| Les Milices africainesaïeules de nos unités territoriales
 Gaston Palisser
 Première partie
 Ce même mois de juillet 1830 qui avait vu Alger 
        tomber au pouvoir des Français, vit aussi débuter le temps 
        des incertitudes quant à l'avenir de la nouvelle conquête.
 Dès après la prise de la capitale barbaresque, le gouvernement 
        de Charles X envisagea la remise d'Alger au sultan de la Porte, en échange 
        d'un accroissement des concessions françaises de Bône et 
        l'occupation de cette ville. Mais les initiatives du maréchal de 
        Bourmont, en contradiction flagrante avec la politique du président 
        du Conseil, Polignac, firent échouer la négociation en cours: 
        ses troupes venaient de s'emparer d'Oran et de Bône, tandis qu'il 
        faisait expulser les Turcs d'Alger afin d'empêcher la restitution 
        de sa conquête
 
 Mais la révolution qui éclata à Paris trois semaines 
        plus tard, allait interrompre toutes ces manoeuvres 
        et Bourmont, qui cumulait les fonctions de ministre de la Guerre dans 
        le même cabinet Polignac, et celles de commandant en chef d'Alger, 
        préféra alors passer en Espagne.
 
 Le gouvernement issu de ces événements, qui considérait 
        l'état-major de l'armée d'Afrique comme peu sûr, fut 
        un temps favorable au rembarquement des troupes, mais il recula par crainte 
        des réactions de l'opinion publique. Commença alors ce que 
        l'on pourrait appeler la longue suite des irrésolutions françaises. 
        La monarchie orléaniste ne savait, elle non plus, que faire de 
        cette conquête héritée des Bourbons. Longtemps elle 
        hésita entre la volonté de la conserver et la crainte de 
        mécontenter les chancelleries européennes, surtout le cabinet 
        de Saint-James auquel Louis- Philippe devait de la reconnaissance. Car, 
        bien qu'occulte, l'actif soutien anglais au mouvement insurrectionnel 
        qui avait chassé les Bourbons et permit l'accession du prince d'Orléans 
        au trône, n'en avait pas moins été des plus réels 
        et des plus efficaces.
 Ce ne sera qu'en 1834 seulement qu'une ordonnance royale, en instituant 
        un gouvernement général à Alger, osera pour la première 
        fois, faire usage des termes : " Possessions françaises 
        en Afrique du Nord "!
 
 Au maréchal de Bourmont avait succédé, à la 
        tête de l'armée d'Afrique, le général Clauzel, 
        dont la mission propre était de rétablir la discipline parmi 
        ces troupes désorientées par les derniers événements 
        et d'en rapatrier le plus grand nombre possible. Pour le reste, il devait 
        juger de la situation sur place. Mais le nouveau commandant en chef, homme 
        énergique et intelligent, arrivait à Alger avec des idées 
        personnelles très différentes. En effet, non seulement il 
        était décidé à conserver la conquête 
        française, mais encore à l'étendre, de manière 
        plus ou moins directe, jusqu'aux dernières limites de ce qu'il 
        appelait le royaume d'Alger. De plus, une de ses idées fortes était 
        que la colonisation agricole serait la seule vraie colonisation. Car il 
        devinait les avantages et les ressources que la France pourrait retirer 
        de cette si proche colonie.
 
 Donc, Clauzel méditait de vastes desseins afin d'étendre 
        la souveraineté française sur tout le territoire de l'ex- 
        Régence turque. Aussi, très vite, la politique habile et 
        ambitieuse qu'il rêvait de poursuivre, ainsi que les premières 
        dispositions qu'il adopta à l'égard des indigènes, 
        l'opposèrent-elles à Paris où, déjà, 
        on commençait à dire, comme plus tard pour la Tunisie, le 
        Maroc et l'Indochine : " Pas un sou et pas un homme! ". Mais 
        les événements de Belgique allaient venir mettre à 
        mal les ambitieux projets de Clauzel. En effet, la révolution de 
        Septembre, à Bruxelles, menaçait d'entraîner toute 
        l'Europe dans une conflagration générale. Aussi, pour faire 
        face aux orages qui se levaient à l'horizon, le gouvernement français 
        décida-t-il le rappel de l'armée d'Afrique. En conséquence, 
        le général en chef reçut l'ordre de retirer ses troupes 
        de Médéa, de renvoyer le plus gros de ses effectifs en France 
        et de ne conserver que quatre régiments destinés à 
        occuper Alger et ses environs proches. Et bientôt, le plus gros 
        de l'armée embarqué " pour France ", les troupes 
        restantes, à l'exception d'une petite garnison maintenue à 
        Mers el- Kébir près d'Oran, se trouvaient concentrées 
        autour de l'ancienne capitale de la Régence, dans des limites presque 
        aussi étroites que lorsque Clauzel y était arrivé. 
        Cette réduction des deux tiers de ses moyens d'action militaires 
        mettait l'ex- général d'Empire hors d'état de faire 
        des conquêtes. De même que la révolution de Juillet 
        à Paris avait été fatale à Bourmont, celle 
        de Septembre à Bruxelles portait un mauvais coup aux projets de 
        son successeur!
 
 Mais celui-ci, qui ne s'avouait pas battu, tenta aussitôt de suppléer 
        à l'amenuisement des effectifs de troupes régulières, 
        par l'institution de forces locales indigènes susceptibles de combler 
        partiellement ces vides, comme de l'éclairer dans ce pays encore 
        insuffisamment connu. Il ne faisait là que reprendre les projets 
        déjà conçus par son prédécesseur, le 
        maréchal de Bourmont, desseins que le temps et les événements 
        n'avaient pas permis à ce dernier de mener à terme. Cependant, 
        l'organisation de ces corps supplétifs indigènes, se révélant 
        longue et difficile, Clauzel imagina la mise sur pied, outre les zouaves, 
        les spahis et les chasseurs à cheval, d'une sorte de garde nationale 
        réunissant tous les Algérois valides: Français, étrangers, 
        israélites et musulmans !
 La Garde urbaine d'Alger Considérant que la conservation de l'ordre et de 
        la tranquillité publics devait être confiée, de préférence 
        à ceux qui avaient le plus d'intérêt à les 
        maintenir, que la fusion des diverses populations d'Alger ne pouvait qu'être 
        accélérée par leur réunion dans un même 
        corps et leur emploi dans un même service, le général 
        Clauzel, par un arrêté du 24 décembre 1830, institua 
        une Garde urbaine.
 Pourquoi ce nom de Garde urbaine, alors que le futur corps avait eu pour 
        modèle la Garde nationale de France? Tout simplement parce que 
        la population d'Alger, qui s'élevait alors à 3000 âmes 
        environ, ne comprenait pas un nombre suffisant de " vrais " 
        Français pour que cette Garde méritât le qualificatif 
        de " nationale "; ensuite, parce que si le but initial et principal 
        de la Garde métropolitaine était la défense de la 
        Charte constitutionnelle de 1830, le rôle du nouveau corps algérois 
        consistait à assurer la sécurité des habitants dans 
        l'intérieur de la ville, tandis que l'armée était 
        occupée au-dehors, à conquérir et à pacifier 
        le pays. Aux colonnes mobiles formées par l'armée régulière, 
        il fallait des remplaçants dans la ville, des soutiens à 
        l'arrière.
 
 L'arrêté du 24 décembre 1830 prévoyait qu'un 
        registre serait ouvert à l'état-major de la place pour l'inscription 
        des personnes réunissant certaines conditions leur permettant de 
        faire partie de la milice urbaine. Car on savait vivre en ce temps-là! 
        Non seulement on vous priait poliment de faire partie de la Garde urbaine, 
        mais encore on vous invitait à y élire vos supérieurs 
        jusqu'au grade de commandant de compagnie exclusivement! Il faut dire 
        que l'arrêté était signé par un général 
        comte!
 
 Les Français et les indigènes âgés de 20 à 
        60 ans, domiciliés à Alger ou y ayant des intérêts 
        commerciaux ou immobiliers, pouvaient faire partie de cette Garde, les 
        Européens non français, à la condition qu'ils fussent 
        propriétaires ou commerçants - car il fallait présenter 
        ses lettres de noblesse civique pour être admis! - furent autorisés 
        à faire acte de candidature et agréés après 
        avis du " conseil de discipline ".
 
 Comme évoqué plus haut, l'article 5 de l'arrêté 
        prévoyait que les commandants de compagnie seraient élus 
        parmi les Français, les autres officiers et les sous-officiers 
        pris indistinctement parmi les diverses nationalités ou ethnies. 
        Dans la formation de cette Garde urbaine, on voit apparaître un 
        principe intégrationniste pourtant fort peu en vogue à l'époque 
        encore: Clauzel avait déjà le souci de l'amalgame, puisqu'il 
        prévoyait qu'Européens et indigènes seraient répartis 
        de manière qu'aucune compagnie ne soit composée entièrement 
        de personnes de même nationalité.
 
 Le commandant en chef avait aussi eu raison de faire appel à tous 
        ceux qui avaient le plus d'intérêt à maintenir l'ordre 
        et la tranquillité publics, qu'ils fussent ou non français: 
        dans la nécessité de défendre leurs biens, tous le 
        deviendraient bientôt, et à part entière. Ceci se 
        passait à Noël 1830, cent soixante-douze jours seulement après 
        la prise d'Alger, mais déjà on trouvait des restaurateurs 
        dans la rue 
        Bab-el-Oued, un Hôtel de Malte dans la rue 
        de la Marine; dans la rue des Consuls, un Hôtel des Ambassadeurs, 
        et çà et là, on pouvait lire, sur des calicots flottants, 
        les enseignes de débits de vin, de boutiques de charcutier ou de 
        dépôt des conserves d'Appert, etc. La plupart de ces propriétaires 
        de commerce n'étaient pas français. Nombre d'entre eux étaient 
        espagnols (mahonnais surtout), maltais ou italiens (napolitains ou siciliens), 
        et pourtant, tous ces Méditerranéens devaient un jour faire 
        d'excellents Français !
 
        
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              Rue des Consuls  |  Les membres de la Garde urbaine, décidait l'article 
        8 de l'arrêté du 24 décembre 1830, pourront seuls 
        porter des armes de guerre. Mais ces armes ne resteront pas au domicile 
        des gardes urbains, elles seront déposées dans une caserne. 
        On avait encore en mémoire le souvenir de l'usage qu'en avaient 
        fait les gardes nationaux parisiens de Lafayette, ce qui avait suffi à 
        convaincre de la nécessité de cette précaution!
 Cependant la mesure prise par le général Clauzel reçut 
        à peine un commencement d'exécution. Un essai de scrutin 
        pour l'élection des officiers la fit capoter rapidement: le juge 
        du tribunal correctionnel récemment créé, un ancien 
        douanier, était à la tête de l'entreprise et ce magistrat 
        prétendait se faire nommer commandant de la Garde urbaine. Mais 
        quelques opposants faussèrent l'opération: s'étant 
        rendus à l'Hôtel des Ambassadeurs où se déroulait 
        le scrutin, ils mirent chacun une si grande quantité de bulletins 
        dans l'urne destinée à recevoir les votes qui leur était 
        présentée, qu'au dépouillement le nombre de votes 
        se trouva être cinq fois plus considérable que celui des 
        votants. Il fallait quarante voix au juge pour être élu commandant, 
        il en eut deux cents! Cet incident porta un coup d'arrêt momentané 
        au projet du
 général Clauzel qui, accaparé par d'autres problèmes 
        pressants et dont le remplacement venait d'être décidé 
        à Paris (mi-février 1831), ne put le remettre sur pied et, 
        pour un certain temps, ce dessein demeura en sommeil.
 La Garde nationale de 
        1832 Le 23 décembre 1831, son successeur, 
        le général Berthezène, fut, à son tour, officiellement 
        avisé qu'il allait être remplacé par le lieutenant 
        général Savary, duc de Rovigo. Et, le 25, il résignait 
        entre les mains de celui-ci, qui n'avait pas tardé à suivre 
        la dépêche ministérielle, le commandement en chef.
 Le projet de Garde urbaine imaginé par Clauzel revit le jour le 
        21 septembre 1832, mais cette fois sous le nom de Garde nationale. " 
        Car, ce mois-là, nous dit l'intendant civil Genty de Bussy, 
        le duc de Rovigo eut à combattre une des coalitions des plus importantes 
        qui se soient formées contre nos armées: il avait 5 000 
        malades, il était obligé de défendre ses cantonnements, 
        de protéger les colons, de couvrir la campagne. Il fit alors appel 
        au patriotisme des habitants d'Alger et, en moins de trois jours, une 
        Garde nationale fut créée, armée et mise sur pied. 
        Pendant un mois, elle garda la place, permit au général 
        en chef de manoeuvrer avec ses troupes au- dehors et rendit d'importants 
        services. L'effet moral d'une improvisation qui nous donnait si vite deux 
        bataillons de plus fut, pour les indigènes, la mesure de la rapidité 
        avec laquelle nous savions trouver, dans nos populations, de nouveaux 
        moyens de défense. La scène se passa sous leurs yeux et 
        leur étonnement fut grand à voir, en quelques jours, des 
        citoyens transformés en soldats ! ". Certes, M. de Bussy 
        vantait quelque peu les résultats de l'entreprise dont il était 
        le père spirituel, étant à l'origine de son règlement 
        intérieur, mais cette création ne fut cependant pas tout 
        à fait inutile. Comme l'écrivait Camille Rousset, " 
        Alger, avec ses hautes murailles, n'avait rien à craindre des attaques 
        du dehors et, dans l'intérieur, la haine sourde des Maures était 
        impuissante; mais le Fluas était à peu près sans 
        défense... ". Effectivement, en ce domaine, la Garde nationale 
        prouva son utilité en libérant les militaires de la sécurité 
        intra muros, permettant leur emploi à l'extérieur de la 
        ville, sur les quatre camps permanents élevés à DelyIbrahim, 
        Tixeraïne, Birkhadem et Kouba. Ces camps, mis en communication par 
        une route de ceinture couverte par une ligne de blockhaus, entouraient 
        ainsi Alger d'un glacis imperméable.
 
 Le nom de " nationale " avait été cette fois retenu 
        par la nouvelle garde car, seuls les Français y étaient 
        admis. Ce qui était une erreur, car les Français étaient 
        alors toujours la minorité parmi les habitants de la ville qui 
        comptait un grand nombre d'étrangers. C'était ainsi priver 
        la défense commune des services d'hommes accoutumés à 
        une vie de risques et de hasards, comme leurs collègues français 
        d'ailleurs, et réduire notablement les effectifs. De plus, l'idée 
        du général Clauzel de faire concourir les indigènes 
        à ce service, était heureuse et n'aurait pas dû être 
        abandonnée.
 
 Néanmoins, quelque temps après, le principe de la garde 
        nationale fut étendu tel quel à Oran et à Bône.
 
 Après la mort et le remplacement du duc de Rovigo par le général 
        Voirol, le 26 avril 1833, la Garde nationale poursuivit son petit bonhomme 
        de chemin, jusqu'au jour où le commandant intérimaire dut 
        lui-même céder la place au lieutenant général 
        Drouet d'Erlon, nommé gouverneur général des Possessions 
        françaises dans le nord de l'Afrique, par ordonnance royale du 
        22 juillet 1834.
 
 Trois ans après l'institution de la Garde nationale, le nouveau 
        gouverneur général, trouvant que les enrôlements étaient 
        encore insignifiants prit, le 21 juillet 1835, un arrêté 
        ordonnant à tous les habitants d'Alger, âgés de 18 
        à 50 ans, de se faire inscrire à la mairie pour le service 
        de cette garde, sans distinction d'Européens et d'indigènes 
        et ce, dans un délai de dix jours, sous peine d'emprisonnement. 
        " Ce fut le dernier acte de l'administration de M. le comte d'Erlon, 
        nous dit Pellissier de Raynaud. Cette mesure, qui avait besoin d'être 
        préparée et étudiée, passa au Conseil sur 
        la proposition de M. Lepasquier, sans qu'on en eût discuté 
        la portée. Elle fit naître un peu d'agitation en ville, et 
        lorsqu'on parla au comte d'Erlon de l'effet qu'elle avait produit, il 
        parut surpris de l'extension de cet arrêté qu'il avait cependant 
        signé, mais qu'il ne croyait pas applicable aux indigènes. 
        Telle est, malheureusement, la légèreté avec laquelle 
        les hommes haut placés traitent souvent les affaires les plus importantes 
        ! ".
 
 D'abord mal exécuté, inexécutable ensuite pour plusieurs 
        raisons, cet arrêté fut abrogé le 28 octobre 1836, 
        par le maréchal Clauzel, de retour à la tête de la 
        colonie depuis le 10 août 1835.
 Les Milices africaines 
        de 1836 Reprenant les idées qu'il avait tenté de 
        mettre à exécution en 1830, le nouveau gouverneur général 
        se rendit compte qu'il était injuste et aussi anormal que les citoyens 
        français et les étrangers, jouissant des mêmes droits 
        et des mêmes privilèges, n'eussent pas les mêmes obligations 
        et que les premiers seulement eussent à repousser les dangers qui 
        menaçaient les seconds dans les mêmes proportions. Pour remédier 
        à cette situation anormale, il fallait substituer un mot à 
        un autre. La Garde nationale ne pouvait comprendre que des nationaux réunis 
        pour la garde des biens communs, tandis que la Milice africaine faisait 
        de tous les Africains, des soldats intéressés à leur 
        tâche. Le 28 octobre 1836, un nouvel arrêté fixait 
        l'organisation de la Milice africaine, calquée sur la Garde nationale 
        de France, mais adaptée aux exigences du pays. Pouvaient en faire 
        parti, les Français et les étrangers, âgés 
        de 18 à 60 ans, et les indigènes étant admis par 
        décision spéciale. Les mauvaises langues de l'époque 
        affirmaient que si l'on tenait, en haut lieu, à la limite extrême 
        de 60 ans, c'était pour permettre de caser enfin les vieux officiers 
        qui avaient déjà encombré l'armée expéditionnaire 
        de 1830.
 Certes, on pouvait dire que c'était là le 4e arrêté 
        publié par l'administration en six ans, chacun abrogeant le précédent 
        et reprenant à peu près les mêmes formules en changeant 
        le titre. Cependant, ce nombre même d'arrêtés pris 
        successivement était la preuve, d'une part de la nécessité 
        de la milice et, d'autre part, que les formules précédemment 
        adoptées n'étaient pas au point. Et cet arrêté 
        en apportait la preuve formelle.
 
 Estimant que l'organisation actuelle ne permettait pas d'assurer le service, 
        rendu plus nécessaire par l'expédition contre Constantine 
        alors en préparation, et le nombre de gardes nationaux " 
        récalcitrants " augmentant, le maréchal décida 
        de former, avec plus de force, un corps appelé à rendre 
        dans tous les temps d'utiles concours.
 
 La Milice devait maintenir l'obéissance aux lois, conserver ou 
        rétablir l'ordre et seconder l'armée dans la défense 
        du territoire ou de la propriété. Elle était placée 
        sous l'autorité de civils, lesquels se trouvaient sous celle du 
        gouverneur général, donc d'un militaire. Le service était 
        obligatoire pour les étrangers comme pour les Français; 
        les hommes de 18 à 49 ans effectuant le service ordinaire, ceux 
        de 50 à 60 ans étant placés dans la réserve. 
        Étaient exemptés les consuls étrangers, les ecclésiastiques, 
        les magistrats, les militaires en activité, les gardes champêtres 
        et les douaniers, ainsi que les condamnés, les vagabonds ou les 
        gens sans aveu. Cependant, comme un certain esprit de résistance 
        et de dénigrement commençait à régner parmi 
        la population européenne d'Alger, un additif à l'arrêté 
        interdit formellement à la Milice africaine, de " prendre 
        des délibérations sur les affaires de la colonie, d'une 
        province ou d'une commune, ce qui constituerait alors une atteinte à 
        la liberté publique et deviendrait un délit ".
 
 Sans doute, les tireurs au flanc, les chahuteurs et les insubordonnés, 
        ainsi que ceux qui " refusaient de se procurer l'uniforme " 
        étaient-ils prévus nombreux, car nous voyons déjà 
        figurer à l'arrêté du 24 décembre 1830, pas 
        moins de 30 articles relatifs à la discipline et aux peines imposées, 
        soit le quart du même arrêté qui en comprenait 119 
        ! Les coupables pouvaient être déférés devant 
        le conseil de discipline (conseil supérieur pour les officiers 
        supérieurs et d'état- major) et, dans certains cas, devant 
        le tribunal correctionnel. D'une façon générale, 
        l'article 11 disposait que " le service sera soumis à la 
        surveillance du commandant et des officiers de la place d'Alger ". 
        La " patte " du sévère duc de Rovigo se devine 
        dans l'arrêté du 21 septembre 1832 qui prévoyait un 
        règlement pourvoyant à la discipline intérieure et 
        à " la pénalité applicable aux gardes nationaux 
        ".
 
 Depuis le début, gardes urbains, nationaux ou miliciens n'étaient 
        pas rétribués, car on estimait en effet que c'était 
        un devoir inhérent au titre de citoyen que de constituer les gardes 
        nécessaires à la protection des biens et des institutions. 
        Néanmoins, partout en Algérie, ces gardes accomplirent leur 
        devoir. Car, comme l'écrivait M. Genty de Bussy "... nées 
        au milieu du danger, elles s'y retrouvaient sans crainte si l'occasion 
        venait à s'en représenter ". Il ne faut pas oublier 
        que ces formations comprenaient dans leurs rangs des hommes énergiques 
        tels que Pirette, Saint-Guilheim, Fredouille, Duchaussoy, etc..., et qu'un 
        peloton de la milice à cheval eut l'honneur de charger à 
        Bou Roumi le 12 octobre 1836, aux côtés des Chasseurs d'Afrique.
 
 Puis, comme à cette époque, même une semi-militarisation 
        de l'homme ne pouvait se concevoir sans le concours de sa plus noble conquête, 
        le cheval, la demi- compagnie de cavaliers, créée en 1832 
        par Savary, fut dissoute le 14 novembre 1836 pour prendre, 18 jours plus 
        tard, le nom d'escadron. Mais Alger, où la population prisait fort 
        les cavaliers dans les revues et les manifestations spectaculaires, conserva 
        longtemps ce privilège. Des pelotons furent créés: 
        à Blida le ler juillet 1845, à Miliana le 7 septembre 1846, 
        à Bône le 4 novembre 1847, à Philippeville le 9 mars 
        1849 et à Sétif le 6 août 1851.
 
 Quant aux pompiers, non seulement ils n'étaient pas exemptés 
        de garde, mais c'est parmi la Garde nationale que furent recrutés 
        les premiers hommes du feu d'Algérie. L'arrêté du 
        8 octobre 1832 prévoyait la création, en Alger, dans ladite 
        Garde, d'une demi-compagnie de sapeurs-pompiers de 60 hommes. Une deuxième 
        compagnie sera créée le 20 décembre 1844 et les deux 
        seront réunies en un même corps le 17 juin 1848, tandis que 
        d'autres formations voyaient le jour: à Bône le 14 mars 1842, 
        à Ténès le 4 janvier 1845, à Constantine le 
        7 mars 1845, à Dellys le 20 janvier 1846, à Guelma le 30 
        mai de la même année, ainsi qu'à Médéa 
        le 7 juillet, à Sétif le 30 septembre, à Alger-Mustapha 
        le 14 septembre 1847, de même qu'à Mostaganem le 16 novembre, 
        à El Arrouch le 13 juin 1848, puis à Orléansville 
        le 26 juin, à la Chiffa le 25 août et à Mouzaïaville 
        le 30 mai 1849, et enfin à Biskra le 12 janvier 1854.
 
 L'arrêté gubernatorial du 31 décembre 1836 ajouta 
        en Algérie, 25 pompiers dont 5 à Alger, 3 à Bône, 
        Philippeville et Oran, 2 à Blida, 
        Constantine, 1 à Dely-Ibrahim, 
          
        Boukarik, Douéra, 
          
        Koléa, La Calle et Mostaganem. Mais l'arrêté 
        du 24 mars 1844 multipliera les miliciens-pompiers sur tout le territoire 
        en organisant, dans tous les principaux centres administrés civilement, 
        des compagnies ou sections de compagnies. Mesure complétée 
        par une dotation des diverses localités de pompes à incendie 
        et du matériel nécessaire.
 
 Cette organisation des secours contre l'incendie permit alors de rayonner 
        aisément, des centres principaux, dans les territoires environnants 
        et de desservir ainsi tous les villages où le chiffre de la population 
        ne permettait pas la formation d'un effectif spécial. Comme à 
        Alger, les pompiers d'Oran furent recrutés au sein de la Garde 
        nationale créée le 8 octobre 1832. Ils portaient alors le 
        nom original " d'artilleurs-pompiers ".
 
 Le 25 décembre 1839, fut créée une compagnie d'artillerie 
        à Alger, une autre à Oran le 20 janvier 1842, augmentée 
        le 24 mai 1848, d'une seconde batterie. Blida sera doté le 20 mai 
        1848, d'une demi-batterie, tandis que Djemaâ Gazaouet (Nemours) 
        recevra une section d'artillerie le 17 juin 1848. Cette même année, 
        la province de Constantine, un peu moins favorisée, n'aura que 
        deux sections d'artillerie : l'une créée à Philippeville 
        le 18 juin 1848, et l'autre à Bône le 24 juillet. Sans doute, 
        faute de pouvoir grouper assez d'artilleurs en Algérie, l'expérience 
        ne sera pas poussée plus loin.
 
 Outre les miliciens sans spécialité, les 
        pompiers, les cavaliers et les artilleurs, une compagnie d'éclaireurs 
        fut organisée à Alger le 2 février 1837 et renforcée 
        en 1845. La capitale devait aussi se distinguer, le 18 juin 1845, par 
        la création d'une compagnie de marins, tandis qu'à Constantine 
        une compagnie de chasseurs voyait le jour (7 mai 1845), une autre à 
        Guelma (30 mai 1846), ainsi qu'à Bougie 
        (25 août 1847). Un peu plus tard, apparaîtront d'autres spécialités 
        telles que francs-chasseurs, francs-tireurs, tirailleurs israélites, 
        volontaires algériens, etc..., dont l'emploi tactique particulier 
        de chacune d'elles ne nous est pas connu.
 Le 12 février 1837, le général de 
        Damrémont, héros de la première expédition 
        contre Constantine et future victime de la seconde, succéda à 
        Clauzel comme gouverneur de ce qui s'appelait encore les Possessions françaises 
        dans le nord de l'Afrique. Après une mort glorieuse devant la capitale 
        de la province de l'Est, c'est son second, le général Valée, 
        qui fut désigné le 1" décembre 1837 pour le 
        remplacer. Le 29 octobre 1840, ce dernier, entre-temps promu maréchal, 
        était à son tour relevé de ses fonctions et remplacé 
        par le général Bugeaud.
 Depuis 1836, l'activité de la milice d'Alger était demeurée 
        assez réduite, bornée au concours du service de la place 
        avec la garnison. Plus actives furent les milices rurales autour d'Alger, 
        dans le Sahel et la Mitidja où ces hommes, moins nombreux que les 
        citadins, eurent de fréquentes occasions de prouver leur zèle, 
        soit dans des opérations ponctuelles sur leurs territoires propres, 
        soit dans des opérations de soutien à l'armée. Le 
        service de ces milices était bien plus pénible et périlleux 
        que celui des miliciens d'Alger. S'illustra enfin, dans d'incessants combats 
        en rase campagne contre les Hadjoutes, le bataillon de la circonscription 
        qui comprenait l'immense territoire situé entre Koléa, Boufarik, 
        Blida et Cherchell. 
        Le colonel Trumelet a raconté les combats sanglants soutenus par 
        les miliciens de 1H11 Boufarik qui faisaient partie de la légion 
        d'Alger et rappelé le souvenir des miliciens à Dely-Ibrahim, 
        à Kouba 
        et à Mustapha.
 
 Le 7 août 1837, le général Bugeaud, dans un ordre 
        du jour, ayant déclaré Oran " en état de guerre 
        ", la milice de cette ville fut, par exception, placée sous 
        l'autorité de l'armée, état de fait qui subsista 
        jusqu'à la pacification complète. Les 766 hommes de cette 
        milice oranaise allaient rendre d'appréciables services. Les trente 
        miliciens de la subdivision de Misserghin notamment, prendront part énergiquement 
        à la défense de leur ville en 1841.
 
 Mais, en novembre 1839, au moment de la rupture du traité de la 
        Tafna, une réorganisation de la milice d'Alger s'imposa. L'affaire 
        de la Chiffa, où 108 hommes avaient été tués 
        par 1 500 cavaliers Hadjoutes, l'insécurité de la Mitidja 
        où des établissements agricoles étaient attaqués, 
        pillés et brûlés, des colons massacrés, venait 
        d'en démontrer la nécessité. Tandis que la panique 
        s'installait dans Alger où l'on parlait d'une armée arabe 
        de 30 000 à 40 000 guerriers qui arrivaient précédés 
        de 5 000 à 6 000 pionniers pour saper les murs de la ville, que 
        presque toutes les maisons de campagne de la banlieue étaient démeublées 
        et évacuées, dont celle du maréchal Valée, 
        la milice fut promptement remise en service. Sans perdre de temps, ses 
        1 807 hommes et ses cadres furent équipés, habillés 
        et soumis à un entraînement intense. Puis, les troupes qui 
        formaient la garnison devant se porter en avant, une partie des postes 
        furent remis à cette milice réorganisée qui multipliait 
        les rondes, les patrouilles, ce qui exigeait un effectif de 211 miliciens 
        par jour.
 
 Les Hadjoutes ainsi que les hommes de Ben Salem, le khalifa d'Abd el-Kader, 
        infestaient la Mitidja, multipliant les coups de main et convergeaient 
        vers le Sahel. À Birkadem, des coureurs étaient signalés 
        le 27 avril 1840, tandis que deux maisons de campagne brûlaient 
        et trois personnes étaient enlevées près de la Ferme 
        modèle. Le lendemain, ils atteignaient Hussein-Dey. Ils allaient 
        même pousser jusqu'au Café des Platanes, dans le quartier 
        du Hamma où ils se livrèrent à toutes les déprédations 
        : pillages, massacres et enlèvements. Le 15 mai vit un épisode 
        émouvant: ce jour- là, la jeune femme d'un maraîcher 
        était enlevée par un cavalier de Ben Salem. Celui-ci avait 
        déjà jeté sa proie en travers de la selle et faisait 
        prendre le galop à sa monture, lorsque l'époux alerté 
        par les cris déchirants poussés par sa compagne, épaulait 
        son fusil et, tirant sur son ravisseur, eut la chance de l'atteindre mortellement. 
        L'alerte était sérieuse. Elle donna l'occasion aux miliciens 
        d'Alger de sortir des murs de leur ville pour participer activement à 
        la défense commune.
 
 On multipliait les postes, les rondes, les patrouilles, on arma même 
        les condamnés militaires. Le retour de l'armée, qui s'était 
        portée en avant, mit un terme aux intrusions armées des 
        partisans d'Abd el-Kader. Et l'on s'aperçut alors que les 30 000 
        ou 40 000 ennemis annoncés, n'avaient jamais dépassé 
        les 3 000 ou 4 000 guerriers.
 
        
          |  Le café des Platanes sur la route de Constantine 
              (le Hamma) (coll. B.Venis).
 |  L'impulsion donnée à la Milice à 
        la fin de 1839 se maintint pendant toute l'année 1840. Chaque fois 
        que l'armée se formait en colonnes d'expédition, la Milice 
        faisait le service de la plus grande partie des postes de la ville, et 
        même de l'extérieur. Le gouverneur général, 
        le maréchal Valée, par un ordre du jour, la félicita 
        du zèle qu'elle avait montré en toutes circonstances.
 Depuis l'arrêté de 1836, à Alger d'abord, dans les 
        autres provinces ensuite, la Milice africaine se composait d'une légion, 
        la 1", commandée par un colonel et constituée de bataillons 
        urbains et ruraux, divisés eux-mêmes en compagnies et subdivisions 
        disséminées dans les centres éloignés, selon 
        leur importance, et commandées par des capitaines ou des lieutenants. 
        Le recrutement des miliciens s'opérait aussi bien parmi les étrangers 
        que parmi les Français. Le prestige de l'uniforme jouant, les porteurs 
        d'épaulettes se multipliaient et l'on citait une localité 
        où la milice locale comptait 13 capitaines pour 5 sous-lieutenants 
        et 7 lieutenants.
 (À suivre)
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