Origines d'Alger
Conférence faite le 16 juin 1491*
(* date -coquille , bien entendu- figurant dans l'opuscule.
Il s'agit de 1941.)
Monsieur le Gouverneur Général,
Mesdames, Messieurs,
Il est souvent instructif et toujours émouvant de remonter, lorsqu'on
le peut, à l'origine de nos cités, mais lorsqu'il s'agit
d'une ville comme Alger dont la croissance, le développement, la
transformation aussi sont, pour ainsi dire, quotidiens et se déroulent
sous nos yeux, c'est un devoir que d'évoquer et de préserver,
dans la plus grande mesure possible, ce qui a été auprès
de ce qui est, quand nous n'aurions pour but, en agissant ainsi, que de
souligner les liens qui unissent le présent au passé et
de montrer par des témoins précis et fidèles, la
grandeur de l'oeuvre accomplie.
L'origine exacte d'Alger était restée jusqu'ici assez obscure.
Dans sa monumentale " Histoire Ancienne de l'Afrique du Nord ",
Stéphane Gsell a rassemblé, avec sa prudence coutumière,
tout ce qu'il était possible d'affirmer en se fondant sur les données
de l'histoire, de la littérature et de l'archéologie.
Sa conclusion était qu'avant l'époque romaine et l'existence
d'une colonie latine appelée Icosium, au 1" siècle
de notre ère, nous ne possédions que des données
légendaires. C'est le récit de la fondation de la ville
fait par le grammairien latin Solin qui vivait vers la fin du IIIme siècle
après Jésus-Christ.
Voici ce qu'il écrivait :
" Nous ne quitterons pas Icosium sans en parler. Lorsque Hercule
traversa cette contrée, vingt de ses compagnons, l'ayant abandonné,
choisirent un emplacement et y élevèrent des murailles.
Afin qu'aucun d'eux ne put se glorifier particulièrement d'avoir
imposé son nom à cette ville, on donna à celle-ci
un nom formé du nombre de ses fondateurs. "
Vingt, en grec. se disant EIKOSI, Icosium en serait dérivé.
Cette étymologie plus ingénieuse que probante. les érudits,
avec raison, s'accordaient à l'écarter. Le seul élément
que Gsell retenait de l'anecdote, et nous verrons qu'il avait raison,
c'était l'allusion au voyage d'Hercule. Cette légende, que
les Grecs ont développée et embellie, à leur ordinaire,
c'est le voyage d'Hercule à la recherche des Pommes d'or des Hespérides,
qu'une tradition situait aux confins occidentaux de l'Afrique. Or, il
est remarquable que dans la Méditerranée Occidentale le
héros grec se confond plus ou moins avec une divinité tyrienne,
Melqart, dont le nom signifie le Seigneur de la Ville et qui était
le dieu et le patron de Tyr. Partout où Melqart possédait
un sanctuaire ou était adoré, on retrouve un épisode
de la légende d'Hercule. Ce récit des pérégrinations
de Melqart-Hercule à travers l'Afrique jusqu'aux confins de l'Atlantique
et, au delà des Colonnes d'Hercule, le détroit de Gibraltar
actuel, jusqu'à Cadix, la grande colonie phénicienne sur
l'Océan, illustrait les progrès de la colonisation phénicienne
le long des routes commerciales que les marchands tyriens et, plus tard,
carthaginois fréquentaient dans le bassin occidental de la Méditerranée.
Ces routes étaient jalonnées de comptoirs. L'un d'eux, grâce
à une position particulièrement favorable, s'est substitué
un jour à Tyr, sa métropole lointaine, déchue de
son antique prospérité et a recueilli et développé
son héritage, ce fut Carthage. La colonisation punique s'est alors
implantée sur tout le littoral africain, utilisant, en général,
pour établir ses comptoirs et ses entrepôts, des sites défensifs
: soit un cap, facile à isoler par un mur d'enceinte, soit une
île, de préférence peu éloignée du rivage
et qui offrait le double avantage (le constituer un mouillage et une position
facile à défendre. Tels sont les sites puniques que l'on
trouve sur la côte algérienne. Les caps : Rusicade (Philippeville),
Rusuccuru (Dellys), Rusguniae (Matifou) ; les îles : Igilgili (Djidjelli),
Iomnium (Tigzirt), Iol (Cherchel) et l'île de Rachgoun, à
l'embouchure de la Tafna.
A cette énumération que je limite a la côte algérienne,
mais qu'il serait possible de prolonger vers l'Est, en Tunisie, et vers
l'Ouest, le long de la côte marocaine, il faut désormais
ajouter Icosium"
C'est, en effet, la conséquence à tirer d'une découverte
faite cet hiver dans le quartier de la Marine. Comme on le sait, en novembre
dernier, des ouvriers des chantiers de terrassement de la Régie
foncière découvraient un lot de pièces de monnaie
en plomb et en cuivre qui, recueillies par M. Barbarin, directeur de la
Régie foncière, ont été données au
Musée Stéphane Gsell par M. Rozis, maire d'Alger.
Voici la description de ces pièces qui sont toutes du même
type, mais nonde la même émission, car elles présentent
entre elles de menues différences de détail.
Sur la face on voit, à droite, une tête de femme tournée
vers la gauche. Sa chevelure, en forme de bandeaux qui descendent très
bas sur la nuque et couvrent les oreilles, est surmontée d'une
couronne à plusieurs pointes. Une sorte de voile couvre la nuque
sous les cheveux bas et retombe à droite et à gauche du
cou, en formant deux gros plis verticaux. La tête féminine
occupe toute la moitié du champ. L'autre moitié est remplie
par une Victoire aux ailes déployées, qui, d'un mouvement
rapide et dans une envolée de sa longue tunique, s'élance
vers la droite. Sa main droite tend vers la tête de femme une couronne
ornée de fleurs et d'où pendent deux rubans.
Au revers, un personnage masculin est debout, de face, au centre de la
monnaie. C'est un homme barbu au chef surmonté de trois protubérances
qui sont probablement des rayons. Il lève le bras droit, le coude
plié et la main ouverte, la paume en avant, à la hauteur
de l'épaule. L'autre bras est replié devant la poitrine
et tient un petit objet qui semble une boite. http://alger-roi.fr par
B.Venis. Le personnage est vêtu d'une tunique, et de son épaule
gauche pend une draperie qui est vraisemblablement une peau de bête,
une peau de lion. Il faut reconnaître en lui Melqart, le dieu phénicien,
revêtu de la peau de lion attribuée, d'après la légende,
à Hercule.
A gauche de l'effigie du dieu, on lit, de droite à gauche, une
légende en caractères puniques. J'ai prié mon collègue'
M. Cantineau, professeur de langues sémitiques à la Faculté
des Lettres, d'étudier cette inscription. Il a reconnu qu'elle
comprenait cinq signes et qu'il fallait la lire IKOSIM.
Ikosim est composé de deux mots : l'un qui signifie l'île
et qu'on retrouve dans d'autres noms géographiques de la Méditerranée,
Ibosim, Ibiça, dans l'archipel des Baléares ; Irtos m, l'île
San Pietro, au Sud-Ouest de la Sardaigne ; Ironim, l'île de Cossyra
(Pantelleria) dans le détroit de Sicile. Kosim se révèle
plus difficile à interpréter. M. Cantineau hésite
entre le sens d'épines, l'île des épines, ou d'oiseaux
impurs, de hiboux, que peut avoir le vocable. Victor Bérard, dans
ses " Navigations d'Ulysse ", avait déjà
supposé à Icosium une étymologie punique et traduisait
" l'Ile des Mouettes ". C'est à cette interprétation,
évidemment plus poétique, qu'a voulu se rallier le bureau
du Comité du Vieil Alger, lorsque sur l'emblème qui décore
les cartes d'adhérents, il a fait figurer, une mouette au-dessus
des îlots d'El-Djezaïr.
L'intérêt de ce nouveau vocable Ikosim, quelle que soit sa
signification, est de nous donner l'origine du mot Icosium, qui en est
la latinisation et aussi de nous montrer que ce qui a frappé les
premiers habitants du site, les navigateurs et trafiquants puniques, c'est
l'île, l'île-refuge, et lorsque, bien des siècles plus
tard, Alger changea de nom, c'est encore ce détail géographique
qui a été souligné avec El-Djezaïr beni Mezranna,
les îles des Beni Mezranna - comme nous le verrons tout' à
l'heure.
Quand le comptoir phénicien a-t-il existé ? De quand datent
les monnaies découvertes ? A en juger par les caractères,
elles seraient antérieures au IIè siècle avant notre
ère. Elles correspondraient, dans l'histoire de l'Afrique ancienne
à la période de la formation des royaumes berbères
de Numidie et de Maurétanie, mais seraient cependant antérieures
au royaume de Juba II, le roi de Cherchel. Ikosim, colonie de Carthage,
a dû vivre de trafic et d'échanges avec les indigènes
de la région du Tell.. http://alger-roi.fr par B.Venis Trop pauvre
pour posséder des monnaies en métal précieux, or
ou argent, comme sa métropole, elle se contentait de plomb et de
cuivre tirés des mines de la côte africaine : Ténès,
le Guelta, par exemple.
Après la création du royaume de Maurétanie par Auguste,
en 25 av. J.-C., Ikosim est passée sous la dépendance de
Juba et de son fils Ptolémée. Elle tenait, de ses origines
puniques sans doute, une organisation municipale comme le prouve une inscription
trouvée jadis rue Bruce et qui est au Musée Stéphane
Gsell. C'est une dédicace au roi Ptolémée par un
certain Lucius C2ecilius Rufus " qui avait reçu tous les honneurs
dans sa patrie ". Le même personnage figure sur une inscription
encastrée dans le minaret de la Grande Mosquée. Mais encore
faut-il être prudent en faisant usage de ces inscriptions, car nous
savons qu'à l'époque turque des matériaux de construction
ont été apportés ici de Rusguni e, peut-être
même de Tipasa. Par contre, il y a un texte qui est incontestablement
d'Alger, c'est celui qui est encastré dans la maison
" A Publius Sittius Plocamianus, fils de Marcus, de la tribu Quirina,
le Conseil municipal d'Icosium. Marcus Sittius Caecilianus, fils de Publius,
de la tribu Quirina, au nom de son fils très cher, ayant reçu
l'honneur, a assumé la dépense. "
C'est la base d'une statue honorifique décernée à
un citoyen romain par le Conseil municipal d'Icosium - et le père,
se tenant pour satisfait de la décision du Conseil, a pris à
sa charge les frais de l'érection du monument. Bel exemple (le
la générosité d'un citoyen à l'égard
de sa ville et de son souci de ménager les finances municipales.
Le texte renferme ces mots " Ordo Icositanorum ". Il nous donne
la preuve de l'existence d'une commune organisée, avec un ordre
des décurions et des magistrats. . http://alger-roi.fr par B.VenisNous
savons, en effet, qu'entre 69 et 79 de notre ère, sous
le règne de l'empereur Vespasien, Icosium reçut le titre
de colonie latine, ce qui impliquait qu'elle avait une certaine importance
et qu'elle possédait toute une organisation (le magistrats, (le
fonctionnaires, un clergé aussi, et on a retrouvé l'inscription,
malheureusement mutilée, du' premier pontife de la colonie, qui
avait été édile et duumvir, c'est-à-dire président
du Conseil municipal.
Enfin, une insçription d'Aphrodisius, esclave grec de la famille
Cornelia, trouvée rue du Vieux-Palais, est une dédicace
à Mithra, figuration persane du soleil. Ce sont, avec l'inscription
qui mentionne le pontife, les seules précisions que nous possédions
sur les cultes païens d'Icosium.
Nous ne savons que peu de choses sur l'hitoire de la ville à l'époque
romaine. Sans doute, la colonie connut-elle, au I111e siècle, la
prospérité des villes africaines en général.
Peut-être en faut-il trouver la preuve dans deux trouvailles archéologiques
: une belle tête en marbre de l'empereur Hadrien a été
trouvée en 1900, 28, rue de Lyon, à Belcourt. Elle est aujourd'hui
au Musée d'Alger. Plus récemment, une monnaie en bronze
de l'année 119, à l'effigie d'Hadrien, sur sa face, et de
Pégase, sur son revers, a été trouvée auprès
de Notre-Dame d'Afrique par M. Biousse, qui a bien voulu me la communiquer.
Ces documents prouvent, me semble-t-il, l'existence d'habitations dans
la banlieue d'Icosium et, (lu moins pour le premier d'entre eux, l'existence
d'oeuvres d'art, signes d'une certaine prospérité.
Les seuls événements que l'histoire ait enregistrés
au sujet d'Icosium, c'est' qu'en 372 Firmus, un chef (l'origine berbère
qui s'était révolté contre Rome et qui n'avait pas
réussi à s'emparer de Tipasa, à cause de ses remparts
et de la résistance de ses habitants animés par leur foi
en Sainte Salsa, devint le maître d'Icosium, qu'il restitua l'année
suivante.
Firmus, au cours de sa révolte, avait reçu l'appui des donatistes.
Est-ce grâce à leur concours qu'il avait pu prendre Alger
? Il y avait en tout cas, en 411, un évêque donatiste Crescens
à Icosium. Avec la mention de Laurentius, évêque catholique
en 419, et de Victor, évêque en 484, qui fut persécuté
par les Vandales, c'est tout ce que nous savons sur le christianisme à
Icosium. Cependant un chroniqueur arabe du XIme siècle, El Bekri,
mentionne les ruines d'une église.
C'est sans doute à l'époque de l'invasion vandale qu'ont
été abandonnées dans le sol du quartier (le la Marine
une quantité considérable de pièces de bronze du
siècle (le notre ère, que les travaux en cours ont retrouvées.
Dès lors, pendant plusieurs siècles, le silence se fait
sur Alger. 11 y a là, entre le Vet le siècle, un hiatus
(lue, jusqu'ici, rien ne permet de combler.
Que la ville ait cessé (l'exister à ce moment-là,
deux faits me semblent je prouver : d'abord ce que nous savons de la fondation
au Xme siècle par Bologguin, fils de Ziri, chef (les Çanhadja,
d'une nouvelle ville, et surtout le fait que cette ville reçoit
un nom nouveau.
C'est autour de 950, en effet, que Bologguin fonda sur l'emplacement d'Icosium,
une ville qui prend le nom d'El-Djezaïr Beni Mezranna, les îles
des Beni Mezranna.http://alger-roi.fr par B.VenisLes Beni Mezranna étaient
une tribu sédentaire
qui, à une date inconnue, mais sans doute après la première
invasion arabe du VII`"° siècle, s'était fixée
dans la région d'Alger.
Du Xè au XVIè siècle, Alger est une ville berbère.
Occupée successivement par tous les conquérants qui se s'ont
emparés du Maghreb central, Alger a changé bien souvent
de mains avant de devenir, grâce à Aroudj et à son
frère, Kher-ed-Dine, dit Barberousse, une dépendance de
l'Empire turc.
De l'Alger turc, il subsiste encore bien des vestiges, qui, hélas
! diminuent chaque jour, niais je voudrais, en terminant cette rapide
incursion dans le plus lointain passé d'Alger, essayer de préciser
l'idée que nous pouvons nous faire de la physionomie de la ville
la plus antique.
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Plan port
d'Alger en 1937
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Vestiges
anciens du quartier de la Marine
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Et d'abord, puisqu'ils ont eu l'honneur de
lui donner son nom à deux reprises, il faut parler de l'île
ou des îlots. Il existe, à leur sujet, deux traditions. D'après
la légende des pièces puniques, certains chroniqueurs arabes
et le nom Al-Djezira qui se retrouve sur les cartes génoises et
vénitiennes sous la forme Zizera, Zizara, il y avait une île.
D'après le nom de la ville de Bologgin, El-Djezaïr, il y en
avait plusieurs, au moins quatre selon la tradition. M. Lespès,
l'érudit historien d'Alger, a montré que la forme actuelle
Alger, qu'on prononçait à l'origine Aldjère, est
probablement une déformation catalane d'Al Djezira. Mon collègue,
M. Pérès, professeur à la Faculté des Lettres,
a bien voulu me signaler qu'on trouve dans les textes arabes du XVIII"°
siècle une forme Al Djir qui est sans doute, elle aussi, une transcription
du catalan Aldjère, mais qui, chez des esprits ingénieux,
a suscité une étymologie plus poétique que vraisemblable
: Bled Al Djir serait le pays de la chaux, donc de la ville dont les maisons
sont blanches comme de la chaux : " Alger-la-Blanche ".
El Bekri, au XII"'° siècle, est catégorique. Après
avoir dit que le port s'appelle Merça El Djezaïr et El Djezaïr
Beni Mezranna, il ajoute : " Entre l'île de Stofla et le continent
existe un très bon et sûr mouillage d'hiver. Cette île
s'étend en longueur de l'Est à l'Ouest ".
On peut, semble-t-il, admettre qu'il y avait sous les bâtiments
actuels de " l'île " de l'Amirauté, non pas une,
niais plusieurs îles et que l'une d'entre elles, plus vaste, était
habitable alors que les autres n'étaient que 'des récifs.
C'est ce que dit, à peu près expressément Ibn Hawkal,
au Xme siècle : " Dans la mer, en face de la ville, est une
île où les habitants trouvent un sûr abri quand ils
sont menacés par leurs ennemis ".
La réflexion, si précise, du vieux chroniqueur arabe est
restée vraie jusqu'au jour où, au XVIt° siècle,
Kher-ed-dine a relié définitivement les îles à
la terre ferme par une jetée. Il a créé en même
temps le port qui a fixé pour des siècles le destin d'Alger.
C'est le port ainsi formé qui est devenu la raison d'être
de la ville et, plus tard, la source de sa prospérité, sous
des formes, à vrai (lire, assez diverses selon qu'il s'agit des
XVIIè et XVIIIè siècles ou de l'époque contemporaine,
de la ville des corsaires et des pirates ou de la grande cité française.
De la ville punique, il serait vain d'essayer de se faire une idée.
Du comptoir, situé primitivement dans l'île, est-il sorti
une agglomération sur la terre ferme? Nous sommes là clans
le domaine des hypothèses. La ville romaine, par contre, se laisse
un peu mieux reconnaître. Des traces de voie retrouvées sous
la rue Bab-el-Oued, d'une part, sous la rue de la Marine, d'autre part,
laissent supposer que l'agglomération d'Icosium devait se trouver
dans la partie du quartier de la Marine actuel qui avoisinait la place
du Gouvernement et les mosquées. C'est dans cette région,
en tout cas, que les vestiges les plus nombreux ont été
signalés. La ville s'étendait vers l'Ouest, puisque clans
les parages de la Cathédrale ont été découverts
des mosaïques, des restes de thermes, les vestiges (l'un aqueduc.
Le fait est à rapprocher d'un passage d'El Bekri qui, parlant d'El
Djezaïr, nous dit : " On y remarque une maison de divertissements
dont l'intérieur est pavé de petites pierres de diverses
couleurs qui forment une espèce de mosaïque. On y voit les
images de plusieurs animaux parfaitement travaillés d'une manière
si solide que pendant une longue série de siècles, elles
ont résisté à toutes les injures du temps ".
Cette maison (le divertissements ornée de mosaïques, où
l'on a cru reconnaître un théâtre, est, plus vraisemblablement,
un établissement (le bains publics, c'est-à-dire des thermes.
Du côté du Nord, les travaux récents ont révélé
l'existence de murailles orientées Est-Ouest, qui pourraient être
des restes de remparts, mais l'on savait depuis
longtemps qu'à l'extrémité Nord de la rue Bab-el-Oued,
sur l'esplanade et à l'emplacement du Grand Lycée s'étendait
un vaste cimetière. Le mobilier de nombreuses tombes, plats, poteries,
vases en céramique, fioles, urnes, récipients en verre,
a été déposé au Musée Stéphane
Gsell par MM. Lauro et Antoniotti, qui l'avaient mis au jour en construisant
les immeubles de ce quartier. En 1863, l'architecte Guiauchain signalait
et étudiait un vaste caveau en forme de columbarium découvert
dans le chantier du Grand Lycée et qui a été conservé
sous les fondations de cet édifice. Tous ces indices archéologiques
nous font considérer Icosium comme une petite oville d'extension
modérée et, comme l'attestent des trouvailles récentes
(le pressoirs à huile et (le nombreuses jarres antiques, qui tirait
ses ressources (lu terroir environnant. Ville agricole, comme la plupart
des villes antiques d'Algérie - ville commerçante aussi
et qui, par son port, exportait ses produits vers la côte africaine
et vers l'Europe.
Nous avons des renseignements plus précis sur l'Alger du X11e siècle,
lorsqu'après une éclipse de plusieurs siècles, il
vient de ressusciter.
C'est, tout d'abord, un texte d'Ibn Hawkal, un négociant de Bagdad,
qui a parcouru l'Afrique en quête (le renseignements d'ordre économique
" La ville d'Alger, écrit-il, est bâtie sur un golfe
et entourée d'une muraille. Elle renferme un grand nombre (le bazars
et quelques sources de bonne eau près de la mer. C'est à
ces sources que les habitants vont puiser l'eau qu'ils boivent. Dans les
dépendances de cette ville se trou-vent des campagnes très
étendues et des montagnes habitées par plusieurs tribus
des Berbères. Les richesses principales des habitants se composent
de troupeaux de boeufs et de moutons qui paissent dans les montagnes.
Alger fournit tant de miel qu'il y forme un objet d'exportation et la
quantité de beurre, de figues et d'autres denrées est si
grande qu'on en exporte à Kairouan et ailleurs. "
Et Edrisi, au XIIè siècle, répète à
son tour : " Autour de la ville s'étend une plaine entourée
de montagnes habitées par des tribus berbères qui cultivent
du blé et de l'orge, mais qui s'occupent principalement de l'élevage
des bestiaux et (les abeilles. C'est à cause de cela que le beurre
et le miel sont tellement abondants dans ce pays qu'on en exporte souvent
au loin. "
Enrichie par la Mitidja et l'Atlas, ville de propriétaires agriculteurs,
éleveurs, apiculteurs, telle est la physionomie de la ville qui
se dégage de nos plus anciens documents. Ville commerçante
aussi, qui exporte ses produits et, de ce fait, s'enrichit, l'Alger du
Moyen-Age, dont on comprend que les différents maîtres du
Maghreb se soient préoccupés de la conquérir, a élevé
des édifices dont nous pouvons encore apprécier le caractère.
D'abord les remparts dont parle Ibn Hawkal : il en subsiste d'importants
vestiges. La ville a gravi les pentes qui la dominaient. De cette enceinte,
il demeure : le bastion qui est en haut de la rampe Valée, celui
qui domine le boulevard Gambetta, celui qui est au coeur de la citadelle
turque et que le Vieil Alger a visité cet hiver. Viennent ensuite
la Grande Mosquée, qui fut, au X1'e siècle, l'oeuvre des
Almoravides, et qui mérite une étude particulière,
et l'ensemble de monuments que nous avons eu récemment le plaisir
de visiter dans la docte compagnie de M. Marçais, le tombeau et
la zaouïa de Sidi Abd er Rahmane, qui datent du XIV11e siècle.
Dans son enceinte de murailles, l'Alger du Moyen Age épouse la
forme d'un triangle, d'une arbalète, disposition conservée
en gros par le quartier actuel de la Casbah et qui ressort nettement sur
les anciennes gravures.
Mais si les chroniqueurs se plaisent à célébrer le
caractère prospère, actif, industrieux d'Alger, nous trouvons
chez l'un d'eux, au XIII"'" siècle, une note un peu discordante.
" En arrivant à Alger, écrit Mohammed el Abdari, je
demandai si l'on pouvoit y trouver des gens doctes et d'une érudition
agréable, mais j'avais l'air, comme dit le proverbe, de celui qui
cherche un cheval plein ou des oeufs de chameau. "
Il faudra toute la science et la sagesse du vénérable Sidi
Abd er Rahmane, dont M. Marçais évoquait naguère
si aimablement le souvenir, pour donner, au XIV11P siècle, un peu
de lustre intellectuel à cette ville qui semble, dans le passé,
avoir été plus soucieuse des biens terrestres que des valeurs
intellectuelles.
Mais les temps ont bien changé si l'on en juge par le vif intérêt
que les membres du Comité du Vieil Alger portent à la résurrection
du passé de leur belle ville et à l'évocation de
son histoire.
Louis LESCHI.
Directeur des Antiquités de l'Algérie.
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