Pour situer Laferrière
LES FÊTES DE
LAFERRIÈRE ET D'A1N-TEMOUCHENT
Le 30 novembre 1924, l'Algérie
a rendu un juste hommage à la mémoire du Gouverneur Laferrière
dont l'uvre, après un quart de siècle, nous apparaît
particulièrement forte, essentielle et bienfaisante.
Ce fut à nos voisins de l'Oranie qu'échut l'honneur de
commémorer le courage et la clairvoyance - et disons aussi, hélas
! le sacrifice - du créateur des Délégations Financières.
Le sacrifice, en effet, car, ainsi que l'a rappelé si dignement
dignement des orateurs de cette journée, M. Bons, maire de Laferrière,
" tout donne à penser que c'est au milieu des tortures morales
de toutes sortes qu'il devait subir ici, qu'il a contracté le
germe de la terrible maladie, dont il a ressenti en Algérie les
premières atteintes, qui l'a obligé, en septembre 1900,
à demander à être relevé de ses fonctions
et qui devait l'enlever l'année suivante ".
A 9 heures du matin, venant d'Alger par le train, Monsieur Steeg, Gouverneur
général de l'Algérie, arrive à Aïn-Témouchent,
accompagné de son officier d'ordonnance, le capitaine Bonnard,
de MM. Ferlet, préfet d'Oran, Danthon, maire d'Aïn-Témouchent,
Jourdain et Beuchot, directeur et inspecteur principal de la Compagnie
P.-L.-M., Vérin vice-président du Tribunal d'Oran, Susini,
substitut du Procureur de la République, etc.
Accueilli à l'arrivée par les accents de la Zidouria,
le cortège traverse en automobiles la charmante cité dont
la population salue respectueusement au passage le Chef de la Colonie.
A l'Hôtel de Ville, des jeunes filles et des jeunes gens de l'Union
Sportive d'Aïn-Témouchent sont harmonieusement groupés
dans l'escalier d'honneur tandis que la musique de cette même
société exécute la Marseillaise. Là, M.
Danthon, maire, souhaite la bienvenue au Gouverneur général
et lui présente les autorités et notabilités d'Aïn-Témouchent.
Quelques instants après, le cortège se dirige vers Laferrière
où il arrive bientôt. Un magnifique soleil fait valoir
par son éclat les gracieuses décorations de verdure, de
fleurs et de drapeaux répandues ça et là dans le
village.
M. Steeg se recueille devant le monument aux Morts tandis que les enfants
des écoles chantent un chur.
Sur la place publique envahie par la population de Laferrière
et des localités environnantes, une stèle se dresse, surmontée
du coq gaulois ; sur l'un des pans l'Histoire achève de graver
ces belles lignes :
" En assumant la lourde lâche du Gouvernement général
de l'Algérie à une époque troublée, Laferrière,
alors vice-président du Conseil d'État, au faîte
de la réputation et des honneurs, a sacrifié au patriotisme,
le plus désintéressé les fruits d'une longue et
magnifique carrière, son repos, sa santé, sa vie même
comme l'évènement ne devait le prouver que trop tôt.
L'abnégation de ce grand français a valu à l'Algérie
son autonomie financière, source de sa prospérité,
par l'institution des Délégations et du budget spécial
et son intégrité territoriale par l'occupation des oasis
sahariennes. " et plus bas :
La France moissonne partout où le coq gaulois a chanté.
Une petite tribune a été dressée en avant du monument
; au premier rang des assistants on remarque accompagnée de son
mari, Madame Bertaut, née Laferrière, fille de l'ancien
Gouverneur général, M. Laferrière, professeur de
Droit à la Faculté de Strasbourg, neveu de l'ancien, Gouverneur,
le général Levé, ancien directeur du cabinet militaire
du Gouverneur Laferrière. Les fatigues du voyage n'ont malheureusement
pas permis à Madame Laferrière de se rendre jusqu'ici
pour assister à l'hommage rendu à son illustre compagnon.
Tour à tour M. Bons, maire de Laferrière, M. Enjalbert,
délégué financier, enfin M. Steeg s'attachent à
glorifier, dans leurs discours, la mémoire de l'éminent
Gouverneur.
Ils rappellent combien était troublée la situation de
l'Algérie, en 1898, lorsque Laferrière y accepta le rôle
difficile et si souvent ingrat de pacificateur et de réorganisateur.
Jusqu'à lui, - vers lui surtout qui apportait l'ordre - la rumeur
furieuse monta des haines, des violences, des forces malfaisantes et
fanatiques.
Cette agitation désordonnée, ces conflits de races, ces
mécontentements innombrables, Laferrière ensemble en saisit
les causes profondes et en trouva les remèdes. Il vit ce peuple
neuf, comme un torrent trop riche de ses jeunes énergies, perdre
ses forces à lutter contre lui-même en des convulsions
vaines et dangereuses.
L'institution des Délégations Financières et du
budget spécial permettant à l'Algérie de gérer
elle-même ses intérêts, fut la digue qui arrêta
le flot tumultueux pour le répandre ensuite - mais cette fois,
ordonné, calme en sa force et bienfaisant - et permettre les
moissons nouvel|les de paix et d'abondance.
Par leur conception même, les Délégations "
composées d'hommes issus de tous les partis politiques, ont pu
se dégager des controverses dogmatiques, des passions de groupe,
des querelles locales et, comme en témoigne M. Steeg dans son
discours, jamais le représentant de la France n'a fait en vain
appel au civisme de nos assemblées algériennes ; toujours
il les a trouvées prêtes à sacrifier des préoccupations,
mêmes légitimes à l'intérêt supérieur
de ce pays. "
Les orateurs rappellent que toute cette prospérité est
due pour une grande part à la clairvoyance et à l'énergie
de Laferrière.
Grâce à lui encore notre sécurité fui consolidée
par l'occupation d'In-Salah et des oasis du Touat.
" Surtout, ajouta si judicieusement M. Bons en terminant son discours,
Laferrière avec son grand cur et son admirable lucidité,
a estimé que l'élément le plus digne d'intérêt
en Algérie était le colon français et qu'en faisant
la conquête du colon il faisait celle de l'Algérie même.
"
Les discours achevés et longuement applaudis par l'assistance,
la cérémonie prend fin.
Dans l'après-midi le cortège se rend à Aïn-Témouchent
afin d'inaugurer le
monument aux Morts de cette cité.
La cérémonie s'ouvre par l'hymne aux Morts, de Victor
Hugo, chanté par les élèves des écoles.
Puis M. Gérard, instituteur à Oran récite un beau
poème de circonstance.
M. Enjalbert s'avance alors et, au nom du Docteur Achard, président
du Comité du monument et qu'un deuil récent a atteint,
procède à la remise officielle du Monument à la
ville d'Aïn-Témouchent.
Le maire, M. Danthon, remercie le Comité et glorifie le souvenir
des héros.
Après la cérémonie le Gouverneur général
visite les hôpitaux de la ville où il est reçu par
le Docteur Béraud et la commission d'administration. Et la journée
s'achève.
Belle et grave journée où furent exaltés, sous
un même azur, par le représentant de la République,
la gloire des héros de la guerre et celle, non moins illustre,
d'un ouvrier de la paix.