les colons de Saint Denis du Sig
        Expansion 
          de la France dans le monde.
        À l'heure du " 
          décolonialisme ", les faits passés sont jugés 
          en fonction de la situation actuelle et non pas dans le contexte de 
          l'époque. Le florilège des discours évoque une 
          histoire " sur " la colonisation et non pas "de " 
          la colonisation. Au 19ème siècle, les géographes 
          et les Saint-Simoniens ont, à l'époque, la même 
          conception de la disponibilité des terres du globe, soit 1 habitant 
          pour 12 hectares alors, autorisent l'humanité à l'explorer 
          très largement, à l'aménager, à la faire 
          fructifier et à répartir ses richesses pour le bien-être 
          de tous : l'ère qui s'ouvre est celle de l'organisation de la 
          terre. Le credo colonial d'alors, l'argument d'ordre économique, 
          le rayonnement de la civilisation judéo-chrétienne aboutissant 
          à la grandeur et la puissance, seraient son aboutissement final, 
          d'autant que si le travail est bien organisé et associé 
          au capital, le bien-être de tous remplacera peu à peu la 
          misère et la stérilité sur tous les points du globe.
          
          Après la découverte du monde par les mers, les ambitions 
          des Etats-nations européens sont tournées vers les terres, 
          depuis toujours et particulièrement depuis la guerre de sept 
          ans, les objectifs cachés étant la recherche de l'hégémonie 
          planétaire. La France dans ces circonstances a dominé, 
          perdu, changé de pied, toujours tiraillée entre des idéaux 
          politiques opposés et par une opinion publique versatile, en 
          ce qui concerne le concept et la mise en oeuvre de la colonisation et 
          notamment vis-à-vis de l'Algérie.
          
          Entre 1830 et 1962, trois groupes d'Européens vont administrer 
          l'Algérie : les ministères parisiens, les militaires français 
          et les civils venus d'origines très différentes.
          
          De 1830 à 1880, les ministères parisiens voient une demi-douzaine 
          de régimes politiques se succéder : deux royautés, 
          deux révolutions, deux républiques, un empire et une commune 
          : d'où des affrontements et donc une instabilité n'aidant 
          pas à l'union politique.
          
          Si les militaires français ont une approche différente, 
          ceux qui servent en Algérie, aux premiers temps de la conquête, 
          sont eux-mêmes issus de milieux différents, d'autres ont 
          participé aux guerres napoléoniennes ou hérité 
          de l'esprit de la révolution ou de la Commune, et parmi les officiers 
          apparaissent aussi des scientifiques. Enfin les civils, dont les convictions, 
          les motivations, de par leurs origines géographiques, religieuses 
          et sociales, ont souvent fui la misère liée à la 
          révolution industrielle et/ou à l'essor démographique.
          
          La complexité des situations est augmentée par les relations 
          avec les autochtones qui eux-mêmes ne sont pas tous d'accord, 
          les chefs de tribus trouvant le moyen d'accroître leur autorité 
          exercée sur la population en s'appropriant une grande partie 
          des terres collectives.
          
          L'exemple singulier de St Denis du Sig avec le 
          collectivisme agraire.
          
          Dans les années 1840, parmi les différents courants de 
          pensée, nous choisissons de relater les thèses fouriéristes 
          et particulièrement leurs appropriations par un " porte-parole 
          " décidé, en l'occurrence Jules Duval, avec la création 
          du centre de Saint Denis du Sig dans le sud Oranais.
          Un des courants des fouriéristes est celui de l'école 
          dite de l'Union harmonienne, lancée en 1839 et ayant son propre 
          journal Le nouveau monde. Ses membres voulaient traiter, très 
          vite, des essais variés de réalisations fouriéristes. 
          Chaque école ayant sa solution, ils inspirèrent une vaste 
          réalisation dont le nom et le souvenir ont survécu jusqu'en 
          1962 : l'Union Agricole d'Afrique à Saint Denis du Sig.
          
          Créée en 1845 à Lyon pour exploiter un grand domaine 
          concédé en Algérie, c'est une société 
          civile par actions qui avait été examinée avec 
          bienveillance par le ministère de la guerre. Le 8 novembre 1846, 
          une ordonnance royale concède à la société 
          3.059 hectares de terres, dans la province d'Oran, sur la rive droite 
          de la rivière du Sig, dans le voisinage du village de Saint Denis 
          et du barrage récemment construit. Les obligations de l'Etat 
          étaient : l'attribution de ces terres pour une durée de 
          99 ans et le versement d'une subvention de 150.000 F payables sur des 
          travaux déjà effectués et les obligations du concessionnaire 
          étaient : la création d'un centre de 300 familles (1.500 
          à 2.000 personnes) dont 1/3 de Français, l'édification 
          de bâtiments d'exploitation (étables, bergeries...), la 
          construction d'un moulin à farine, la construction d'une grande 
          enceinte avec bastions, l'élevage de 1.000 bovins, de 3.000 ovins, 
          350 caprins et enfin le paiement d'une rente annuelle de 1F par hectare.
          
          Ainsi que l'écrivait Jules Duval : " Dans les flancs d'un 
          sol inerte, l'émigration a jeté les germes d'une société 
          vivante qui, au soleil de la liberté ou de la discipline, suivant 
          les temps, en travaillant grandit, qui en grandissant prospère, 
          et qui à son tour multiplie et envoie ses essaims ; voilà 
          la colonisation, un des plus nobles spectacles dont il soit donné 
          à l'homme d'être à la fois l'agent et le témoin 
          ".
          
          Construit au pied du Djebel Touakès, Saint Denis du Sig formait 
          un rectangle de 670 m d'est en ouest, de 600 m du nord au sud avec un 
          système urbanistique axial par rapport à son boulevard 
          principal long de 900 m et large de 33 m.
          
          Différents épisodes de la mise en 
          pratique du concept
          
          L'Union naquit dans l'enthousiasme mais on s'aperçut vite que 
          le Français n'a pas la fibre collectiviste, d'autant que la rigueur 
          militaire du règlement dissuadait beaucoup de colons. Au lieu 
          des 300 familles escomptées, 15 seulement se présentèrent. 
          Les premiers habitants furent des Allemands, puis en 1845, 50 familles 
          de Franche-Comté s'installèrent. Les travaux de défrichements 
          et les marais voisins provoquèrent des fièvres et ce premier 
          peuplement disparut sans laisser de traces. Au mois de juin 1846 il 
          ne restait plus que 11 familles de Franc-Comtois. Ils retournèrent 
          au pays, partis vers Oran, la maladie en décima certains. À 
          partir de 1847/1849, avec l'arrivée d'Espagnols, la courbe démographique 
          remonta. En 1847, 160 hectares étaient défrichés 
          et en 1853 les travaux abandonnés et le cheptel vendu. Devant 
          cet état de fait, un décret impérial du 18 août 
          1853 ramenait l'étendue de la concession à 1.792 hectares.
          
          Le poids des grands travaux militaires et les opérations d'assainissement 
          de cette plaine paludéenne n'avaient pas cessé d'écraser 
          cette entreprise Dans l'intervalle pourtant, le Conseil de l'Union Agricole 
          avait décidé d'investir, avant janvier 1848, une somme 
          de 400.000 francs dans
          l'établissement agricole, promettant notamment de rassembler 
          un troupeau de 400 ou 500 moutons, 40 boeufs et vaches, 15 chevaux. 
          En décembre 1846, la mise en culture était bien avancée, 
          le parc de charrues comptait déjà 20 appareils, vingt 
          ou trente salariés étaient journellement employés.
          
          L'organisation interne séduisait les partisans des " armées 
          industrielles " ou ceux d'une colonisation de type militaire. Le 
          travailleur associé à l'Union signait un " contrat 
          d'enrôlement " contraignant, mais les auteurs du projet avaient 
          voulu éviter les défauts des deux sortes de colonisation, 
          celle souhaitée par Bugeaud (militaire) et celle des grands concessionnaires 
          privés (spéculateurs).
          En Algérie, il ne fallait pas tenter le phalanstère mais 
          quelque chose qui pût se transformer plus tard en commune sociétaire. 
          J. Duval précisait : " On avait gratuitement ou à 
          bas prix une terre fertile et étendue : l'application des idées 
          sociétaires y serait plus facile et donnerait moins d'ombrage 
          qu'ailleurs ; le succès fixerait davantage l'attention en résolvant 
          le problème de la colonisation africaine ". Les
          auteurs choisissaient l'Algérie donc pour des raisons d'efficacité 
          aussi. L'Union réunirait les avantages de la grande
          propriété : puissance, savoir, économie, unité 
          d'action, et ceux de la petite propriété : zèle, 
          activité et intelligence de la part des travailleurs qui seront 
          tous copropriétaires peu ou prou. Il s'agissait de créer 
          " une commune d'après le principe d'association et sur les 
          bases que l'autorité compétente aura admise ", pour 
          tendre vers une solidarité d'intérêt entre les capitalistes 
          et les travailleurs.
          
          En 1850, J. Duval en faisait ressortir la grande valeur sociale au nouvel 
          évêque d'Alger, Monseigneur Pavy, en visite à St 
          Denis du Sig. Il intervint encore en 1852, suite à un rapport 
          fait par un inspecteur de la colonisation qui concluait à la 
          rétrocession de 1152 hectares de terres irrigables au domaine 
          public, au motif que l'Union n'aurait pas rempli, dans les cinq années 
          de la création, les conditions imposées par l'acte de 
          concession. Cette amputation était inévitable car le gouvernement 
          cherchait le moyen d'agrandir le territoire insuffisant du village de 
          St Denis du Sig, et le titre accordant la propriété de 
          1892 hectares en retranchant 1167 hectares fut accordé le 18 
          août 1853.
          
          Tous les fouriéristes décidèrent de sauver l'Union 
          dont la situation était meilleure au plan financier comme les 
          résultats de la campagne de 1854. Le domaine avait pris une valeur 
          singulière avec le triomphe de la culture du coton dans les plaines 
          littorales, les projets de voie ferrée entre Alger et Oran ne 
          pouvant qu'attirer l'attention sur ce domaine de plus de 1.000 hectares.
          
          Etapes chronologiques suivantes
          
          En 1860, dès que l'évolution libérale du régi 
          me impérial permit la publication des idées fouriéristes, 
          le désir de redonner vie à l'idée primitive, qui 
          n'avait jamais été oubliée, reprit avec de nouveaux 
          défrichements mais avec des salariés.
          
          En 1865, les actionnaires de l'Union réitèrent que la 
          société était fondée pour la création 
          d'une commune agricole-industrielle, dans laquelle serait appliqué 
          autant que possible le principe de l'association du capital et du travail, 
          tant pour l'exploitation de l'établissement que pour la répartition 
          des bénéfices. En 1885, l'auteur d'un guide de l'Algérie, 
          Louis Piesse, signalait le domaine au nombre des " belles fermes 
          qui rayonnent autour de Saint Denis du Sig ".
          
          En 1869, l'Union délivrait des dividendes de 2 % du capital depuis 
          1863. Au total, sur l'avenir de la colonisation algérienne, Duval 
          comprit la fragilité d'une production liée aux dispositions 
          de l'Administration, perturbant le libre jeu des mécanismes commerciaux, 
          le conduisant aux thèmes du libéralisme commercial, du 
          déficit démographique, d'autres éléments 
          conjoncturels (crise financière, fièvres, choléra...) 
          s'y ajoutant. " Tout progrès annulé est toujours 
          à recommencer : le triste métier de Pénélope 
          s'applique à la colonisation ". Tout ne fut pas négatif 
          dans cette entreprise car on note les innovations agronomiques et culturales, 
          l'ensemencement jusqu'à 300 hectares en cultures européennes 
          diverses, une pépinière, 14 hectares de vignes. Socialement, 
          le ralliement, dès 1849, de " l'élément arabe 
          dans son enceinte même, non à titre de travailleur célibataire 
          et salarié, mais vivant en famille sous la tente. Nous avions 
          réussi à recruter et à former un commencement de 
          douar arabe, et prouver par une démonstration éclatante 
          comme un fait, comment la bienveillance et la justice pouvaient amener 
          le rapprochement d'abord et plus tard la fusion entre deux peuples qu'à 
          cette époque on tenait pour éternellement réfractaires 
          l'un à l'autre ".
          
          En définitive :
          
          L'Union agricole fut une expérience socialiste, liée au 
          succès d'une analyse utopiste de la colonisation. Au contact 
          des réalités, l'utopie s'écroule et il ne reste 
          rien des beaux rêves d'expérimentation de la doctrine sociétaire. 
          Il reste que J. Duval joua un rôle éminent dans ces combats 
          et qu'il sut en être l'observateur attentif et l'interprète 
          : " Le gouvernement nouveau proclame le rôle initiateur de 
          l'Algérie et la désigne à la France comme la terre 
          des nouveautés. En nos mains, il mettra le sol, les eaux, les 
          richesses du climat, le concours des forces publiques, au seul prix 
          d'un travail sérieux. La France entière sollicite de nous 
          l'enseignement d'un succès. Ne tra-hissons pas son attente ".
          
          Ainsi apparait l'originalité de l'oeuvre de Jules Duval, tournée 
          vers la vulgarisation des questions économiques et leur application 
          pratique, en comparaison avec l'espoir des immigrants, qui sont attirés 
          par les possibilités d'un pays neuf, hors des routines et des 
          sentiers battus, espérant une vie d'action plus intense ou la 
          réalisation d'une idéologie.
        Gérard 
          Ferrandis
        Bibliographie et sources 
          :
          Socialisme utopique et idée coloniale ; Jules Duval (1813/1870)
          Thèse université Paris 1 1977 de Jacques Valette, 2è 
          partie : L'Union agricole d'Afrique (1847/1852)
          - L'idée coloniale en France de Raoul Girardet
          - L'Algérianiste n° 72, décembre 1995
          - Cercle.algérianiste.fr
          - SIG(Mascara) Wikipédia
          - Histoire de St Denis du Sig (généalogie.azuelos.free.fr)
          - La revue française de généalogie. Hors-série, 
          2è édition
          - Algérie L'oeuvre française p.96 de Pierre Goinard
          - L'écho de l'Oranie n° 37-février 1968 (article Marc 
          Bellier)
          - L'écho de l'Oranie Nov-Décembre 1983
          - L'écho de l'Oranie n° 295-Novembre 2004.