LA GROTTE PRÉHISTORIQUE DE BOU-ZABAOUINE
Cette grotte se trouve
à environ quatre kilomètres et demi au sud-ouest d'Aïn-M'lila,
du département de Constantine. Elle est située sur le
flanc est de la montagne appelée par les indigènes Bou-Zabaouine,
au-dessus d'un ravin dont la tête forme limite entre les douars
Oulad-Zouaï et Oulad-Belaguel. Cette montagne, au point de vue
géologique, appartient, d'après M. Ficheur, le savant
directeur de l'École des Sciences d'Alger, au terrain crétacé
(étage aptien).
Un chemin carrossable d'Aïn-M'lila au marché de Naàmane
conduit jusqu'au pied du Bou-Zabaouine : il faut alors gravir un escarpement
assez raide pour accéder à la belle grotte préhistorique,
à 964 mètres d'altitude.
On découvre alors au nord-est, au milieu de la plaine, le joli
centre d'Aïn-M'lila et, plus loin, au fond, les mamelons de Fedj-Sila
et des Oulad-Djehiche ; au nord, les quelques maisons d'El-Guerra et
le soulèvement du Djebel-Meimane, dont on est séparé
par la grande plaine, bien cultivée, des Oulad-Belaguel.
A ses pieds, l'on domine le ravin dont il est parlé plus haut
et qui, à l'époque de l'occupation de la grotte, ne devait
pas être si encaissé, l'action des eaux ayant dû
l'approfondir dans une notable proportion.
A l'entrée de la grotte et dans la direction du ravin, s'étend
un éboulis considérable de guano, pierrailles, sable,
débris divers produits par les eaux pluviales qui descendent
des failles supérieures et aussi par les détritus rejetés
par les troglodytes d'alors. A droite et à gauche, courant le
long de l'arête perpendiculaire contre laquelle est creusée
la grotte, existent de nombreux sentiers dont plusieurs vont jusqu'au
Ras-Bou-Zabaouine, sommet d'où, dans une vue magnifique, l'on
découvre les arbres de Sidi-Mabrouk, près Constantine,
au nord, et le Bou-Arif au sud.
L'ouverture de la grotte a les dimensions suivantes : hauteur, 6m50
; largeur, 5m40. Cette ouverture quadrangulaire a été
taillée par la main de l'homme et a dû nécessiter
un travail considérable, si l'on songe que les populations primitives
ne possédaient aucun instrument en fer.
Lorsqu'on pénètre, on trouve un long vestibule de dix-huit
mètres sur une largeur de six à sept mètres. A
droite de ce vestibule on voit une baie produite par une faille. Cette
baie, lorsque le soleil donne, jette une vive lumière dans le
vestibule ; elle devait aussi servir, très probablement, de seconde
ouverture aux habitants de la grotte.
A gauche, à douze mètres de l'entrée, s'élèvent
de très hautes murailles perpendiculaires, d'un effet grandiose,
à la base desquelles se trouve l'entrée d'un couloir qui
a vingt-trois mètres de long. Ce couloir, taillé dans
le roc, laisse à peine le passage à une personne et conduit
à une chambre circulaire autour de laquelle se trouvent de petites
logettes.
Directement en face de la grande porte d'entrée, à sept
mètres se trouve l'ouverture d'une chambre creusée dans
le calcaire. Cette ouverture, de forme triangulaire, donne accès
dans une salle ayant quatre mètres de long sur cinq mètres
de large.
A 7m50 de l'entrée principale, au fond du vestibule et à
gauche de la première chambre, existe une excavation demi-circulaire
de 4 mètres de long sur 3 mètres de large qui précède
une autre chambre de 5 mètres de long sur 3 mètres de
large.
Tel est l'aspect général de la grotte de Bou-Zabaouine
après l'exécution de nos travaux de recherches qui, en
diminuant progressivement le sol par couches successives, sur une hauteur
variant entre deux et trois mètres et sur toute la surface intérieure,
ont permis de dégager les diverses entrées des chambres
et les chambres elles-mêmes.
Les fouilles ont porté plus spécialement sur la pièce
principale et la chambre dont l'entrée affecte la forme triangulaire.
Dans les diverses couches nous avons rencontré des instruments
en silex, calcaire, grès, os, corne de cerf, le tout disposé
sans ordre. Le mélange des divers objets s'explique par les bouleversements
naturels : inondations venant par la faille supérieure, tremblements
de terre, chute de débris des parois de la grotte et aussi par
les trous et petites galeries faites par les hyènes, chacals
et autres animaux.
Les plus intéressants des silex découverts consistent
en haches, pointes de flèches, lames avec pédoncule.
Indépendamment des silex dont nous donnons la photographie, la
grotte de Bou-Zabaouine nous a fourni des racloirs, burins, grattoirs
circulaires, pointes à main, ciseaux, perçoirs, poinçons,
scies, dont quelques échantillons bien conservés sont
des plus intéressants.
Des outils en calcaire et en grès ont été également
trouvés dans la grotte précitée : ils consistent
en broyeurs, haches, tètes de lances. casse-tètes, coups-de-poing,
poids de filets.
Parmi les broyeurs en grès, un de ces instruments présente
à sa base des traces très apparentes de la matière
rouge qu'il a broyée, probablement de l'hématite.
Les habitants de Bou-Zabaouine fabriquaient de nombreux outils en os
poli : poinçons, aiguilles, pointes de sagaie, racloirs, cuillers,
lissoirs, pendeloques.
Ils utilisaient aussi l'ivoire et polissaient les dents de sangliers
ou autres animaux.
En outre des instruments ci-dessus mentionnés, nous avons trouvé
une coquille de cyproea, un débris d'écaillé de
tortue (ces deux objets étaient pourvus d'un trou de suspension),
des fragments de coquille d'ufs d'autruche, une corne de bubale
de 28 centimètres de long et des cornes de gazelle.
Les débris d'animaux recueillis consistent en un os de bos ibéricus,
une molaire inférieure et une astragale de l'equus africanus,
des os de buf, cheval, antilope, mouton, hyène, chacal,
genette, lièvre, gerboise, débris de carapace de tortue,
dents de sanglier, coquilles d'ufs d'autruche, pointes de porcs-épics
et des hélix.
D'après les nombreux documents découverts, il ressort
que la grotte de Bou-Zabaouine a été occupée depuis
le chelléen jusqu'au néolithique. La similitude des objets
recueillis avec ceux des diverses grottes de France et de Belgique fait
supposer que l'industrie était sensiblement la même chez
les populations africaines que chez celles d'Europe.
Cette similitude d'industrie amène à croire que les populations
primitives de Bou-Zabaouine. comme toutes celles de l'Afrique septentrionale,
devaient avoir des relations commerciales avec les diverses races d'Europe.
Ces relations pouvaient s'effectuer, d'un côté, par le
seuil de Gibraltar qui, écroulé au début de l'époque
pliocène, a fait place au détroit actuel, et. d'un autre
côté, par l'Égypte, la Turquie et le Bosphore, et
peut-être aussi par la Sicile alors soudée à la
Tunisie ?
Pour la détermination de la période préhistorique
à laquelle appartenait la population quaternaire de Bou-Zabaouine,
nous pensons que l'on peut l'assimiler au néolithique, en raison
des pièces suivantes : haches polies, molette, polissoirs, pointes
de flèches et objets en os et en ivoire.