| -------Pour saisir 
        le caractère de l'architecture européenne et retrouver la 
        marche progressive qu'elle a suivie en Algérie, il faut reconstituer 
        les phases de l'occupation française et tenir compte des conditions 
        matérielles imposées par les circonstances aux artisans 
        de la Colonisation urbaine. II importe aussi de savoir si l'idéal 
        esthétique des Français à leur arrivée à 
        Alger pouvait y provoquer la naissance d'une formule originale, capable 
        de faire revivre la tradition monumentale.-------Le 
        " Perfide Moghreb " avait déjà connu de belles 
        floraisons architecturales. Les éléments naturels n'y faisaient 
        pas défaut. On y pouvait trouver de la pierre calcaire, du tuff 
        et du grès, du sable, du gravier, del'argile, de la pierre à 
        chaux, du bois de pin et du cèdre. D'autre port, le négoce 
        pratiqué par les Turcs avec l'étranger avait ouvert des 
        voies propices à l'approvisionnement de certains matériaux 
        ouvrés.
 -------Mais, 
        pour utiliser ces ressources, pouvait-on recruter sur place une main-d'uvre 
        qui, malgré l'affaiblissement croissant de la vitalité du 
        pays, n'avait peut-être pas encore oublié les précieuses 
        recettes enseignées à leur retour d'Andalousie par les artisans 
        maures, dépositaires des traditions moghrébines ?
 -------On 
        a objecté que les conditions n'étaient pas aussi favorables 
        qu'on peut être tenté de le croire. En effet, l'exploitation 
        des carrières avait été abandonnée. Les Turcs 
        n'avaient-ils pas utilisé les belles pierres provenant des ruines 
        romaines ? On ne pouvait pas songer à ériger ce procédé 
        en règle fertile. Les industries locales, n'étaient plus 
        vouées au bâtiment, mais à des arts secondaires : 
        la céramique, la tapisserie, la broderie, le fer forgé.
 -------Enfin, la 
        main-d'oeuvre livrée à elle-même depuis longtemps, 
        faute de programmes, avait perdu de son habileté et, dans ce domaine 
        aussi, toute une rééducation était nécessaire.-------Certains 
        ont soutenu que Rome, lorsqu'elle entreprit la colonisation matérielle 
        et culturelle de l'Afrique après la chute de Carthage, profita 
        de circonstances meilleures.
 -------L'Histoire 
        a mis fin à cette controverse et démontré que les 
        conditions rencontrées par les envahisseurs, qui se sont succédé 
        en Afrique, ne pouvaient être comparées entre elles.
 -------Essayons 
        tout de même de dégager la part de ces différents 
        conquérants dans le caractère des oeuvres qui subsistent 
        encore.
 -------Les 
        premières influences grecques, auxquelles mêlèrent 
        plus tard des influences égyptiennes phéniciennes, n'aboutirent 
        jamais à créer vraiment africain.
 -------L'oeuvre 
        romaine ne devait pas davantage créer de l'inédit et ses 
        vestiges témoignent de son fidèle attachement aux disciplines 
        de l'art impérial.
 -------A l'avènement 
        du christianisme, l'Afrique du Nord romanisée accueillit le répertoire 
        de la Syrie et de l'Égypte qui, s'il n'ajouta rien à la 
        technique architectonique des Romains dont il était issu, eut du 
        moins le mérite d'ouvrir la porte aux conceptions byzantines. Celles-ci 
        exercèrent d'ailleurs le meilleur de leur rayonnement lors du brillant 
        défilé des conquérants islamiques qui, en combinant 
        les procédés éclectiques des traditions gréco-latines 
        avec l'ornementation osiatique, furent les seuls à provoquer sur 
        un sol, en apparence voué aux importations, une floraison architecturale 
        citée parmi les plus originales que le monde ait jamais connues 
        !
 -------Enfin, 
        la domination des Turcs dispensa l'harmonieux désordre de son architecture, 
        Sous la blancheur crayeuse de ses cubes, le muet jaillissement d'une ornementation 
        délicate et mystérieuse garde, à plus de cent ans 
        de distance, la fraîcheur d'une inimitable enluminure.
 -------La 
        France à son arrivée à Alger avait-elle un idéal 
        esthétique ?
 -------Il semble 
        que, peu enthousiasmée par les débuts hésitants de 
        son invasion, elle préféra rester fidèle à 
        l'idéal esthétique de l'Europe, qui vivait toujours sous 
        le masque de la tradition italienne, et restait impuissant, depuis des 
        siècles, à se transformer pour répondre à 
        des besoins nouveaux.-------Il 
        faudrait pouvoir faire une véritable reconstitution de toutes les 
        données du plan colonial français et dresser un inventaire 
        détaillé des phénomènes d'ordres historique, 
        politique et économique qui ont servi, ou desservi, le développement 
        de l'architecture franco-algérienne. Cette étude, qui a 
        été savamment traitée par les maîtres éminents 
        de la Faculté d'Alger, n'est pas de notre ressort. Nous nous contenterons 
        de relever les faits les plus saillants qui peuvent illustrer l'orientation 
        architecturale de ce pays, depuis l'occupation militaire, jusqu'à 
        nos jours.
 -------Il 
        apparaît tout d'abord que, dans l'esprit des réalisateurs, 
        le visage des villes d'Algérie devait n'être que le reflet 
        de celui des villes méditerranéennes françaises, 
        ou des cités italiennes dont elles s'étaient inspirées. 
        C'était d'ailleurs la mode, depuis longtemps, dans la Métropole 
        d'emprunter à la soeur latine son langage architectural. Les défenseurs 
        de cet esprit de suite ne manquaient pas.
 -------Dès 
        le début, la majeure partie des constructeurs et de la main d'oeuvre 
        spécialisée afflue de l'Italie, du Nord en particulier. 
        Ces artisans reproduisent aveuglément les formes traditionnelles 
        de leu; pays d'origine, sans se soucier le plus souvent de les adapter 
        aux exigences des programmes et du climat.
 
         
          |  Croquis 
              du portique d'entrée de l'ancien passage des Consuls, témoin 
              de l'influence italienne. (Style Toscan).
 |  -------La technique 
        constructive et les traits essentiels de l'ornementation des premiers 
        immeubles confirment cette tendance.-------Les 
        murs sont élevés en pierre de taille. Les encadrements des 
        portes et des fenêtres, également en pierre, font corps avec 
        la masse des murs et sont appareillés suivant les règles 
        classiques. Les balcons, plus répandus sur les places que dans 
        les rues où ils sont condamnés pour des raisons défensives, 
        sont constitués par des motifs de fer forgé reposant sur 
        des dalles monolithes incorporées dans les murs et soulagées 
        par des corbeaux de même matière. II en est de même 
        des corniches, qui protègent et couronnent l'immeuble, et dans 
        lesquelles on retrouve, taillés à même la pierre, 
        les éléments classiques : modillons, larmiers et doucines.
 -------Les 
        étages, au nombre de trois, sont accusés par des bandeaux 
        de pierre dure qui, règnent souvent d'un immeuble à l'autre 
        et concourent à produire un heureux effet d'homogénéité. 
        Des arcades, sous lesquelles prennent jour les magasins du rez-de-chaussée 
        et leur entresol, soutiennent les murs de façade et répondent 
        au désir d'échapper aux rigueurs du " brûlant 
        soleil d'Afrique ". Les portiques apportent une note originale à 
        l'ensemble composite des immeubles qui restent néanmoins figés 
        sous un masque impersonnel et ne satisfont qu'imparfaite-ment aux besoins 
        des habitants.
 -------Les 
        façades les plus intéressantes sont quelquefois celles qui 
        ornent les cours intérieures. Moins monotones et moins sévères 
        que les façades sur rues, elles tirent leur charme de l'élégance 
        de leurs galeries que rehaussent des motifs de terre cuite polychromes.
 -------Nous 
        ne pouvons résister au plaisir de signaler la maison des bains 
        parisiens construite en 1870, à l'angle des rues Bab-el-Oued et 
        de la Fonderie. Sa cour rappelle les fines interprétations de notre 
        Premier Empire.
 
         
          |  Croquis du plan de la maison 
              des Bains parisiens, à l'angle de la rue Bab-el-Oued et de 
              la rue de la Fonderie |  -------Enfin, 
        les tuiles rouges des couvertures en toiture jettent une note discordante 
        et se relient mal aux volumes qu'elles compromettent par leur juxtaposition 
        désordonnée.
 -------Ces 
        quelques traits, trop rapidement esquissés, suffisent cependant 
        à établir la prédominance de l'influence italienne 
        qui est la caractéristique principale du style de la première 
        période.
 -------Bien 
        qu'elles ne portent la marque d'aucune originalité, les réalisations 
        de cette époque ne semblent pas cependant mériter en bloc 
        les jugements sévères, dont elles ont été 
        l'objet. En particulier, il semble qu'on a trop délibérément 
        accusé l'autorité militaire d'avoir compromis, par la rigidité 
        de sa voirie, l'avenir de l'urbanisation et qu'on s'est montré, 
        par contre, trop indulgent à l'égard de constructeurs impuissants 
        à trouver une formule architecturale originale et à créer 
        un type d'habitation adapté à la fois au site, au climat 
        et aux charges imposées par les programmes.
 -------Le 
        mépris, qu'ont eu pour les " maisons françaises 
        à toits de tuile et à contrevents verts "... certains 
        poètes en quête d'orientalisme, ne doit pas nous empêcher 
        d'admirer l'esprit d'ordre et de discipline qui se dégage encore 
        des grandes voies tracées par le Génie. Celui-ci n'a pas 
        compromis l'avenir et a offert aux urbanistes modernes la possibilité 
        de combiner son oeuvre avec les plans les plus hardis.
 ------On ne 
        saurait non plus oublier l'influence particulièrement heureuse 
        que l'empereur Napoléon III exerça lui-même sur les 
        programmes arrêtés pendant son règne. Ces programmes 
        reflètent manifestement l'audace des grandes réalisations 
        dont la capitale de la France s'offrait alors le luxe. Ils ont eu évidemment 
        le tort de trop sacrifier au décor, mais ce défaut a été 
        compensé par le mérite d'entraîner l'opinion et de 
        la préparer aux grands mouvements extérieurs.
 
 ------Citons 
        à Alger seulement : la place du Gouvernement, primitivement place 
        d'Armes, symbole d'autorité d'une ordonnance très équilibrée 
        (voir 
        les pages associées); le boulevard de l'Impératrice 
        avec ses immeubles parfois banals obéissant à un tracé 
        d'ensemble qui réhabilite devant la juridiction de l'Urbanisme 
        ceux qui en ont imposé les lignes. (voir 
        ce boulevard)-
 
         
          | cliquer 
              sur l'image pour l'agrandir
               bd de l'Impératrice 
              devenu "bd de la République" |  -------La 
        fin de la tutelle militaire provoqua une activité économique 
        et commerciale considérables, d'une heureuse répercussion 
        sur la prospérité générale du pays, mais qui 
        n'apporta aucun changement sensible à son orientation architecturale. 
        Les réalisations resteront pendant longtemps esclaves de la nécessité, 
        pour un Gouvernement d'occupation, d'abriter d'abord l'armée et 
        les administrations et de favoriser le développement du commerce, 
        de l'agriculture et de l'industrie.
 -------Dans 
        les habitations construites pendant cette deuxième période, 
        on constate un affaiblissement sensible de l'influence italienne et une 
        nouvelle tendance qui reflète le goût marqué de la 
        nouvelle école française pour le style officiel du Second 
        Empire, d'ailleurs accueilli avec ferveur par l'opinion publique.
 -------Les 
        débuts du régime républicain furent marqués 
        par plusieurs expositions parisiennes qui attirèrent la curiosité 
        des Algériens et donnèrent le signal des échanges 
        culturels.
 -------C'est 
        à cette époque qu'on enregistre l'arrivée en Algérie 
        d'architectes dont la formation professionnelle, exclusivement française, 
        provoqua un nouvel essor qui bénéficia des progrès 
        sans cesse grandissants de l'industrie locale. Cependant, la rupture avec 
        la tradition italienne eut pour résultat immédiat de chasser 
        une partie de la main-d'oeuvre fidèle aux anciennes formules.
 -------En 
        outre, le développement de l'industrie attira rapidement dans les 
        usines une autre fraction des ouvriers qui jusqu'alors travaillaient sur 
        les chantiers de construction.
 -------Les 
        habitations réalisées avec les nouvelles techniques se ressentent 
        tellement de la pauvreté des exécutants et des matériaux 
        employés qu'elles font, certes, regretter la qualité des 
        bâtiments élevés au début suivant des méthodes 
        éprouvées par une main-d'oeuvre habituée à 
        utiliser des matériaux dont on connaissait parfaitement les lois.
 -------A côté 
        de cela, l'étude des possibilités techniques du métal, 
        désormais admis comme auxiliaire des supports, préoccupe 
        les professionnels au point qu'ils en négligent la recherche du 
        beau. C'est l'époque du mensonge, où les constructeurs, 
        en dépit de conditions matérielles extrêmement favorables, 
        sacrifient la vérité architecturale à la poursuite 
        d'un effet par des artifices contraires à la bonne règle.
 -------L'exploitation 
        des carrières et l'extension de la céramique, en généralisant 
        l'emploi du moellon et de la brique, modifient complètement la 
        construction des murs. Le noble appareillage de la pierre de taille est 
        détrôné par un frêle revêtement d'enduit 
        sans résistance.
 -------Le 
        triomphe du plagiat, du décor factice de staff et de plâtre, 
        reflète la sympathie de la clientèle algérienne pour 
        le style 1900, dont l'influence a été particulièrement 
        néfaste sur l'orientation architecturale du pays.
 -------En 
        revanche, la formation en Algérie d'une élite, qui participe 
        aux recherches scientifiques de la Métropole, contribue indirectement 
        par ses travaux à faire entrer dans le domaine de l'habitation 
        des notions nouvelles.
 -------La 
        technique architecturale elle-même en est impressionnée. 
        Le retour à des conceptions erronées, dues à l'ignorance 
        dont avaient été victimes les premiers constructeurs, est 
        écarté en matière d'orientation et d'hygiène.
 -------Petit 
        à petit, la pratique routinière du maçon, " 
        maçon à tout faire ", cède sur les chantiers 
        devant la compétence de véritables équipes spécialisées, 
        d'un recrutement composite, qui impriment aux nouvelles habitations un 
        cachet essentiellement algérien sans toutefois rompre avec les 
        tendances de la Métropole.
 -------Quoi 
        qu'il en soit, l'architecture algérienne ne cesse de subir des 
        influences et, pendant la période dite " 
        d'avant-guerre ", elle perfectionne sa technique et cherche encore 
        sa voie.
 -------C'est 
        seulement à l'instigation d'un Gouverneur Général, 
        particulièrement soucieux de l'esthétique du pays, qu'elle 
        doit d'abandonner pour la première fois, momentanément d'ailleurs, 
        les traditions latine et néo-classique française. Son style 
        officiel, s'inspire cette fois du caractère oriental adapté 
        aux circonstances particulières et aux programmes.
 -------Cette 
        idée d'un compromis ou d'une association, très belle mais 
        mal interprétée, n'a pas donné les résultats 
        escomptés. Condamnée sans appel en Algérie, elle 
        devait pourtant être reprise avec succès au Maroc. Là, 
        enfin comprise, elle a provoqué l'éclosion d'une architecture 
        locale où la délicatesse du goût français s'allie 
        au pittoresque d'un art merveilleusement adapté au pays.
 -------II 
        convient toutefois de signaler que, si la formule n'a pas réussi 
        à répondre aux exigences des programmes officiels algériens, 
        par contre elle s'est montrée apte à 
        satisfaire les propriétaires privés qui, depuis longtemps 
        déjà, s'accommodent fort bien des ressources de son esthétique.
 -------Ainsi 
        donc, après avoir constaté la prédominance de l'influence 
        italienne, nous avons assisté à sa disparition et à 
        l'avènement du style officiel français néo-classique. 
        Tous deux étaient dépourvus de personnalité. Par 
        la suite, nous avons noté un fléchissement de l'orientation 
        architecturale favorisée cependant par de nouvelles méthodes 
        techniques.
 -------Enfin, 
        après ces oscillations, nous avons enregistré une orientation 
        momentanée mais très caractérisée de l'architecture 
        officielle vers une décoration orientale qui n'a pas réussi 
        à s'implanter.
 -------C'est 
        seulement après la guerre que l'Algérie, entraînée 
        par un prodigieux essor, prend conscience de sa personnalité et 
        se dirige vers un nouvel idéal.
 -------Trois-quarts 
        de siècle d'acclimatation et d'intense activité ont mûri 
        l'opinion. Celle-ci, moins hantée désormais par la crainte 
        du soleil, amène progressivement les constructeurs à ouvrir 
        davantage les maisons. De grands balcons s'alignent, s'étagent 
        presque sans interruption, laissant déborder la vie au-delà 
        des murs dont la physionomie se trouve ainsi complètement modifiée.
 -------La 
        découverte du béton armé et les progrès rapides 
        de sa technique ne permettent plus d'hésitations et orientent définitivement 
        l'architecture vers un esprit nouveau.
 
         
          |  Maison de l'Agriculture en béton 
              armé (Arch.:Jacques Guiauchain)
 |  -------Les 
        toitures cèdent de plus en plus la place aux terrasses et se préparent 
        à accueillir une jeune génération gagnée par 
        le goût des sports et le charme de la vie au grand air. A la place 
        des misérables buanderies, pergolas et jardins suspendus se silhouettent 
        dans le ciel et sont comme le prélude d'une vie nouvelle qui se 
        superposera bientôt à l'ancienne.
 
         
          |  Terrasse-jardin d'un immeuble 
              moderne (Architecte: M.Salvador) |  -------Aidée 
        par le concours de toutes les collectivités, qui cette fois semblent 
        s'accorder, l'architecture algérienne ne doute plus de son avenir 
        et s'élance hardiment à la conquête de ses destinées 
        de toute la force de ses ressources intellectuelles et matérielles.
 -------Au 
        grand mouvement de rénovation dessiné par la France, elle 
        apporte une précieuse contribution et, dès la célébration 
        de son centenaire, elle offre, de nouvelles oeuvres, qui témoignent 
        désormais de la réalité de son école.
 -------Après 
        les expériences de ces dernières années, il est à 
        présumer que l'architecture d'Algérie continuera à 
        suivre la tradition classique française, mais qu'elle profitera 
        de l'expérience des hommes du pays et des influences extérieures 
        sérieusement controlées pour prendre une physionomie originale 
        et définitive.
 M. CLARO, Architecte. 
     |