LA CONQÊTE D'ALGER*
par S.A.R. le prince Sixte de Bourbon

*Voir le numéro du 4 janvier 1930( que je ne possède point.)
Copyright by S. A. R. le prince Sixte de Bourbon, 1930.
Extrait de "Illustration ", juillet 1967,n°211
mise sur site le 17-08-2004
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L'armée expéditionnaire française destinée à conquérir Alger était arrivée le 13 juin devant la côte d'Afrique, et, le même soir, l'immense flotte, comptant plus de 100 bâtiments de guerre et environ 400 navires de commerce, jetait l'ancre dans la baie de Sidi Ferruch.

Le 14, à l'aube, les premières troupes prenaient possession du sol algérien. C'était la brigade du maréchal de camp Poret de Morvan, de la division Berthezène. Rapidement, Sidi Ferruch fut occupé, pendant que les canons des vaisseaux réduisaient au silence les batteries turques. Dans la journée, toute l'armée mise à terre se fortifia dans la presqu'île, où le général de Valazé, commandant le génie, traça des retranchements qui mirent le camp à l'abri d'un coup de main.

Charles X en colonel général des carabiniers
Charles X en colonel général des carabiniers

Les Arabes et les Turcs se contentèrent, pendant les premiers jours, de tirailler derrière les buissons et d'opposer une résistance d'arrière-garde à l'avance des Français, non sans leur infliger cependant des pertes. C'était, pour le moment, la tactique du dey, dont le gendre, l'agha Ibrahim, commandait les troupes. Laisser les Français débarquer, puis les rejeter à la mer, comme cela avait été fait
, puis les rejeter à la mer, comme cela avait été fait pour Charles-Quint et O'Reilly, telle était la seule manœuvre qu'ils concevaient.

L'agha établit son camp principal à Staouéli et appela à lui tous les contingents des grands vassaux et amis. Le sultan du Maroc et le pacha de Tripoli n'avaient répondu aux demandes du dey que par de vagues promesses et des vaux platoniques ; mais les beys de Constantine, d'Oran et de Titteri envoyèrent chacun 13.000 à 15.000 hommes. Avec les janissaires et les milices de la Régence, cela faisait une armée de 6o.000 hommes, exactement le double de l'armée française.

La vie à Alger pendant toute la campagne nous est connue au jour le jour par le récit très curieux d'un Allemand, Simon Pfeiffer, ancien étudiant en médecine, pris par un corsaire dans la Méditerranée et devenu esclave du ministre des. Finances. En ville tout était désordre et présomption. L'aspect de la flotte française défilant au large émut d'abord les populations ; mais, lorsqu'on annonça que le dey augmentait la prime qu'il promettait de payer pour chaque tête de Français, une nouvelle ardeur guerrière s'empara des hommes.

Le dey d'Alger observant la flotte française
Le dey d'Alger observant la flotte française

A Sidi Ferruch, au delà des retranchements, nos grand-garde tiraillaient nuit et jour, tandis que sur la plage une activité fébrile et ordonnée régnait. On débarquait vivres, munitions, les mille choses dont une armée a besoin ; les ambulances,. les dépôts d'intendance élevaient leurs baraquements et, plus loin, selon mode des temps napoléoniens, les cantinières, aidées par les soldais, dressaient des tonnelles de verdure où l'on buvait frais.

Le 16, une épouvantable tempête faillit provoquer la perte de la flotte. Mais, alors que tout le monde craignait de voir se répéter la catastrophe de Charles-Quint, une brusque saute de vent chassa l'orage et sauva l'armée.


Impatiemment, elle attendait le moment de marcher. Une erreur de jugement de l'amiral Duperré en retarda l'exécution. Malgré de nombreux avis, il craignait que la baie de Sidi Ferruch ne fût pas assez grande pour opérer à la fois tous les débarquements et avait fait retarder la marche de deux sections du convoi qui transportaient la majorité des chevaux.

carte conquete
Carte des opérations de l'armée française.Dressée d'après la carte du capitaine Boutin(1808)
( montage de deux panneaux de part et d'autre de deux pages)
cliquer dessus pour plus grand

Devant cette immobilité des Français, l'agha Ibrahim, généralissime des armées du dey, résolut de prendre l'offensive. Son plan de bataille consistait à faire harceler notre aile droite par le bey de Constantine et à crever la gauche avec l'élite de ses troupes, la milice et les contingents de Titteri.

L'action s'engagea le 18 avant l'aube. De notre côté, sentant l'attaque prochaine, on avait retiré les troupes sur de meilleures positions et porté l'artillerie en première ligne. L'assaut des Algériens fut d'une violence inouïe et la situation fort critique à notre aile gauche. La brigade Clouet, d'abord repoussée, avait contre-attaqué avec une telle fougue qu'elle se trouva bientôt en l'air et sans cartouches. La présence d'esprit du lieutenant-général duc des Cars sauva la situation. Il commandait la réserve et, sans attendre l'ordre du général de Bourmont, amena les renforts qui dégagèrent notre gauche.

Débarquement de troupes, à Sidi Ferruch.
Débarquement de troupes, à Sidi Ferruch.
Gravure tirée de L'Illustration.

L'aile droite, moins vigoureusement attaquée, avait aisément maintenu ses positions. L'assaut ennemi ainsi brisé, nos troupes partirent à la contre-attaque, rejetant l'armée du dey jusque devant son camp principal qui se trouvait à Staouéli. Puis, sans désemparer, décidé à exploiter le succès, le général de Bourmont lança ses divisions sur le camp. Le mauvais terrain, qui retarda la marche de la division Loverdo, sauva seul l'armée ennemie d'un désastre complet. Son artillerie, ses drapeaux, ses munitions, les vivres, les tentes, d'immenses troupeaux de moutons et de boeufs, les chevaux, les chameaux, tout tomba entre les mains des Français. Fait d'armes encore plus important que la prise de la smala, la bataille de Staouéli nous ouvrait la route d'Alger.

Malheureusement, le retard du convoi naval privait l'armée de chevaux et empêchait d'avancer, bien que déjà, en pleine bataille, le génie eût construit la route qui, du camp de Sidi Ferruch, menait jusqu'au front. La panique des troupes algériennes avait été si complète qu'elles étaient venues se réfugier dans les murs de la ville et que l'agha Ibrahim, craignant le courroux du dey, se tenait caché dans une maison de campagne. A défaut de son gendre, le dey confia alors le commandement de l'armée au bey de Titteri, homme énergique et courageux, sous l'impulsion duquel Turcs et Arabes se reprirent à harceler notre front.


A la suite d'une nouvelle marche en avant, nous occupions alors le plateau de Sidi Khalef. Situation à la vérité médiocre, mais qui nous permettait, une fois à pied d'•euvre, de nous élancer d'un seul trait jusqu'à la Bouzaréa et devant les murs d'Alger. Des combats meurtriers se livrèrent sur ce plateau ; la chaleur était étouffante et les troupes souffraient cruellement. Plus de 2.000 hommes furent évacués. C'est là que le lieutenant Amédée de Bourmont, deuxième fils du commandant en chef, fut mortellement blessé.

Entretemps, les bâtiments du convoi étaient arrivés à Sidi Ferruch et les chevaux débarqués.

Bourmont, enfin en possession de tous ses moyens, fixa la reprise de l'offensive au 29 juin. Son dispositif général portait la gauche (3e division, duc des Cars) sur les hauteurs de la Bouzaréa, le centre (2« division, Loverdo) de face devant le château de l'Empereur, et la ire division (Berthezène) sur la droite, entre le Fort l'Empereur et la mer.

A 4 heures du matin, l'armée sortit des tranchées et, d'un seul bond, atteignit les objectifs fixés. Le rôle principal avait été dévolu à la 3' division qui, marchant par trois colonnes, bouscula les Turcs et gravit au pas de charge les pentes escarpées de la Bouzaréa. A 5 heures, le 170 de ligne (colonel Duprat, de la brigade Hurel) atteignait le point culminant, la Vigie. De cet observatoire, nos soldats voyaient à leurs pieds Alger la Blanche, dominée par la masse grise de la kasbah ; plus loin, le château de l'Empereur et tous les forts et batteries de la côte, le long de laquelle les maisons de campagne s'étageaient au milieu des jardins.

Au centre et à droite, la résistance avait été moindre et, sans pertes importantes, nos soldats occupèrent les maisons des consuls étrangers, qui, sauf celui d'Angleterre, s'étaient réfugiés au consulat d'Amérique, situé sur les pentes nord de la Bouzaréa.

Alger et sa banlieue en 1929
Alger et sa banlieue en 1929



Il faisait une chaude journée d'été. L'épais brouillard matinal qui s'étendait sur le golfe et la Mitidja occasionna une singulière erreur de la part de l'état-major général. Son chef, le général Desprez, voyant la nappe grise qui recouvrait la plaine, crut que c'était la mer et, malgré les indications précises de la carte de Boutin, commanda aux divisionnaires de se reporter vers la gauche, commettant ainsi une erreur de 90 degrés. Ce n'est que lorsqu'il fut revenu à la Vigie, auprès du duc des Cars, que le général de Bourmont se rendit compte de la situation. Mais déjà les divisions étaient en marche à travers le terrain inextricable et montagneux, coupé de ravins profonds et étroits. Heureusement que l'ennemi, complètement démoralisé, ne vint pas assaillir nos colonnes qui, avec des difficultés et des fatigues considérables, mirent plusieurs heures pour reprendre leurs places initiales.

Le Fort l'Empereur, que surmonte de nos jours l'obélisque élevé à la gloire de l'armée d'Afrique, est un gros château fort dont le canon tenait en respect la kasbah et la ville. Aussi le dey en avait-il confié le commandement au Khasnadji, ministre des Finances, l'homme le plus résolu de son gouvernement. Largement approvisionné, il était armé de 53 pièces et sa garnison comptait 2.000 hommes.-
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En face de lui, le camp de siège français formait un quadrilatère irrégulier sur le plateau d'El Biar, le long de la voie romaine. La longue ligne de l'armée occupait les hauteurs.

Sept batteries furent construites à une distance moyenne de 600 mètres du château pour en battre la face sud et la corne sud-ouest. Pendant ces travaux, la lutte d'infanterie continuait sur les positions mêmes.

Le 1er juillet, la flotte fit une démonstration, défilant à extrême portée de canon, mais sans grand résultat de part et d'autre. Elle revint quelques jours plus tard sans plus de succès.
Cependant, le cercle des assiégeants se resserrait. Le maréchal de camp baron Achard, commandant la 20 brigade de la I" division, avait déjà occupé la pointe Pescade avec le (4e d'infanterie (colonel d'Armaillé). Le 3 juillet, les batteries de siège étaient prêtes.

Le lendemain, à l'aube, le bombardement commença. L'artillerie ennemie, bien que supérieure en nombre et servie avec un courage admirable par des artilleurs turcs, ne pouvait résister à la nôtre, plus précise et plus meurtrière. Le tir croisé de nos batteries faisait sauter les épaulements en maçonnerie, écrouler les parapets, derrière lesquels apparaissaient en pleine vue les canons et leurs servants. Les corps des canonniers jonchaient les remparts.

Vers 8 heures, quelques pièces ennemies se turent et l'on vit des fuyards se sauver par la petite poterne qui fait face à la ville. Mais, de la kasbah, le dey fit tirer sur ses propres troupes, qui se rejetèrent dans le fort. A 10 heures, toute l'artillerie algérienne était réduite au silence et l'on commençait à battre en brèche le mur sud pour permettre l'assaut de l'infanterie. Visiblement, la panique s'était mise dans le fort, car, malgré ,le tir de la kasbah, les soldats turcs s'enfuyaient maintenant vers la ville. Soudain, à 10 heures et quart, une flamme immense jaillit et une détonation formidable ébranla toute la terre. La poudrière sautait. Quittant le fort le dernier, le Khasnadji avait, au moyen d'une traînée de poudre, mis le feu au donjon.

Fort l'Empereur
Fort l'Empereur



Une grêle de pierres vint s'abattre sur la ville et les environs, heureusement sans grand dommage pour nos hommes, mais causant des pertes importantes dans Alger.

Attaque d'Alger par mer
Attaque d'Alger par mer

Le vieux maréchal de camp baron Hurel, à la tête du 2e de marche et du 60e de ligne, s'élança en avant dans la fumée qui enveloppait encore les murs du château. Un grenadier du 17° d'infanterie escalada le tronc calciné d'un palmier qui se trouvait dans la cour et y noua sa chemise en guise de drapeau blanc. A cette vue, une immense clameur emplit le fort et, se répercutant jusque sur les hauteurs de la Bouzaréa, roula vers la ville et la rade : la première armée d'Afrique criait : « Vive le roi ! »

Le sort d'Alger était entre nos mains. A 2 heures de l'après-midi, Sidi Mustapha, premier secrétaire du dey,vint demander au général de Bourmont un armistice de la part du dey. « Vous vous rendrez à merci ou je bombarde la ville », avait répondu Bourmont. Jamais, - depuis Duquesne, Alger n'avait entendu pareil langage. Le dey cherchait encore à gagner du temps. Il s'était enfermé dans la kasbah, pendant que l'émeute grondât autour de lui. Deux riches commerçants maures étaient venus offrir au général de Bourmont de lui apporter la tête de Hussein pacha sur un plateau pour qu'il épargnât la capitale. Le général les avait chassés avec mépris. Les janissaires eux- mêmes se révoltaient : Hussein dut céder. Entouré de son état- major et de tous les généraux de l'armée, Bourmont dicta lui-même l'acte de reddition que le dey fut forcé d'accepter.

Attaque d'Alger par terre
Attaque d'Alger par terre

Aux termes de l'armistice, la Régence et la ville se rendaient à merci. Toute l'armée ennemie mettait bas les armes, tandis que les Français venaient occuper la ville et les forts, dont le gouvernement était assumé par le commandant en chef. Celui-ci garantissait, par contre, la vie et la propriété de tous les habitants, le respect de leurs religions et de leurs sanctuaires. Il promettait également au dey de ne pas toucher à ses biens personnels et de mettre à sa disposition un vaisseau de guerre pour le conduire dans un port neutre.

Le lendemain 5 juillet 183o, à 10 heures du matin, l'armée française, drapeaux déployés et musique en tête, entrait à Alger.

Prince SIXTE DE BOURBON.