| ------Le massif 
        du Djurdjura est impressionnant dans sa nudité rocheuse et ses 
        escarpements évoquent plus d'une fois le relief alpestre. On pense 
        à la description célèbre de Mouloud Feraoun : "Le 
        Djurdjura hermétique semble cacher aux regards un monde imaginaire, 
        très différent du nôtre. C'est un colosse dénudé, 
        d'un blanc de cendre assez terne sur les contreforts et dont les cimes 
        se confondent souvent avec de gros cumulus. Mais en ce mois d'avril au 
        ciel bleu, ses sommets sont encore couverts d'une neige éblouissante. 
        Il offre alors aux montagnards la plénitude d'un spectacle grandiose 
        fait d'extrême puissance et de beauté sauvage. Les villages 
        minuscules qui se terrent à son pied ou s'égrènent 
        sur les sommets des massifs les plus modestes ont l'air d'une multitude 
        apeurée qui se prosterne devant un Dieu sévère". 
        (La terre et le Sang).------C'est 
        de Bouïra que l'on peut accéder aux plus hautes régions 
        de la Chaîne du Djurdjura qui, sur une longueur de 40 km. environ 
        du Tizi Djaboud à l'est de l'Haïzer jusqu'au col de Tirourda 
        à l'est du pic de Lalla Khedidja, offre, bien que son altitude 
        moyenne ne dépasse guère 2 000 m, tous les caractères 
        de la grande montagne. Elle les doit à la nature de ses roches 
        (calcaires liasiques), escarpées en crêtes dentelées, 
        en pitons aigus aux formes magnifiques, en murailles gigantesques aux 
        flancs abrupts. Sur le versant nord, surtout, ces formations affectent 
        des cimes hardies, des découpures pittoresques, qui donnent à 
        la chaîne un aspect grandiose, une allure alpestre. Bien que les 
        bois y aient été dévastés par des abus de 
        toute nature, quelques pentes ont conservé d'assez beaux spécimens 
        de cèdres ; la région, érigée en 1926 en "parc 
        national", a été protégée pendant la 
        période française. Mais la guerre d'Algérie et le 
        laisser-aller qui a suivi a beaucoup nuit au fragile équilibre 
        de l'écosystème local. Le Djurdjura se compose, en fait, 
        de deux chaînes distinctes : celle du nord, qui comprend l'Haïzer 
        et l'Akouker et se prolonge, vers l'ouest par l'Azerou Tidjer et celle 
        du sud où se dresse le cône culminant de Lalla Khedidja.
 Aujourd'hui nous nous contenterons de la première, à travers 
        une promenade à Boghni et à Tikjda.
 Boghni ------Dans le grand 
        livre des souvenirs, la lecture de Boghni, 
        petit village de Kabylie entre Dra-el-Mizan et Mirabeau, c'est réaliser 
        un merveilleux pèlerinage dans le passé.------Niché 
        au pied du Djurdjura, montagne majestueuse, avec ses neiges éternelles 
        d'où descendaient, en plein été, les vieux kabyles 
        et leurs ânes chargés de neige qu'ils négociaient 
        pour quelques sous... Cette eau claire et fraîche qui dévalait 
        dans les rigoles, quand nous étions tous assis, alignés 
        sur les trottoirs, pieds nus,... Mitiche... Belkacem... Aryki... François... 
        Bélaïd...
 ------La source 
        à quelques encablure de l'oued, destination de la promenade rituelle 
        du dimanche pour savourer les cerises déposées dans l'eau 
        glacée.
 -----Le 
        petit train, dit de la "voie étroite" 
        qui reliait Mirabeau à Boghni, via Maatkas, et que l'on prenait 
        au vol à l'image des héros du Far West... véritables 
        films "kabylisés" ! Le marché du dimanche avec 
        ses étalages de bonbons torsadés de toutes les couleurs 
        qui voisinaient avec les quartiers de viandes, cibles privilégiées 
        des mouches tournoyantes et tenaces...
 ------Marché 
        de Boghni dans lequel des rafales meurtrières furent tirées 
        par un bandit de grand chemin dénommé Mohamed Oumeri, abattu 
        beaucoup plus tard du côté des Aloès de Mechtrass 
        par les gendarmes après poursuites... encore un film !
 ------Les 
        écoles au nombre de 3 se répartissaient les différents 
        niveaux. On se souvient de Mr Engele, notre brave instituteur qui nous 
        préparait à l'entrée en 6è ! Il avait fort 
        à faire ! Sur 40 élèves, nous étions 3 ou 
        4 "européens". Nous parlions le français avec 
        l'accent kabyle. Cela n'était pas toujours du goût de la 
        maman. Au moment du choix délicat et crucial de la première 
        langue. Mr Engele sur un ton sans réplique déclara : "Claude 
        devrait prendre l'arabe... c'est la langue de l'avenir... !"Allatif 
        !
 Nous venons de fêter Noël et à l'approche 
        de l'Épiphanie, je me souviens de la ravissante église de 
        Boghni, entourée de jardins et de superbes bassius, couverte d'un 
        manteau de neige en hiver et dont le clocher était peuplé 
        de gros nids de cigognes... dont les cliquètements résonnent 
        encore à mes oreilles... Les Pères Blancs et leurs mulets, 
        le Père Clan...------Boghni, "El-Borhni" 
        comme on disait là-bas, était un charmant village où 
        il faisait bon vivre.
 ------Nous y menions une vie paisible 
        faite de travail, de projets, d'échanges et de relations amicales 
        et humaines, entre tous les habitants, avec les joies et les peines partagées, 
        dans le respect de chacun. Et puis ce fut le 1" novembre 1954. Adieu 
        Boghni, tel que je l'ai gardé en ma mémoire.
 ------Il restera toujours dans mon 
        livre et alimentera longtemps encore je l'espère, les souvenirs 
        de mon pays et de mes amis à jamais perdus. (Claude Rochette)
 Tikjda ------Encore appelée 
        Tikjda Berlureau (du nom d'un journaliste algérois qui célébra 
        la montagne kabyle et dont le buste figure au fronton du refuge), station 
        estivale et hivernale de ski à 1 475 m d'altitude au centre du 
        Parc National du Djurdjura, dans une situation magnifique entre le massif 
        du Haïzer au sud-ouest et celui, plus imposant encore de l'Akouker 
        au nord-est. Au milieu des cèdres, un télésiège 
        et plusieurs remonte-pentes faisaient la joie des Algérois comme 
        à Chréa. 
        ------À 1 475 m d'altitude, 
        c'est un excellent gîte d'étape qui était promu à 
        un brillant avenir : en hiver pour les randonnées en ski et les 
        slaloms de compétition, en été pour les ascensions 
        de haute montagne réservées aux alpinistes bien entraînés 
        et pour les promenades faciles comme celle du lac Goulmine.
 ------De Tikjda et de Tigounatine, 
        on faisait d'agréables promenades et quelques ascensions extraordinaires. 
        -
 ----- Promenades en 8 (en palier), d'où l'on découvre les 
        deux versants de la montagne ; l'un boisé de cèdres, l'autre 
        de chênes verts. De nombreux cèdres centenaires existaient 
        encore en 1962...
 ------ - Le Gouffre de l'Abouker, par une brèche impressionnante, 
        on aperçoit la haute Kabylie jusqu'à la mer.
 ------ - Le lac Goulmine peuplé de rainettes vertes qui lui donnent 
        une coloration particulière et de sangsues.
 ------- - Le Bonnet de police. On monte par des pentes boisées 
        de cèdres, après lesquelles on atteint un plateau rocheux, 
        où estivent des troupeaux. On découvrait au sud Maillot, 
        à l'ouest Bouïra et au nord-est le Ras Timedouine et l'Akouker.
 ------- - La grotte de glace qui faisait l'admiration de ses visiteurs, 
        véritable glacier souterrain, le seul connu en Afrique septentrionale.
 ------En hiver, quand les amoncellements 
        cyclopéens du Djurdjura sont vêtus de neige, drapés 
        de lourds nuages, que les arbres à feuilles caduques des jardins 
        sont dépouillés et tracent sur le fond pur de noires arabesques, 
        le massif nous impressionne par sa force mais curieusement aussi par son 
        innocence. Au printemps, quand la saison redevient douce et que les pentes 
        qui dévalent à nos pieds sont cultivées avec soin 
        et que l'olivier donne son caractère spécifique au site 
        qu'il entoure de son feuillage gris argent et que le fellah poussant sa 
        rustique charrue attelée d'une paire de bufs semble sortir 
        d'une mosaïque romaine de Tipasa 
        ou de Timgad, le Djurdjura nous manque et nous regrettons de 
        n'être plus protégé de son immense aura.
 J-M Lopez
 
 |