois défensive. Par Pedro de Navarre, en 1510, fut démolie
celle-ci, pour l'édification de la citadelle du Penon. Une autre
lui succéda, dont de vieilles estampes ont perpétué
la physionomie. Souvent remanié, cet édifice, enfin, devint
la tour que, sous Napoléon, connut Boutin.
Sans s'émouvoir outre mesure, les Corsaires, parfois, eurent
le désagrément de voir mise à mal cette tour par
des bombardements européens. Un nouveau dommage, cependant, fit
sur eux une particulière impression : l'anéantissement
du fanal que, le 25 février 1814, toucha la foudre. L'événement
leur apparut de fort mauvais augure. Or, il advint qu'en 1810, eut lieu
la formidable attaque de la flotte de Lord Exmouth, à quelque
distance de laquelle, sous Charles X, devait s'effectuer le débarquement
de Sidi-Ferruch.
Conservé à la Conquête, en son ordonnance antérieure,
le phare, apprennent les archives, fut, en 1834, surélevé
et doté, en échange de sa primitive lanterne, d'un appareil
catadioptrique, ce pourquoi, précise-t-on, il demeura sans flamme
du 27 septembre jusqu'au 1er novembre de la dite année.
Depuis, il n'a cessé de se réanimer quotidiennement. Même
en 1845, quand survint la terrible explosion de la poudrière
du Penon, qui fit 145 victimes et détruisit les constructions
d'alentour, sa clarté ne se trouva aucunement interrompue. Épargné
en cette catastrophe, il subsista, comme devant et continua de projeter,
sur l'élément liquide, ses indispensables rayons. En nombre,
des années ont succédées aux années et toujours
au service de l'intérêt de la cité, le phare, fidèlement,
assura sa mission.
Cette mission, de par une décision supérieure, est. arrivée
à son terme. Un décret a déclaré révolue
la série de ses veilles. Il est relevé de sa garde. C'est
un vétéran qui entre dans l'Histoire et c'est juste au
moment où, pour l'Algérie s'ouvre le livre d'un second
siècle de vie française, que se trouve clos le sien, qu'entre
autres dates illustre celle de 1830. Tel était son destin.
On ne le verra plus, dans la succession des nuits, associer ses palpitations
aux cadences des phares de ce bord ni, de sa vibrante lumière,
souhaiter la bienvenue aux visiteurs d'Alger, en approche de la baie.
Non plus ne se verra dans l'eau paisible de cette darse, affectionnée
de tant de peintres, flamboyer cette somptueuse écharpe pourprée
qui y projetait son feu.
Ce feu, rappelons-le, simplement blanc autrefois, il le manifesta vers
non ultime époque, en éclat rubescent, comme si, pressentant
son imminente fin, il eût voulu que s'achevât sa carrière,
dans la séduction d'une spéciale parure. Et rappelons
encore cette période sidérale en laquelle, s'inclinant
très bas sur son scintillement, la Grande Ourse semblait vouloir,
auprès de lui, faire s'augmenter d'une unité différente,
sa constellation. La grâce de cette fantaisie, hélas, ne
se renouvellera plus ! Le phare d'El-Djezaïr est un flambeau éteint
et seul, dans le futur, luirai son souvenir...