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-L'Afrique romaine
130 pages - 15, -5 x 23,5 - 52 photographies
chapitre 4:
Les Monuments romains de l'Afrique
par Eugène Albertini,
membre de l'Institut, professeur au Collège de France, Inspecteur Général des Antiquités (il a oublié de m'inspecter !!!) et des Musées de l'Algérie
Texte obtenu par OCR. Il reste certainement des "coquilles". Vous pouvez me le faire savoir.Merci.

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------------C'est sur l'agriculture essentiellement que s'est fondée la richesse de l'Afrique romaine.
------------Progressivement, de l'époque de César au IIIe siècle, les terres ont été mises en valeur, les indigènes ont appris la vie sédentaire, l'élevage même a perdu la forme barbare de la transhumance sur de vastes espaces pour devenir, dans la mesure du possible, une industrie régulière, à siège fixe. Ainsi les Berbères romanisés ont senti le besoin de se bâtir des demeures durables, d'avoir à leur disposition tous les organes d'une société civilisée ; les fonctionnaires et les colons immigrés d'Italie, peu nombreux, mais influents, entraînant par leur exemple la masse des indigènes, désiraient, de leur côté, donner à leur vie quotidienne un décor semblable à celui qu'ils avaient quitté pour venir s'installer en Afrique. Les bénéfices laissés dans le pays par l'exploitation du sol mettaient à la portée des Africains le moyen de satisfaire ces besoins. Par là s'explique l'existence, en Afrique, d'un grand nombre de villes de type romain, et de villas rurales qui présentent aussi tous les agréments du confort qu'on recherchait à Rome à l'époque impériale. Les ruines des unes et des autres, en beaucoup d'endroits, sont apparentes, avant toute exploration, à la surface du terrain : les murs des grandes constructions souvent sont restés debout en partie, et les assises supérieures émergent au-dessus du sol ; des pierres de taille, dressées par intervalles, et que reliaient autrefois les unes aux autres des remplissages de briques ou de moellons aujourd'hui disparus, dessinent le plan des édifices ; http :// perso. wanadoo. fr/bernard.venis dans le cas le moins favorable, l'écroulement des voûtes et l'amoncellement des débris ont formé des tumuli à la surface desquels se montrent des vestiges architecturaux et qui se révèlent tout de suite comme artificiels. Les inscriptions, sur marbre ou sur pierre commune, se rencontrent fréquemment, visibles sur le terrain, ou bien remployées dans une construction berbère ou arabe, ou bien mises au jour par une fouille sommaire ; car l'emploi des inscriptions commémoratives était, dans le monde romain, quotidien et universel. Aussi, depuis très longtemps, dès avant l'occupation française, un certain nombre de sites romains étaient-ils signalés comme tels, et un certain nombre d'inscriptions y avaient été copiées, malgré les difficultés d'accès et les dangers du voyage pour les Européens. Dès les premiers temps de la conquête française, l'exploration archéologique du pays a suivi pas à pas l'occupation militaire ; la collaboration constante des officiers n'a jamais cessé d'aider efficacement, en Afrique française, le travail des historiens et des épigraphistes. Aujourd'hui, les villes romaines de Tunisie et d'Algérie ont été toutes, non pas explorées méthodiquement, mais au moins repérées et sondées : quelques-unes ont été déblayées par des fouilles prolongées, ou sont en train de l'être. Monuments et inscriptions, étudiés à loisir, dans des monographies ou des ouvrages d'ensemble, nous permettent de nous représenter, de façon assez précise ce qu'était la vie dans l'Afrique romaine du II, au VP siècle. Le Maroc, ouvert depuis peu à l'exploration scientifique, et d'ailleurs beaucoup moins riche en ruines romaines que les régions moins occidentales, apporte néanmoins à nos connaissances sa contribution : les ruines de Volubilis (Ksar-Faraoun), à quelque distance de Meknès, sont étendues et intéressantes ; l'exploration s'en poursuit régulièrement http:// perso. wanadoo. fr/ bernard.venisEn Tripolitaine, les archéologues italiens ont dès maintenant déblayé de très beaux monuments, surtout à Leptis Magna et Sabratha. Je n'utiliserai aujourd'hui que des exemples tunisiens ou algériens pour indiquer ce qu'était le cadre matériel de la vie dans l'Afrique romaine, la physionomie générale des
villes, les principales catégories de monuments qui les décoraient, l'aspect des habitations éparses dans la campagne, le degré d'art réalisé dans les constructions et les objets affectés soit à l'utilité, soit à la décoration.

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------------A première vue, il peut sembler étonnant qu'il y ait eu tant de villes dans l'Afrique romaine, pays agricole : la vie agricole nous apparaît comme impliquant essentiellement l'existence dans des fermes isolées ou dans des villages. La ferme isolée se rencontrait en Afrique, et nous en parlerons tout à l'heure ; le village aussi, en tant que groupement spontané ou artificiel d'un nombre restreint d'habitations ; mais une très forte partie de la population, même de celle qui vivait de la terre, habitait dans des villes, et la proportion de la population urbaine allait en augmentant de génération en génération, à mesure que les villages s'agrandissaient et se transformaient en cités administrativement indépendantes. La plupart de ces villes apparaîtraient aux modernes, comme des villes plutôt petites ; Carthage seule serait pour nous une grande ville, dépassant cent mille habitants ; les autres villes africaines contenaient sans doute de 5 ou 6.000 habitants à une trentaine de mille, les villes d'environ 10.000 formant, selon toute vraisemblance, la catégorie la plus abondamment représentée. Mais il faut se rendre compte que, petites à nos yeux, ces villes étaient pour les anciens, moins habitués que nous aux grosses agglomérations, des villes d'une bonne importance moyenne.

------------Ceux qui y vivaient étaient, évidemment, en partie des commerçants et des industriels, dans la mesure où la présence de commerçants et d'industriels était nécessaire à la vie de la localité ; mais c'étaient aussi des cultivateurs, qui, chaque matin et chaque soir, faisaient le trajet entre la ville et leurs terres ou bien séjournaient alternativement, par périodes, à la ville et aux champs. En d'autres termes, la ville africaine était une ville à population paysanne, conforme à un type très répandu de nos jours dans l'Italie méridionale, en Sicile et en Andalousie.

------------Il y avait, à ce goût d'une population agricole pour les villes, deux raisons : d'abord, une raison de sécurité, mais qui n'avait guère été valable qu'à l'origine et qui, à l'époque impériale, avait perdu la plus grande partie de son efficacité ; ensuite et surtout, une raison morale et politique : aux yeux des Romains, ou plutôt aux yeux des anciens en général, la vie urbaine est la seule forme de vie véritablement civilisée ; l'Etat ne leur apparaît que sous l'aspect de la cité, comme un agrégat de cellules municipales ; on ne peut être pleinement citoyen, apte à tous les droits de la vie sociale, qu'à condition d'être domicilié dans une ville ; à l'intérieur de chacune des communes entre lesquelles se fractionne le territoire de chaque province, il y a une différence hiérarchique entre les habitants du chef-lieu urbain et ceux qui sont épars dans les villages ou les hameaux différence qui se traduit par les avantages juridiques et fiscaux accordés aux premiers. http: //perso. wanadoo. fr/bernard.venis. Les désirs de l'administration romaine et les intérêts des administrés convergent donc pour augmenter le nombre des villes.

------------En fait, on en trouve un peu partout. Sur la côte, le nombre des ports est élevé : beaucoup de rades et de baies qui sont aujourd'hui inutilisables fournissaient aux Romains des ports très convenables, parce que leurs navires avaient un faible tirant d'eau. Ces ports, d'ailleurs, existaient tous depuis une haute antiquité, depuis une époque - celle que nous entrevoyons dans l'Odyssée - à laquelle la navigation était timide : on longeait les côtes, on descendait à terre à la première bourrasque ; il fallait beaucoup de refuges échelonnés très pi ès les uns des autres ; et tous ces petits ports de relâche, utilisés jadis par les Phéniciens, sont restés, par la force d'inertie, plus ou moins fréquentés à l'époque romaine. Ils ont continué à occuper les sites qui avaient été les sites favoris des Phéniciens ; soit un cap, dont la saillie crée un mouillage en le mettant à l'abri de certains vents, soit un point du rivage en face d'une île, dont l'obstacle fait comme un môle naturel.

------------A l'intérieur des terres, les villes romaines se trouvent très rarement en plaine ; mais il est exceptionnel aussi qu'elles occupent des acropoles abruptes, très difficiles d'accès ; des sites comme ceux de Constantine et du Kef, rochers presque complètement coupés du monde expérieur, sont exceptionnels, et d'ailleurs ne sont pas des sites choisis par les Romains, mais hérités par eux des indigènes. Il ne s'est pas produit, en Afrique, ce qui semble s'être produit dans bien des cas en Gaule et en Espagne, et souvent aussi en Italie : le transfert, par l'autorité des magistrats romains, d'une ville indigène forteresse facilement défendable à l'origine - dans une vallée, sur une route, en une position telle qu'une révolte indigène n'était plus à craindre, et qu'au surplus le courant normal de la circulation facilitait le développement de la ville nouvelle. En Afrique, la plupart des villes sont dans une situation intermédiaire entre l'isolement farouche et l'accès trop aisé ; elles occupent des collines moyennes, des plateaux à pentes douces, des flancs de coteaux. Elles sont souvent couvertes sur une partie de leur pourtour par des obstacles naturels, ravins ou cours d'eau, mais sans que cette ceinture naturelle de défense ait l'allure d'un précipice infranchissable et surtout sans qu'elle soit complète : une communication plane ou en plan incliné, qui ne comporte que des travaux humains de fortification, met la ville en rapport avec le reste du pays. Les villes sont placées de façon à voir autour d'elles, à surveiller, à être averties en cas de danger, mais on a eu en vue, en les construisant, autre chose que les nécessités militaires et l'éventualité d'un siège : on a songé à se placer au niveau des sources, à proximité des bonnes terres, et en un point tel que la circulation et les courants commerciaux pussent y passer. C'était ce que faisaient déjà les Carthaginois et même les Numides, sauf exception ; les Romains n'ont eu, sur ce point, qu'à suivre, lorsqu'ils ont établi des villes nouvelles, une tradition créée avant eux.

------------Il va sans dire que, d'une région à l'autre, la densité des villes était inégale. Dans le Sud de la Tunisie comme en Tripolitaine, il y avait quelques villes sur la côte, mais fort peu d'agglomérations à l'intérieur. La région accidentée, coupée de plaines et de collines, qui a son débouché naturel par le Nord-Est, à Hadrumète (Sousse), possédait plusieurs gros centres, comme Thelepte (Feriana) et Sufetula (Sbeitla). Les villes se multipliaient, séparées les unes des autres par quelques milles à peine, dans les vallées des affluents de droite de la Medjerda, et dans la vallée de l'Oued Miliane : là se trouvaient, entre autres, Ammaedara (Henchir-Haïdra), Sicca Veneria (Le Kef), Althiburos (Hr.Medeina), Mactar, Thuburbo Majus (Hr.-Kasbat). Les agglomérations urbaines étaient particulièrement serrées dans la région de Thugga (Dougga), autour de laquelle se groupaient Thignica (Aïn-Tounga), Thubursicu Bure (Teboursouk), Uchi Majus, Musti, d'autres encore. Dans la basse vallée de la Medjerda même, les villes étaient nombreuses aussi ; elles se raréfiaient plus haut, vers la frontière algérienne, du côté de Bulla Regia (Hammam-Derradji) et de Simitthu (Chemtou). Les environs de Carthage étaient naturellement très habités, ainsi que le pourtour du grand promontoire qui ferme le golfe de Carthage à l'Est. En Algérie, une série de villes borde la côte : elle comprend Hippo Regius (Bône), Rusicade (Philippeville), Chullu (Collo), Igilgili (Djidjelli), Saldae (Bougie), Iomnium (Tigzirt), Rusuccuru (Dellys), Rusguniae (Cap Matifou), Icosium (Alger), Tipasa, Caesarea (Cherchel), Cartennae (Ténès), Portus Magnus (Saint-Leu). Un groupe assez dense a sa raison d'être dans l'exploitation des plateaux numides, avec Madauros (Mdaourouch), Thubursicu Numidarum (Khamissa), Calama (Guelma), Thibilis (Announa), Cirta (Constantine), Cuicul (Djemila), Sitifis (Sétif) ; d'autres villes jalonnent les routes qui servaient de voies de pénétration à l'oeuvre romaine, Theveste (Tébessa), Mascula (Khenchela), Thamugadi (Timgad), Lambaesis (Lambèse). Les villes s'espacent de plus en plus, et perdent de leur importance - il s'agit des villes qui sont à l'intérieur des terres -, à mesure qu'on va vers l'Ouest.

------------De ces différentes villes, celles dont il nous est le plus difficile peut-être de reconstituer l'aspect antique sont les villes maritimes. Sur plusieurs points, les cours d'eau ont changé de lit, ont modifié par leurs apports le dessin du littoral : il en est ainsi, notamment, dans le golfe de Carthage ou d'Utique, comblé en partie par la Medjerda : la portion de golfe qui avoisinait Carthage au Nord est aujourd'hui une lagune ; Utique est éloignée de la mer. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. Il faut un grand effort d'imagination pour retrouver les lignes anciennes du paysage, pour reconnaître les ports de Carthage dans les petits étangs qui les représentent. Il en est de même, dans une moindre mesure, à Bône, où le dessin du littoral aussi a été modifié. Ailleurs, ce qui a effacé les traces du port antique, c'est le fait que le mouillage a continué à être utilisé à travers les siècles, et que les constructions postérieures, en se superposant aux constructions antiques, les ont fait disparaître : c'est ce qui s'est produit à Sousse, à Bizerte, à Philippeville. C'est moins par les monuments restés en place que par les menus documents épigraphiques que nous pouvons évoquer la vie des ports antiques : par exemple, les dédicaces aux dieux exotiques, orientaux en particulier, nous font saisir l'influence sur les ma;urs des relations entretenues avec les pays asiatiques, directement et surtout indirectement, par l'intermédiaire de marins qui ont fréquenté les ports orientaux ; des plombs de douane, des reçus écrits sur des tessons de poterie nous renseignent sur les opérations qui accompagnaient le chargement des navires.

 

-------------Nous avons des exemples mieux conservés de ce qu'on peut appeler les villes agricoles, c'est-à-dire de celles qui ont été sans doute, à l'origine, un village, grossi peu à peu, par la force des choses, à mesure que le pays était mieux mis en valeur. Dougga, en Tunisie, dont les fouilles sont, parmi les fouilles tunisiennes, celles qui ont été poursuivies avec le plus de continuité, Mactar en Tunisie, Announa en Algérie, dont la fouille peut être considérée comme terminée, sont de bons échantillons de ce type. http:// perso. wanadoo.fr /bernard.venis. La ville s'est construite peu à peu, et on a utilisé le terrain au gré des caprices individuels et des commodités du moment ; le caractère foncièrement indigène de cette population de cultivateurs se révèle à l'examen des noms dont les inscriptions fournissent une longue liste ; et l'on y voit telle ou telle famille s'élever progressivement dans la hiérarchie sociale, à force d'économies accumulées sur chaque récolte et de terrains conquis sur la friche.

------------Enfin, nous connaissons bien, par quelques exemples fameux, les villes militaires, telles que Timgad et Lambèse. Timgad, colonie de vétérans, a été tracée au cordeau : des rues perpendiculaires les unes aux autres, régulièrement espacées, dessinent un quadrillage exact. Les édifices publics y occupent une place prévue, voulue : tout le plan a été conçu " sur le papier ", dans un bureau impérial, et appliqué délibérément sur le terrain. A Lambèse, le camp seul présente la même régularité, ou pour mieux dire, Timgad, ville de vétérans, a été dessinée par quelqu'un qui avait dans la mémoire le schéma traditionnel du camp légionnaire ; mais à Lambèse, la ville, surgie au voisinage du camp, n'a à aucun degré, l'allure géométrique de Timgad ; elle fait contraste par sa souplesse avec le camp d'où, en somme, elle est sortie. Le même contraste existe d'ailleurs à Timgad, entre la ville proprement dite et les faubourgs. Je citerai encore, comme intéressante à observer, la ville de Djemila, qui, colonie de vétérans à l'origine, a oublié par la suite ses débuts et s'est affranchie du plan initial : éloignant son centre peu à peu du promontoire où elle avait été d'abord
installée, la ville de Cuicul, remontant la pente sur laquelle elle est bâtie, s'élargissant de plus en plus, a épousé les formes du terrain avec une docilité qui en fait un très bon exemple de ville vivante, non asservie à un formalisme d'arpenteurs officiels.

------------[La présence d'un camp ou d'un fort a entraîné souvent la formation d'une ville. Ce fut d'abord, aux portes de l'établissement militaire un groupe de cabanes, puis peu à peu l'agglomération prit de l'importance jusqu'à former une véritable ville, dotée même un jour d'un statut particulier.

------------Comme on peut s'y attendre ces bourgades, dont cer taines atteignirent d'assez vastes dimensions, se trouvent surtout le long de la frontière. Parmi les mieux connues grâce à des fouilles récentes il faut citer Rapidum (Masqueray, près d'Aumale) et surtout Gemellae (à 40 km. au SudOuest de Biskra).]

------------Dans toutes ces villes, quelle qu'en soit la physionomie particulière, l'élément essentiel et le centre vital est la place publique, le forum. Le forum symbolise à lui seul cette existence urbaine à laquelle il est si important, dans le monde romain, de participer. C'est une place dallée, où les voitures n'ont pas accès, qu'entourent des monuments publics et des boutiques, dont des arcs et de beaux escaliers parfois décorent l'entrée, et qui porte une quantité sans cesse croissante de monuments honorifiques, statues d'empereurs, de patrons de ville, ou de bons citoyens. Les forums de Gigthi (dans l'extrême Sud de la Tunisie), d'Althiburos et d'Hippone, entre autres, sont très attrayants. http: //perso.wanadoo.fr/bernard.venis. Il peut y avoir dans une ville plus d'un forum, surtout quand la ville s'est agrandie et que le centre du mouvement s'est déplacé. C'est le cas à Khamissa, à Djemila. Celui qui est le forum proprement dit, dans ce cas, est celui où se trouve la curie, salle où se réunit le conseil municipal. Une ou plusieurs basiliques sont nécessaires : c'est le bâtiment où, à l'abri du soleil et de la pluie, on jugera les procès et on traitera les affaires. Des temples s'élèvent, un peu dans tous les quartiers, à des divinités multiples ; les cités les plus romaines se construisent un Capitole, comme Sufetula. Il arrive que des établissements d'un caractère particulier s'y ajoutent : c'est ainsi qu'à Lambèse le sanctuaire d'Esculape est accompagné de toute une série de constructions qui correspondent sans doute à un grand hôpital. Il faut des marchés aussi, pour la vente au détail des produits destinés à la vie quotidienne, les marchés en gros se traitant à la basilique : ils apparaissent comme une cour de forme variable entourée de petites boutiques, par exemple à Timgad et à Djemila.

------------Il n'est nullement indispensable qu'une ville romaine soit entourée de murs : il n'y a jamais eu, à ce sujet, de règle générale. On fortifiait, en l'entourant d'une muraille tracée avec un soin religieux, toute colonie qu'on fondait ; mais, dans les autres cas, Rome préférait plutôt, pour la sécurité de sa domination, que les villes restassent ouvertes ; au surplus, les colonies, quand elles prospérèrent, débordèrent de beaucoup, comme on le voit à Timgad, le cadre dans lequel elles avaient été créées. Il n'y a eu de fortifications véritables, d'abord, que dans les villes d'avant-garde, installées dans un pays encore dangereux ; puis il s'en est élevé en beaucoup d'endroits à partir du III' ou du IV' siècle, quand a commencé le désarroi qui facilitait et encourageait les attaques des Barbares.

------------Mais même là où il n'y avait pas d'enceinte continue, il y avait souvent un ou plusieurs arcs qui, faisant fonction de portes, donnaient tout de suite à l'arrivant une haute idée de la prospérité de la ville.

------------Cette prospérité se marquait surtout, comme il était naturel, par l'importance donnée au superflu, aux constructions destinées au divertissement. Il n'y a guère de ville un peu notable où l'on n'ait signalé un théâtre, c'est-à-dire une construction semi-circulaire, la scène occupant le diamètre et les gradins la demi-circonférence ; plus rarement on a l'amphithéâtre, c'est-à-dire la construction elliptique dont les gradins occupent tout le pourtour, l'arène étant réservée aux spectacles ; plus rarement encore, le cirque, ellipse extrêmement allongée. Le cirque est le lieu des courses de chars ; l'amphithéâtre sert aux combats de gladiateurs, aux chasses ; au théâtre on joue des tragédies, des comédies, et ces courtes pièces plaisantes, appelées mimes, très en faveur depuis le dernier siècle de la République.

------------Les villes très riches ont tous ces lieux de divertissement à la fois ; c'est le cas à Cherchel par exemple ; d'autres s'entendent, entre voisines, pour se répartir les dépenses il semble ainsi que Timgad n'ait pas d'amphithéâtre, et Lambèse pas de théâtre. L'amphitéâtre d'El-Djem (Thysdrus) et le théâtre de Dougga sont des spécimens très instructifs.

------------Nulle part ne manquent les thermes, souvent très vastes et très somptueux. C'est que les thermes sont l'endroit où l'on va de préférence passer ses loisirs ; ils tiennent lieu aux Romains de café et de cercle. Non seulement on s'y baigne, mais on y fait des exercices physiques, on y cause, on y joue. Le Romain ou le Berbère romanisé passe, aux thermes, une bonne partie du temps que ne lui prennent pas les affaires, sur le forum : il n'est guère chez lui que pour dormir. - Un édifice jusqu'à présent unique en Afrique et qui apportait de nouvelles ressources contre l'ennui est la bibliothèque publique de Timgad.

------------Telle est la place tenue par les édifices publics, et matériellement, dans la surface des villes, et moralement, dans la vie des Romains ou des peuples formés à leurs moeurs, que pour les maisons privées il ne reste pas grand' chose. Souvent elles sont petites, pas très bien distribuées, et devaient être peu meublées. Cela tient non seulement à l'indifférence relative des Romains en général pour la vie d'intérieur, mais aussi à la condition modeste de la majorité des Africains ; il y a, dans les villes, une majorité de petits propriétaires, de petits commerçants, de petits industriels, qui vivotent ; et une aristocratie locale, une bourgeoisie composée de quelques familles riches, petits propriétaires plus heureux que les autres, qui ont arrondi leur patrimoine, et surtout capitalistes participant à l'exploitation des grands domaines privés ou impériaux.

------------Ces privilégiés, qui dirigent, comme duumvirs, décurions ou flamines, les affaires de la cité, qui souvent font construire à leurs frais ou embellir les monuments de leur ville, ont eux aussi, une maison dans la ville ; ce domicile leur est nécessaire pour qu'ils puissent légalement jouer un rôle municipal. http:// perso. wanadoo.fr/ bernard.venis. Mais cette maison de ville ne se distingue, en général, pas essentiellement des autres maisons privées, bien qu'elle soit un peu plus grande et un peu plus luxueuse ; le séjour favori des riches Africains, c'est la villa confortable qu'ils possèdent à la campagne.

------------Il y a, en effet, en dehors des villes, toute l'échelle possible des habitations rurales. Elle part du gourbi qu'a conservé l'indigène, quand il est resté inculte, et de la chaumière où s'abrite le colon pauvre. Puis viennent les petites fermes plus aisées, et les hameaux, les villages où se développe, par le rapprochement des maisons et des familles, un germe de vie sociale. Enfin, le type de beaucoup le plus intéressant de l'habitation à la campagne, c'est la grande villa, que nous voyons figurée sur les mosaïques de Tabarca et d'Oudna (au Bardo de Tunis), et d'Oued-Athménia (près de Constantine).

------------Le noyau de cette villa est une vaste cour, entourée de constructions élégantes qui servent d'habitation ; s'y adossant par derrière, ou bien formant un groupe à part autour d'une autre cour, les bâtiments d'exploitation. Audelà, un parc, avec des arbres bien taillés, des eaux, un enclos à gibier. Les salles de cette maison des champs sont grandes ; il s'y trouve des bains, plus petits que les thermes publics de la ville, mais offrant les mêmes commodités. On peut, dans cette villa, vivre sur soi, en grand seigneur, avec tout le confort des bonnes maisons de Rome. On peut s'y permettre des fantaisies comme l'entretien d'écuries luxueuses pour les chevaux de course. C'est dans de telles villas que devaient habiter les plus importants des procurateurs chargés de l'administration des domaines, les gros propriétaires, quand ils résidaient en Afrique, et les gros fermiers : ils vivaient sur la partie des domaines non distribuée aux colons, et sur laquelle les colons étaient tenus de fournir des corvées. D'une part, la vie municipale à l'image de Rome, telle qu'elle se déroule au forum et dans les monuments qui l'entourent ; d'autre part, la vie confortable menée par un Africain riche dans une propriété rurale aménagée au goût romain, telles sont les deux formes les plus évoluées que prend l'existence matérielle dans la Berbérie romanisée.