------------C'est
sur l'agriculture essentiellement que s'est fondée la richesse
de l'Afrique romaine.
------------Progressivement,
de l'époque de César au IIIe siècle, les terres ont
été mises en valeur, les indigènes ont appris la
vie sédentaire, l'élevage même a perdu la forme barbare
de la transhumance sur de vastes espaces pour devenir, dans la mesure
du possible, une industrie régulière, à siège
fixe. Ainsi les Berbères romanisés ont senti le besoin de
se bâtir des demeures durables, d'avoir à leur disposition
tous les organes d'une société civilisée ; les fonctionnaires
et les colons immigrés d'Italie, peu nombreux, mais influents,
entraînant par leur exemple la masse des indigènes, désiraient,
de leur côté, donner à leur vie quotidienne un décor
semblable à celui qu'ils avaient quitté pour venir s'installer
en Afrique. Les bénéfices laissés dans le pays par
l'exploitation du sol mettaient à la portée des Africains
le moyen de satisfaire ces besoins. Par là s'explique l'existence,
en Afrique, d'un grand nombre de villes de type romain, et de villas rurales
qui présentent aussi tous les agréments du confort qu'on
recherchait à Rome à l'époque impériale. Les
ruines des unes et des autres, en beaucoup d'endroits, sont apparentes,
avant toute exploration, à la surface du terrain : les murs des
grandes constructions souvent sont restés debout en partie, et
les assises supérieures émergent au-dessus du sol ; des
pierres de taille, dressées par intervalles, et que reliaient autrefois
les unes aux autres des remplissages de briques ou de moellons aujourd'hui
disparus, dessinent le plan des édifices ; http :// perso. wanadoo.
fr/bernard.venis dans le cas le moins favorable, l'écroulement
des voûtes et l'amoncellement des débris ont formé
des tumuli à la surface desquels se montrent des vestiges architecturaux
et qui se révèlent tout de suite comme artificiels. Les
inscriptions, sur marbre ou sur pierre commune, se rencontrent fréquemment,
visibles sur le terrain, ou bien remployées dans une construction
berbère ou arabe, ou bien mises au jour par une fouille sommaire
; car l'emploi des inscriptions commémoratives était, dans
le monde romain, quotidien et universel. Aussi, depuis très longtemps,
dès avant l'occupation française, un certain nombre de sites
romains étaient-ils signalés comme tels, et un certain nombre
d'inscriptions y avaient été copiées, malgré
les difficultés d'accès et les dangers du voyage pour les
Européens. Dès les premiers temps de la conquête française,
l'exploration archéologique du pays a suivi pas à pas l'occupation
militaire ; la collaboration constante des officiers n'a jamais cessé
d'aider efficacement, en Afrique française, le travail des historiens
et des épigraphistes. Aujourd'hui, les villes romaines de Tunisie
et d'Algérie ont été toutes, non pas explorées
méthodiquement, mais au moins repérées et sondées
: quelques-unes ont été déblayées par des
fouilles prolongées, ou sont en train de l'être. Monuments
et inscriptions, étudiés à loisir, dans des monographies
ou des ouvrages d'ensemble, nous permettent de nous représenter,
de façon assez précise ce qu'était la vie dans l'Afrique
romaine du II, au VP siècle. Le Maroc, ouvert depuis peu à
l'exploration scientifique, et d'ailleurs beaucoup moins riche en ruines
romaines que les régions moins occidentales, apporte néanmoins
à nos connaissances sa contribution : les ruines de Volubilis (Ksar-Faraoun),
à quelque distance de Meknès, sont étendues et intéressantes
; l'exploration s'en poursuit régulièrement http:// perso.
wanadoo. fr/ bernard.venisEn Tripolitaine, les archéologues italiens
ont dès maintenant déblayé de très beaux monuments,
surtout à Leptis Magna et Sabratha. Je n'utiliserai aujourd'hui
que des exemples tunisiens ou algériens pour indiquer ce qu'était
le cadre matériel de la vie dans l'Afrique romaine, la physionomie
générale des
villes, les principales catégories de monuments qui les décoraient,
l'aspect des habitations éparses dans la campagne, le degré
d'art réalisé dans les constructions et les objets affectés
soit à l'utilité, soit à la décoration.
***
------------A première
vue, il peut sembler étonnant qu'il y ait eu tant de villes dans
l'Afrique romaine, pays agricole : la vie agricole nous apparaît
comme impliquant essentiellement l'existence dans des fermes isolées
ou dans des villages. La ferme isolée se rencontrait en Afrique,
et nous en parlerons tout à l'heure ; le village aussi, en tant
que groupement spontané ou artificiel d'un nombre restreint d'habitations
; mais une très forte partie de la population, même de celle
qui vivait de la terre, habitait dans des villes, et la proportion de
la population urbaine allait en augmentant de génération
en génération, à mesure que les villages s'agrandissaient
et se transformaient en cités administrativement indépendantes.
La plupart de ces villes apparaîtraient aux modernes, comme des
villes plutôt petites ; Carthage seule serait pour nous une grande
ville, dépassant cent mille habitants ; les autres villes africaines
contenaient sans doute de 5 ou 6.000 habitants à une trentaine
de mille, les villes d'environ 10.000 formant, selon toute vraisemblance,
la catégorie la plus abondamment représentée. Mais
il faut se rendre compte que, petites à nos yeux, ces villes étaient
pour les anciens, moins habitués que nous aux grosses agglomérations,
des villes d'une bonne importance moyenne.
------------Ceux
qui y vivaient étaient, évidemment, en partie des commerçants
et des industriels, dans la mesure où la présence de commerçants
et d'industriels était nécessaire à la vie de la
localité ; mais c'étaient aussi des cultivateurs, qui, chaque
matin et chaque soir, faisaient le trajet entre la ville et leurs terres
ou bien séjournaient alternativement, par périodes, à
la ville et aux champs. En d'autres termes, la ville africaine était
une ville à population paysanne, conforme à un type très
répandu de nos jours dans l'Italie méridionale, en Sicile
et en Andalousie.
------------Il
y avait, à ce goût d'une population agricole pour les villes,
deux raisons : d'abord, une raison de sécurité, mais qui
n'avait guère été valable qu'à l'origine et
qui, à l'époque impériale, avait perdu la plus grande
partie de son efficacité ; ensuite et surtout, une raison morale
et politique : aux yeux des Romains, ou plutôt aux yeux des anciens
en général, la vie urbaine est la seule forme de vie véritablement
civilisée ; l'Etat ne leur apparaît que sous l'aspect de
la cité, comme un agrégat de cellules municipales ; on ne
peut être pleinement citoyen, apte à tous les droits de la
vie sociale, qu'à condition d'être domicilié dans
une ville ; à l'intérieur de chacune des communes entre
lesquelles se fractionne le territoire de chaque province, il y a une
différence hiérarchique entre les habitants du chef-lieu
urbain et ceux qui sont épars dans les villages ou les hameaux
différence qui se traduit par les avantages juridiques et fiscaux
accordés aux premiers. http: //perso. wanadoo. fr/bernard.venis.
Les désirs de l'administration romaine et les intérêts
des administrés convergent donc pour augmenter le nombre des villes.
------------En
fait, on en trouve un peu partout. Sur la côte, le nombre des ports
est élevé : beaucoup de rades et de baies qui sont aujourd'hui
inutilisables fournissaient aux Romains des ports très convenables,
parce que leurs navires avaient un faible tirant d'eau. Ces ports, d'ailleurs,
existaient tous depuis une haute antiquité, depuis une époque
- celle que nous entrevoyons dans l'Odyssée - à laquelle
la navigation était timide : on longeait les côtes, on descendait
à terre à la première bourrasque ; il fallait beaucoup
de refuges échelonnés très pi ès les uns des
autres ; et tous ces petits ports de relâche, utilisés jadis
par les Phéniciens, sont restés, par la force d'inertie,
plus ou moins fréquentés à l'époque romaine.
Ils ont continué à occuper les sites qui avaient été
les sites favoris des Phéniciens ; soit un cap, dont la saillie
crée un mouillage en le mettant à l'abri de certains vents,
soit un point du rivage en face d'une île, dont l'obstacle fait
comme un môle naturel.
------------A
l'intérieur des terres, les villes romaines se trouvent très
rarement en plaine ; mais il est exceptionnel aussi qu'elles occupent
des acropoles abruptes, très difficiles d'accès ; des sites
comme ceux de Constantine et du Kef, rochers presque complètement
coupés du monde expérieur, sont exceptionnels, et d'ailleurs
ne sont pas des sites choisis par les Romains, mais hérités
par eux des indigènes. Il ne s'est pas produit, en Afrique, ce
qui semble s'être produit dans bien des cas en Gaule et en Espagne,
et souvent aussi en Italie : le transfert, par l'autorité des magistrats
romains, d'une ville indigène forteresse facilement défendable
à l'origine - dans une vallée, sur une route, en une position
telle qu'une révolte indigène n'était plus à
craindre, et qu'au surplus le courant normal de la circulation facilitait
le développement de la ville nouvelle. En Afrique, la plupart des
villes sont dans une situation intermédiaire entre l'isolement
farouche et l'accès trop aisé ; elles occupent des collines
moyennes, des plateaux à pentes douces, des flancs de coteaux.
Elles sont souvent couvertes sur une partie de leur pourtour par des obstacles
naturels, ravins ou cours d'eau, mais sans que cette ceinture naturelle
de défense ait l'allure d'un précipice infranchissable et
surtout sans qu'elle soit complète : une communication plane ou
en plan incliné, qui ne comporte que des travaux humains de fortification,
met la ville en rapport avec le reste du pays. Les villes sont placées
de façon à voir autour d'elles, à surveiller, à
être averties en cas de danger, mais on a eu en vue, en les construisant,
autre chose que les nécessités militaires et l'éventualité
d'un siège : on a songé à se placer au niveau des
sources, à proximité des bonnes terres, et en un point tel
que la circulation et les courants commerciaux pussent y passer. C'était
ce que faisaient déjà les Carthaginois et même les
Numides, sauf exception ; les Romains n'ont eu, sur ce point, qu'à
suivre, lorsqu'ils ont établi des villes nouvelles, une tradition
créée avant eux.
------------Il
va sans dire que, d'une région à l'autre, la densité
des villes était inégale. Dans le Sud de la Tunisie comme
en Tripolitaine, il y avait quelques villes sur la côte, mais fort
peu d'agglomérations à l'intérieur. La région
accidentée, coupée de plaines et de collines, qui a son
débouché naturel par le Nord-Est, à Hadrumète
(Sousse), possédait plusieurs gros centres, comme Thelepte (Feriana)
et Sufetula (Sbeitla). Les villes se multipliaient, séparées
les unes des autres par quelques milles à peine, dans les vallées
des affluents de droite de la Medjerda, et dans la vallée de l'Oued
Miliane : là se trouvaient, entre autres, Ammaedara (Henchir-Haïdra),
Sicca Veneria (Le Kef), Althiburos (Hr.Medeina), Mactar, Thuburbo Majus
(Hr.-Kasbat). Les agglomérations urbaines étaient particulièrement
serrées dans la région de Thugga (Dougga), autour de laquelle
se groupaient Thignica (Aïn-Tounga), Thubursicu Bure (Teboursouk),
Uchi Majus, Musti, d'autres encore. Dans la basse vallée de la
Medjerda même, les villes étaient nombreuses aussi ; elles
se raréfiaient plus haut, vers la frontière algérienne,
du côté de Bulla Regia (Hammam-Derradji) et de Simitthu (Chemtou).
Les environs de Carthage étaient naturellement très habités,
ainsi que le pourtour du grand promontoire qui ferme le golfe de Carthage
à l'Est. En Algérie, une série de villes borde la
côte : elle comprend Hippo Regius (Bône), Rusicade (Philippeville),
Chullu (Collo), Igilgili (Djidjelli), Saldae (Bougie), Iomnium (Tigzirt),
Rusuccuru (Dellys), Rusguniae (Cap Matifou), Icosium (Alger), Tipasa,
Caesarea (Cherchel), Cartennae (Ténès), Portus Magnus (Saint-Leu).
Un groupe assez dense a sa raison d'être dans l'exploitation des
plateaux numides, avec Madauros (Mdaourouch), Thubursicu Numidarum (Khamissa),
Calama (Guelma), Thibilis (Announa), Cirta (Constantine), Cuicul (Djemila),
Sitifis (Sétif) ; d'autres villes jalonnent les routes qui servaient
de voies de pénétration à l'oeuvre romaine, Theveste
(Tébessa), Mascula (Khenchela), Thamugadi (Timgad), Lambaesis (Lambèse).
Les villes s'espacent de plus en plus, et perdent de leur importance -
il s'agit des villes qui sont à l'intérieur des terres -,
à mesure qu'on va vers l'Ouest.
------------De
ces différentes villes, celles dont il nous est le plus difficile
peut-être de reconstituer l'aspect antique sont les villes maritimes.
Sur plusieurs points, les cours d'eau ont changé de lit, ont modifié
par leurs apports le dessin du littoral : il en est ainsi, notamment,
dans le golfe de Carthage ou d'Utique, comblé en partie par la
Medjerda : la portion de golfe qui avoisinait Carthage
au Nord est aujourd'hui une lagune ; Utique est éloignée
de la mer. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. Il faut un grand effort
d'imagination pour retrouver les lignes anciennes du paysage, pour reconnaître
les ports de Carthage dans les petits étangs qui les représentent.
Il en est de même, dans une moindre mesure, à Bône,
où le dessin du littoral aussi a été modifié.
Ailleurs, ce qui a effacé les traces du port antique, c'est le
fait que le mouillage a continué à être utilisé
à travers les siècles, et que les constructions postérieures,
en se superposant aux constructions antiques, les ont fait disparaître
: c'est ce qui s'est produit à Sousse, à Bizerte, à
Philippeville. C'est moins par les monuments restés en place que
par les menus documents épigraphiques que nous pouvons évoquer
la vie des ports antiques : par exemple, les dédicaces aux dieux
exotiques, orientaux en particulier, nous font saisir l'influence sur
les ma;urs des relations entretenues avec les pays asiatiques, directement
et surtout indirectement, par l'intermédiaire de marins qui ont
fréquenté les ports orientaux ; des plombs de douane, des
reçus écrits sur des tessons de poterie nous renseignent
sur les opérations qui accompagnaient le chargement des navires.
|
|
-------------Nous
avons des exemples mieux conservés de ce qu'on peut appeler les
villes agricoles, c'est-à-dire de celles qui ont été
sans doute, à l'origine, un village, grossi peu à peu, par
la force des choses, à mesure que le pays était mieux mis
en valeur. Dougga, en Tunisie, dont les fouilles sont, parmi les fouilles
tunisiennes, celles qui ont été poursuivies avec le plus
de continuité, Mactar en Tunisie, Announa en Algérie, dont
la fouille peut être considérée comme terminée,
sont de bons échantillons de ce type. http:// perso. wanadoo.fr
/bernard.venis. La ville s'est construite peu à peu, et on a utilisé
le terrain au gré des caprices individuels et des commodités
du moment ; le caractère foncièrement indigène de
cette population de cultivateurs se révèle à l'examen
des noms dont les inscriptions fournissent une longue liste ; et l'on
y voit telle ou telle famille s'élever progressivement dans la
hiérarchie sociale, à force d'économies accumulées
sur chaque récolte et de terrains conquis sur la friche.
------------Enfin,
nous connaissons bien, par quelques exemples fameux, les villes militaires,
telles que Timgad et Lambèse. Timgad, colonie de vétérans,
a été tracée au cordeau : des rues perpendiculaires
les unes aux autres, régulièrement espacées, dessinent
un quadrillage exact. Les édifices publics y occupent une place
prévue, voulue : tout le plan a été conçu
" sur le papier ", dans un bureau impérial, et appliqué
délibérément sur le terrain. A Lambèse, le
camp seul présente la même régularité, ou pour
mieux dire, Timgad, ville de vétérans, a été
dessinée par quelqu'un qui avait dans la mémoire le schéma
traditionnel du camp légionnaire ; mais à Lambèse,
la ville, surgie au voisinage du camp, n'a à aucun degré,
l'allure géométrique de Timgad ; elle fait contraste par
sa souplesse avec le camp d'où, en somme, elle est sortie. Le même
contraste existe d'ailleurs à Timgad, entre la ville proprement
dite et les faubourgs. Je citerai encore, comme intéressante à
observer, la ville de Djemila, qui, colonie de vétérans
à l'origine, a oublié par la suite ses débuts et
s'est affranchie du plan initial : éloignant son centre peu à
peu du promontoire où elle avait été d'abord
installée, la ville de Cuicul, remontant la pente sur laquelle
elle est bâtie, s'élargissant de plus en plus, a épousé
les formes du terrain avec une docilité qui en fait un très
bon exemple de ville vivante, non asservie à un formalisme d'arpenteurs
officiels.
------------[La
présence d'un camp ou d'un fort a entraîné souvent
la formation d'une ville. Ce fut d'abord, aux portes de l'établissement
militaire un groupe de cabanes, puis peu à peu l'agglomération
prit de l'importance jusqu'à former une véritable ville,
dotée même un jour d'un statut particulier.
------------Comme
on peut s'y attendre ces bourgades, dont cer taines atteignirent d'assez
vastes dimensions, se trouvent surtout le long de la frontière.
Parmi les mieux connues grâce à des fouilles récentes
il faut citer Rapidum (Masqueray, près d'Aumale) et surtout Gemellae
(à 40 km. au SudOuest de Biskra).]
------------Dans
toutes ces villes, quelle qu'en soit la physionomie particulière,
l'élément essentiel et le centre vital est la place publique,
le forum. Le forum symbolise à lui seul cette existence
urbaine à laquelle il est si important, dans le monde romain, de
participer. C'est une place dallée, où les voitures n'ont
pas accès, qu'entourent des monuments publics et des boutiques,
dont des arcs et de beaux escaliers parfois décorent l'entrée,
et qui porte une quantité sans cesse croissante de monuments honorifiques,
statues d'empereurs, de patrons de ville, ou de bons citoyens. Les forums
de Gigthi (dans l'extrême Sud de la Tunisie), d'Althiburos et d'Hippone,
entre autres, sont très attrayants. http: //perso.wanadoo.fr/bernard.venis.
Il peut y avoir dans une ville plus d'un forum, surtout quand la ville
s'est agrandie et que le centre du mouvement s'est déplacé.
C'est le cas à Khamissa, à Djemila. Celui qui est le forum
proprement dit, dans ce cas, est celui où se trouve la curie, salle
où se réunit le conseil municipal. Une ou plusieurs basiliques
sont nécessaires : c'est le bâtiment où, à
l'abri du soleil et de la pluie, on jugera les procès et on traitera
les affaires. Des temples s'élèvent, un peu dans tous les
quartiers, à des divinités multiples ; les cités
les plus romaines se construisent un Capitole, comme Sufetula. Il arrive
que des établissements d'un caractère particulier s'y ajoutent
: c'est ainsi qu'à Lambèse le sanctuaire d'Esculape est
accompagné de toute une série de constructions qui correspondent
sans doute à un grand hôpital. Il faut des marchés
aussi, pour la vente au détail des produits destinés à
la vie quotidienne, les marchés en gros se traitant à la
basilique : ils apparaissent comme une cour de forme variable entourée
de petites boutiques, par exemple à Timgad et à Djemila.
------------Il
n'est nullement indispensable qu'une ville romaine soit entourée
de murs : il n'y a jamais eu, à ce sujet, de règle générale.
On fortifiait, en l'entourant d'une muraille tracée avec un soin
religieux, toute colonie qu'on fondait ; mais, dans les autres cas, Rome
préférait plutôt, pour la sécurité de
sa domination, que les villes restassent ouvertes ; au surplus, les colonies,
quand elles prospérèrent, débordèrent de beaucoup,
comme on le voit à Timgad, le cadre dans lequel elles avaient été
créées. Il n'y a eu de fortifications véritables,
d'abord, que dans les villes d'avant-garde, installées
dans un pays encore dangereux ; puis il s'en est élevé en
beaucoup d'endroits à partir du III' ou du IV' siècle, quand
a commencé le désarroi qui facilitait et encourageait les
attaques des Barbares.
------------Mais
même là où il n'y avait pas d'enceinte continue, il
y avait souvent un ou plusieurs arcs qui, faisant fonction de portes,
donnaient tout de suite à l'arrivant une haute idée de la
prospérité de la ville.
------------Cette
prospérité se marquait surtout, comme il était naturel,
par l'importance donnée au superflu, aux constructions destinées
au divertissement. Il n'y a guère de ville un peu notable où
l'on n'ait signalé un théâtre, c'est-à-dire
une construction semi-circulaire, la scène occupant le diamètre
et les gradins la demi-circonférence ; plus rarement on a l'amphithéâtre,
c'est-à-dire la construction elliptique dont les gradins occupent
tout le pourtour, l'arène étant réservée aux
spectacles ; plus rarement encore, le cirque, ellipse extrêmement
allongée. Le cirque est le lieu des courses de chars ; l'amphithéâtre
sert aux combats de gladiateurs, aux chasses ; au théâtre
on joue des tragédies, des comédies, et ces courtes pièces
plaisantes, appelées mimes, très en faveur depuis le dernier
siècle de la République.
------------Les
villes très riches ont tous ces lieux de divertissement à
la fois ; c'est le cas à Cherchel par exemple ; d'autres s'entendent,
entre voisines, pour se répartir les dépenses il semble
ainsi que Timgad n'ait pas d'amphithéâtre, et Lambèse
pas de théâtre. L'amphitéâtre d'El-Djem (Thysdrus)
et le théâtre de Dougga sont des spécimens très
instructifs.
------------Nulle
part ne manquent les thermes, souvent très vastes et très
somptueux. C'est que les thermes sont l'endroit où l'on va de préférence
passer ses loisirs ; ils tiennent lieu aux Romains de café et de
cercle. Non seulement on s'y baigne, mais on y fait des exercices physiques,
on y cause, on y joue. Le Romain ou le Berbère romanisé
passe, aux thermes, une bonne partie du temps que ne lui prennent pas
les affaires, sur le forum : il n'est guère chez lui que pour dormir.
- Un édifice jusqu'à présent unique en Afrique et
qui apportait de nouvelles ressources contre l'ennui est la bibliothèque
publique de Timgad.
------------Telle
est la place tenue par les édifices publics, et matériellement,
dans la surface des villes, et moralement, dans la vie des Romains ou
des peuples formés à leurs moeurs, que pour les maisons
privées il ne reste pas grand' chose. Souvent elles sont petites,
pas très bien distribuées, et devaient être peu meublées.
Cela tient non seulement à l'indifférence relative des Romains
en général pour la vie d'intérieur, mais aussi à
la condition modeste de la majorité des Africains ; il y a, dans
les villes, une majorité de petits propriétaires, de petits
commerçants, de petits industriels, qui vivotent ; et une aristocratie
locale, une bourgeoisie composée de quelques familles riches, petits
propriétaires plus heureux que les autres, qui ont arrondi leur
patrimoine, et surtout capitalistes participant à l'exploitation
des grands domaines privés ou impériaux.
------------Ces
privilégiés, qui dirigent, comme duumvirs, décurions
ou flamines, les affaires de la cité, qui souvent font construire
à leurs frais ou embellir les monuments de leur ville, ont eux
aussi, une maison dans la ville ; ce domicile leur est nécessaire
pour qu'ils puissent légalement jouer un rôle municipal.
http:// perso. wanadoo.fr/ bernard.venis. Mais cette maison de ville ne
se distingue, en général, pas essentiellement des autres
maisons privées, bien qu'elle soit un peu plus grande et un peu
plus luxueuse ; le séjour favori des riches Africains, c'est la
villa confortable qu'ils possèdent à la campagne.
------------Il
y a, en effet, en dehors des villes, toute l'échelle possible des
habitations rurales. Elle part du gourbi qu'a conservé l'indigène,
quand il est resté inculte, et de la chaumière où
s'abrite le colon pauvre. Puis viennent les petites fermes plus aisées,
et les hameaux, les villages où se développe, par le rapprochement
des maisons et des familles, un germe de vie sociale. Enfin, le type de
beaucoup le plus intéressant de l'habitation à la campagne,
c'est la grande villa, que nous voyons figurée sur les mosaïques
de Tabarca et d'Oudna (au Bardo de Tunis), et d'Oued-Athménia (près
de Constantine).
------------Le
noyau de cette villa est une vaste cour, entourée de constructions
élégantes qui servent d'habitation ; s'y adossant par derrière,
ou bien formant un groupe à part autour d'une autre cour, les bâtiments
d'exploitation. Audelà, un parc, avec des arbres bien taillés,
des eaux, un enclos à gibier. Les salles de cette maison des champs
sont grandes ; il s'y trouve des bains, plus petits que les thermes publics
de la ville, mais offrant les mêmes commodités. On peut,
dans cette villa, vivre sur soi, en grand seigneur, avec tout le confort
des bonnes maisons de Rome. On peut s'y permettre des fantaisies comme
l'entretien d'écuries luxueuses pour les chevaux de course. C'est
dans de telles villas que devaient habiter les plus importants des procurateurs
chargés de l'administration des domaines, les gros propriétaires,
quand ils résidaient en Afrique, et les gros fermiers : ils vivaient
sur la partie des domaines non distribuée aux colons, et sur laquelle
les colons étaient tenus de fournir des corvées. D'une part,
la vie municipale à l'image de Rome, telle qu'elle se déroule
au forum et dans les monuments qui l'entourent ; d'autre part, la vie
confortable menée par un Africain riche dans une propriété
rurale aménagée au goût romain, telles sont les deux
formes les plus évoluées que prend l'existence matérielle
dans la Berbérie romanisée.
|