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        On a tout dit de Tipasa 
          depuis que les ruines sont à la mode et il parait bien difficile, 
          dans le genre descriptif, d'apporter la dessus quoi que ce soit de nouveau. 
          
          Les écrits de MM. Gsell, Marceaux, Ballu, Vallu, dernièrement 
          ceux de MM. Carcopino et Albertini ne laissent plus rien ignorer de 
          la petite cité quant à son territoire, son architecture, 
          ses vicissitudes. Dans l'ordre littéraire, Louis Bertrand, Martial 
          Douel et quantité de nos confrères algériens ont 
          redit en bonne prose, et quelquefois en vers, toute la couleur et tout 
          le charme mélancolique de ces ruines émouvantes. 
          Nous n'aurions garde de revenir là-dessus, sûr de ne pouvoir 
          rien ajouter de valeureux à toutes les indications précises, 
          à tous les rappels et à toutes les évocations auxquels 
          prêta la petite ville maurétanienne qui fut à deux 
          pas de Césarée, la ville d'Apollon, la ville du Christ 
          et la patrie de sainte Salsa. 
          Nous essayerons d'en parler sur un ton nouveau, dans un but autre que 
          littéraire et de glorification du passé ; nous en parlerons 
          du point de vue touristique et pratiquement. 
          Il n'est, du reste, plus personne en Algérie qui ignore Tipasa. 
          Tous les circuits touristiques s'y arrêtent, nos compagnies de 
          chemins de fer, nos diverses agences chaque jour de chaque semaine y 
          déversent les nombreux voyageurs de leurs luxueux cars. Et personne 
          non plus qui n'ait parcouru le parc Tremaux, la colline des Temples, 
          personne qui n'ait visité les Thermes, foulé le forum 
          et longuement contemplé la basilique Alexandre. 
          Ce sur quoi nous voudrions insister c'est d'abord sur ce fait que Tipasa 
          se situe dans un décor des plus ravissants de l'Algérie 
          et qu'elle n'est en somme qu'à soixante-dix kilomètres 
          d'Alger, c'est-à-dire à une heure d'automobile. 
          Or, on a pu voir aux informations de la presse quotidienne et au relevé 
          que nous-mêmes en avons donné qu'Alger devient un des centres 
          de tourisme les plus fréquentés du monde. De décembre 
          à mai pas de jour que n'y relâche quelque grand paquebot 
          anglais ou italien ; plus rarement français, hélas ! portant 
          au chiffre de plusieurs centaines des touristes anglais ou américains. 
          Dans leur voyage de circumnavigation dans la Méditerranée, 
          Alger est devenu une escale indispensable, un point qu'on ne peut pas 
          négliger, s'il est vrai qu'on doit voir : Athènes, Alexandrie, 
          Constantinople, Naples, Capri et quelquefois Venise, c'est une chose 
          admise qu'on ne saurait négliger Alger. 
          Aux touristes, Alger offre un incomparable panorama, un des plus grands 
          spectacles du monde. Son golfe, son amphithéâtre de montagnes, 
          les beaux coteaux boisés qui la prolongent constituent une vision 
          de faste et de beauté d'une ampleur grandiose, d'un-charme exquis 
          que très peu d'autres villes au monde présentent au même 
          degré. 
          Après le boulevard de la République qui fut bien un trait 
          de génie, le belvédère du boulevard Bru, les routes 
          de Mustapha-Supérieur permettent, dans un seul regard, qu'on 
          ramasse et qu'on s'imprègne de toute cette beauté de songe 
          et de féerie. 
          Mais, en somme, cela est trop vite fait. Arrivés le matin, les 
          touristes peuvent repartir le soir même, emportant de cette ville 
          et de ce site qui se livrent trop vite un souvenir qu'ils pensent suffisant. 
          
          Peut-être Alger, ses travailleurs, son commerce, ses hôtels 
          trouveraient-ils intérêt et profit à ce que le séjour 
          de ces milliers de touristes se prolongeât un peu plus. C'est 
          même de toute évidence. 
          Et voilà pourquoi Tipasa nous paraît énormément 
          intéressante. Nous n'avons pas ici souci d'histoire, d'archéologie 
          et de passé. Seuls nous sollicitent le présent et l'avenir. 
          
          Et voici le raisonnement : A soixante-dix kilomètres d'Alger, 
          tout au long de la Côte de Turquoise, qui groupe à travers 
          le terroir le plus coloré et le plus divers de l'Algérie 
          les plus beaux sites, les plus belles criques, les plus beaux paysages 
          terrestres ou marins, n'y aurait-il point intérêt à 
          offrir au visiteur le spectacle intéressant, à la fois 
          séducteur et émouvant, d'un Tipasa refait, rebâti, 
          reconstitué ? 
          Amoureux du passé ou seulement curieux, le touriste, le voyageur 
          s'y porteraient. Il deviendrait indispensable de voir Tipasa comme on 
          voit Pompéï, et la petite ville romaine, au lieu d'être 
          comme maintenant un accident, deviendrait un but. On comprend que toute 
          la côte y gagnerait en animation, en mouvement, voire en hôtels, 
          en jardins, en brasseries, en établissements de luxe et de plaisir. 
          De parcourir tout ce splendide pays qui commence à Guyotville, 
          cela compléterait parfaitement et à merveille l'excellente 
          impression que les touristes emportent de l'Algérie et d'Alger. 
          Après le profit matériel, l'intensité accrue d'une 
          circulation dont nous aurions tous à nous féliciter, ce 
          serait le bénéfice moral non moins important, la sympathie, 
          le bon souvenir. Quand on aime un pays, qu'on le trouve beau et plaisant 
          on n'est pas loin de reporter sur ses habitants un peu de la sympathie 
          qu'il nous inspire. 
          Personne ne contestera et cette vérité et l'intérêt 
          non moins manifeste que présente cette réfection. 
          Nous savons que de très graves objections peuvent être 
          fournies. On invoquera d'abord les difficultés matérielles, 
          le coût d'une telle entreprise, la nécessité de 
          reprise et d'expropriation des immeubles, établissements et jardins 
          qui recouvrent l'emplacement de la Tipasa romaine. L'argument ne résiste 
          pas au calcul : l'affaire serait bonne et si c'est vrai qu'on ne fait 
          rien avec rien, elle paierait très vite. Une autre portera sur 
          le caractère architectural en somme secondaire de Tipasa. Elle 
          n'a évidemment point la splendeur qu'on peut supposer à 
          Cherchell, ville de marbre et capitale de Juba II. Tipasa en somme est 
          barbare, pauvre, chrétienne de basse époque décadente, 
          de matière fruste et grossière. Pas de marche, de monuments 
          splendides et de statues dans le goût hellénistique, mais 
          des pierres grises, des murs trapus, des remparts méfiants, des 
          tombes et partout en somme, la splendeur grecque oubliée, cette 
          dégénérescence dont s'abaissent les formes quand 
          elles inclinent au mystère et au symbole. 
          Mais cela non plus ne serait point dirimant. D'ailleurs, il y a plusieurs 
          Tipasa, de diverses époques. Plus que la bourgade chrétienne 
          des années 500, de Firmus et des Vandales, on pourrait s'attacher 
          à redresser la Tipasa antérieure, la Tipasa romaine. Nos 
          savants sont en mesure de nous apporter assez de précisions pour 
          nous éviter qu'on nous accuse d'être des faussaires et 
          notre puissante technique constructive autorise toutes les audaces. 
          
          En somme, il s'agirait cette fois, au lieu de se tourner les pouces 
          devant les vestiges du passé mort, d'aider au présent 
          et de préparer l'avenir. Là où s'éternise 
          l'inutile regret des autres, plus simplement, nous proposons qu'on travaille. 
          Avant tout vivre ! 
          Cette promenade dans Tipasa reconstituée s'agrémenterait 
          du reste, une demi-heure d'automobile y suffirait, de la visite du musée 
          de Cherchell. L'une compléterait l'autre. On sait les trésors 
          archéologiques de ce musée et l'acharnement que met Jean 
          Glénat, le conservateur actuel, fouillant partout où les 
          modestes ressources mises à sa disposition lui permettent, à 
          en augmenter l'attrait et la valeur. Mais faire cent kilomètres 
          pour voir le musée de Cherchell est une randonnée que 
          peu de touristes consentent, alors qu'ils n'hésiteraient moins 
          s'ils pouvaient, avant, s'égailler à travers les rues 
          d'une ville entièrement reconstruite et dont la situation géographique 
          est - il est nécessaire de le répéter - unique 
          au monde. 
          Ainsi donc, la résurrection de Tipasa servirait les intérêts 
          de Cherchell et réciproquement. C'est pourquoi, il serait heureux 
          et souhaitable que les syndicats d'initiative de ces deux villes réunissent 
          leurs efforts, groupent leurs ressources et leurs moyens d'action pour 
          obtenir l'appui des élus de la région, l'appui officiel 
          du Service des fouilles et les subventions nécessaires du Gouvernement, 
          du département et des communes intéressées. Ce 
          n'est que par entente, une coalition des forces de toutes sortes que 
          pourra se réaliser une uvre indispensable au développement 
          touristique de la région algéroise.