| -Il était une fois AURIBEAU, un petit hameau d'environ 150 âmes, 
        à équidistance de PHILIPPEVILLE et BÔNE, longé 
        sur sa face Est par la Nationale qui mène vers la "Coquette 
        ".
 Lorsque j'étais écolier, la rentrée des classes coïncidait 
        presque avec les premiers labours d'octobre ; je m'arrêtais alors 
        souvent sur le chemin de l'école pour regarder la cohorte des tracteurs 
        s'élancer avec rage dans un ronronnement continu dans toutes les 
        directions, pour se perdre là-bas derrière l'horizon des 
        collines et des plantations. Je m'amusais alors à ânonner 
        les noms peints sur les capots ; il y avait l'incontournable " Ferguson 
        " une bête à tout faire, le John-Deer guère plus 
        puissant, et une vieille et bizarre machine à cylindre unique, 
        énorme, saillant comme une cheminée de train à vapeur 
        au bruit pétaradant, le " FARMAL " ; ceci pour les tracteurs 
        sur pneumatiques. Les chenillards quant à eux se nommaient : Caterpillar 
        (D2, D4, D6 et la montagne d'acier, le monstrueux D8) et une machine tout 
        aussi bizarre, le " MARCHAL" à qui le mécanicien 
        introduisait dans un orifice de son flanc une sorte de cigare qu'elle 
        " fumait " pour démarrer le moteur. En fait avec le recul, 
        il s'agissait de l'ancêtre de la bougie de préchauffage du 
        mélange air-carburant.
 
 Dans ce tintamarre matinal et l'odeur âcre des rejets gazeux, les 
        monstres s'élançaient à travers la campagne environnante 
        à l'assaut des champs et des plantations que durant des semaines 
        et des mois, ils saignaient, retournaient, sarclaient à l'aide 
        de lourds attelages de charrues à socles réversibles, de 
        charrues à disques, de coovercoop, de brise-mottes, de herses, 
        dans un va?et-vient continuel ; ils préparaient en somme le lit 
        de la semence et de la moisson future, suivis dans leur course effrénée 
        par des hordes d'oiseaux, les pique-boeufs, les bergeronnettes, parfois 
        des vanneaux et même une ou deux cigognes retardataires qui semblaient 
        avoir oublié le calendrier migratoire, venus chercher leur pitance 
        de graines et de vers dérangés dans leur sommeil dans les 
        flancs de la terre nourricière de toutes les formes de vie...
 
 Plus loin, au pied de la montagne, là où le progrès 
        ne pouvait accéder en raison de [escarpement du relief, ce sont 
        des attelages de boeufs dociles, patients et tout aussi puissants qui 
        traîneront la charrue, attentifs aux commandements du fellah leur 
        indiquant par "ya" d'aller à gauche et par "jaa" 
        de tourner à droite ; en cas de paresse due à l'épuisement, 
        le fellah les stimulait légèrement à l'aide d'un 
        long bâton en criant "zele", "ataa" et ces fabuleux 
        colosses s'exécutaient avec nonchalance, le port de tête 
        altier et les naseaux fumants dans la fraîcheur des matins d'automne.
 A la fin du jour, les bergers rentraient leurs troupeaux, arrachant une 
        ultime et plaintive complainte à la flûte évoquant 
        leurs peines et la dureté de la vie des gens de campagne, c'était 
        un peu l'Heure " Blues "
 
 C'était aussi l'heure où les tracteurs regagnaient haletants 
        le bercail par toutes les issues du
 village et souvent M. MICHEL le fabuleux mécano de M. BALAY allait 
        au-devant d'eux à l'orée du village pour ausculter à 
        l'oreille les tressaillements, les ratés de leur mécanique 
        et décider en expert de ceux qui devaient passer à l'atelier 
        se refaire une santé.
 
 En ce temps là encore AURIBEAU grouillait des mille bruits des 
        artisans occupés à leurs tâches ; c'était le 
        temps où M. Rémy NAVIOUX, l'inénarrable forgeron 
        du village, un personnage jovial, débonnaire, pittoresque, qui 
        ne répugnait pas pousser la causette avec les passants, le premier 
        venu, souvent en Arabe local, il le parlait bien, comme : " et hamdou 
        li lah ". après un copieux repas, ou lorsque le Ramadan tirait 
        à sa fin il lançait aux passants : " Il ne nous reste 
        que trois jours n'est-ce pas ? " et je m'arrêtais souvent pour 
        le voir battre sur l'enclume une pièce chauffée au rouge 
        d'où s'échappaient des gerbes d'étincelles, dans 
        un tintement régulier qui résonne encore à mes oreilles. 
        Il était l'incontournable maillon de la chaîne de l'entraide 
        à qui l'on avait recours pour réparer une faux, cercler 
        une roue de charrette ou ferrer les chevaux ; dans un geste double il 
        attisait en même temps le foyer ardent qui rendait les métaux 
        tendres pour leur donner aisément forme.
 
 C'était le temps de la diligence, et chaque famille possédait 
        sa charrette, son mulet ou son cheval pour la traîner remplie de 
        grains destinés aux semailles ; elle servait aussi de moyen de 
        locomotion vers les champs comme le faisait M. BONNELO avec un carrosse 
        fait uniquement pour le transport des personnes, qui lui servait à 
        se rendre à sa propriété vers la route de LANNOY 
        ; ce joli carrosse comportait un siège en bois à deux ou 
        trois places, le frein était commandé par une petite manivelle 
        placée à hauteur de la main droite du conducteur qui en 
        la tournant, permettait de diminuer la course de la tige filetée 
        à laquelle elle était reliée, ce qui avait pour effet 
        de freiner et stopper le véhicule.
 
 M. FILLOZ Raymond possédait lui aussi une carriole tirée 
        par un cheval avec laquelle il se rendait aux champs, parfois accompagné 
        de ses filles Nelly et Eliette, pour, entre autres, ramener de l'herbe 
        destinée à la nourriture de ses chevaux, de sa vache et 
        de son ânesse ; il y transportait également la récolte 
        des feuilles de tabac que ses fidèles ouvriers venaient, chez lui, 
        relier en petits bouquets qu'ils ficelaient sous les yeux admiratifs de 
        ses deux filles ; ces bouquets étaient ensuite mis à sécher, 
        suspendus dans un endroit prévu à cet effet, et lorsque 
        les feuilles étaient sèches, ces mêmes ouvriers venaient 
        les empaqueter dans de la toile de jute, le tout cousu de leurs mains 
        et mis dans un caisson en bois rectangulaire ouvert au dessus et en dessous, 
        avec des poignets sur les côtés qui permettaient de soulever, 
        une fois la forme bien prise, le moule qui allait donner les balles de 
        tabac prêtes à être acheminées à la Tabacoop 
        de Bône pour y être vendues. Le transport jusqu'à cette 
        ville était fait au moyen de charrettes, de ces lourds chariots 
        à quatre roues tirés par des chevaux ou des boeufs ; quelquefois, 
        un camion de Jemmapes ayant appartenu semble-t-il à M. SAHNOUN 
        passait également faire le ramassage des balles pour les convoyer 
        vers la même destination.
 
 En ce temps là, les moyens de transport moderne avaient épargné 
        AURIBEAU, jusqu'à la fin des années 40, où les premiers 
        véhicules utilitaires et particuliers sont apparus.
 
 De mémoire d'anciens Auribeaudois, comme mon Oncle qui est de 36, 
        et autant qu'il m'en souvienne, le premier camion avait appartenu à 
        M. AMIOUR, l'associé de M. BOUDELAA, propriétaire de l'épicerie-boulangerie 
        du village. C'était un camion de marque allemande certainement 
        rescapé de la 2cme guerre mondiale que son propriétaire 
        louait, avec chauffeur, pour le transport public de marchandises. Ensuite 
        ce fut M. René VAUDFI qui posséda un camion Renault à 
        benne et ridelles avec lequel il transportait son raisin récolté 
        dans son vignoble au moment des vendanges et l'acheminait vers la cave 
        coopérative pour le pressage. Puis l'effet boule de neige s'est 
        installé et ce fut au tour de M. MIZZI de posséder un camion 
        pour le transport de tout ce qui a trait aux travaux des champs. Paradoxalement 
        (?) les premiers véhicules particuliers avaient appartenu à 
        des Musulmans ; les premiers d'entre eux furent M. BOUKACHABIA Med Salah, 
        qui au retour de l'armée (il avait fait la seconde guerre mondiale), 
        avait possédé une CHAMBORD qu'il utilisait comme taxi, M. 
        BELAHCINI Madjid, encore en vie et en bonne santé, avait possédé 
        une voiture de tourisme à la coque en bois fabriquée à 
        JEMMAPES par le renommé carrossierM.CORBEAU.
 Ce fut au tour d'un oncle de ma mère, Aissa AYACHE, 
        qui exploitait l'épicerie à l'angle supérieur de 
        la cour de l'École en face de la maison de M. BALLET, et dont le 
        père était propriétaire terrien,d'acquérir deux voitures l'une après l'autre dans le même 
        style en bois que la précédente. Après ces drôles 
        de limousines en matériaux hétéroclites, est venu 
        le temps des voitures de légende. Paradoxalement, ce sont des Musulmans 
        qui les premiers en ont possédé ; l'oncle de ma mère 
        avait une Peugeot 202, qu'il faisait démarrer à la manivelle 
        devant notre école où il aimait la garer à l'ombre 
        du maintenant vieux frêne ; M. MANSOURI Amor avait lui des " 
        Citroen ", la 11 légère puis la 15, qu'il utilisait 
        comme taxis puis ce fut au tour des Pieds-noirs d'en acheter et ce serait 
        M. POFILET, avec sa Simca P60 bleue-grise, une Etoile six, qui aurait 
        inauguré le cycle qui mènera à la banalisation de 
        ce moyen de transport moderne à AURIBEAU. Apparemment ensuite, 
        dans les années 50 ce furent les Renault Juva 4 de MM. Aimé 
        BALLET et François SPITERRI qui ont fait leur apparition aux côtés 
        d'autres voitures de plus en plus performantes, aux lignes recherchées, 
        comme une Dauphine rouge, ayant appartenu à Chari) INGLESE. semble-t-il, 
        les 403 de MM BALAY, ORTS et BONTOUX sans oublier M. STEFANINI, notre 
        Instituteur qui était arrivé en 59 ; lui aussi avait sa 
        Peugeot 403, une limousine qui faisait rêver et que les Algériens 
        ont définitivement adoptée en raison de sa sobriété 
        et de son endurance, soit pour un usage familial, soit pour servir de 
        taxi permettant aux habitants locaux de rejoindre les villes et villages 
        environnants, ce qui était bien pratique pour les urgences en tous 
        genres ou tout simplement pour passer une journée de détente 
        à JEMMAPES lors des journées de festivités que la 
        ville organisait.
 
 C'était le temps de nos jeux à l'heure de la récréation, 
        dans la cour sous les acacias, encore présents, et autour de l'énorme 
        mûrier, qui hélas atteint de maladie s'est effondré 
        il y a quelques années ; sous le préau par temps pluvieux, 
        nous rivalisions à grimper à la corde à nuds 
        suspendue au plafond, sans l'aide des pieds, uniquement à la force 
        musculaire des bras ; une performance qui n'était pas à 
        la portée de tous et que seul, devant nos yeux écarquillés, 
        M. MALDENT notre Instituteur, avait réussie, les jambes tendues 
        en équerre avec ça!
 
 C'était le temps où le marché Arabe hebdomadaire 
        se tenait le jeudi dans un spectacle bigarré et un brouhaha ininterrompu 
        avec sa cohorte de marchands de bestiaux de volailles, ufs, de friperies, 
        d'épices, de semoule, d'orge, et toutes sortes d'animaux ; des 
        ânes pour leur utilité dans les travaux domestiques, recherchés 
        par les foyers modestes pour qui ces doux compagnons ramenaient les fagots 
        de bois, les jarres d'eau, et transportaient les sacs de blé et 
        d'orge au moulin à grains de M. BORG père, ou celui plus 
        bas de M. René VAUDET. On y rencontrait aussi le commerce des chèvres 
        -rarement les bovins et les ovins- car les premiers d'entre ces animaux 
        étaient peu exigeants, ils savaient se " débrouiller" 
        presque seuls pour trouver à se nourrir même en grimpant 
        sur les oliviers ou en escaladant les pentes escarpées. C'est un 
        bel animal rustique d'une vivacité déconcertante toujours 
        en éveil, facile d'entretien, arborant une robe toujours propre 
        à deux tons, noir et blanc ou marron et blanc, avec une jolie petite 
        tête surmontée de cornes effilées, chevrotant des 
        "Mêêê" pour rallier leurs petits par trop 
        téméraires s'aventurant loin du troupeau ; sans oublier 
        le plus remarquable et leur plus gracieux attribut : la BARBICHETTE.
 
  Ce jour de marché était aussi le rendez-vous 
        des marchands de confiseries : la Zlabia dégoulinant de miel avec 
        tout autour des nuées d'abeilles, le Nougat clairsemé de 
        cacahuètes, des sucreries en forme de serpent lové sur lui-même, 
        striées de rouge, de jaune ou de vert, que le marchand découpait 
        aux ciseaux en portions pour les vendre. Au milieu de la place, la fumée 
        et la senteur qui s'échappaient à travers les eucalyptus 
        trahissaient la présence du marchand de brochettes et de merguez 
        grésillantes sur le feux de bois, dont raffolait Charly INGLESE, 
        un aîné avec qui on partait à la chasse aux étourneaux 
        se gavant dans les oliviers bordant le chemin menant aux vergers derrière 
        la maison de M. Lollo LAVERRIERE, avec une belle carabine à air 
        comprimé (une DIANE), et aux pigeons, (cette fois avec un vrai 
        fusil,) qu'il interceptait le soir à leur retour au nid après 
        une journée passée dans les champs à la recherche 
        de nourriture.
 C'était le temps où, lorsque la froidure s'installait et 
        que les frimas de l'hiver givraient nos mains et nos oreilles, notre classe 
        était chauffée par un poêle que chacun de nous, à 
        tour de rôle, allumait le matin avant l'arrivée des élèves 
        ; et si le bois manquait il fallait aller chercher les bûches dans 
        la réserve située dans la cave sous la classe accessible 
        par quelques marches en planches ; un lieu obscur, éclairé 
        par trois ou quatre lucarnes d'où filtrait un rai de lumière, 
        où le moindre crissement d'un objet dérangé, un rat 
        qui détalait dans l'obscurité, nous faisaient tressaillir.
 
 C'était le temps des crues de l'Oued Hamimine descendu des thermes 
        du même nom surgis au pied de plusieurs collines à un quart 
        d'heure de bicyclette du village, et de l'Oued Mechekal dont les furies 
        de 1957 ont submergé l'orangeraie de M. BALLET. (Le niveau de la 
        crue a été gravé sur le mur de sa cave au bord de 
        la Nationale menant à Bône.)
 
 Beaucoup de personnes allaient à cette occasion "voler" 
        aux flots, à l'aide d'une épuisette fixée au bout 
        d'un long roseau, les oranges flottant sur l'eau : ils en ramenaient des 
        pleins sacs de jute pour le plus grand plaisir des enfants.
 
 J'ai souvenance, en cette année là, qu'un jeune soldat du 
        contingent a laissé sa vie, emporté par les flots, lorsque 
        le conducteur du GMC qui transportait sa section, mésestimant le 
        danger, avait tenté de traverser le courant trop violent.
 
 En ce temps là, AURIBEAU connaissait trois cultures principales 
        : les agrumes. la vigne et la culture céréalière. 
        Les cultures maraîchères étaient circonscrites à 
        quelques modestes espaces cultivés en légumes : navets, 
        carottes, poivrons, courgettes, quelques parcelles de pastèques 
        et melons ; elles étaient surtout destinées à l'autosuffisance 
        de la population locale et des villages voisins.
 
 Les autres variétés fruitières étaient représentées 
        par quelques rangées de figuiers ayant appartenu à M. VAUDET, 
        après le pont qui enjambe l'Oued MECHAKEL, les pêchers de 
        M. Lollo LAVERRIERE en contrebas de sa maison, proche de sa vigne au bord 
        de l'Oued Hamimine.
 
 La culture du tabac était aussi sporadique, que ne pratiquait que 
        M. BALAY pour le compte des domaines LATRILLE et de MM. Henri DONIAT et 
        FILLOZ Raymond.
 
 En ce temps là, les orangeraies, avides d'eau, déroulaient 
        des bandes vertes au gré des méandres des cours d'eaux qui 
        arrosaient notre petite vallée.
 
 Plusieurs variétés des plus connues et des plus recherchées 
        étaient cultivées en ces lieux propices, riches en alluvions, 
        en eau, et de ce soleil du Pays qui favorisaient l'éclosion des 
        fleurs et le mûrissement des fruits, encore verts tout l'été.
 
 A partir d'octobre commençait la cueillette de la reine des agrumes, 
        la CLEMENTINE, fille de ce pays où elle avait été 
        conçue par l'Abbé CLEMENT à MISSERGHIN, du côté 
        d'ORAN, en 1894, en croisant les fleurs du bigaradier et celles du mandarinier. 
        C'est à l'orangeraie de M. LAVERRIERE en contrebas de la cave à 
        vin, que croissait dans un petit carré, ce fabuleux fruit à 
        l'écorce facile à décoller et dont les quartiers 
        sucrés et parfumés se détachaient aisément 
        les uns des autres. Arrivait ensuite à maturité la mandarine, 
        au goût légèrement acidulé et à la peau 
        boursouflée qui étaient tout aussi exquise que cultivaient 
        MM. POFILET et BALLET, entre autres, en contre-bas de la maison cantonnière 
        derrière une haie de pins brise-vent qui continue encore de nos 
        jours à remplir son rôle de protecteur comme un sacerdoce. 
        Ces primeurs étaient suivis des autres variétés : 
        la double fine, la sanguine très appréciée par nous 
        les enfants pour la couleur rouge sang de sa pulpe et l'abondance de son 
        jus qui étanchait notre soif aux détours d'un sentier lorsque 
        l'eau potable n'était pas à portée de la main, la 
        Java et la Maltaise aussi juteuses, au goût acidulé, à 
        la pulpe veinée de stries rouges ces variétés étaient 
        cultivées un peu par tout le monde certainement en raison des rendements 
        élevés qu'elles donnaient.
 
 La fin de la cueillette était marquée par la variété 
        la plus noble d'entre toutes, la Thomson, à la pulpe veloutée 
        et parfumée ; elle était destinée entièrement 
        à l'exportation. Les mamans de nos camarades de classe en faisaient 
        de délicates confitures et marmelades en intégrant l'écorce 
        qui leur donnait un arrière goût légèrement 
        amer malgré la présence en grande quantité de sucre.
 
 C'était le temps où le four à pain du village, au 
        fond de la boulangerie enchâssée entre la maison de M. Henri 
        DONIAT et la brasserie de Mme et M. DONIAT, répandait l'odeur du 
        levain et du pain chaud dont nous achetions juste un quart ou ce petit 
        pain si menu et si mignon que l'on tapissait d'une portion de fromage, 
        "la vache qui rit", ou accompagné d'une grosse barre 
        de chocolat noir, dont je garde dans mon palais le goût et l'odeur 
        unique comme la madeleine de tante LEONIE que PROUST n'a jamais oubliée...
 
 C'était le temps où bon nombre d'entre nous allaient à 
        l'école pour la première fois à la rencontre de nos 
        vénérés Maîtres sans uvre de qui ces 
        lignes n'auraient pas été...
 
 Nous gardons tous, parents et élèves, un tendre et affectueux 
        souvenir de ces Idoles, enfants du Pays, comme M. Claude STEFANINI, natif 
        de PHILIPPEVILLE, le Directeur de notre École et en charge des 
        classes d'examen ; il a conduit la plupart d'entre nous au Certif. et 
        aux différents examens d'accès à la 6e et au C.N.E.T. 
        ; avant lui M. REFALO venu d'El-Arrouch était
 également notre Directeur, et dispensait les cours aux classes 
        inférieures ; d'autres venus de loin comme M. Lucien MALDENT originaire 
        du CREUSOT, mon second maître au début des années 
        50, après M. SECRETO ; M. François SAVIO venu d'AGEN une 
        ville sur la Garonne qu'il évoquait souvent pour célébrer 
        la réputation des pruneaux de son LOT-ET-GARONNE natal ; et bien 
        d'autres encore, pour ne citer que ceux qui ont modelé de leur 
        empreinte nos jeunes cerveaux et marqué de façon indélébile 
        la société à l'entour par l'animation qu'ils ont 
        su créer autour d'eux. Ils sont les illustres compatriotes qui 
        ont permis l'émergence des futurs cadres de l'Algérie d'après 
        1962 ; c'est ainsi que l'année scolaire 1962-63 avait connu pas 
        moins de trois enseignants natifs du village, des employés à 
        la Mairie et une multitude d'élèves partis à la conquête 
        du Savoir dans les Lycées et Collèges plus tard aux Universités 
        qui ont donné à Auribeau des Ingénieurs, (certains 
        sont hauts cadres d'Entreprises), des professeurs, des Juristes, des Médecins 
        et même des Enseignants Chercheurs ; c'est dire que la graine semée 
        était de bonne qualité ; elle a essaimé à 
        son
 tour pour donner une Pléiade d'élites locales dont les compétences 
        sont appréciées et
 dépassent le cadre régional, certaines ont même un 
        destin National. C'est là uvre de nos Maîtres dont 
        l'unique préoccupation était la dispense du savoir, ce qui 
        les rapproche
 des Saints et mérite à ce titre notre vénération 
        ; il est alors venu le temps où ils sont en droit de recueillir 
        reconnaissance et honneur pour leur travail acharné et ce serait 
        sacrilège, inexpiable, que de les oublier. Ils trônent pour 
        l'éternité en une place à part dans nos curs 
        et nos mémoires.
 
 C'était le temps où nos Maîtres consacraient, en plus 
        de leur labeur d'éducateur, leur temps libre à des activités 
        extra-scolaires valorisantes, dont la dispense de cours du soir pour adultes, 
        l'introduction du sport et la tenue de festivités grandioses marquant 
        la fin de l'année scolaire ; comme ce fut les lendits de 1960, 
        les inoubliables courses aux oripeaux, la course des grenouilles, celle 
        des baudets... devant un parterre de personnalités dont l'autorité 
        Académique ; à cette occasion beaucoup de médailles 
        avaient été décernées aux meilleurs d'entre 
        nous.
 A ces Maîtres émérites, M. Claude 
        STEFANINI, M. Lucien MALDENT un éducateur au grand coeur qui avait 
        les yeux humides et rougis lors des séparations en fin d'an-née 
        scolaire, M. SAVIO l'initiateur des lendits et organisateur des sports 
        à la campagne (le cross, le football, le volley-hall) va notre 
        reconnaissance et nous nous inclinons humblement devant tant de générosité 
        et de sacrifices. C'était le temps où, dès les premiers 
        jours de printemps, en Mars, nos jeux étaient transportés 
        sur la " Place aux frênes ", ainsi baptisée par 
        Elyette et moi à l'occasion de nos retrouvailles, située 
        en face de sa maison : c'était un espace tapissé d'herbe, 
        où croissaient les pâquerettes et surtout les NARCISSES de 
        notre enfance enchantée, oui des narcisses qui poussaient au milieu 
        du village ! tellement la nature était préservée... 
        dont on faisait des bouquets odorants que chacun ramenait chez lui. La 
        Place aux frênes était le lieu ombragé de nos jeux 
        : le jeu de " touche " celui de " l'avantage " avec 
        une pelote en caoutchouc bariolée ou une balle de tennis, et là 
        l'espiègle Elyette et Arlette BORG qui habitait plus haut que chez 
        elle nous rejoignaient parfois, pour partager furtivement ces jeux de 
        " garçons ". Ce temps là, le début de printemps annonçait 
        le renouveau et notre communauté le fêtait un peu comme le 
        Nouvel An, une coutume venue de la nuit des temps, elle serait d'origine 
        berbère : ces peuples anciens d'agriculteurs et d'éleveurs 
        saluaient par des offrandes et des festivités les richesses que 
        cette saison annonçait. A cette occasion nos mères nous 
        préparaient des galettes rondes enduites de jaune uf qui 
        les rendait dorées et des galettes à rebord dentelé 
        que nous roulions sur l'herbe de la Place aux frênes et à 
        l'entour de nos demeures avant de rejoindre nos foyers pour déguster 
        ces fameux gâteaux en forme de losange, " Lebraj " faits 
        de semoule liée avec du beurre et de l'huile, fourrés de 
        dattes écrasées, cuits sur le " Tajine " en terre 
        accompagnés de petit-lait. A l'occasion de cette fête qui 
        pouvait durer plusieurs jours, certains foyers préparaient ces 
        crêpes succulentes " Lemchehda " de forme ronde criblées 
        de petits trous et de cloques qu'on avalait goulûment tapissées 
        de miel ou de sucre et de beurre. Souvent des camarades comme Jean-Louis 
        LEGER venaient à cette occasion dans nos demeures pour partager 
        notre joie et les délices des jours de fêtes.
 C'était le temps de nos jeux, partagés avec des camarades 
        tels Jean-Claude MICHEL sur le seuil de sa maison, où l'on s'amusait 
        à monter des Mécano qu'il avait reçus en cadeaux 
        pour NOËL, ou avec J.L. LEGER lors de randonnées avec la Jeep 
        Américaine qu'il empruntait à son père pendant ses 
        heures de repos au temps où il était forgeron à la 
        ferme de M. TRAPPE, ou encore Jean-Marc LAVERRIERE cet agréable 
        camarade de jeux qui aimait partager avec nous ses goûters, du pain 
        beurré et sucré ou une barre de chocolat...
 
 Lorsque le printemps tirait à sa fin et que les chaleurs s'installaient 
        doucement, venait le temps où, jeunes écoliers, on assistait 
        à la belle saison, au spectacle du jeu de boules en face du relais 
        " ALESTRA " près de la fontaine publique où les 
        bêtes venaient se désaltérer dans l'abreuvoir qui 
        leur était destiné, ou bien sur la place au centre du village 
        ; agglutinés silencieusement autour du
 rectangle clôturé de petits piquets reliés par une 
        mince corde où un gros fil, retenant notre souffle en communion 
        avec les joueurs, dans l'attente de voir une boule éliminée 
        dans un bruit sec et un jet de poussière.
 
 Puis l'été venant, la cueillette des oranges et la récolte 
        des maraîchages achevées, il fallait quitter le lit fécond 
        longeant les cours d'eau pour aller vers les coteaux avoisinants ou plus 
        loin encore en empruntant le chemin vicinal qui menait à Oued Zeher 
        et Ain Bekkouche, la source qui alimentait en eau AURIBEAU, où 
        les Romains avaient apparemment installé un camps militaire avancé, 
        comme en témoignent des blocs de pierre taillée, visibles 
        encore de nos jours dans l'enceinte d'un cimetière musulman local, 
        " El Zarouria ", qui tire son nom de la présence de quelques 
        arbrisseaux épineux, de la même famille que l'aubépine, 
        donnant des pommettes grosses comme une noisette au goût acidulé 
        que nous rainassions en été.
 
 I: aubépine voisine, elle, donnait de petites baies rouges tout 
        aussi comestibles que nos grand-mères administraient aux personnes 
        souffrant de troubles digestifs. De part et d'autre de ce chemin s'étendaient 
        deux vignobles des domaines LATRILLE dont M. BALAY était gérant. 
        Ces vignes très exposées au soleil donnaient principalement 
        la variété " Cinsault" destinée à 
        être pressée, mais qui était aussi prisée dans 
        nos foyers pour son goût très sucré et sa pulpe molle 
        donnant d'excellentes confitures onctueuses avec lesquelles l'on tapissait 
        des morceaux de galette pour le goûter.
 
 En aval, le long du petit ruisseau qu'alimentait la source de Bekkouche 
        et les ruisseaux et ornières descendus des collines, croissait 
        une petite bande de vignoble de cinq ou six hectares ayant appartenu a 
        M. FILLOZ Raymond, le père d'Elyettc et Nelly, toutes deux camarades 
        de classe des années cinquante ; je garde un souvenir vivace de 
        ce lieu, où à la lisière de la propriété, 
        un coin ombragé par un grand frêne très feuillu en 
        été servait à protéger des rayons du soleil 
        les vendangeurs au moment où ils s'arrêtaient pour prendre 
        leur déjeuner, et où était mis à l'abri des 
        chaleurs le baril d'eau potable. Un chemin de terre battue carrossable 
        menait à cette propriété, à l'usage des riverains 
        et qu'empruntaient aussi les attelages de chevaux de M. Raymond FILLOZ 
        tirant les lourds tombereaux pleins de raisins vers la cave à vin.
 
 Ce qui m'est resté le plus de ce lieu proche du frêne, c'est 
        que là croissaient quelques ceps de ces fameux "Chasselas", 
        une variété précoce de raisin aux petits grains dorés, 
        presque translucides, oh ! combien exquis ! destinée à la 
        consommation domestique. Lors des vendanges, petit enfant, je rejoignais 
        mon grand-père et mes oncles qui travaillaient non loin de la maison 
        dans un champs de tabac, séparé du vignoble par le chemin 
        de terre battue ; pour les rejoindre j'avais à traverser la route 
        nationale pour accéder au talus séparant les deux propriétés. 
        J'attendais midi, l'heure de repos sous le frêne, que rejoignaient 
        également les vendangeurs ; certains d'entre eux rapportaient dans 
        leurs chapeaux de paille quelques grappes de ce fameux raisin, qu'ils 
        partageaient avec nous ; en ce temps là tout était mis en 
        commun, chacun ramenait quelque chose à manger, qui du petit lait 
        et l'incontournable galette, qui un ragoût de pommes de terre, des 
        haricots, ou encore de la sardine en boite, des olives et du fromage en 
        portion... Cette ripaille était partagée et tout le monde 
        pouvait prendre ainsi un repas "varié", un réflexe 
        d'entraide inconsciente qui ne se disait pas, une règle sociale 
        qui débordait jusque dans le détail d'un déjeuner 
        de vendangeur.
 
 Mon oncle ZAGHDOUD que je suivais partout où il travaillait, fut 
        employé par M. FILLOZ jusqu'en décembre 62 à la cave 
        à vin en face de la gare, date à laquelle M. RAYMOND avait 
        rejoint sa famille en France ; et là encore le destin et les hasards 
        de la vie les avaient fait se rencontrer, cette fois ci à DRAGUIGNAN 
        vers 1965 où M. FILLOZ était employé dans une cave 
        réputée pour son excellent vin vendu de par le monde se 
        reconnaissant sous le nom de SAINTE ROSELINE dont le propriétaire 
        n'était autre que le Baron de RASQUE de LAVAL, aujourd'hui disparu. 
        A présent la propriété continue à être 
        gérée par ses descendants. M. FILLOZ aurait donc, sans hésiter, 
        proposé à mon oncle de le présenter à son 
        employeur en vue d'une embauche, mais il ne pouvait le faire, à 
        regret me confia-t-il, car il était employé aux chantiers 
        navals de La CIOTAT ...
 De cette famille humble, laborieuse, affable et discrète, je garde 
        moi-même, ainsi que tous les anciens AURIBEAUDOIS, un tendre et 
        affectueux souvenir. Récemment, grâce à la magie de 
        l'Internet j'ai pu renouer le contact avec Elyctte, la fille de M. RAYMOND. 
        une camarade de classe, proche de nous à l'école où 
        elle participait avec nous aux activités sportives dans lesquelles 
        elle excellait : championne de sa classe au saut en hauteur, médaille 
        à feuilles de laurier gagnée à PHILIPPEVILLE en 1960 
        pour avoir décroché le premier prix de la course à 
        pied (excusez du peu !) organisée grâce à M. STEFANINI 
        notre Directeur d'école. Dans les activités culturelles 
        où à l'occasion des lendits de 1960, elle avait tenu le 
        rôle de SOPHIE dans la pièce de Mme de SEVIGNE jouée 
        à la salle des Fêtes du village.
 
 Désormais la saison chaude avançait, les travaux des champs 
        devenaient plus rudes avec ce soleil qui dardait ses rayons à la 
        verticale, mûrissant toute culture ; c'était le moment où 
        la récolte du tabac commençait, les moissons battaient leur 
        plein et le battage du blé se préparait...
 Cette bande de terre, voisine du vignoble de M. Raymond FILLOZ ayant appartenu 
        à M. Henri DONIAT, non loin des maisons de mes parents, grands-parents, 
        oncles, et tantes, dans notre "DACHRA" comme je l'ai déjà 
        narré, était cultivée en tabac, et c'est cette proximité, 
        certainement, qui faisait que les travaux de cette culture étaient 
        concédés par le propriétaire à mon grand-père 
        aidé de mes trois oncles.
 
 En ce temps là, en été, l'école était 
        finie, c'était la période des grandes vacances et je n'étais 
        pas très loin de mes oncles et mon grand-père que j'accompagnais 
        partout dans leur labeur quotidien ; je m'amusais alors à me faufiler 
        entre les plants de tabac qui me dépassaient en hauteur, 1à 
        je construisais un monde à moi : le bousier roulant perpétuellement 
        son "fardeau de Sysiphe" devant lui devenait, par la déformation 
        de mon imagination infantile un monstre à tête cornue ; la 
        découverte d'une mante religieuse, c'était la méchante 
        fée des contes ; la toile tendue par l'araignée entre deux 
        plants de tabac ressemblait à un piège qui allait m'engloutir 
        : à la vue de la rangée d'yeux de cette créature 
        impassible attendant ses victimes j'avais des frissons de peur ; c'était 
        un univers à moi peuplé de lutins sortis des contes populaires 
        que nous racontait jadis tante SARHOUDA l'épouse de mon oncle AMAR, 
        (ils vivent depuis 1962 à SUIPPES dans la MARNE) durant les nuits 
        d'hiver autour d'un brasero rendant une lumière rougeâtre 
        propice aux fantasmes. Ce fut un monde à moi où je dialoguais 
        à voix basse avec mes " fantômes ", un monde merveilleux 
        où je me transportais l'espace d'une rêverie, assis à 
        l'ombre des feuilles de tabacs ; un bonheur long comme une éternité, 
        interrompu par l'appel de mon grand-père, m'ayant perdu de vue, 
        et qui me ramenait contrarié à la réalité...
 
 Lorsque les plants de tabac, en plein été, arrivaient à 
        maturité, la récolte des feuilles pouvait commencer. Les 
        feuilles de tabac étaient classées en trois catégories 
        : celles du " bas ", la moins valeureuse, appelée par 
        nos parents "harfi", celles du milieu "ezzina" (la 
        belle) de moyenne qualité ; les feuilles supérieures "choucha" 
        (la supérieure) représentaient le "must" de la 
        culture tabatière.
 En fin de journée la récolte était 
        acheminée vers les hangars où les feuilles devaient sécher 
        au soleil, attachées en grappes par du raphia et suspendues en 
        étage par du fil de fer fixé à l'intérieur 
        d'un cadre métallique porté par un rail horizontal sur lequel 
        il coulissait à l'aide de petites roues de poulies nervurées. 
        Alors enfant je passais mes journées avec mon grand-père 
        et mes oncles à les regarder, dans un rituel immuable, sortir des 
        hangars, le matin, les gabarits mobiles pour les faire sécher au 
        soleil toute la journée, les retourner sur les deux faces pour 
        un séchage uniforme et les rentrer le soir au coucher du soleil 
        pour la nuit.
 Ma grand-mère, ma mère et mes tantes n'étaient pas 
        en reste de la corvée puisque le travail le plus fastidieux, l'assemblage 
        des feuilles en petites grappes à l'aide d'une grosse aiguille 
        et de raphia, leur était destiné en exclusivité, 
        la couture étant " l'apanage des femmes "... Mais cela 
        ne dispensait pas nos adorables, nos vénérables Mamans de 
        participer à la cueillette. l'après-midi, aux côtés 
        des hommes, entre deux travaux ménagers...
 
 C'est le temps venu des moissons : les blés ont blondi au soleil 
        torride, le lâcher de la horde des moissonneuses-lieuses aux champs 
        de blé est révélé par les longues bandes régulières 
        qu'elles tracent derrière elles ; les gerbes de blé sont 
        entassées en petits monticules. un tracteur à remorque les 
        achemine vers l'aire de battage en bas du village où se forment 
        les meules de blé dans un alignement précis qui permet l'installation 
        au centre de la fameuse batteuse et du tracteur qui entraîne la 
        grande roue fixée à son flanc. L'aire de battage est limitée 
        au sud par une haie imposante de figuiers de barbarie infranchissable 
        si ce n'est à travers un chemin carrossable de terre battue qui 
        l'interrompait en son milieu permettant l'accès aux vignobles de 
        MM. BALLET et FILLOZ et servait également de raccourci qui conduisait 
        plus loin aux Mechtas environnantes.
 
 C'est le temps, où, arrivé l'été, un autre 
        spectacle s'installe au bas du village sur raire de battage, un espace 
        que nous appelions " El comminal " rappelant son appartenance 
        au Domaine Communal que nul ne pouvait s'approprier.
 
 Là sont entassées en imposantes meules les gerbes de blé 
        de chaque propriétaire attendant le grand jour de l'arrivée, 
        comme une comète au retour régulier pour s'éclipser 
        jusqu'à la saison nouvelle, de l'infatigable batteuse rouge sortant 
        de son hibernation dans les hangars situés en haut de l'aire de 
        battage aux côtés des tracteurs que la coopérative 
        agricole louait aux cultivateurs qui n'en possédaient pas.
 Le grand jour étant arrivé, c'est dans un 
        ronronnement continu, perceptible de loin, que le tracteur " Ferguson 
        " ou " John-Deer " entraîne, à l'aide d'une 
        longue courroie en bâche ou en cuir, le mécanisme de la batteuse. 
        La cadence imposée par la machine est rythmée par le mouvement 
        coordonné des ouvriers au sol qui balancent à l'aide de 
        fourches les gerbes de blé en haut sur le plateau où elles 
        sont reçues et dirigées par l'engreneur dans la bouche béante 
        qui va les dévorer et les engloutir dans ses entrailles avant que 
        la coulée de graines crépitante n'apparaisse le long d'un 
        plan incliné au bout duquel étaient agrafés des sacs 
        de jute destinés à les transporter vers leur destination 
        finale, les Silos à grains, le marché local ou l'exportation 
        vers la Métropole.
 C'était le temps où la saison agricole finissante s'achevait 
        en apothéose avec le spectacle chamarré des vendanges, dans 
        une farandole sans fin de tombereaux, de charrettes, traînés 
        par des bufs ou des chevaux, de remorques tirées par des 
        tracteurs. Le raisin était acheminé vers la cave coopérative 
        ou celles de MM. SPITERRI et MIZZI. pour être pressé. Alors 
        adolescents, nous participions à cet événement saisonnier, 
        dans les vignobles de MM. BALAY, Lollo LAVERRIERE, Aimé BALLET, 
        pour ne citer que ceux-là une opportunité qui nous permettait 
        de participer à l'achat d'effets vestimentaires et scolaires en 
        prévision de la rentrée des classes et des rigueurs des 
        hivers ; aux côtés de nos aînés, hommes et femmes, 
        que des remorques amenaient aux vignobles chaque matin avant le lever 
        du soleil, au moment où les ceps de vigne rendaient une odeur un 
        peu âcre due aux traitements chimiques qu'ils avaient reçus 
        contre le mildiou principalement. Les femmes trouvaient, dans cet exutoire, 
        un peu de liberté en s'arrachant à leur ermitage et aux 
        tâches domestiques ; deux ou trois semaines durant elles travaillaient 
        dans les vignes, ce qui représentait un apport non négligeable 
        à la constitution des réserves de nourritures pour la mauvaise 
        saison. Quant aux enfants que nous étions, les vendanges étaient
 vécues, comme une fête ; le théâtre de nos jeux 
        était désormais un champ de vigne où nous rivalisions 
        à qui arriverait le premier au bout de la rangée après 
        l'avoir dénudée des lourdes grappes de raisin sentant encore 
        la fraîcheur matinale. Cette compétition effrénée. 
        était encouragée par le Chef du chantier et sous les acclamations 
        des jeunes filles à qui nous voulions, quelque part, prouver notre 
        virilité ; c'était le passage obligé de notre entrée 
        dans le monde des adultes ; un statut social supérieur, qui nous 
        conférait désormais des privilèges, notamment celui 
        d'être admis dans les "DJEMAA" ; ces réunions de 
        chefs de familles destinées à régir la vie à 
        l'intérieur du groupe familial. Les adultes n'avaient plus de secrets 
        pour nous, en fait, on méritait ces faveurs à l'aune de 
        l'aptitude au travail, et par le travail, la seule valeur qui autorisait 
        l'intégration dans la société pour devenir un jour, 
        précocement parfois, chef de famille à son tour ; car il 
        fallait assurer la pérennité du clan, une fois les Patriarches 
        disparus.
 
 Les vendanges terminées, c'est un ultime spectacle qui s'affichait 
        devant la cave coopérative face à la gare ferroviaire ; 
        là surgit, un beau matin, venu on ne sait d'où, une énorme 
        "cocotte" noire pétaradante : c'était l'alambic 
        qui allait extraire l'eau de vie du marc de raisin après sa pression. 
        La chaudière bruyante assurait la distillation du marc dont les 
        vapeurs en se condensant à travers le serpentin de l'alambic allaient 
        libérer le fameux breuvage dont les émanations étaient 
        humées de loin. C'est ce cycle agraire qui avait rythmé 
        la vie de notre village où il faisait bon vivre autrefois...
 fois AURIBEAU, un petit village fleuri des bougainvilliers qui embellissaient 
        les clôtures des maisons de MM. BALAY et POFILET, des glycines aux 
        grappes de fleurs mauves odorantes enlaçant les façade des 
        maisons de MM. NAVIOUX et SPITERRI, des géraniums et d'arums dans 
        chaque maison, des rosiers grimpants de la maison de Nelly et Elyette 
        FILLOZ embaumant les ruelles alentour, du mimosa de la maison cantonnière 
        que j'habitais au départ de la famille de M. ROUSSEL, l'employeur 
        de mon père, qui avait emménagé dans la petite Chapelle 
        après le transfert de l'Office à l'Église au centre 
        du village, où, les dimanches et jours de fêtes religieuses, 
        s'activaient de petites processions de fidèles, lors des cérémonies 
        des premiers Sacrements, des baptêmes et des communions, des mariages 
        aussi, reconnaissables à la tenue de la mariée.
 Et chaque maison avait dans un coin de jardin, comme pour les préserver, 
        quelques plants de chrysanthèmes destinés à honorer 
        les morts au jour qui leur était consacré.
 
 A nos Amis d'antan nous disons que leurs Ancêtres et leurs Parents, 
        qui reposent ici sont devenus nos Parents , nous leur devons le Respect 
        que l'on doit à tous les morts qu'ils reposent pour l'éternité 
        dans cette terre qui les a vu naître et qu'ils ont tant aimée.
 
 Que ce petit clin ilà un passé commun riche en événements, 
        puisse remuer le souvenir de nos camarades d'enfance et les inciter à 
        renouer avec leur passé et leur Pays qui ne les a jamais rejetés.
 
 Ce texte a été écrit par Amor MOUAS, avec le concours 
        d'Elyette FILLOZ Participation de Claude STEFANINI
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