
        UN GRAND ROI BERBÈRE ABOU HAMMOU 
          II (1359-1399) 
        Pendant la seconde moitié 
          du XIVème siècle qui, à juste titre, peut être 
          considéré, tant au point de vue artistique et littéraire 
          qu'au point de vue scientifique, connue le siècle d'or berbère, 
          Abou Hammou II est une des figures les plus originales et des plus typiques. 
          Émir des Croyants, roi du Maghreb moyen, il fut le Mécène 
          intelligent de la littérature des arts et des sciences. 
          Tlemcen était alors la capitale du royaume que l'on appelait 
          Maghreb moyen, et qui comprenait à peu de chose près, 
          les deux départements actuels d'Oran et d'Alger. Vers la fin 
          du XIIIème siècle, un chef hardi de la tribu des Beni-Abdelouad, 
          Yagbmoracen, avait fondé ce royaume sous l'égide des souverains 
          hafsides de Tunis, dont la domination s'étendait des confins 
          de l'Égypte jusqu'au coeur même du Maroc. Mais ses successeurs 
          immédiats avaient bientôt secoué se joug, s'étaient 
          déclarés indépendants, remplaçant le nom 
          du sultan hafside dans la prière du vendredi par leur nom et 
          prenant le titre d'Émir des Croyants, Abou Hamniou IL arrière-petit-neveu 
          de Yaghmoracen, fut le septième et le plus grand prince berbère 
          de Tlemcen, bien qu'il eut, durant son long règne de trente ans, 
          à subir toutes sortes de revers. 
          Il dut conquérir ses états l'épée au poing. 
          En juillet 1352, le sultan du Maroc, fort puissant, avait envahi l'Oranie, 
          renversé la dynastie régnante et annexé à 
          sa couronne tous les pays jusqu'à Constantine. Cependant, la 
          tribu des Beni-Abdelouad, chassée de Tlemcen, sa capitale et 
          retirée dans le désert, ne se résignait pas à 
          sa déchéance. Elle proclama Abou Hammou, le descendant 
          direct de ses princes massacrés. Celui-ci se mit aussitôt 
          à l'uvre ; pendant quelques années, il organisa 
          et entraîna ses troupes, rechercha l'alliance d'autres tribus 
          puissantes, se ménagea partout des intelligences. Puis, lorsque 
          tout fut prêt, vers l'année de 1358, il se mit en marche 
          à la tète de son armée et des Arabes Beni-Amer, 
          ses alliés, qui avaient fui aussi dans le désert. Brisant 
          toute résistance, il parvint jusqu'aux remparts de Tlemcen qui 
          lui ouvrit ses portes et, le jeudi 31 janvier 1359, il faisait son entrée 
          triomphale dans le palais royal et s'asseyait sur le trône de 
          ses ancêtres. Bientôt, ses lieutenants, par de hardis coups 
          de main, emportait d'assaut les grandes villes : Mostaganem, Médéa, 
          Alger... et tout le Maghreb Moyen reconnaissait son autorité. 
          
          En possession de tous ses états, le sultan berbère montra 
          une activité peu commune. Il fallait faire face aux embarras 
          intérieurs, réorganiser l'administration et les finances, 
          assurer la prospérité et la grandeur du royaume. L'ennemi, 
          d'autre part, s'acharnait sur lui et son règne fut une succession 
          ininterrompue de revers et de redressements victorieux. Nous le verrons 
          chassé quatre fois de sa capitale, dépossédé 
          de ses meilleures villes, errer de tribu en tribu, comme un prince mendiant. 
          Mais, jamais il ne se décourage ; l'espoir et la ténacité 
          le poussent chaque fois vers le trône jusqu'au jour où 
          il tombe, accablé par son propre fils. Et malgré ces épreuves 
          il favorise les arts, accueille et encourage les savants, embellit les 
          villes en construisant ou en perfectionnant des palais et des mosquées 
          et par sa justice et ses libéralités, se fait aimer du 
          petit peuple comme des grands de sa cour. 
          Son premier soin fut de conclure la paix avec le sultan mérinide 
          du Maroc, son ennemi. Dès le mois de février 1361, il 
          lui envoyait son fils aine, Abou Tachefin, avec des présents, 
          parmi lesquels on admirait un certain nombre de chevaux de race. L'ambassadeur 
          reçut un bon accueil dans la capitale marocaine et parvint à 
          négocier heureusement un traité de paix entre les deux 
          souverains : l'autorité d'Abou Hammou était reconnue sur 
          tout le Maghreb Moyen, à l'exception du port d'Oran, Quelques 
          mois plus lard, à la tête d'une armée nombreuse, 
          le roi de Tlemcen s'emparait d'Oran, après un siège de 
          trois jours. De retour dans sa capitale, il recevait une délégation 
          de notables venus d'Alger qui lui offraient leur soumission. 
          Maître incontesté de tous les États de ses ancêtres, 
          Abou Hammou gouverna pour le plus grand bien de ses sujets. Il voulait 
          partout la prospérité, le respect de l'ordre, la paix. 
          Lorsqu'il passait dans les villes, il jetait l'or à pleines mains 
          ordonnait des réjouissances populaires. Sa cour patriarcale brillait 
          d'un éclat égal à celui de Grenade ou de Cordoue. 
          Nouveau Saint Louis, il aimait à rendre lui-même la justice 
          à ses humbles sujets et chaque semaine, aux portes de son palais, 
          il s'asseyait pour trancher les litiges qui lui étaient soumis. 
          Les historiens arabes nous ont laissé, des fêtes populaires 
          qu'il ordonnait et présidait, des descriptions éclatantes 
          que l'on croirait extraites des Contes des Mille et Une Nuits. 
          " Il observait avec fidélité l'anniversaire de la 
          naissance de l'élu de Dieu, écrit Et-Ténessy, et 
          il célébrait cette fête avec beaucoup plus de pompe 
          et de solennité que tous les autres rois. Pour cela, il faisait 
          préparer un banquet auquel étaient invités indistinctement 
          les nobles et les roturiers. On voyait dans la salle où tout 
          le monde se réunissait, des milliers de coussins rangés 
          sur plusieurs lignes, des tapis étendus partout et des flambeaux 
          dressés de distance en distance, grands comme des colonnes. Les 
          dignitaires de la cour étaient placés chacun selon son 
          rang et des pages, revêtus de tuniques de soie de diverses couleurs 
          circulaient autour d'eux, tenant des cassolettes où brûlaient 
          des parfums et des aspersoirs avec lesquels ils jetaient sur les convives 
          des gouttes de senteur, en sorte que, dans cette distribution, chacun 
          avait sa part de plaisir et de jouissance. 
          Vers la fin de la nuit, on apportait des tables servies, qui, par leur 
          forme, ressemblaient à des pleines lunes et, par leur splendeur, 
          à des parterres de fleurs. Elles étaient chargées 
          des plats ; les plus exquis et les. plus variés. Il y en avait 
          pour satisfaire tous les goûts, faire l'admiration de tous les 
          yeux, charmer toutes les oreilles par leurs noms, exciter l'appétit 
          et l'envie de manger à ceux qui n'en avaient pas éprouvé 
          auparavant le besoin, les engager à s'approcher et à prendre 
          part au festin commun. Le sultan passait la nuit entière au milieu 
          des convives, qu'il se plaisait à voir et à entendre ; 
          il ne les quitiait qu'après la prière du matin, dont il 
          s'acquittait dans le lieu même de la réunion. " 
          Abou Hammou encourageait les arts et les sciences. Il se montrait particulièrement 
          fier des surprises que réservait à ses hôtes la 
          Mendjana, chef-d'oeuvre d'horlogerie mécanique dû au Tlemcenien 
          Aboul Hassan Ali et qui, placée dans son palais du Méchouar, 
          fonctionna publiquement pour la première fois à la fêle 
          du Mouloud de l'an 700 (de l'hégire). 
          Pour l'embellissement de sa capitale, le souverain fit appel aux artistes 
          et architectes en renom. Il répara et agrandit le grand palais 
          royal, le Méchouar, qu'avait édifié son ancêtre 
          Yaghmoracen. Il dota la grande mosquée d'une bibliothèque 
          attenante au Mihrab. Son père, Abou-Yacoub, étant mort 
          à Alger, il le fit transporter à Tlemcen, le reçut 
          avec les plus grandes démonstrations de deuil et, sur son tombeau, 
          éleva un beau mausolée. Autour de la koubba funéraire, 
          il construisit un oratoire, connu aujourd'hui sous le nom de mosquée 
          de Sidi-Brahim et une médersa. Ces édifices, entourés 
          de jardins, furent enclos dans une même enceinte formant ce qu'on 
          appela la Yaconbia. 
          Des savants enseignaient le dogme, le droit et les sciences à 
          la Médersa que fréquentait une foule d'étudiants 
          et où Abou Hammou se plaisait, de temps à autre, à 
          venir s'instruire lui-même. Vers 1307, le sultan s'adressait au 
          célèbre historien des Berbères, Ibn Khaldoun, et 
          lui offrait à sa cour le titre et les fonctions de chambellan. 
          Mais celui-ci, agissant avec sa prudence ordinaire, " ne voulant 
          pas, dit-il, s'exposer au péril de cet office et s'abstenant 
          de s'immiscer dans la politique afin de pouvoir diriger son esprit vers 
          l'étude et l'enseignement ", déclina cette offre 
          et envoya son frère cadet. Yahia Ibn Khaldoun, esprit cultivé 
          comme son illustre ainé, vécut dès lors dans l'intimité 
          d'Abou Hammou, dont il devint le secrétaire particulier et le 
          chroniqueur. Il écrivit, en effet, une Histoire de la Dynastie 
          abdelouadite, fort précieuse ; une mort cruelle vint interrompre 
          ses grands travaux : il fut assassiné par Tachefin, fils aîné 
          du roi. Ce prince ambitieux devait, quelque temps après, s'acharner 
          sur son propre père. 
          Impatient de régner, Tachefln résolut, en effet, de recourir 
          à la violence. Un matin de janvier 1380, avec l'aide de ministres 
          complices, il pénétra dans le palais du méchouar, 
          s'empara d'Abou Hammou, le déposa et se fit proclamer à 
          sa place. Puis, sous bonne escorte, il envoya son père à 
          Oran et le fit enfermer dans la tour de la Casbah. Plus tard, il mandait 
          vers lui des émissaires avec l'ordre de le décapiter. 
          Mais les notables d'Oran avertirent le vieux souverain qui parvint à 
          s'évader. Opportunément harangués par le Khalib 
          ou prédicateur de la grande mosquée, les Oranais prirent 
          les armes, lui jurèrent fidélité, lui fournirent 
          une escorte importante qui s'accrut rapidement et Abou Hammou s'empara 
          de Tlemcen sans coup férir. 
          Lorsque Tacheiin, occupé en ce moment dans les montagnes de Titéri, 
          apprit ces événements, il revint avec son armée. 
          Abou Hammou, pris au dépourvu et n'ayant pas eu le temps d'organiser 
          la défense, se réfugia dans une tour du méchouar, 
          où son fils le rejoignit. Il obtint la vie sauve, à condition 
          d'aller vivre ses derniers jours dans la ville de La Mecque. Un navire 
          fut nolisé à Oran sur lequel s'embarqua le roi dépossédé. 
          Mais, quand le navire arriva à hauteur de Bougie, Abou Hammou 
          obtint de ses gardiens l'autorisation de descendre à terre. Il 
          en profita pour gagner à ses projets le gouverneur de Bougie 
          qui lui fournit une armée et, de nouveau il s'achemina vers Tlemcen. 
          Il rentra en triomphateur dans sa capitale au début du mois d'août 
          1388. Un an après, en septembre 1389, il présentait la 
          bataille à son fils appuyé par les forces du sultan marocain 
          et fut vaincu. Dans la mêlée, étant tombé 
          sous son cheval, il fut percé de coups de lances. Les soldats 
          présentèrent sa tête à Tachefin qui la considéra 
          sans sourciller. 
          Ainsi, après un long règne plein de vicissitudes, mourut 
          le grand roi berbère Abou Hammou II, protecteur des lettres et 
          des arts. Son fils parricide le fit inhumer dans le cimetière 
          du vieux Château. Sa pierre tombale, retrouvée récemment, 
          est au musée de Tlemcen. C'est un beau marbre onyx ; nous en 
          donnons la reproduction. L'inscription maghrébine qu'elle porte 
          gravée dit : 
          Louange à Dieu seul ! Ce tombeau est celui de notre maître 
          le sultan, émir des Musulmans, le roi juste, le généreux, 
          le célèbre, l'illustre et le noble de race, le très-glorieux, 
          l'incomparable, le très-élevé, très-considérable, 
          très-excellent, très-parfait, notre maître l'émir 
          des Musulmans, le combattant dans la voie du Maître des mondes, 
          notre seigneur Abou Hammou, fils de notre seigneur l'émir célèbre, 
          grand, illustre, parfait, noire maître Abou Yacoub, Que Dieu rafraîchisse 
          sa sépulture et lui pardonne dans sa bonté, son indulgence 
          et sa générosité ! Et que Dieu répande aussi 
          ses grâces sur noire seigneur et maître Mohammed et sur 
          sa famille !