Le Rowing-Club d'Alger
L'aviron, sport national
anglais et depuis longtemps pratiqué en France, ne devait pas
manquer de séduire la sportive jeunesse algéroise, si
prompte à s'enthousiasmer pour les idées nouvelles et
spécialement favorisée par un soleil prodigue de sa lumière,
au bord d'un plan d'eau unique et illimité.
Dès mars 1922, des articles de M. Sizes donnaient naissance au
mouvement, qui fit son chemin si bien que deux mois après, le
2 juin 1922, Camille Gérolami fondait avec quelques amis le Rowing-Club
d'Alger.
C'étaient les temps héroïques : sans moyens pécuniaires,
ils ne disposent que d'une vieille yole, qu'ils remisent sous une voûte
de l'Amirauté. Pour " sortir ", il faut arriver bien
en avance, car on risque d'attendre longtemps le retour de l'unique
embarcation.
Mais les rameurs sont des gens persévérants. Autour de
M. Gérolami, qui devait rester jusqu'à sa mort (le 13
novembre 1932) l'animateur du Club viennent se réunir, de plus
en plus nombreux, tous ceux qui ont la passion du " bout de bois
". Les ressources augmentent, on achète de nouveaux bateaux,
il devient même nécessaire de construire sur les cales
de l'Amirauté un hangar provisoire pour abriter le matériel.
Mais la Marine désire récupérer ses locaux et le
Club rêve d'un Pavillon digne de son nom ; de gros efforts financiers
sont faits, les Pouvoirs Publics donnent leur appui, et, en 1930, le
splendide local de la Jetée Nord est inauguré.
Ce pavillon, qui dresse sa masse imposante d'allure si moderne précisément
à l'endroit le plus idéal du port, rendrait jaloux bien
des clubs célèbres qui bordent la Tamise ou la Marne.
Il est conçu de façon pratique et confortable. Il est
destiné à recevoir non seulement le rameur et son matériel,
mais encore sa famille et ses amis, auxquels le meilleur accueil est
réservé sous le fanion bleu marine et orange qui flotte
fièrement, face à l'immense baie d'Alger. Le rez-de-chaussée,
d'une superficie de 324 m.c. (27 x 12), de plain-pied avec le quai,
est aménagé en garage où reposent une trentaines
de yoles, outriggers et canoës, soigneusement entretenus.
Le premier étage comprend, d'une part, le vestiaire des rameurs,
d'autre part, la salle de réunion, les bureaux, et les lavabos
des invités. Chaque rameur possède son armoire personnelle,
où il enferme ses vêtements de sport et son matériel
de toilette. Une salle de douches fonctionnant sans arrêt permet
à huit équipiers à la fois de prendre, après
l'effort, un " tub " réconfortant.
Par le côté Sud du pavillon, l'on aboutit à la grande
salle de réunion qui domine librement sur un balcon circulaire
de deux mètres de large et qui permet de goûter à
volonté le charme de la brise ou de se faire dorer au soleil.
De moelleux fauteuils de cuir invitent aux amicales conversations, agrémentées
d'une bonne pipe, après le succulent déjeuner pris par
petites tables en sympathique compagnie... Le vent de mer rafraîchit
l'air agréablement et gonfle, sous vos yeux les voiles blanches
des bateaux du Yacht-Club qui évoluent pour gagner la haute mer.
Et parfois, vous assistez à des arrivées ardemment disputées
entre plusieurs " quatre " qui apparaissent du fond de la
rade. Et si vous êtes amateur de ping-pong, une table super-sport
vous attend dans un coin.
Au second, une vaste terrasse, merveilleusement placée pour le
bain de soleil et la culture physique, et qui, de plus, réserve
une vue unique sur Alger.
A la tête de cette organisation, qui comprend 250 membres actifs,
40 membres scolaires et 80 membres honoraires, se trouve un Conseil
d'administration de douze membres, tous rameurs et anciens rameurs,
groupés autour du Président, et divisés en commissions
spécialisées, veillant à l'entretien du matériel,
à l'entraînement, au service du restaurant qui permet aux
rameurs et à leurs invités de prendre leurs repas au Club,
etc..
Tout est mis en uvre pour atteindre à l'idéal sportif
de la Société : on s'attache à fournir aux rameurs
des bateaux neufs ou en parfait état ; on veille à leur
condition physique par des examens médicaux sympathiques et par
l'établissement de leur dossier sportif : le Capitaine d'entraînement
et ses adjoints suivent et entretiennent la forme des meilleurs, instruisent
avec patience les novices qui viennent de plus en plus nombreux, attirés
par la joie de ce sport complet. Outre les qualités d'endurance
et de souplesse qu'il développe chez ses fervents, l'aviron est
le sport qui est par excellence basé sur l'esprit d'équipe
: En course, aucun exploit individuel n'est possible, le style est uniforme
; les deux, quatre ou huit rameurs qui forment moteur ne sont plus que
des numéros obéissant aux ordres du barreur attentif à
suivre, ou plutôt à deviner la cadence donnée par
l'" as ", le rameur de tête ; ne plus être qu'une
splendide machine humaine en plein rendement pour l'espoir de voir triompher
son équipe et les couleurs du Club. Une belle école d'énergie,
un magnifique entraînement pour les matches quotidiens de la vie.
Le Rowing-Club d'Alger est maintenant en plein essor. Il aspire encore
à augmenter son activité en organisant des régates
plus nombreuses que l'année précédente, en préparant
minutieusement ses meilleures équipes pour les compétitions
à venir.
C'est ainsi que, chaque jour, on peut voir, sous les rayons du soleil
levant, de longues yoles menées infatigablement dans la rade
par de bruns jeunes gens en maillot orange, et souvent la dernière
équipe n'est pas rentrée au garage lorsque, dans le crépuscule
tombant, s'allument les lumières du port
D'une visite à la cale Camille Gérolami, d'avoir vu cette
jeunesse bronzée aux épaules larges obéir impassiblement
aux ordres des moniteurs, sous l'il paternel des membres du Conseil
d'administration, on rapporte une impression de fraîcheur morale
et de beauté physique qui fait comprendre la valeur de l'uvre
admirable accomplie en une dizaine d'années parmi notre jeunesse
par quelques hommes qui ont voulu lui infuser le sentiment de la noblesse
du sport d'équipe qu'est par excellence l'aviron, lui faire goûter
les joies de la lutte et de la victoire pacifiques, et lui transmettre
les traditions d'honneur, de solidarité et de fidélité
au Club qui sont le propre d'un vrai rameur. - C'est le plus beau résultat
auquel puissent prétendre des sportifs désintéressés.
Nous extrayons du " Manuel scientifique d'éducation physique
" de Maurice Boigey, les passages suivants :
Effets physiologiques de l'aviron. - C'est un sport complet, dosable
à volonté, donnant à ceux qui le pratiquent, le
bain de plein air et le bain de lumière. Il implique des soins
spéciaux pour l'homme et pour les engins délicats et robustes
que sent les bateaux. Il développe l'esprit d'émulation
sans susciter la combativité. Il n'implique point de heurts,
de chocs, de brutalité.
Le chef de nage qui a la charge de l'équipe doit faire preuve
d'initiative et d'intelligence. L'énergie morale seule permet
à un rameur fatigué, sur le point d'abandonner la lutte,
de se ressaisir et de poursuivre sa tâche jusqu'au bout. J'ai
vu des équipiers, après le dernier coup d'aviron, s'affaler
épuisés, presque évanouis, au fond de leur bateau
; ils avaient tenu jusqu'à l'extrême limite de leur force.
Cet exercice élève le caractère en imposant quelque
abnégation. L'intérêt supérieur de l'équipe
prime toute autre considération. Se rendre au jour et à
l'heure fixée au garage, obéir courtoisement aux instructions
reçues, prendre soin d'un matériel fragile, c'est se mettre
à l'école de la solidarité, si utile la jeunesse.
Savoir que la faute d'un seul peut fâcheusement influencer les
moyens de tous les autres incite au contrôle de soi-même.
L'aviron ne surmène pas le cur. - On a rendu l'aviron responsable
de certain surmenage du cur. Des recherches ont été
poursuivies sur ce point, tant en Angleterre qu'en Amérique.
Les auteurs se sont, notamment, attachés à rechercher
les causes du décès de nombreux champions de rowing. Les
enquêtes ont porté sur une période de quatre-vingts
années ; elle ont démontré que les professionnels
de l'aviron, qui auraient de bonnes raisons d'être surmenés
au point de vue cardiaque, si vraiment le rowing était un sport
surmenant pour le cur, ne succombaient pas aux atteintes des maladies
de cur dans une proportion plus élevée que la moyenne
des autres hommes. La statistique de T. H. Morgan, la plus complète,
porte sur les concurrents des courses de bateaux interuniversitaires
entre Oxford et Cambridge, de 1829 à 1860. A cette dernière
date, on comptait encore 255 survivants de 1928 et 39 décèdes
; sur ces derniers, 10 étaient morts d'affections fébriles
aiguës de nature infectieuse, 10 de tuberculose, 6 d'accidents
divers, 3 de maladie de cur, 1 du mal de Bright et 9 de diverses
maladies sans rapport avec l'athlétisme. En comparant avec les
" tables de vie anglaises ", cet auteur constate que la longévité
moyenne des rameurs universitaires était très supérieure
à la longévité moyenne des autres Anglais.
Ainsi donc, l'aviron est un sport complet susceptible de rendre les
meilleurs services.