| On se plaît à 
        dire que l'Algérie est un pays pauvre, incapable de nourrir ses 
        habitants. Devant la poussée démographique galopante on 
        se pose une quantité de problèmes qu'on craint d'ailleurs 
        d'approfondir car on en redoute les inéluctables solutions. On 
        s'effraie de l'effort gigantesque à déployer avant d'aboutir 
        à un résultat satisfaisant. Les moyens à employer 
        manqueraient-ils ? Les solutions à envisager feraient-elles reculer 
        les pouvoirs publics ?
 De toute façon l'accroissement continu de la population fait vraiment 
        peur. En 1975 elle serait de 20 millions. En l'an 2000, c'est-à-dire 
        dans 40 ans, elle atteindrait le chiffre ahurissant de quelque 40.000.000 
        d'habitants.
 
 Oui 40 millions de bouches à nourrir, et combien de foyers aussi 
        à loger, et combien d'emplois à préparer. Voilà 
        la réalité de l'avenir. C'est un avenir chargé de 
        lourds nuages, difficile à affronter.
 
 Et pourtant il nous faut l'affronter. Ce ne sont pas les pouvoirs publics 
        seuls qui doivent y penser. Car les pouvoirs publics c'est nous tous qui 
        les formons. C'est pourquoi nous devons affirmer nettement et même 
        violemment que nous sommes tous responsables de cet avenir grevé 
        déjà de dettes. Il nous appartient, à nous tous sans 
        exception, de le préparer dans l'Algérie de demain.
 
 Actuellement l'Algérie, pays essentiellement agricole n'arrive 
        pas à combler tous les besoins. Un paupérisme constant en 
        a fait un pays sous-développé, venant toujours à 
        la traîne d'une métropole qui exerce une tutelle économique, 
        quitte à subvenir à ses besoins les plus urgents en cas 
        de forte nécessité.
 
 Depuis le moyen âge musulman l'Algérie pouvait accepter de 
        gré ou de force sa situation. Mais maintenant que les naissances 
        augmentent sans cesse, maintenant que la médecine, l'hygiène, 
        l'école et le goût du modernisme se sont implantés 
        dans la société. Maintenant que I'Algérie est devenue 
        occidentale et qu'elle a goûté aux facilités et à 
        la civilisation française, il n'est guère possible de demander 
        aux habitants de ce pays de revenir en arrière malgré les 
        600 naissances supplémentaires journalières .
 
 Et alors l'on se trouve brusquement devant un dilemme douloureux :
 -----Changer la structure du pays ou changer la formation, la mentalité 
        des habitants quant au nombre des naissances, le mode de vie, la façon 
        de réagir devant la vie.
 -----A moins d'envisager un bouleversement complet en transformant complètement 
        le sol, le sous-sol pour les adapter aux besoins de toute la population.
 
 Une famille moyenne se compose de huit personnes et pour la loger il faut 
        au moins quatre pièces et une cuisine afin de vivre selon les normes 
        voulues par l'hygiène et la morale. Or actuellement malgré 
        l'énorme effort entrepris dans la construction les familles de 
        huit personnes trouvent difficilement à se grouper dans une pièce 
        unique.
 
 Les familles musulmanes aspirent à une extension des villes, mais 
        elles ne pensent pas encore à la limitation des naissances. A l'exception 
        de quelques bourgeois plus ou moins religieux, plus ou moins soucieux 
        de l'avenir de leurs enfants et du sort qui leur sera réservé, 
        les populations de ce pays ignorent la pratique de l'anti-conception.
 
 En outre chaque foyer s'honore davantage du nombre des enfants que des 
        fortunes amassées. La foi et un peu de fatalisme leur font dire 
        que Dieu pourvoit à l'avance aux besoins de chaque bouche supplémentaire. 
        Et puis ils ne pensent jamais à prévoir le lendemain. Le 
        présent seul les préoccupe.
 
 Dans 40 ans il faudrait pourtant pourvoir à 5 millions de logements 
        de quatre pièces. Jusqu'à présent les populations 
        se sont contentées de douars, de tribus où la demeure ne 
        comporte qu'un gourbi.
 
 Il ne suffit pas de construire dans les villes déjà existantes 
        des cités plus ou moins évolutives, ce qui est un bien. 
        II faut créer des villes neuves et transformer le visage du pays. 
        II s'agit de voir grand pour un avenir éloigné. Les solutions 
        de circonstance ne remplissent pas les conditions exigées par le 
        problème.
 
 Déjà le regroupement des populations rurales en des centres 
        donne des embryons de ville ou de village. Demain, une fois la paix retrouvée, 
        il sera difficile d'éparpiller de nouveau ces populations à 
        travers la montagne qui les nourrit à peine. L'habitude d'une vie 
        citadine pour les réfugiés des villes devient une seconde 
        nature et on ne pourra pas les contraindre à regagner leurs anciennes 
        demeures plus ou moins conservées.
 
 Il est indéniable que la crise de Iogement se répercute 
        sur la vie sociale entière. L'évolution de la société 
        algérienne doit son retard plus à son mode d'habitat qu'aux 
        autres facteurs de progrès et de civilisation.
 
 Depuis 1830, bien des villages à l'occidentale ont été 
        bâtis, bien des fermes modernes ont été construites. 
        Mais les musulmans n'ont pas su prendre l'exemple. On pourrait rétorquer 
        le manque de moyens, l'ignorance, l'empêchement.
 Nous répondrons que nous avons vu de riches propriétaires 
        se complaire dans une vie étroite avec de simples gourbis, beaucoup 
        d'enfants, plusieurs femmes légitimes et d'autres en voie de le 
        devenir et plus coûteuses encore.
 
 Les chefs de famille, à l'exception des citadins, n'ont pas le 
        sens du foyer. Ils vivent en dehors de la vie familiale, au café 
        maure, aux lieux de réunion sous prétexte que la religion 
        n'admet pas la coexistence entre les deux sexes. Ce qui empêche 
        évidemment toute coquetterie de part et d'autre, et enlève 
        à la vie quotidienne son piquant promoteur d'émulation et 
        de progrès.
 
 --L'entassement 
        de plusieurs personnes dans une même pièce, l'imprévoyance, 
        l'insouciance sont trop souvent devenus l'apanage du fatalisme algérien.
 |  | Dès la naissance l'enfant est hypothéqué 
        par trois générations : la sienne propre, celle de ses parents 
        et celle de ses futurs enfants.
 Dès la puberté le jeune homme est marié par ses parents 
        qui le retiennent chez eux pour qu'il soit une ressource continuelle et 
        sûre pour leur vieillesse. Au moment où le jeune homme devient 
        père, il doit assumer la responsabilité de ses enfants et 
        celle de ses vieux parents incapables de gagner convenablement leur vie.Le 
        jeune musulman est ainsi dès sa puberté marié, enchaîné, 
        alourdi par des charges auxquelles il ne peut faire face parce qu'il n'y 
        a été jamais préparé.
 
 C'est pourquoi la hâte de marier une jeunesse sans situation stable, 
        la rapidité avec laquelle les unions se font et se désagrègent, 
        la multiplicité des naissances prématurées, l'insouciance 
        de l'éducation, l'inconstance de la famille, la promiscuité 
        de plusieurs générations dans un même foyer : tout 
        cela complique le problème démographique et représente 
        un danger certain pour la cohabitation sereine des habitants de l'Algérie.
 
 En ce moment le peuple, manquant de réflexion et se refusant de 
        faire son " mea culpa ", attribue tous les malheurs qu'il subit 
        à des causes extérieures. Il est vrai que la question politique 
        entre en ligne de compte dans les causes de la tragédie algérienne. 
        Mais des fautes personnelles et intimes forment l'essentiel des difficultés 
        familiales.
 
 On se complaît à prendre une " mariée " 
        pour son fils, non point pour former une union, mais afin de se réjouir 
        d'avoir une jeune femme à commander, à manier, à 
        faire grandir selon ses propres conceptions. Les beaux-parents et notamment 
        la belle-mère mènent la barque. Son avis est le meilleur 
        et ses décisions ne doivent nullement être discutées, 
        sinon c'est la menace du divorce, même si les jeunes époux 
        n'y tiennent pas beaucoup.
 
 Le droit musulman préconise la séparation des domiciles 
        afin d'atténuer Ies heurts et de laisser la nouvelle famille se 
        former normalement et selon les règles nécessaires édictées 
        par l'expérience et la sagesse coranique. Malheureusement l'usage 
        est tout autre, non seulement chez le peuple ignorant, mais également 
        chez les " intellectuels " traditionalistes ou modernes. Seulement 
        au moment où le divorce est consommé, des enfants sont déjà 
        nés. De nouvelles unions se reforment avant même que le sort 
        des enfants soit réglé. Et d'autres progénitures 
        viennent augmenter une famille qui n'a pas de base solide.
 
 Il est essentiel d'atténuer cette " condensation " familiale, 
        de la diluer afin d'espacer les générations successives 
        qui empiètent les unes sur les autres. Il y a lieu de permettre 
        à chacune d'elles de s" aérer ", de grandir, d'évoluer 
        dans un temps normal et de goûter ainsi pleinement en toute sérénité 
        son cycle de développement.
 
 Comment y parvenir ? Limiter les naissances ? La masse populaire ne saurait 
        y penser pour le moment car elle n'est ni suffisamment émancipée, 
        ni capable de se limiter : seule une classe aisée peut se permettre 
        une telle audace. La religion constitue pour le moment un frein tellement 
        puissant que les moyens anti-conceptionnels sont à bannir.
 
 Il nous reste, bien sûr, l'augmentation des logements par l'édification 
        de villes et villages, l'accroissement des ressources vitales, l'industrialisation 
        et le développement de la production agricole.
 
 Mais tout cela s'avérera insuffisant s'il n'y a pas de débouchés 
        correspondants des produits fabriqués. L'économie cantonnée 
        au cercle restreint de la métropole et de l'Algérie y suffira-t-elle 
        ? II est vrai qu'en ce domaine s'ouvrent des perspectives pour le Marché 
        Commun.
 
 Déjà l'économie métropolitaine est menacée 
        d'un surplus de production industrielle. II est évident qu'une 
        augmentation de la population algérienne absorberait cette production, 
        mais avec quels moyens ?
 
 C'est pourquoi le problème de la démographie demeure lié 
        à la formation de la jeunesse afin de la rendre apte à toutes 
        les fonctions. II faut augmenter le standard de vie, moderniser le pays, 
        créer des besoins, réformer l'économie politique 
        actuelle et l'adapter à l'avenir. II faut non seulement aller au 
        devant de cet avenir, le prévoir, mais il y a lieu de le créer, 
        de le contrôler puisque l'on ne peut contrôler les Naissances.
 
 PIutôt que de jeter les enfants à la rue, il est plus juste 
        et plus logique de les rassembler, d'en prendre soin, de leur apprendre 
        à travailler, à s'aimer, d'accroître Ieurs connaissances 
        et Ieurs moyens de lutte et de les préparer à la vie de 
        demain.
 
 Certains pays l'ont compris, qui d'ores et déjà organisent 
        ce qu'on pourrait nommer des cours d'éducation civique à 
        l'usage des jeunes générations.
 
 La tâche n'est pas aisée. Les efforts déployés 
        en ce moment par les pouvoirs publics sont énormes, mais l'attitude 
        amorphe de la masse populaire, une certaine réserve paralysante 
        semble incompatible avec l'effort qu'on attend d'elle. Est-ce une méfiance 
        ? Est-ce un manque de foi ou tout simplement une insouciance inhérente 
        à la race ?
 
 Voilà justement le rôle des pouvoirs responsables : celui 
        de faire prendre conscience au peuple du danger qu'iI encourt par l'augmentation 
        démesurée des naissances. L'aider à se dégager 
        de ses soucis est un devoir : mais il est essentiel de développer 
        en lui le sens de la responsabilité collective et de lui faire 
        comprendre que son avenir étant en jeu il doit y faire face par 
        Iui-même s'il tient à vivre selon son désir.
 A. S. |