| Racontez-nous... LES TAGARINS Christian GUALDE
 22, avenue des Sources - 69130 ECULLY
 ------À deux 
        pas du centre ville, le quartier des TAGARINS sentait déjà 
        bon la campagne. Bâti sur une arête, il surplombait d'un côté 
        le port d'ALGER et de l'autre le quartier de Fontaine Fraîche. Le 
        nom de TAGARINS venait d'une tribu de Maures chassée d'Espagne 
        par les rois catholiques après la reconquête et qui s'étaient 
        installés là. Une plaque en marbre au-dessus de la pharmacie 
        COURTINE rappelait cet événement. Du temps des Turcs quelques 
        moulins à vent y déployaient leurs ailes.------Dès 
        le début de la conquête les premiers immigrants maltais y 
        avaient élu domicile, leurs chèvres pouvant brouter dans 
        les collines avoisinantes. Beaucoup de leurs descendants s'y trouvaient 
        encore en 1962. Je pense à la famille CALLEJA et BALDACHINO (ma 
        famille), à la famille MIKALEFF où nous achetions nos cahiers 
        d'écoliers, à la famille FARRUJIA qui avait des vaches et 
        une laiterie rue Isabelle Eberhardt
 ------Le quartier 
        des TAGARINS de par sa situation avait aussi une prédestination 
        toute militaire. Le Fort l'Empereur, que les troupes du Maréchal 
        de BOURMONT en 1830 avaient réduit, se trouvait sur la colline 
        dominante. Mon père y avait séjourné en 1943 au 411e 
        des Forces Terrestres Anti-aériennes. Quelques baraquements par 
        la suite démolis abritaient quelques familles de militaires. Un 
        peu plus bas se trouvait la caserne des gardes mobiles. Encore plus bas 
        il y avait la salle d'artifice et enfin aux abords de la Casbah 
        la caserne d'Orléans et le stade Mingasson. Beaucoup de mes copains 
        d'école étaient fils de garde mobile. Ils venaient pour 
        la plupart de métropole. Nous les envions quand à la rentrée 
        ils nous racontaient leurs vacances " en France ". L'école 
        de garçons se trouvait avenue Maréchal de Bourmont, l'école 
        des filles en montant au Fort l'Empereur.
 ------La maternelle 
        était mixte. La salle du cours préparatoire " garçons 
        ", faute de place. était logée à l'intérieur 
        de la Cité Sociale. Nous avions l'impression d'être devenus 
        des grands quand nous traversions enfin l'avenue pour entrer au CM1. Nos 
        heures de cours, en particulier au CP, étaient bercées par 
        la douce chaleur du soleil qui pénétrait dans la classe, 
        par la musique que répétaient des tirailleurs sénégalais 
        un peu plus bas vers le champ de tir et enfin par les pilons des femmes 
        arabes qui préparaient la cuisine. Je me souviens de mes instituteurs 
        (que nous craignions) leurs noms me reviennent souvent enmémoire: 
        Mme MONNET, M. GARCIN, MmeCACHIA, M. MORANDINI, M. GOUYGOU, M. MENGUAL 
        ( avec toutes mes excuses si j'ai mal orthographié certains noms).
 ------En juillet 
        1957, pendant la bataille d'ALGER 
        une compagnie du 3e RPC de BIGEARD occupait l'école des filles. 
        Tous les matins nous courrions pour les voir passer quand ils remontaient 
        du stade en chantant. Nous les admirions. ils étaient pour nous 
        de véritables surhommes. Aussi à la Noël 57, la panoplie 
        de parachutiste devient pour nombre d'entre nous le jouet incontournable.
 ------C'est 
        Mademoiselle CHAPDVILLE - la sage femme - qui accouchait les " mamans 
        " du quartier.La clinique " Villa Coin de France " était 
        située rue Isabelle Eberhardt. Les baptêmes. les communions, 
        les mariages. les enterrements étaient célébrés 
        à l'Eglise Ste Croix ancienne mosquée située en face 
        de l'ancien palais des Deys d'ALGER.
 ------Son 
        curé l'Abbé DECLAIRE était en plus aumônier 
        de la prison civile d'ALGER, la prison Barberousse. L'il averti 
        de ce brave curé savait repérer les absents à la 
        messe du dimanche. Il nous en faisait grief au catéchisme le jeudi 
        suivant C'est entre copains que l'on se rendait à l'église. 
        En passant, stade Mingasson, nous grimpions dans la carcasse d'un vieux 
        Junnker, un SU 52, installé là pour l'entraînement 
        des troupes de la caserne d'Orléans. C'est à coups de pieds 
        aux fesses que les militaires bien souvent nous en faisaient descendre.
 Pour se rendre au centre ville, nous empruntions l'avenue Maréchal 
        de Lattre de Tassigny. En chemin, nous nous arrêtions pour voir 
        évoluer des modèles réduits d'avions que des passionnés 
        faisaient voler dans un vacarme assourdissant. Un peu plus bas, stade 
        LECLERC, mes parents me permettaient de glisser sur le toboggan 
        ou de grimper sur la cage à poules.
 ------La vie 
        du quartier s'écoulait paisible malgré les événements 
        entre l'épicerie de Mme JAUDON " au Panier Fleuri " où 
        les ménagères se donnaient rendez-vous pour discuter et 
        le bistrot de M. et Mme COUVE où les hommes aimaient à se 
        retrouver le soir devant une bonne anisette (qui se consommait à 
        l'époque sans modération).
 ------Il existait 
        aussi le café dancing de la Treille qui fut démoli à 
        la fin des années 50 pour faire face au vaste chantier de la cité 
        nucléaire.
 -----Il y 
        avait quatre autres épiceries, dont un épicier arabe: STEFAOUI 
        où nous nous fournissions en chewing-gum " globo ".
 ------Des 
        mozabites tenaient aussi boutique où tout s'achetait indifféremment: 
        semoule, haricots secs, pétrole pour le chauffage... La boucherie 
        était tenue par M. STORA. Le boulanger était arabe. Nous 
        achetions pendant les fêtes musulmanes de gros pains ronds aux graines 
        de sésame et d'anis.
 ------Il y 
        avait aussi quelques artisans. Le salon de coiffure pour hommes, un encadreur, 
        M. MICHOUK le quincaillier, la plomberie BALDACHINO, ORFILA le menuisier, 
        un autre menuisier arabe qui sculptait merveilleusement des petits meubles 
        artisanaux, deux garagistes et TAYEB le ferrailleur. Un chiffonnier entassait 
        ses sacs dans un modeste cabanon de tôle le long de l'avenue. Je 
        n'oublierai pas non plus " MICHE " le charbonnier dont la mule 
        était aussi noire que le charbon qu'elle transportait.
 -----L'abri creusé 
        pendant la guerre pour protéger les habitants du quartier des bombardements 
        allemands s'ouvrait sur l'avenue et débouchait en contrebas sur 
        la route de Fontaine Fraîche. Il avait été loué 
        par la suite à un cultivateur de champignons de Paris. L'abri qui 
        s'enfonçait profondément sous la terre dégageait 
        une odeur fétide ce qui renforçait encore plus, pour moi 
        petit garçon, cette part de mystère et d'inquiétude 
        quand je passais devant ce souterrain.-- 
        Quelques personnages typiques restent gravés dans ma mémoire. 
        Il y avait tout d'abord M. JABROT à l'allure toute coloniale avec 
        sa canne et son éternel canotier. Son jardin ressemblait à 
        une jungle inextricable. Quelques grands cactus " cierges " 
        y poussaient. Venait ensuite la MADELON toujours coiffée d'un grand 
        chapeau. C'est sur sa carriole tirée par un cheval qu'elle se rendait 
        dans les différentes casernes du quartier. Elle aura vendu à 
        des générations de soldats cigarettes et boissons. D'un 
        tout autre genre, il y avait TARZAN le clochard que les enfants du quartier 
        poursuivaient en criant " Tarzan l'quilo " (Tarzan I'ivrogne). 
        C'est en faisant mine de jeter quelques cailloux qu'il dispersait toute 
        cette marmaille.------Aucune 
        espèce de racisme ou de religion venait entacher la quiétude 
        du quarter: juifs, musulmans, chrétiens tout le monde se côtoyait. 
        N'avions-nous pas grandi ensemble, essuyé les mêmes bancs 
        d'école?
 ------Pourquoi les médias de l'époque 
        (et même actuellement) ont-il oublié de parler de cette entente. 
        Pourquoi donner une image néfaste de 130 ans de présence 
        française? Certains musulmans sauront nous prouver leur amitié 
        au plus fort de la tourmente.
 ------C'est 
        avec mon copain BOUALEM que j'ai découvert la rue, les " carrossas 
        " à roulements à billes, les pièges à 
        moineaux que l'on posait dans le ravin surplombant Fontaine Fraîche, 
        la cage attrape pour les chardonnerets.
 ------Puis 
        vinrent les heures noires. La violence qui semblait nous avoir épargnés 
        a surgi brutalement. Il y eut d'abord les deux grenades, au café, 
        à quelques mois d'intervalle qui ne firent heureusement aucune 
        victime, puis cette grenade jetée dans l'épicerie où 
        se trouvaient rua mère, matante et l'épicière. Ma 
        tante fut blessée, ma mère fut, elle, blessée dans 
        son âme. Un ami de mes parents tomba à EL-BIAR 
        sous les balles du FLN. Un gamin de 16 ans fut abattu sur sa 
        motocyclette rue Isabelle Eberhardt. Les gardes mobiles nouvellement arrivés 
        de métropole patrouillaient dans les rues nous considérant 
        avec mépris. Je revois aussi cet avion T6 frôlant les toits 
        des maisons pour aller, en contrebas mitrailler les façades des 
        immeubles de BAB-EL-OUED 
        assiégé. Pour finir de noircir le tableau, il y eut le père 
        d'un copain d'école abattu par l'armée française 
        le 26 mars rue 
        d'Isly. Cette armée que nous avions tant admirée, 
        nous la regardions maintenant comme une armée ennemie.
 ------Le " 
        bouquet final " fut l'explosion d'un camion 
        d'essence dont les flammes embrasèrent une bonne partie 
        du quartier...
 ------Voilà 
        en quelques lignes, l'histoire de mon quartier avec ses joies et ses peines. 
        En 1962 j'avais à peine 13 ans.
 ------En 1979, 
        je suis retourné à ALGER avec mon épouse. Je suis 
        monté aux TAGARINS. Instinctivement j'ai cherché derrière 
        les fenêtres les visages du passé. Même les Arabes 
        du quartier n'étaient plus là. Mon copain BOUALEM était 
        mort accidentellement. La maison de mon enfance disparaissait derrière 
        une palissade de tôles. L'eucalyptus que mon grand oncle avait planté 
        et que l'on apercevait depuis le port était bien malade. La moitié 
        du quartier avait été démoli pour laisser la place 
        à un grand hôtel.
 ------Ce monde 
        merveilleux de mon enfance s'écroulait définitivement.
 Christian GUALDEQUELQUES SUPPLÉMENTS SUR LES TAGARINS.22, avenue des Sources - 69130 ECULLY
 
 de la part de L.MILANDRE
 -------J'ai parcouru le site et j'ai été 
      émue par tant de souvenirs. Je suis rentrée également 
      dans celui de Monsieur GUALDE qui parle si bien de la cité sociale 
      aux TAGARINS où j''habitais avec ma famille. Dans ses souvenirs il 
      a oublié quelques familles unies de ce quartier : les SANTAMARIA, 
      BALLESTER, DISLAIR, FOUCHET, BAGUR, CORNU, LEON, GONZALES, HAGUET. 4O ans 
      après nous nous retrouvons toujours avec émotion et tristesse 
      puisque tous nos parents ou presque ont disparu depuis. Nous avions 2O ans 
      en 1962
 -------Il nous a rappelé quelques souvenirs 
      tels que les noms de nos instituteurs, rues, voisins. Nous étions 
      dans la cité lorsqu'elle a été brûlée 
      .. Il a oublié également le nom d'une institutrice Mme BERTIN 
      qui habitait à la Garde Mobile et qui m'a laissé le bon souvenir 
      d'une gifle parce que je n'écoutais pas la leçon. Impensable 
      à notre époque ! Merci à vous qui vivez avec vos souvenirs 
      et qui les faites partager. Je vais faire lire quelques passages à 
      mes enfants qui ont du mal à comprendre notre nostalgie. Pour la 
      petite histoire je me suis mariée avec un para de Bigeard qui était 
      dans cette fameuse école de filles des Tagarins. Je le suis toujours 
      depuis le 9 avril 1960.
 ------Une petite anecdote 
        concernant mr STEFAOUI .Quand on était jeunes on l'appelait "SIX 
        FOIS HUIT / QUARANTE-HUIT" . Monsieur STORA le boucher avait une 
        balance spéciale pour les enfants qui allaient acheter chez lui, 
        elle marquait toujours beaucoup plus !!!!!!!! Quant à TARZAN je 
        m'en souviens encore puisqu'il dormait dans la cité sociale à 
        coté de la classe maternelle. Quand on allait vider les poubelles 
        il nous courait après et on en avait une peur bleue.------ Vous pourrez ajouter que malgré 
        les dires j'ai été amie avec la famille CHERCHALI, GUITECHE, 
        et même la poseuse de bombe des Tagarins qui a fait tant de victimes 
        au Milk-bar et à la Corniche. J'ai cotoyé un monstre sans 
        le savoir....(note webmaster : 
        comme quoi ! on côtoie des "amis", on se tape dans le 
        dos, on rit entre nous...mais , par derrière ?!?!?!)
 Lydie Curci-----...Je me promène sur votre page 
        Tagarins où j'ai reconnu les noms (je crois que vous avez oublié 
        Mr.Mme Bordier : magasin d'alimentation en face geogeo Callegea) bref 
        je connaissais beaucoup de monde - de 1939 a 1962 - je me rappelle les 
        balades en passant par les 7 merveilles, stade Leclerc ...
 |