| Marcel ETALIS   ------1956, c'est 
        l'automne dans l'hémisphère Nord. En Australie, c'est le 
        printemps. A Melbourne, s'achèvent les Jeux Olympiques. Dans quelques 
        heures ce sera la grande fête du sport qui, après deux semaines 
        de compétitions, scellera la clôture, dans la fraternisation, 
        de ces journées durant lesquelles on en s'est pas fait de cadeaux. 
        Les adversaires d'hier redeviendront amis. ------Mais 
        avant, c'est la tradition, une dernière épreuve doit encore 
        être disputée. La plus éprouvante. La course mythique. 
        Celle dont "l'inventeur" perdit la vie en arrivant. Il avait 
        couru depuis Marathon, sans s'arrêter, pendant 42 kilomètres 
        et 195 mètres.
 ------Les 
        concurrents gagnent la ligne de départ. Malgré la température 
        ambiante, ils ont échauffé leurs muscles. Ils sont prêts. 
        Pour les spécialistes de l'athlétisme, le futur vainqueur 
        est déjà connu. Comme à Londres, en 1952, ce ne pourra 
        être qu'EmiI ZATOPEK. Depuis des années, sur 5.000 ou 10.000 
        mètres, sur le marathon comme en cross, l'officier tchèque 
        est intouchable. Ce n'est donc pas aujourd'hui qu'il sera battu.
 ------Pourtant 
        un petit Français s'apprête à prendre le départ. 
        Un petit Français qui va disputer son premier marathon. Certes, 
        ce n'est pas un inconnu. Il a rencontré bien souvent, sur son chemin, 
        ZATOPEK, qui l'a toujours précédé à l'arrivée. 
        Les deux hommes s'apprécient. Ce sont maintenant de grands amis. 
        Mais, durant la course, on ne fait pas de sentiment et, de plus, jusqu'ici 
        on n'a jamais vu un " débutant " remporter sa première 
        course après 42.195 m de souffrance.
 ------Parce 
        qu'il s'est bien préparé, le petit Français est sans 
        complexe. En 1956, Melbourne n'était atteint qu'après un 
        long voyage. A chaque escale, il a couru. Depuis son arrivée, il 
        s'entraîne en s'imposant un programme quotidien de trois séances 
        de deux heures. A l'époque, les Jeux n'étaient ouverts qu'aux 
        amateurs. Mais quelle conscience Quelle volonté de ne pas décevoir 
        ceux qui lui avaient fait confiance malgré son inexpérience 
        du marathon!
 ------Est-il 
        superstitieux le Français ? Il n'en a rien dit. Sur son beau maillot 
        bleu, bleu de France, il a épinglé son dossard. C'est le 
        13. Pour certains ce nombre porte chance. Pour d'autres, c'est la poisse 
        qu'il véhicule. On verra bien. Sur ses cheveux frisés, il 
        a posé une drôle de coiffure. Elle est constituée 
        d'un mouchoir que lui a confié sa femme et dont il a noué 
        les quatre coins. Sous le soleil austral, ce ne sera pas une précaution 
        superflue. Peu avant le départ, on lui a remis un télégramme. 
        Sa femme, restée en France, vient de le rendre père. Comme 
        toujours, en ce temps-là, le message est laconique. Il annonce 
        " naissance enfants ". Oui, au pluriel. On saura plus tard qu'il 
        s'agit probablement d'une erreur de l'opérateur. Ce n'est qu'après 
        la course qu'il apprendra qu'une petite fille, une seule, est née 
        en France. Elle se prénommera Olympe. Qui pourrait s'en étonner?
 ------En attendant 
        le coup de pistolet du starter, le nouveau marathonien réfléchit. 
        Ce pluriel le trouble. Il pense être le père de jumeaux. 
        Lui, qui, dans le civil, est garçon de café, se demande 
        combien de pourboires il lui faudra recevoir chaque jour pour faire vivre 
        sa famille qui n'est plus si petite que ça.
 ------Le départ 
        a été donné. Les coureurs se sont lancés dans 
        la chaleur étouffante de Melbourne. D'abord groupés. Puis, 
        tandis que les kilomètres se succèdent aux kilomètres, 
        le peloton s'étire.
 ------A mi-parcours, 
        surprise. On attendait ZATOPEK. C'est le dossard 13 qui vire en tête. 
        Au trentième kilomètre, il compte une minute d'avance sur 
        le premier poursuivant.
 ------Mais, 
        soudain, la belle machine à courir se détraque. La défaillance 
        semble proche. Respiration coupée. Foulée raccourcie. La 
        plante des pieds en feu. Notre champion a jeté parmi la foule, 
        qui continue à l'acclamer, sa drôle de coiffure. Il est en 
        proie aux hallucinations.
 ------Aurait-il 
        consenti tous ces sacrifices, fourni tous ses effort de préparation 
        pour rien ? Aurait-il présumé de ses possibilités 
        ? Va-t-il être rejoint ? Inconsciemment, il s'engu... " Tu 
        en baves, mais les autres aussi. Tu ne vas pas lâcher si près 
        du but. Ce serait formidable si lu gagnais. "
 ------Il pense 
        à sa femme en France, au drapeau tricolore qu'il voyait déjà 
        au sommet du mât central et lui sur la plus haute marche du podium 
        écoutant la Marseillaise. Il continue. Il retrouve le bon rythme. 
        C'est reparti. Cette fois, il en est sûr, il ne sera pas rejoint.
 ------Le stade 
        est en vue. Il entre sur la piste. Il termine au sprint. Il a gagné. 
        La foule s'est levée pour applaudir le vainqueur. Il refuse la 
        couverture que lui tend un officiel et, en trottinant, il attend. Il attend 
        les suivants. Il attend surtout son ami ZATOPEK. Enfin, il a pu le précéder.
 ------Je ne 
        vous apprendrai rien. C'est Alain MIMOUN qui vient de triompher. ZATOPEK 
        ne sera que sixième. Les deux hommes se donnent l'accolade. Le 
        Tchèque n'est pas le vainqueur mais il est heureux de la victoire 
        de son vieil ami.., et rival.
 ------Sur 
        le podium, MIMOUN, est figé au garde-à-vous pendant que 
        retentit la Marseillaise et que les trois couleurs s'élèvent 
        très haut dans le ciel. Ses yeux sont humides. Il est fier et ému 
        en même temps.
 ------Pour 
        la France, pour la presse, MIMOUN, le vainqueur du marathon de Melbourne 
        est devenu un héros. Sa médaille d'or fait le bonheur de 
        toute la délégation.
 ------Vous 
        tous, pour qui Alain MIMOUN n'est pas un inconnu, vous savez que, comme 
        toute sa carrière sportive, sa victoire tient du miracle.
 L'enfant du TELAGH, qui a passé sa jeunesse à ALGER, s'est 
        engagé en 1939, lors de la déclaration de guerre. Il vient 
        d'avoir 18 ans. Il fera campagne en Belgique jusqu'à l'armistice 
        de 1940. C'est alors le retour à 
        HUSSEiN-DEY, au 19e Génie. 
        En 1942, il reprend le combat. Ce sera la Tunisie puis l'Italie.
 ------A Cassino, 
        il sera grièvement blessé. Des éclats d'obus dans 
        la jambe gauche, c'est la fin d'un rêve pour celui qui était 
        déjà un bel athlète. Mais la providence veillait. 
        A Naples, dans un hôpital français, il a la chance de retrouver 
        un médecin qui connaissait bien son palmarès. Il le prit 
        en charge. Après l'avoir opéré et à l'issue 
        de sa convalescence, MIMOUN put de nouveau chausser les pointes.
 ------Depuis 
        il court. La médaille d'or de Melbourne avait été 
        précédée de 5 médailles d'argent, olympiques 
        et euro péennes, 4 victoires dans le Cross de Nations, 33 titres 
        nationaux, 86 sélections, 44 succès dans les matches entre 
        pays.
 ------Ce n'était 
        pas fini. A 44 ans, il fut, pour la quatrième fois, champion de 
        France du marathon. A 56 ans, il devint champion des vétérans. 
        Un palmarès exceptionnel.
 ------Aujourd'hui, 
        MIMOUN court encore, MIMOUN court toujours. C'est sa passion. Commandeur 
        de la Légion d'Honneur, Croix de guerre avec quatre citations, 
        il court pour le plaisir. Il a fait remarquer "j'ai parcouru six 
        fois et demi le tour de la terre et ce n 'est pas fini ". il court 
        vers ses 80 ans qu'il fêtera le 1er janvier 200l.
 ------Les 
        Australiens n'ont pas oublié l'exploit de MIMOUN. Fin 1999, ils 
        l'ont invité à Melbourne. Là, le Français 
        a revêtu son beau maillot bleu, le dossard 13. lia revu le stade 
        où fut jugée son arrivée en 1956, il l'a trouvé 
        transformé. En compagnie de jeunes australiens, il a couru quelques 
        centaines de mètres. Il a rencontré de " vieilles gens 
        " qui l'avaient applaudi 44 ans plus tôt. Il a découvert 
        une plaque célébrant son exploit. Puis il est revenu en 
        France et a retrouvé sa famille.
 ------En l'an 
        2000, les Jeux Olympiques sont retournés en Australie. A Sydney. 
        La France a sélectionné 340 sportifs de haut niveau. Pour 
        les accompagner, les conseiller, les soigner, les masser, les chouchouter, 
        une foule de sélectionneurs, directeurs techniques, entraîneurs, 
        préparateurs physiques et mentaux, médecins, kinés 
        et même cuisiniers. Madame la ministre de la Jeunesse et des Sports, 
        plus quelques membres de son cabinet étaient du voyage. Tout cela 
        pour le résultat que l'on connaît. Pas le moindre succès 
        dans les sports-rois, athlétisme et natation.
 ------Le français 
        moyen qui n'a pas oublié Melbourne, se dit que dans cette armada 
        on a certainement réservé une place à MIMOUN. C'était 
        la moindre des choses. Un journaliste espagnol n'a-t-il pas écrit 
        " MIMOUN fait partie du patrimoine de la 
        France ". Le patrimoine, on en prend soin.
 ------Hélas, 
        personne n'a pensé à inviter MIMOUN. Ni le Comité 
        National Olympique et Sportif français, ni la Fédération 
        Française d'Athlétisme. Ni le ministre. On l'a oublié. 
        Toutes ces personnalités étaient sans doute trop occupées 
        à évaluer les chances de voir Marie-José PEREC prendre 
        le départ des 400 mètres. Pour le remercier de tout ce qu'il 
        a apporté à la France, à près de 60 ans, on 
        aurait pu lui offrir le plaisir d'assister, en spectateur, aux derniers 
        Jeux Olympiques du siècle. Mais non, il n'y avait pas de place 
        pour lui.
 ------C'est 
        donc devant son poste de télévision que MIMOUN a suivi les 
        Jeux Olympiques. Comme il est toujours passionné, il n'a pas hésité 
        à passer des nuits blanches pour bénéficier du direct, 
        lorsque certaines épreuves se déroulaient en début 
        de matinée à Sydney, c'est-à-dire à une ou 
        deux heures du matin chez nous.
 ------Voilà 
        comment, en l'année 2000, la France a récompensé 
        l'un de ses vieux serviteurs, celui qui, un jour où le Général 
        de GAULLE visitait l'Institut National des Sports, il y était alors 
        moniteur, se présenta en ces termes:
 ------" 
        Alain MIMOUN, né en ALGERIE, mais toujours citoyen Français 
        "
 ------Honte 
        à ceux qui n'ont pas hésité à envoyer à 
        Sydney des athlètes hors de forme, lesquels n'ont fait que de la 
        figuration, et qui n'ont pas eu la délicatesse d'honorer un grand 
        champion.
 Marcel ETALIS
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