 Une 
          Visite à la Villa " Djenan-Ali-Raïs " au Comte 
          de Vercelli Ranzy
Une 
          Visite à la Villa " Djenan-Ali-Raïs " au Comte 
          de Vercelli Ranzy
        Combien peu parmi les villas 
          des temps barbaresques, dont l'orientalisme sourit en notre verte banlieue 
          algéroise, ont été conservées intactes, 
          en leur forme primitive, par leurs nouveaux propriétaires! Ne 
          pense-t-on pas que la possession de ces échantillons d'architecture 
          locale, que ne protège aucun édit, crée aux détenteurs 
          une obligation morale : celle d'en respecter le style et de les transmettre, 
          dans leur originale beauté, à la postérité? 
          Certes, l'adaptation à nos murs occidentales d'un " 
          home " fait pour la vie musulmane nécessite parfois, j'en 
          conviens, certaines transformations de détail. Alors avec quel 
          tact doit alors agir l'architecte pour ne pas défigurer la délicate 
          chose qu'on lui confie ! Hélas! combien de jolies villas furent 
          à jamais gâchées par le manque de goût de 
          ceux qui, voulant y réaliser une réformation pratique, 
          ne réussirent qu'à accomplir une déformation lamentable! 
          Combien furent irrémédiablement enlaidies sur l'inspiration 
          même de leur propriétaire ! 
          
          Les Médicis, n'est-il pas vrai ? ne sont pas légion à 
          notre époque. Au nombre de celles le mieux conservées 
          autour d'Alger, je citerai le château " Djenan-Ali-Raïs 
          " qui se trouve dans le coquet village d'El-Biar dont les nombreux 
          patriciens turcs villégiaturant en ses vallons avaient fait jadis 
          une sorte de Tivoli. 
          Blottie dans la verdure, à l'ombre d'arbres centenaires, elle 
          semble rêver dans le silence à un autrefois lointain. Les 
          archives qu'elle recèle, et qui sont ses lettres de noblesse, 
          mentionnent au nombre de ses possesseurs deux souverains d'Alger du 
          XVIème siècle : Sala Raïs, qui reprit Bougie aux 
          Espagnols et replaça sur son trône, à Fez, le sultan 
          Muley bou Azoun : puis Ali El Euldj Fortas Raïs, captif sicilien 
          musulmanisé, qui se distingua au siège de Malte et plus 
          tard - devenu chef de la Régence - à la bataille de Lépante. 
          C'est le nom de ce personnage que porte la villa. Celle-ci appartint 
          dans la suite à diverses familles de l'aristocratie d'El Djezaïr,, 
          puis, au siècle dernier, au bach agha Ben Ali Chérit, 
          de Chellata. Elle devint plus tard la propriété de M. 
          Macleay, riche américain, qui la fit restaurer par l'habile architecte 
          Bucknall. L'héritier à qui elle échut récemment 
          est M. le vicomte de Vercelli Ranzi qui, de concert avec Mme la vicomtesse 
          de Vercelli, l'a enrichie de souvenirs artistiques rapportés 
          de voyages en Europe, en Orient, particulièrement en Perse. 
          
          Donnons quelques mots de description, maintenant, sur cette villa dont 
          nous présentons ici quelques vues photographiques. 
          
          Mais comment ne pas parler tout d'abord de cet admirable parc qui l'environne, 
          de ces pins où la gent ailée chante, se multiplie sous 
          la protection du maître de céans, de cette cristalline 
          pièce d'eau de mille mètres de surface que raye l'hirondelle 
          au passage, de cette curieuse colonie de bambous poussés en une 
          large excavation donnant en cette profondeur l'illusion d'un coin de 
          jungle, de ce verger de cinq mille arbres où, orangers, citronniers, 
          mandariniers, constellés de fruits éclatants, embaument 
          l'air de leurs senteurs pénétrantes ! 
          
          On erre délicieusement sous ces allées de cèdres, 
          d'eucalyptus, de palmiers, de cocotiers qu'enserrent de folles montées 
          de lierre. 
          Soudain, en son cadre végétal, vous apparaît la 
          blanche sultane qui, en vraie fille d'Orient qu'elle est, dissimule 
          ses grâces sous des voiles - voiles de verdure et de fleurs que 
          tisse pour elle, somptueusement, l'artiste nature. 
          Djenan-Ali-Raïs vous impressionne à l'arrivée, autant 
          par le charme de sa physionomie que par le mystère qui l'enveloppe. 
          Aucun bruit, aucun mouvement. Parfois, seulement, la voix atténuée 
          d'un piano qui semble un écho lointain. 
          Le premier jour que j'y vins, les accords d'une mélodie orientale 
          vibraient dans l'air frais, confondus aux parfums du jardin : on eût 
          dit l'âme même de l'antique demeure s'exhalant en ce chant 
          poétique.
          Visitons à présent, ami lecteur, avec l'agrément 
          de ses aimables hôtes, cette adorable résidence. 
          Voici, à l'entrée, un ravissant berceau fleuri appuyé 
          sur de blancs piliers : dans le fond, un jet d'eau pleuvillant sur son 
          bassin ; au delà, le jardin du harem que recouvre, ainsi qu'un 
          vélum, une nappe de feuillage. 
          Voyons les parties basses de l'édifice. C'est, ici, la salle 
          des gardes aux piliers frustes, que fit récemment dégager 
          et restaurer M. de Vercelli ; là, l'entrée d'un souterrain 
          où furent retrouvés des chaînes, un squelette. 
          Ce sont encore diverses salles, meublées avec un goût parfait, 
          que décorent de fines faïences anciennes d'Italie, et des 
          cheminées très en harmonie avec le style de la maison, 
          et composées à l'aide d'encadrements de portes anciennes, 
          en pierre sculptée. Et voici l'escalier contourné, aux 
          gracieux revêtements d'émail, au long duquel ont été 
          disposées avec art d'élégantes pièces de 
          décoration arabe. 
          A la partie supérieure, c'est un véritable enchantement 
          que présentent les salons, les galeries, les cours mauresques, 
          avec leurs broderies murales reproduites de l'Alhambra, leurs faïences 
          de Delft, de Sicile, d'Espagne, leurs bois ciselés, leurs cuivres 
          ajourés, leurs tentures de soie, leurs tapis précieux, 
          leurs meubles incrustés et aussi leurs plantes rares épanouies 
          en des vases sans prix. 
          Là c'est encore l'infinie séduction des baies en ogive, 
          avec leurs perspectives, leurs échappées, savamment calculées, 
          sur le jardin dont la pittoresque végétation vient familièrement 
          s'étendre sur la maison, caressant, enlaçant colonnes 
          et chapiteaux, recouvrant d'une luxueuse parure de feuilles et de corolles 
          la blanche vêture de ses murs séculaires. On considère 
          ravi ce merveilleux ensemble, confondant son admiration en un sentiment 
          de sincère reconnaissance envers les maîtres de cette demeure 
          orientale qui surent si bien respecter son style, en l'accommodant à 
          la vie européenne, et surent de même l'orner de choses 
          d'art si accordées avec son caractère particulier. 
          Et c'est là, au visiteur, une constatation d'autant plus agréable, 
          qu'il peut voir en maints quartiers de notre banlieue tant de villas, 
          surs infortunées de celle-ci, qui, belles jadis, mais tombées 
          entre des mains de Béotiens, apparaissent aujourd'hui laides 
          et ridicules sous un odieux travestissement. 
          Ah ! si l'exemple de goût donné par M. le vicomte et Mme 
          la vicomtesse de Vercelli et que donnent ici, avec eux, chacun en leur 
          foyer, divers dilettanti d'art mauresque, si cet exemple, dis-je, pouvait 
          inspirer aux ignorants, auteurs d'actes si déplorables, une plus 
          grande sollicitude envers ces intéressantes uvres du passé, 
          dont il serait encore possible de sauver quelques-unes ! Malheureusement, 
          comme dit le proverbe : Il n'est de pire sourd que celui qui ne veut 
          entendre