| III.-LE PROMONTOIRE 
        DE SAINTE SALSA -------Il 
        est absolument indispensable de consacrer uneheure au moins à la visite de ce site grandiose, tout
 pétri de souvenirs historiques, de foi et de pieuses légendes.
 
 -------Ici 
        comme pour le promontoire de l'Ouest, on est à l'extrême 
        limite de la ville antique, et l'on aura une idée exacte des dimensions 
        de l'enceinte de Tipasa en regardant le cap sur lequel se dresse le phare 
        : la ville s'étendait au delà sur une longueur aussi grande 
        que celle située en deçà.
 
 PORTE DE L'EST - AREA FUNERAIRE BASILIQUE ORIENTALE ET NECROPOLE
 -------Nous 
        sommes ici sur la voie littorale d'Icosium (Alger).Dès l'entrée, nous remarquerons les témoins bien 
        modestes décelés par photographie aérienne alors 
        qu'ils étaient encore recouverts de terre, les traces d'usure des 
        roues dans le rocher et les restes d'une huillerie ; en suivant les traces 
        de la voie, nous arriverons à la porte ouverte dans l'enceinte 
        orientale.
 -------Les 
        sondages effectués sur une propriété privée 
        n'avaient permis qu'une série d'approximations sur cette zone, 
        aujourd'hui acquise par l'Etat et dont la fouille méthodique a 
        pu être entreprise depuis la fin de 1949.
 -------La 
        porte étroite, au seuil usé par les charrois, vient de livrer 
        (1951) le premier élément d'inscription permettant de dater 
        avec précision un monument de Tipasa : nous savons rnaintenant 
        que cette porte - et par conséquent la muraille d'enceinte à 
        travers laquelle elle s'ouvrait - était construite quelques années 
        avant le milieu du IIe siècle (exactement entre le 10 décembre 
        146 et le 9 décembre 147).
 -------On 
        remarquera immédiatement ici comment l'enceinte (longue de 2.300 
        mètres) et surtout comment ses tours - au nombre de 31 - ont été 
        détruites sous la domination vandale, vers le milieu du Ve siècle, 
        avec une science comparable à celle des constructeurs : les murs 
        ont été entaillés en biseau, et des troncs d'arbres 
        ont sans doute été utilisés comme leviers pour basculer 
        les masses énormes des tours hautes de 8 à 9 mètres, 
        qui ont roulé un peu plus loin. L'une d'elles a bouché le 
        passage de la porte et obligé les habitants à en démolir 
        le montant Nord construit en pierre de taille, moins homogène par 
        conséquent que le béton compact dans lequel sont noyés 
        des lits horizontaux de pierres.
 -------Immédiatement 
        au Nord-Est de la porte, s'étend un en-semble absolument remarquable 
        de souvenirs chrétiens.
 -------D'abord, 
        un petit enclos, très simple, aux murs en pierres liées 
        à la boue, auquel on accédait depuis la voie par quelques 
        marches : c'est une area funéraire contenant des sarcophages particulièrement 
        vénérés. Elle est accolée au mur Sud d'une 
        basilique avec laquelle elle ne communique pas.
 -------On 
        pénètrera dans cette basilique après avoir suivi 
        la partie interne de l'enceinte (côté du village) et remarqué 
        le départ de l'escalier qui, supporté par deux arcs - dont 
        il ne reste que les culées, - atteignait le haut (9 mètres) 
        de l'orgueilleuse tour commandant la porte, basculée elle aussi 
        depuis quinze siècles
 (photo 43, p. 69).-------La 
        basilique présente quelques détails intéressants 
        : son abside, située en arrière de l'autel, à laquelle 
        on accédait par deux escaliers de trois marches et ses deux sacristies 
        latérales. L'une donnait de plain-pied sur l'abside, et l'autre 
        sur la travée droite. C'est par celle-ci que le clergé sortait 
        processionnellement avant d'arriver, par l'extrémité opposée 
        à l'autel, dans la travée centrale ; cette dernière 
        était séparée des deux autres par des grilles dont 
        on voit encore les encastrements.
 -------Les 
        restes d'une inscription en marbre trouvée au cours des fouilles 
        nous prouvent la dévotion des fidèles pour des reliques 
        ayant appartenu " aux bienheureux martyrs 
        Pierre et Paul ".
 -------Aussi 
        comprenons-nous pourquoi tant de sarcophages sont venus se serrer autour 
        de ce lieu vénéré, utilisant le moindre recoin disponible 
        et s'entassant même à l'intérieur d'une petite carrière 
        d'où l'extraction des pierres tombales avait été 
        abandonnée. Située immédiatement à l'extérieur 
        du rempart, la basilique orientale eut certainement à souffrir 
        des hommes à diverses reprises : à cet acharnement de destruction, 
        les Tipasiens répondirent par leur obstination à la réédifier 
        en l'agrandissant jusqu'à la muraille d'en-ceinte, après 
        que celle-ci eut été démantelée.
 
 DE LA BASILIQUE ORIENTALE A CELLE DE SAINTE-SALSA
 
 -------On 
        longera les restes du mur d'enceinte et de deux de v ses tours carrées 
        à escaliers extérieurs, jusqu'à l'assiette de la 
        tour cylindrique d'où la vue s'étendait sur la totalité 
        des remparts de Tipasa ; ici, l'escalier était intérieur, 
        comme pour la tour symétrique qui, du côté 
        Ouest, coin-mandait la jonction des murailles avec la falaise.
 -------On 
        se dirigera ensuite vers le sommet de la colline en empruntant un des 
        deux sentiers : soit celui du bord de mer (dangereux quand le sol est 
        glissant) qui serpente le long des falaises de couleur ocre, soit celui 
        qui contourne les centaines de sarcophages de l'immense nécropole 
        chrétienne, parmi les asphodèles et les cyclamens.
 BASILIQUE DE SAINTE-SALSA -------Ici, comme 
        à la basilique orientale ou à celle de l'évêque 
        Alexandre, on constate tout de suite un pôle d'attraction pour les 
        sarcophages qui se serrent de plus en plus au fur et à mesure que 
        l'on approche des pans de mur couleur de pain grillé, restes du 
        sanctuaire dédié à un enfant de la petite cité 
        maurétanienne : Salsa.
 ------Salsa, 
        nous dit l'hagiographie, avait quatorze ans quand, dans son indignation 
        de voir adorer une idole de bronze, elle la jeta à terre, la brisa 
        et en lança la tête à la mer. Revenant au temple pour 
        y chercher d'autres fragments, elle se heurta à la populace déchaînée 
        qui la lapida et, à son tour, la précipita dans les flots. 
        L'histoire de Sainte-Salsa, écrite au Ve siècle par un Tipasien, 
        est venue jusqu'à nous, toute brodée de légendes 
        édifiantes et fleurant délicieusement l'âme populaire 
        de ces débuts du christianisme. Elle nous raconte que la mer se 
        déchaîna dès qu'elle reçut le corps de l'enfant 
        et qu'un voyageur venant de Gaule, dont le bateau était en perdition 
        à l'entrée du port, retrouva miraculeusement la petite morte. 
        Dès lors, la mer s'apaise et le vent tombe. Et le corps de la jeune 
        martyre fut porté dans une humble chapelle, au-dessus même 
        du port. C'est à peu près certainement par la porte orientale 
        que ce cortège funèbre, comme tant d'autres, traversa l'enceinte 
        de la ville pour pénétrer dans la cité des morts.
 -------La chapelle 
        primitive s'est transformée et agrandie au cours des siècles. 
        Au Ve et au VIe, la vaste basilique à trois nefs et tribunes latérales, 
        ne laisse déjà plus imaginer que difficilement le petit 
        édifice qui reçut son précieux dépôt.
 
 -------Un sarcophage 
        en marbre de très belle qualité, mais entièrement 
        brisé, a été retrouvé, devant la place qu'occupait 
        l'autel, avec le caisson funéraire de Fabia Salsa, sans doute aïeule 
        de la petite martyre.-------Découverte 
        par Stéphane Gsell et l'abbé Grandidier, la basilique de 
        Sainte-Salsa était ornée de mosaïques dont il ne reste 
        à peu près plus rien aujourd'hui. Seul, un panneau a pu 
        être sauvé et transporté au musée d'Alger : 
        c'est l'inscription qui authentifie, " au 
        lieu où brille le saint autel ", l'endroit où 
        " repose la martyre Salsa, toujours plus 
        douce que le nectar, qui a mérité d'habiter toujours au 
        Ciel, en pleine béatitude ".
 Tout autour de la basilique se pressent des centaines de tombes. Certains 
        sarcophages ont une ornementation très fruste ; beaucoup étaient 
        ornés de mosaïques à sujets et à inscriptions 
        ; quelques-unes nous prouvent que l'on venait ici de fort loin, du Sud 
        de la Numidie, d'Italie et même d'Asie Mineure
 (photos 3, p. 
        9 et 47, p. 73).--------Il 
        ne faut pas quitter ce haut lieu, - où tant de Foi se cristallisa 
        pendant des siècles, qui vit passer les hordes barbares du révolté 
        Firmus comme celles victorieuses des Vandales, et qui dresse toujours 
        devant nos yeux la piété des Tipasiens envers une de ses 
        plus jeunes martyres, -- sans remarquer deux areae émouvantes.
 -------Celle 
        du Nord montre, encore intacts, ses murs et ses fenêtres en pierre 
        ajourée entourant le sarcophage inviolé sur lequel avait 
        été construite une mensa ou table d'agapes dont le symbolisme 
        est touchant : c'est là que, couchés sur le côté 
        gauche, à proximité de la cavité centrale où 
        étaient déposés des aliments, les proches pouvaient 
        se réunir et communier par la pensée avec celui qui reposait 
        sous la lourde dalle
 (photo 51, p. 78).-------A quelques 
        mètres au sud de la basilique, autre ares ; des tombes sont venues 
        tardivement l'envahir, probablement pour se rapprocher du massif de maçonnerie 
        primitif recouvrant un sarcophage vénéré. Il s'agit 
        là d'un martyrium, comme celui de la basilique de l'évêque 
        Alexandre et témoin, comme lui, de ce que fut le culte des martyrs 
        à Tipasa dès qu'il put se manifester.
 Le couloir, - décoré de colonnes engagées et de pilastres 
        que coiffent des chapiteaux corinthiens, permettait aux fidèles 
        de passer sans entrer et de se recueillir devant ce martyrium si parfaitement 
        conservé.
 -------Le 
        visiteur disposant d'un peu de temps ne regrettera pas de suivre le sentier 
        (vert) conduisant à une carrière antique creusée 
        dans la falaise septentrionale de la colline de Sainte-Salsa : il pourra 
        emprunter les marches antiques taillées dans le roc pour l'exploitation, 
        et suivre, dans un site admirable, les différentes étapes 
        d'extraction des sarcophages (
 photo 52, p. 80).-------En 
        revenant au point de départ, on cheminera parmi les tombes. Comment 
        sont-elles qroupées ? Pourquoi cette petite agglomération 
        de sarcophages d'enfants ? Pendant combien de siècles fut utilisée 
        cette nécropole qui, à certains endroits, montre trois étages 
        de tombes superposées ?
 -------Ici, 
        reposent anonymement des familles d'agriculteurs et d'artisans d'une petite 
        bourgade africaine, avec ceux qui ont navigué sur la mer romaine 
        et les soldats venus de tous les horizons d'un immense empire. Ils ont 
        travaillé avec ardeur. Ils ont défendu avec acharnement 
        leurs croyances et leur cité. Ils ont lutté sans se laisser 
        abattre. Bien souvent, leur oeuvre est pour nous une leçon et un 
        exemple.
 
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