
           
 
          
          En flânant dans les rues d'Alger. 
        Le promeneur, qui estime 
          préférable de contempler les scènes de la rue que 
          de flâner, des heures durant, dans les vastes et luxueux magasins 
          de !a capitale Nord-africaine, est frappé de la diversité 
          des étals en plein air qui donnent à Alger un cachet particulier. 
          Sans oublier les " yaouleds " effrontés que l'on rencontre 
          partout, portant leur boutique avec eux, et sans omettre les marchands 
          de " cacahuètes " et les vendeurs de " zlabias 
          " ou de gâteaux au miel, on est frappé par le nombre 
          et la variété des " kiosques " qui se dressent 
          sur les trottoirs et les places publiques. 
          
          Toutes les branches du commerce sont représentées. Voici 
          le débitant indigène qui vante la succulence de ses sardines 
          frites et de ses poivrons à l'huile. Dans un coin s'entassent 
          des pains ronds de toutes tailles dont la croûte dorée 
          s'étoile des grains noirs d'anis. Dans un autre, de belles cruches 
          de verre contiennent les boissons glacées, orangeade ou citronnade, 
          dont les teintes, à demi-voilées par une buée froide, 
          sont agréables à l'il. Les clients s'arrêtent, 
          discutent les prix, tournent et retournent dans leurs mains les mets 
          tentateurs et, le marché conclu, défont avec gravité 
          les plis compliqués de leurs burnous. Ils en retirent les pièces 
          de menue monnaie qui sont comptées et recomptées plusieurs 
          fois avant d'atteindre la main tendue du vendeur. Une femme indigène, 
          suivie de quelques marmots, s'arrête à son tour, tirée 
          en arrière par ses gamins. Ceux-ci se suspendent à l'étal 
          et ne cessent de piailler que lorsque la mère leur a fourré 
          dans la bouche les sucreries aux couleurs vives, objet de leur convoitise. 
          Pendant ce temps, un yaouled s'approche, rafle une sardine ou un poivron. 
          Tout à coup le marchand l'aperçoit, bondit, mais le jeune 
          malandrin s'enfuit à toutes jambes, se faufile entre les voitures 
          et disparaît dans la cohue des burnous sans trop se soucier des 
          malédictions et des injures proférées par le volé. 
          
          
          Plus loin, le trottoir se trouve à demi-encombré par un 
          autre kiosque dont la vendeuse souriante est affairée autour 
          de corbeilles de fleurs gentiment arrangées. Des plantes vertes 
          tapissent les parois de leur feuillage sombre d'où se détachent 
          les couleurs vives des illets et des roses et les blanches banderoles 
          du jasmin odorant. Un vieux monsieur très chic s'arrête 
          un instant, contemple les fleurs... et leur vendeuse, s'approche, tire 
          un billet de son gousset, s'empare d'un bouquet, s'éloigne à 
          petits pas, non sans avoir adressé quelque galanterie à 
          la bouquetière. 
          
          Là-bas, un groupe assez important s'est formé autour d'une 
          jolie petite construction de style arabe. Ce sont des femmes en tenue 
          de sport, têtes nues, parlant un idiome anglo-saxon, et des hommes 
          en bras de chemise, la poitrine barrée par la courroie d'un étui 
          d'appareil photographique, portant la culotte large et les demi-guêtres 
          à la mode. Tout ce monde jase et pousse des exclamations admiratives 
          en se passant de mains en mains des bracelets ciselés en or ou 
          en argent " contrôlés ", des poupées indigènes, 
          vêtues de soie, aux couleurs vives et dont on ne voit que les 
          yeux. Le commerçant, encadré dans l'ouverture de sa boutique, 
          suit des yeux les objets en circulation. Il s'exprime en un anglais 
          presque correct, vantant l'originalité et l'authenticité 
          de sa marchandise. Chaque bijou, qui revient à son étalage, 
          est l'objet d'une discussion dont le résultat est toujours à 
          l'avantage du vendeur. Au moment où les clients vont partir, 
          lestés chacun d'un collier d'ambre, d'une poupée mauresque 
          ou d'un lézard du désert, de nouvelles curiosités 
          sont exhumées de tiroirs cachés sous l'éventaire. 
          Et cela recommence jusqu'au moment où les touristes, chargés 
          de colis, remettent définitivement, avec un geste noble, leur 
          porte-monnaie dans leurs vastes poches. 
          
          La place du Gouvernement est ainsi hérissée de kiosques 
          où s'opèrent les transactions les plus diverses. A côté 
          du bijoutier se trouve un horloger. Non loin de là, un photographe 
          expose, dans sa petite tour mauresque, des appareils, des papiers, des 
          plaques et des pellicules. Les marchands de journaux et de cartes postales 
          sont nombreux aussi. 
          
          Autour de leurs kiosque se groupent les midinettes contemplant, avec 
          envie et ravissement, le visage souriant d'une star de cinéma 
          ou la coupe ultra-chic d'un manteau, d'une robe reproduite sur la première 
          page d'un journal de mode. Les illustrés policiers étalent 
          aux yeux des gavroches, bouche bée, des mines patibulaires de 
          bandits. Une petite ouvrière remet au marchand de journaux le 
          prix d'un roman qu'elle lira en cachette. 
          
          Nombreux aussi sont les kiosques de débit de tabac où 
          le vieil arabe hirsute vient acheter son petit paquet plat ; l'européen, 
          ses cigarettes, la demi-mondaine, ses " anglaises ", et la 
          bonne de la grande dame, la boîte de tabac blond. Des cartes postales 
          attirent les voyageurs qui choisissent des photographies de mauresques 
          ou trop ou pas assez voilées, des caricatures sous lesquelles 
          une légende en sabir prétend être pleine d'humour, 
          des vues du désert où se découpe la silhouette 
          d'un chameau sur un ciel couleur de feu. 
          
          Et puis, il y a aussi le marchand de coquillages qui, d'une main preste, 
          fait sauter les valves nacrées de la moule de Calais et de l'huître 
          de Marennes. Autour de son kiosque, une rangée de bourriches 
          pleines empêche les clients d'approcher de trop près. Penchés 
          en avant, la mine goulue, hommes et femmes dégustent les mollusques 
          dont l'acre jus du citron relève la saveur. Un indigène 
          empile de façon savante les huîtres à l'écaillé 
          moussue, plaçant de temps en temps un citron au zeste vert. Et 
          bientôt, des ampoules électriques multicolores attireront 
          les gourmets, le soir, à l'époque des réveillons.